1. 15, Rue Dr. Alphonse Laveran 1005 Tunis
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Pour un droit universel à la santé !
Une conférence nationale sur la santé a eu lieu à Tunis, début septembre 2014. Il faut
s’en féliciter. Beaucoup de professionnels, d’associatifs et d’organisations non
gouvernementales se sont intéressés à cette question cruciale pour notre pays. En
effet, nul ne peut nier que l’accès à des soins de qualité, à tous les âges de la vie et
quelle que soit la région où l’on vit, est en quelque sorte un préalable à la jouissance
de ses autres droits. Or la situation tunisienne est à cet égard loin d’être satisfaisante.
La question avant même d’être économique – même si cette dimension est
essentielle - a donc d’abord trait au modèle de société que l’on veut instaurer.
Exprimée autrement, elle revient à poser comme principe général que l’économie –
de la santé, en l’occurrence – doit se mettre au service de la société notamment
quand il s’agit de biens essentiels dont la marchandisation pourrait conduire à altérer
dramatiquement la cohésion sociale, déjà mise à mal par des décennies
d’aggravation des inégalités dans notre pays.
Un financement solidaire
Seule une réforme audacieuse permettrait de sortir de l’impasse à la condition
d’admettre, comme rappelé en préambule, que le droit à la santé est inaliénable et
doit, en toutes circonstances, être garanti par la puissance publique ainsi que le
stipule notre nouvelle Constitution. Comme la citoyenneté est fondée sur la
contribution de tous - en fonction des moyens de chacun - au bien-être général,
l’impôt constitue le meilleur moyen de répondre à cette exigence. Son caractère
progressif et universel permet à la fois l’équité, la redistribution des richesses et la
cohésion sociale. En contrepartie, il octroie à chaque citoyen le droit - tout aussi
universel - d’accès aux soins et à la protection sociale. Cette allocation des ressources
doit ainsi permettre à tous la possibilité de se faire soigner sans avances de frais (tiers
payant) auprès d’organismes et de professionnels conventionnés, rémunérés par la
puissance publique. En somme, la santé (au sens large : soins, prévention) est
garantie par l’Etat. Le reste de la protection sociale (retraites, handicap, chômage)
reste du ressort des caisses de sécurité sociale. Pour être accepté et attractif, le
conventionnement des professionnels de santé doit se faire sur la base du volontariat
en proposant comme contreparties à cet engagement des avantages incitatifs
octroyés par la puissance publique, en toute transparence.
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A l’aune de ces principes généraux, les mécanismes proposés pour le financement
d’une santé solidaire, c’est-à-dire accessible à tout citoyen tunisien quels que soient
ses revenus, pourraient être les suivants :
1) Consacrer aux dépenses de santé au moins 10% du PIB (moins de 7%
actuellement) ;
2) Contribution santé (CS) sur les revenus du travail et du capital, selon une
assiette large et un taux progressif ;
3) La TVA perçue sur les alcools et les tabacs est allouée au budget de la santé
publique avec pour priorité le financement de la prévention ;
4) La mobilisation de l’épargne privée nationale (via la création de fondations
d’utilité publique) et de fonds internationaux en lien avec l’Organisation
Mondiale de la Santé (OMS) et par le biais de conventions bilatérales est
encouragée, en vue d’abonder un vaste programme d’investissement,
notamment dans les infrastructures de santé.
Une régulation juste
Pour que l’attractivité du conventionnement soit forte et que son utilité sociale soit
prise en compte, il sera proposé aux professionnels de santé exerçant dans le secteur
privé (médecins et établissements privés), les mesures suivantes :
1) Une rémunération garantie dans un délai raisonnable au-delà duquel des
pénalités seront exigibles ; un système informatisé et sécurisé sera mis en place
à cet effet.
2) La liberté d’installation assortie d’une prime annuelle, en cas d’installation dans
une région sous dotée en médecins, durant toute la période du
conventionnement (5 ans au minimum)
3) Une exonération complète des charges sociales les 3 premières années
4) Une garantie de l’Etat pour l’acquisition de matériel médical lourd (sur dossier)
5) La participation à hauteur d’au moins 50 jours ouvrables/an au service public
de la santé (santé de base et hôpitaux publics), rémunérés sur une base
forfaitaire.
La régulation de ce système de santé universel suppose l’application stricte du « juste
soin au meilleur coût », ce qui revient à définir le panier de soins que la collectivité
prend en charge. A cet égard, une commission composée de personnalités qualifiées
désignées par la tutelle auxquelles s’associent les présidents du conseil national de
l’ordre des médecins et celui des pharmaciens, est créé.
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Dans le même esprit qui veut que tout droit nouveau soit conditionné par des
devoirs, il est évident que des dispositifs efficaces de lutte contre la fraude sociale
doivent accompagner la mise en place de cette santé universelle tout en veillant dans
le même temps à en simplifier le plus possible le fonctionnement.
