« Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle »
Mémoire de Master 1 - Science politique, Lille 2, 2005
Résumé :
« A l’issue de « Lille 2004 » et d’une année de festivités dans un territoire aussi large que le Nord – Pas-de-Calais et toute une euro – région, l’équipe de la Capitale européenne de la Culture pour l’année 2004 s’est attelée à formaliser
un bilan évaluatif.
En compilant un certain nombre de données qui seront ensuite rendues publiques lors d’une conférence de presse emmenée par Martine Aubry, Maire de Lille depuis 2001, les évaluateurs ont eu à objectiver divers constats découlant directement de cette politique publique culturelle de rare envergure.
Cependant, au-delà d’une simple démonstration pratique des bienfaits de ce dispositif, le bilan permet de rendre compte d’une partie des référentiels d’action publique qui ont guidé le projet durant toute sa conception puis sa mise en œuvre. »
1. Université de Lille II :
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
Master 1 de Science Politique
Le bilan de Lille 2004
Technique et enjeux d'une évaluation
de politique publique culturelle
Florent MICHELOT
Mémoire préparé sous la direction de M. Rémi LEFEBVRE,
Professeur en science politique
(Année universitaire 2004-2005)
2. Le bilan de Lille 2004
Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle
Florent MICHELOT
Mémoire préparé sous la direction de M. Rémi LEFEBVRE,
Professeur en science politique
(Année universitaire 2004-2005)
« Il n’’est pas de lutte à propos de l’’art
qui n’’ait aussi pour enjeu l’’imposition
d’’un art de vivre. »
Pierre BOURDIEU
La distinction. Critique sociale du jugement
Paris : Edition de Minuit, 1979
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 2
3.
4. Résumé
A l’’issue de « Lille 2004 » et d’’une année de festivités dans un territoire
aussi large que le Nord –– Pas-de-Calais et toute une euro –– région, l’’équipe de la
Capitale européenne de la Culture pour l’’année 2004 s’’est attelée à formaliser
un bilan évaluatif.
En compilant un certain nombre de données qui seront ensuite rendues
publiques lors d’’une conférence de presse emmenée par Martine Aubry, Maire
de Lille depuis 2001, les évaluateurs ont eu à objectiver divers constats
découlant directement de cette politique publique culturelle de rare envergure.
Cependant, au-delà d’’une simple démonstration pratique des bienfaits de
ce dispositif, le bilan permet de rendre compte d’’une partie des référentiels
d’’action publique qui ont guidé le projet durant toute sa conception puis sa mise
en œœuvre.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 4
5. Sommaire
INTRODUCTION.............................................................................. 6
CHAPITRE 1. PRESENTATION GENERALE DE L’’EVALUATION
DANS LE CHAMP DES POLITIQUES CULTURELLES......................12
SECTION I. DE L’’EMERGENCE DE LA PRATIQUE EVALUATIVE ............................................13
§ 1. Historique de l’’évaluation française .............................................................................. 13
§ 2. Quelques fondements méthodologiques quant à l’’évaluation ...................................... 16
SECTION II. POUR UNE METHODOLOGIE DE L’’EVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES
CULTURELLES ..................................................................................................................21
§ 1. Les acteurs et outils à mobiliser à chaque étape de l’’évaluation ou les méthodes
classiques d’’évaluation .........................................................................................................22
§ 2. Outils d’’évaluation et spécificités des politiques culturelles .........................................22
CHAPITRE 2. LE BILAN DE LILLE 2004 OU L’’OBJECTIVATION DES
RESULTATS D’’UN « PROGRAMME AMBITIEUX »......................... 30
SECTION I. LA VALORISATION DU « BOND CULTUREL » ................................................... 30
SECTION II. LILLE, NOUVELLE METROPOLE INCONTOURNABLE ....................................... 34
§ 1. Un nouvel attrait médiatique.........................................................................................34
§ 2. Le tourisme en pleine mutation .....................................................................................36
SECTION III. UN ENGOUEMENT AU SERVICE DU MONDE ECONOMIQUE ........................... 39
CHAPITRE 3. L’’EVALUATION, ENJEU STRATEGIQUE POUR LA
POLITIQUE LOCALE.......................................................................41
SECTION I. RENOUVEAU TERRITORIAL OU IMPOSITION D’’UNE NOUVELLE PERCEPTION DE
L’’ESPACE URBAIN ? ..........................................................................................................41
§ 1. Faire de Lille 2004 la vitrine de la métropole lilloise ................................................... 41
§ 2. Changer la perception des Lillois de leur ville et d’’eux-mêmes....................................44
SECTION II. LA REDEFINITION DU ROLE DES ACTEURS LOCAUX ....................................... 49
§ 1. La place des acteurs locaux dans le dispositif de Lille 2004.........................................49
§ 2. L’’utilisation du Bilan de Lille 2004 par l’’élu pour redessiner son rôle........................54
CONCLUSION ................................................................................ 60
BIBLIOGRAPHIE........................................................................... 62
ANNEXES ...................................................................................... 65
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 5
6. Introduction
Sous l'impulsion de M. Jack Lang, et Mme Mélina Mercouri, les Ministres
de la Culture de la Communauté Européenne lançaient en 1985 le projet des
Capitales européennes de la culture. Dix-neuf ans après Athènes, la première
capitale désignée, les villes de Lille et de Gênes en Italie prenaient donc le relais
pour contribuer aux rapprochements entre les cultures d'Europe.
C'est en mai 1998 que Lille a été désignée Capitale européenne de la
culture par le Conseil des Ministres européens. Après l'échec en mars 1997 de la
candidature de Lille pour l'organisation des Jeux Olympiques de 2008, le
« Comité Grand Lille » (structure de dialogue entre représentants du monde
économique et élus locaux) a porté ce projet auprès de l'Union Européenne par
le biais du Vice-président à la culture du Conseil Régional, M. Yvan Renar. La
mairie de Lille, encore sous la mandature de M. Pierre Mauroy, était jusque là
faiblement impliquée dans le projet, et c'est en la personne de Martine Aubry
(alors première adjointe au Maire de Lille) que le projet va donc peu à peu
trouver un écho politique. Dès la période préélectorale, cette dernière va donc
progressivement s'approprier le leadership et le rôle de manager du projet y
compris auprès des élus des collectivités avoisinantes.1 L'investissement sans
cesse croissant de la future maire, élue en mars 2002, est allé de paire avec un
élan commun autour de la question.
Ainsi, avec un budget global de 73.000.000 €€, dont 17,6% de fonds privés,
la capitale européenne de la culture pour l'année 2004 a bénéficié d'une
participation financière d'une rare envergure pour un projet de cette nature, aux
antipodes des problématiques budgétaires classiques relevant de l'action
1 « Martine Aubry s'est peu à peu complètement appropriée Lille 2004, elle a méthodiquement écarté
tous les élus de ce dossier, fait le vide autour d'elle et cela bien avant son élection. » souligne un
maire d'une commune voisine de Lille, cité dans « Rôles, identité et habitus dans l'action publique.
Martine Aubry et Lille 2004, capitale européenne de la culture », Rémi LEFEBVRE, non publié à ce
jour, 2004
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 6
7. culturelle. Le succès ne se serait d'ailleurs pas fait attendre puisque dès
l'ouverture des manifestations, le « bal blanc », la fête d'ouverture, rassemblait
entre 600.000 et 1.000.000 de personnes dans les rues, aux dires des
organisateurs.
Le bilan de Lille 2004 au terme d'un année d'évènements aussi divers que
des spectacles, des fêtes populaires, des expositions, des « métamorphoses
urbaines »... est frappant : 2.500 manifestations sur 193 communes de la région
Nord –– Pas-de-Calais et de Belgique, et des milliers de spectateurs (plus de
300.000 pour la seule exposition « Rubens » au palais des Beaux-arts de Lille).
Même si les politiques culturelles nationales sont un vieux cheval de
bataille du pouvoir central, cette réussite serait d'autant plus flagrante que
l'attrait porté par les collectivités locales à ce domaine d'action publique est
relativement récent. Ne pouvant être assimilées aux seules perspectives
d'éducation populaire et « démopédique » des « paternalistes philanthropes »
d'autrefois, les politiques culturelles modernes ont la particularité de ne pas
revêtir le caractère explicitement partisan. Les acteurs qui ont pour projet
d'impulser une initiative culturelle n'invoqueraient plus les arts aux seuls
services « d'instructions utiles à la formation de l'esprit public »1. De la sorte,
l'objectif affirmé aurait été de dépasser le clivage partisan classique. La culture
serait alors un lieu où le clivage gauche –– droite serait plus malléable et moins
connoté. « Fonder un art nouveau pour un monde nouveau »2, là n'est plus le
stricte objet de l'action.
Cependant, l'une des caractéristiques majeures des politiques publiques
est que celles-ci résulteraient nécessairement de visions du monde bien
particulières, de valeurs et intérêts défendus et seraient donc l’’enjeu de luttes.
Or, en la matière, les acteurs politiques se défaussent donc de toute volonté de
« partialiser » leur action. Pourtant, il va s'en dire que le décideur, en
intervenant plus ou moins directement dans la programmation des structures
dont il a la charge, affirme par la même occasion les priorités correspondant à
1 Vincent DUBOIS, La politique culturelle, Genèse d'intervention d'un catégorie d'intervention, Paris :
Belin, coll. Socio-Histoires, 1999, p. 38
2 Romain ROLLAND (1866-1944), auteur et metteur en scène, prix Nobel de littérature en 1915
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 7
8. ses propres vues.