Une organisation des soins décentralisée
Afin de répondre aux besoins de santé sur l’ensemble du territoire et dans une
optique décentralisée qui vise à rapprocher le citoyen des services qui lui sont dus,
des agences régionales de santé (ARS) seront créées. Ces ARS sous la tutelle du
ministère de la Santé auront, entre autres, pour mission d’organiser 4 niveaux de
prise en charge : santé de base comprenant la protection maternelle et infantile et
une consultation de santé mentale, secteur hospitalier public, secteur libéral
conventionné, secteur libéral non conventionné. Les 3 premiers secteurs ont pour
principe commun d’appliquer le tiers payant.
1) La santé de base, assurée par des dispensaires ouverts au moins 5 jours dans la
semaine selon une amplitude horaire la plus large possible, comprend les soins
courants externes (sans hospitalisation), au moins une consultation ayant trait
à la protection maternelle et infantile d’une part et à la santé mentale d’autre
part. Des actions de prévention (hygiène, alimentation, addictions, maladies
sexuellement transmissibles) y seront menées.
2) Le secteur public hospitalier concerne toutes les structures de soins qui
comportent un volet d’hospitalisation, d’accueil des urgences et de
permanence des soins. Toutes les régions sanitaires doivent disposer d’au
moins un CHU et d’un ou plusieurs hôpitaux généraux (dont l’un au moins
comporte une maternité dotée d’une réanimation néonatale). Il gère
également les structures de soins de suite (convalescence) et/ou les maisons
médicales d’accueil des personnes âgées dépendantes selon une logique
également régionale. Ce secteur a la charge de la formation des médecins et
des autres professions paramédicales, en lien avec les universités et instituts
correspondants.
3) Le secteur libéral conventionné comprend les médecins libéraux (généralistes
et spécialistes) ainsi que les cliniques qui auront faits le choix de signer une
convention avec l’ARS dont ils dépendent.
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4) Le secteur libéral non conventionné fonctionne de façon autonome
(honoraires libres) et n’est pas conventionné. Toutefois, l’ARS dans un souci de
maillage territorial et pour éviter tout phénomène soit de concentration ou a
contrario de désertification médicale, régule l’installation des médecins et/ou
des cliniques concernés (comme c’est le cas pour les officines de pharmacie).
Les professionnels de ce secteur sont encouragés à participer au service public
de la santé (santé de base et hôpitaux publics) : dans cette hypothèse et à
condition d’y consacrer au moins 50 jours ouvrables/an (payés sur une base
forfaitaire), une exonération partielle de charges sociales leur est consentie
durant la durée de leur engagement (au moins 5 ans).
Un vaste programme d’investissement sera nécessaire pour la construction des
structures de soins manquantes, la mise aux normes de l’existant, le développement à
la fois des transports médicalisés et des infrastructures de transport nécessaires.
L’épargne nationale ainsi que la coopération internationale sous la forme de
subventions et/ou de prêts à taux avantageux consentis au regard de l’utilité sociale
du projet seront mobilisées en priorité en faveur d’un tel programme. Un travail
préalable d’évaluation des besoins (et des coûts qui en résultent) ainsi qu’un
calendrier précis de réalisation sera établi.
Pour une organisation efficiente et un accès facilité aux soins, la tutelle veillera à
assurer un équilibre inter-régions tenant compte du niveau de vie moyen de la
population considérée, de la démographie médicale et des facilités plus ou moins
grandes de déplacement. Ces critères permettront - entre autres - de définir les
régions sous dotées, sur la base desquels seront octroyées les primes d’installation
réservées aux professionnels de santé ou aux cliniques privées du secteur libéral
conventionné. L’ensemble de la réforme fera l’objet d’une loi présentée devant la
représentation nationale de telle sorte que le dispositif soit démocratiquement
adopté.
Dans l’intérêt général de la Nation
Ce projet dont il conviendra d’affiner les contours en fonction des préconisations de
la conférence nationale de santé et suite aux concertations à mener avec les
organisations syndicales concernées, a d’abord pour objectif de se conformer aux
recommandations de la nouvelle Constitution tunisienne. En effet, il nous faut
répondre à l’impératif de garantir, entre autres, un droit à la santé indissociable de la
nouvelle citoyenneté que l’on veut promouvoir. Au-delà des considérations éthiques
qui ont été soulignées, il convient également d’insister sur sa pertinence économique.
En l’accompagnant d’une refonte juste et équitable de l’impôt, en octroyant un
salaire indirect aux citoyens par le biais du tiers payant et en activant un puissant
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effort d’investissement, sorte de « plan Marshall de la santé », la collectivité améliore
l’efficience des acteurs qui la composent en les protégeant vis-à-vis des aléas de la vie,
sources de gaspillage conséquent, créé de l’emploi pérenne dans un secteur
dynamique comme celui de la santé et mobilise l’épargne nationale et internationale
dans de nombreux autres secteurs également créateurs d’emploi (bâtiment,
transports). En somme, l’ambition de ce projet est de démontrer qu’il est possible de
conjuguer justice sociale et pertinence économique au profit de l’intérêt général de la
nation.
Dr Hakim Bécheur ; chef de service hospitalier (Paris)