Une politique publique se définirait comme un « problème perçu comme
appelant un débat public, voire l'intervention des autorités politiques
légitimes. » selon Jean-Gustave Padioleau1. Ce serait donc un ensemble de
mesures concrètes résultant de décisions de caractère plus ou moins autoritaire,
voire coercitives dans « un cadre général d'action » affiné d'année en année,
destinées à satisfaire un public, « c'est à dire des individus, groupes ou
organisations dont la situation est affectée par la politique publique », et mises
en oeuvre au nom d'objectifs et de valeurs communes d'après Yves Meny et
Jean-Claude Thoening. Aussi, les influences théoriques modernes de l'action
publique ont eu tendance à rendre primordial son aspect performatif.
Aujourd'hui, nulle politique entreprise ne saurait être menée sans l'élaboration
d'une évaluation visant, théoriquement, à rationaliser les coûts des politiques.
« Évaluer une politique publique, c'est former un jugement sur sa valeur. »2
L'évaluation n'est pas un bilan, ni un audit, c'est « un moyen de clarification des
procédures, de mise en cause des routines, d'analyse de la performance du
service public. »3 Elle a pour ultime finalité de comparer « ses résultats aux
objectifs assignés et aux moyens mis en oeuvre ». En bref, une politique
publique doit s'appréhender comme étant la réponse politique à un problème ou
une demande faisant appel à un traitement politique. L'intérêt de l'évaluation
sera d'en déterminer les effets concrets.
La volonté de dépolitiser le débat culturel par l'élu devient alors d'autant
plus paradoxale lorsque l'on considère « la politique culturelle [comme] un
objet composite qui relève autant de l'histoire des idées et des représentations
sociales que d'une histoire de l'État (ou des autres instances publiques) [...] C'est
une totalité construite par des idées, par des pratiques politiques et
administratives situées dans un contexte intellectuel et politique. »4 Une
1 Cité par Pierre MULLER, Les politiques publiques, « Que sais-je ? », Paris : Presses Universitaires de
France, 1990, p.37
2 Patrick VIVERET, L’’évaluation des politiques et des actions publiques, Rapport au Premier Ministre,
Paris : La documentation française, juin 1989
3 Pierre MOULINIER, L'évaluation des politiques publiques culturelles locales, éléments pour la
réflexion et l'action, Paris : La Documentation française, 1994
4 Philippe URFALINO, L'invention de la politique culturelle, Paris : Hachette, coll. Littérature, 2001, p.
14
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 8
9. politique impartiale serait alors illusoire car tenant viscéralement aux croyances
et pratiques des acteurs qui les mettent en oeuvre. Preuves en seraient les forts
clivages qui avaient pu se dessiner autour du projet avant les élections
municipales de 2001, tant dans la future majorité municipale que dans les
opposants1. Une politique culturelle est la « multiplication des activités, des
domaines et des modes d'intervention, l'hétérogénéité des actions additionnées,
l'indifférence, l'impuissance ou l'hostilité à l'égard de toute forme de
rationalisation du gouvernement des hommes et des choses de la culture, qui
serait la promulgation de finalités précises et concrètes, la hiérarchisation des
priorités, la gestion rigoureuse des ressources et l'évaluation méthodique des
résultats. »2 En conséquence, une politique culturelle ne peut s'appréhender sur
des considérations détachées de toutes finalités politiques.
Ainsi, en produisant un « bilan de Lille 2004 » que les principaux acteurs
ont présenté lors d'une conférence de presse le 16 mars 20053, on peut
s'interroger sur la portée culturelle stricto sensu qu'a pu prendre l'option choisie
par Lille 2004. Il faut savoir que chaque Capitale européenne de la Culture n'est
tenue par aucune forme particulière, même si l'idée globale reste d'allier
programmes artistiques internationaux et diversité locale. Trois tendances
majeures sont apparues néanmoins dans la programmation adoptée par les
villes désignées dans le passé : « la construction de nouvelles infrastructures »,
« une programmation sous la forme d'un festival » et « un programme sous
1 « Lille se fantasme autour de cette image de grande métropole internationale. La culture est donc une
représentation de cette image que la ville veut se donner avec le musée des Beaux-arts ou l’’Opéra.
Mais au-delà de cette vitrine, il n’’y a rien. Il n’’existe pas de réflexion sur les lieux culturels de
quartier. [...] Lille 2004 ? Je me demande ce qui restera vraiment après la fête » affirmait Éric
Quiquet, les Verts, peu de temps avant le premier tour des élections, alors que Philippe Bernard, tête
de liste Front National, nuançait très fortement son soutien: « Je suis pour que l’’on développe au
maximum le mécénat. La ville n’’est pas là pour offrir des loisirs à tous. On accompagne
financièrement des évènements que les jeunes voient déjà à la télé : la techno, le rap, hit machine
version M6. L’’Aéronef aussi prend trop de subventions. Je ne suis pas pour la promotion des cultures
marginales. »
2 Pierre-Philippe MENGEL, « L'Etat-providence et la culture. Socialisation de la création, prosélytisme
et relativisme dans la politique culturelle publique », in Pratiques culturelles et politiques de la
culture, dir. François CHAZEL, Bordeaux : Maison des sciences et de l'homme d'Aquitaine, 1987
3 Cette conférence de presse s'est tenue le mardi 16 mars 2005 en la « Maison folie » de Lille-
Wazemmes. Mme Martine Aubry, Maire de Lille et présidente de l'association « Lille Horizon 2004 »,
et MM. Laurent Dréano, Coordinateur général de Lille 2004, Didier Fusiller, Directeur de Lille 2004,
et Jean-Michel Stievenard, maire de Villeneuve d'Ascq et Vice-président à la Culture de Lille
Métropole Communauté Urbaine (LMCU), ont pu présenter les retombées.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 9
10. l'angle de thématiques artistiques. »1 Lille 2004 a recouvert ces trois spécificités
tout en s'étendant sur le territoire « euro –– régional ». En multipliant les
champs d'intervention hors du seul cadre culturel, la Capitale européenne de la
culture 2004 a ainsi révélé sa grande « plasticité ».
La multiplicité des formes qu'a donc pu prendre Lille 2004 n'en ferait donc
pas une simple politique culturelle. La résistance du milieu artistique à
l'évaluation et donc à la mesure de son efficacité perdrait alors une part de sa
force. En mettant en place de nouvelles structures pérennes dans les quartiers
périphériques, en organisant de grandes manifestations populaires, en
élargissant les cibles visées par les spectacles et en produisant une politique
d'accès à moindre coût, en institutionnalisant une forme moderne de mécénat
par la participation financière de grandes entreprises, ..., Lille 2004
caractériserait-il plus volontiers la volonté de redéfinir l'espace urbain par
l'imposition d'un nouvel art de vivre en proposant un « nouvel art de la ville »2?
Aborder cette interrogation par le truchement du bilan qui a été tiré in fine
d'un an de manifestations revient à considérer ce que les acteurs de la métropole
lilloise engagés dans le projet Lille 2004, et la municipalité en premier lieu, ont
voulu imposer à Lille. « Les commanditaires d'évaluation ont souvent pour
arrière-pensée de communiquer plus efficacement sur une politique qu'ils
estiment a priori bonne et dont ils veulent faire connaître la réussite »3
Selon Martine Aubry, « Lille 2004 a permis au gens du Nord de retrouver
de la fierté. On a fait un vrai bond culturel ! »4 Or, si mener une politique c'est
chercher à réduire un écart entre les perceptions négatives d'une situation et les
espérances d'amélioration perçues comme légitime, deux options s'offrent alors
aux politiques. Ces deux stratégies cumulatives consisteraient donc à agir
directement et concrètement sur la situation avec l'espoir d'agir sur la
satisfaction des citoyens, et, d'autre part, en agissant sur les représentations du
1 Lille 2004 de A à Z, bilan produit par l'association « Lille Horizon 2004 »
2 Titre de l'ouvrage –– programme de Martine AUBRY, Un nouvel art de la ville : le projet urbain de
Lille, Lille : Ville de Lille, 2005
3 Bernard PERRET, L'évaluation des politiques publiques, Paris : La Découverte, coll. Repères, 2001,
p.106
4 Conférence de presse de présentation du « Bilan de Lille 2004 »
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 10
11. réel et sur les représentations qui les fondent pour rapprocher la représentation
que l'on a avec ce qui devrait être. Le bilan de Lille 2004 répondrait à ce même
double processus s'il objectivait des résultats du dispositif tout en faisant part
des référentiels qui ont contribué à faire ce que Lille 2004 a été. En étudiant le
processus d'élaboration du bilan de « Lille 2004 », nous avons donc décidé
d'analyser le procédé par lequel les différents intervenants se seraient
appropriés ladite évaluation. Il faudra alors s'interroger sur son éventuelle
instrumentalisation dans le cadre d'une légitimation des choix faits pour Lille
2004.
Pour ce faire, nous avons orienté nos recherches sur ce dont les rédacteurs
de Lille 2004 de A à Z (par ailleurs membres de l'équipe de Lille 2004) se sont
basés pour construire leur évaluation. Différents indicateurs ont contribué à son
élaboration (chiffres de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Lille
Métropole, de l'Institut National de la Statistique et des Études Économiques,
office du tourisme...) au même titre que certaines évaluations qualitatives. Un
intérêt tout particulier a été porté à leurs conditions d'enquête par le biais de
l'entretien. La conférence de presse a aussi été source d'informations pour de
multiples raisons allant des points positifs mis en avant à la scénographie. Il a
aussi été décidé d'étudier les questionnaires distribués dans les « Maisons
folies » dont ceux de « la Condition Publique » de Roubaix. Enfin, la presse
locale et nationale, a été une source non négligeable d'informations pour
appréhender les retours qui ont été faits à la population de ce dispositif annuel.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 11
12. Chapitre 1. PRESENTATION GENERALE DE L’’EVALUATION
DANS LE CHAMP DES POLITIQUES CULTURELLES
L’’évaluation des politiques publiques apparaît progressivement à la fin des
années 1980 en France, alors qu’’est en train de naître une nouvelle approche
des services publics. Deux objectifs sont alors mobilisés pour mettre en avant
l’’intérêt de la pratique évaluative : tout en intégrant l’’idée de rationalisation de
l’’action publique, elle favoriserait le processus de démocratisation de la
décision.
Afin d’’aborder les enjeux de l’’évaluation des politiques culturelles, il
convient tout d’’abord de réaliser un bilan chronologique de cette pratique. La
période au cours de laquelle la pratique évaluative est apparue concourt à
émettre l’’hypothèse que les décideurs de l’’époque ont eu tendance à l’’utiliser
comme outil de légitimation de leur politique et de modernisation des services
publics. L’’évaluation aurait donc servi d’’outil de promotion d’’action publique de
plus large ampleur. Nous étudierons ainsi les procédés utilisés en la matière, en
prenant soin de distinguer ces méthodologies d’’autres procédés qui y sont
parfois associés.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 12
13. Section I. De l’’émergence de la pratique évaluative
La pratique évaluative est relativement récente en France. Pourtant, si elle
fût particulièrement dénigrée dans un premier, la nécessité affirmée de
réformer certaines pratiques de l’’Etat l’’a rendu particulièrement nécessaire. On
notera néanmoins que les techniques proposées en la matière sont plus
anciennes et ont contribué à sa légitimation.
§ 1. Historique de l’’évaluation française
A. Chronologie du développement de l’’évaluation en
France
Depuis 1990, le concept d’’évaluation des politiques publiques est apparu
comme un élément majeur dans l’’élaboration des politiques publiques, d’’abord
au niveau de l’’Etat puis au niveau des collectivités territoriales.
Il faut rappeler que c’’est au cours des années 1970 que le mouvement de
Rationalisation des Choix Budgétaires (RCB) a impulsé la réflexion, en France,
sur l’’évaluation. Basé sur le Planning-Programming-Budgeting System (PPBS)
d’’inspiration nord-américaine, il convient de préciser que ce type d’’évaluation
proposé alors était a priori. « Il s’’agissait avant tout de restructurer le budget
sous forme d’’un ensemble de programme d’’action [……] et de fonder les décisions
de dépense sur une prévision de leurs impacts socio-économiques. »1 Le thème
de l'évaluation sera alors re-développé au sein du Club Cambon (association de
la Cour des Comptes) vers 1984-1985, et de l'association « Service Public », dont
le président était Patrick Viveret après 1986.
Présidé par Michel Deleau, le groupe d’’étude sur l’’évaluation des
politiques publiques va émettre un premier rapport. La technique évaluatrice
trouve alors un début d’’institutionnalisation par la première tentative de
1
Bernard PERRET, 2001, op. cit., p. 75-76
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 13
14. définition : « évaluer une politique publique, c’’est reconnaître et mesurer ses
effets propres », en séparant évaluateur et acteur de la décision publique.
Ce rapport, resté lettre morte pendant la première cohabitation, deviendra
cependant la base de la relance évaluative initiée à la demande du nouveau
Premier Ministre Michel Rocard, en 1988. La publication du Rapport Viveret en
19891 donnait alors lieu à l’’élaboration de la circulaire du 23 février 1989
relative au renouveau du service public, puis dans le cadre d'une initiative
générale de modernisation de l’’administration, M. Michel Rocard lançait un
dispositif d'évaluation interministériel par le décret du 22 janvier 1990, avec
l'établissement, notamment, d'un Conseil Scientifique de l'Evaluation (CSE) et
d’’un Conseil Interministériel de l’’Evaluation (CIE). Le dit décret donne une
définition de l’’évaluation des politiques publiques qui insiste principalement sur
la mesure des effets : « L'évaluation d'une politique publique au sens du présent
décret a pour objet de rechercher si les moyens juridiques, administratifs ou
financiers mis en oeuvre permettent de produire les effets attendus de cette
politique et d'atteindre les objectifs qui lui sont assignés. »2
Bien que modifiée en 1998, la teneur de la définition ne sera pas pour
autant bouleversée puisqu’’il est désormais affirmé que l’’évaluation « a pour
objet d'apprécier, dans un cadre interministériel, l'efficacité de cette politique en
comparant ses résultats aux objectifs assignés et aux moyens mis en oeuvre. »3
La stratégie d’’évaluation des politiques publiques va s’’étendre tant
nationalement que localement (Conseils Régionaux et Contrats de Ville sont,
par exemple, sujets régulièrement à évaluation), mais aussi à l’’échelon européen
puisque les Fonds Structurels Européens (FSE) la rendent obligatoire.
Cependant, derrière la clarté apparente de la formulation, on devine
aisément les désagréments pouvant émerger de la pratique évaluative : bien que
partagée en principe et nullement remise en cause, la notion d’’évaluation
revient à se heurter au caractère labile de l’’action publique, et au contexte dans
1
Patrick VIVERET, 1989, op. cit.
2
•• Décret n°90-82 du 22 janvier 1990 relatif à l’’évaluation des services publics, article, art. 1, al. 1
3
•• Décret n°98-1048 du 18 novembre 1998 relatif à l’’évaluation des services publics, art. 1
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 14
15. lequel jouent les acteurs politiques.
B. Le contexte dans lequel l’’évaluation est apparue
comme incontournable
Le crédit sans cesse croissant accordé à l’’outil qu’’est l’’évaluation peut
trouver ses fondements dans trois facteurs convergents : le rôle de plus en plus
important accordé à l’’Etat, les problèmes de finances publiques et le
développement des sciences de l’’Homme au service de la décision publique.
Les contrôles utilisés jusque là par l’’Administration ne permettaient, tout
au plus, que de vérifier le bon usage des fonds publics, les rares évaluations
spontanées ne pouvant se limiter au seul recueil de données quantitatives, et à
l’’examen des gestionnaires. De plus, les différents rapports fournis pas
l’’Administration n’’étaient bien souvent que des constats, rarement des
évaluations à proprement parlé.
La technique évaluative est encore peu pratiquée et peu répandue
aujourd’’hui. Il est vrai que le terme d’’évaluation peut revêtir une connotation de
sanction peut encourageante pour le décideur, qui pourrait y voir l’’imposition
de règles et de normes. De plus, l’’outil de remise en cause qu’’il peut constituer
se trouve renforcé par « l’’esprit français [qui] est à la fois frondeur, critique à
l’’égard des fonctionnaires et de politiques publiques. »1
Pour cela, dès le début de son institutionnalisation, la méthode évaluative
a bénéficié d’’un double –– ancrage faisant d’’elle « un impératif d’’efficacité et une
exigence démocratique [ :] il faut multiplier les moyens de connaissance
concrète des transformations économiques et sociales ; c’’est un impératif
d’’efficacité [et,] au-delà des savoirs, la compréhension par le plus grand nombre
suppose la mise en débat de l’’action publique ; c’’est là l’’exigence démocratique
de l’’évaluation. »2 C’’est à la fois un outil de rationalisation permettant aux
acteurs de la décision publique de mettre leurs visions en débat, et, le cas
1
Pierre MOULINIER, 1994, op. cit., p.8
2
Circulaire du 28 décembre 1998 relative à l’’évaluation
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 15
16. échéant, de modifier le contenu de l’’action. D’’autre part, l’’évaluation offre la
possibilité de renforcer la place des citoyens dans le processus de décision
publique en l’’informant, et donc en ouvrant les possibilités de débat public.
Aujourd’’hui, l’’évaluation est une réalité incontestable du paysage politique
français. Pourtant, la culture politico –– administrative y est encore relativement
rétive et malgré les avancées techniques, théoriques et méthodologiques, rares
sont les domaines intégrant pleinement cette étape dans un processus de
décision publique linéaire.
§ 2. Quelques fondements méthodologiques quant à
l’’évaluation
En une vingtaine d’’années, les acteurs travaillant sur les techniques
d’’évaluations des politiques publiques (chercheurs, professionnels,……) ont
dégagé plusieurs caractéristiques majeures qui nous permettent de discerner ce
que devrait être une évaluation : la pluralité des intervenants dans l’’évaluation
et dans les méthodes mobilisées. Même si « la recherche évaluative »1 est encore
sujette à discussion, il est néanmoins possible et fondamental d’’effectuer une
typologie sommaire des techniques proposées.
A. Une définition négative de l’’évaluation
Tout procédé d’’analyse de la décision publique ne peut être qualifié
d’’évaluation. Une distinction doit ainsi être opérée avec les bilan, diagnostic,
audit, contrôles ou analyse, stricto sensu.
Le bilan d’’action, au même titre que l’’évaluation se situe en aval de la
décision. Cependant, celui-ci diverge de cette dernière par le fait qu’’il ne met
pas en rapport les objectifs attendus et leur définition avec le point qu’’il établit.
Il peut donc se définir par l’’observation momentanée, en dressant aspects
positifs et négatifs, sans visée récapitulative.
1
Au sens de Bernard PERRET, c'est-à-dire désignant « les techniques et méthodes de sciences sociales
appliquées à l’’analyse des effets de l’’action publique », in 2001, op. cit., p.8
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 16
17. Les contrôles, tant de gestion qu’’administratifs, se différencient
essentiellement de l’’évaluation en ce qu’’ils sont internes à l’’institution. L’’un vise
à vérifier le bon usage des ressources, l’’autre le respect des procédures et leur
légalité. Les contrôles ne sont en général pas soumis à publicité. Ceux-ci
peuvent de plus aboutir à des sanctions, ce que cherche justement à éviter la
technique évaluative : l’’évaluateur peut conseiller et proposer des améliorations
mais nullement imposer des changements.
L’’audit a cet avantage de pouvoir intervenir à tout moment dans l’’action
publique. Cependant, il va de soi que son recours est plus souvent justifié par un
éventuel dysfonctionnement pressenti, au sein d’’un organisme, que par les
actions suivies par l’’organisme en cause.
Enfin, développer ses connaissances sur des problématiques ou des
réalités spécifiques par des études, recherches, analyses ou autres ne revient pas
nécessairement à produire une évaluation. Elles peuvent donner des cadres
cognitifs d’’interprétation au politique par la formulation d’’hypothèses qui
varieront en fonction du terrain, ou de la méthode choisie. En matière
d’’évaluation, le choix est impossible quant au terrain ou aux hypothèses. Seule
la méthode peut être sujette à débat.
B. Typologie indicative des techniques d’’évaluation
Aucune méthode particulière ne peut être envisagée comme ayant fait ses
preuves et aurait pour vocation d’’être présentée comme universelle. La
technique d’’évaluation doit être conduite par la demande formulée au préalable.
Il est de plus préférable de multiplier les procédés et les techniques en les
croisant.
Une tentative de typologie des méthodes d’’évaluation peut cependant être
entreprise à partir des critères que sont l’’intérêt de l’’évaluation, le moment de
l’’évaluation, l’’objet de l’’étude, les acteurs de l’’évaluation (les évaluateurs) et ses
destinataires.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 17
18. 1. Les objectifs poursuivis par l’’évaluation
L’’évaluation doit s’’appréhender comme une technique dynamique, au
cours de l’’action publique. Elle n’’est pas qu’’extérieure puisqu’’elle est un
processus « apprenant ». C’’est un « élément de connaissance, d’’adaptation, de
réorientation éventuelle. »1
En aucun cas, l’’évaluation ne doit se substituer aux référentiels et valeurs
motivant l’’action publique. Tout au plus devra-t-elle mettre à jour les
conséquences des choix effectués. L’’évaluation doit donc peser les avantages, les
écueils et les difficultés.
Or, ces risques et ces difficultés nécessitent une décision éclairée dans
laquelle le politique devra faire preuve d’’une certaine maturité et de courage. La
transparence invite nécessairement à ouvrir de potentiels conflits, et, en cas
d’’échec, assumer sa part de responsabilité.
L’’évaluation comparative s’’attachera à analyser les résultats de l’’action sur
une population, sans négliger les aspects négatifs provoqués.
2. L’’évaluation face à la temporalité de l’’action
publique
L’’évaluation « ex ante » (a priori) portera sur la pertinence est
l’’adéquation des buts définis à l’’origine. L’’objectif est ici d'amender les décisions
futures en formulant un diagnostic.
L’’évaluation concomitante, dite « ex tempore » voire « in itinere », a pour
fonction d’’ajuster, chemin faisant, l’’action publique aux objectifs initiaux, voire,
le cas échéant de redessiner ces mêmes objectifs aux cours de l’’action. Les
acteurs de la politique publique sont ici partie prenante du programme
évaluateur.
Enfin, la dernière méthode consiste à apprécier l’’efficacité de l’’action
1
Pierre MOULINIER, 1994, op. cit. p.47
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 18
19. publique en l’’analysant a posteriori. L’’évaluation « ex post » vise ainsi à juger
l’’efficience et la pertinence des choix opérés. Si nécessaire, elle permettra de
réorienter la décision publique future.
3. L’’objet de l’’évaluation
L’’évaluation pourra aussi bien porter sur :
une politique globale (un ensemble, de lois, de programmes publics,……) en
relevant points forts et points faibles de l’’action.
une politique sectorielle.
une action précise, c'est-à-dire une intervention ponctuelle, dont le coût, la
durée et les objectifs sont prédéterminés.
une institution ou une structure, en analysant son fonctionnement, pour
mesurer les résultats vis-à-vis des objectifs qui lui avaient été attribués.
4. Les intervenants de l’’évaluation
L’’évaluation est un procédé d’’étude interne et externe dans lequel
l’’évaluateur aura la charge d’’apporter son regard extérieur. Cette finalité lui
impose donc une certaine indépendance, tant d’’un point de vue administratif et
politique que du terrain étudié.
Son rôle sera aussi celui du médiateur entre les différents partenaires de
l’’action publique : les élus (qui peuvent souhaiter étudier les retombées des
crédits mis à disposition pour la décision), les fonctionnaires et administrateurs,
les acteurs locaux et, enfin, les citoyens.
5. Les destinataires de l’’évaluation
Il faut ici distinguer deux types d’’évaluations. La première, dite
« récapitulative », destinée prioritairement à des personnes étrangères à la mise
en œœuvre du programme de l’’action publique, permet d’’en donner une vision
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 19
20. générale.
La seconde, s’’adresse au contraire directement aux acteurs de la décision.
Elle vise logiquement à modifier leur conduite pour l’’avenir.
En bref, Eric Monnier définit ainsi le rôle du « chargé d’’évaluation [qui]
doit être une maïeuticien car il est amené à exercer l’’art qui consiste à aider les
autres à enfanter leurs idées, à clarifier les questions qu’’ils se posent, à expliciter
les conséquences ou craignent des actions considérées. »1. Pourtant, cet auteur a
largement tendance à présenter l’’évaluation comme l’’indispensable outil de
rationalisation de l’’action publique. Le peu d’’insistance accordé aux visées
démocratique de l’’évaluation s’’explique donc par des desseins quasi-
instrumentaux. Eve Chiapello, dans son ouvrage Artistes versus managers,
donne du management cette définition : « la systématisation de pratiques
forgées au sein des entreprises dans des règles de conduite à caractère général.
Celles-ci sont accompagnées de théories les justifiant, ainsi que d’’outils et
dispositifs permettant leur mise en œœuvre »2. Or, les acteurs du champ culturel
ont une nette tendance à être considérés comme très distants des rapports
marchands et managériaux (en dehors des cas d’’industrie culturelle).
Les lignes de clivages qui structurent le management et l’’art sont fortes et
paraissent pourtant persistantes.
1
Eric MONNIER, L’’évaluation de l’’action des pouvoirs publics, Paris : Economica, 1987, p. 123
2
Eve CHIAPELLO, Artistes versus managers, Paris : A.m. Metailie, coll. Leçons de choses, 1998, p.46
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 20
21. Section II. Pour une méthodologie de l’’évaluation des
politiques publiques culturelles
Il est commun d’’associer au management culturel les notions de
rationalité, de standardisation, de calcul, de mesure, de quantification, ou de
prévision. A l’’inverse, l’’art est souvent associé à la sensibilité, à l’’unicité, à
l’’innovation, à l’’imprévisibilité de l’’intuition, etc.
Cette distinction fondamentale entre ces deux « univers » s’’est formalisée
au XIXème siècle par la construction d’’une représentation romantique de l’’art, et
du progressif éloignement des artistes de la bourgeoisie qui s’’empare du
pouvoir. Les agents de l’’Etat vont rapidement intérioriser leur illégitimité à
traiter des questions culturelles, dans un contexte global où seul un Etat
subsidiaire, garantissant le fonctionnement d’’un marché privé et se bornant « à
faire pour l’’art ce que l’’individu ne peut pas faire »1, paraît légitime.
Aujourd’’hui, on assiste à un double phénomène où l’’artiste s’’est peu à peu
éloigné de cette dimension romantique alors que le management est aujourd’’hui
enseigné aux concepteurs de projets culturels. Pourtant, même si la porosité des
deux mondes atténue relativement les frontières qui séparaient le manager de
l’’artiste, une tradition persiste néanmoins.
1
Edouard Aynard (1837-1913), Député de la 8ème circonscription de Lyon, cité par Vincent DUBOIS,
1999, op. cit., p.61
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 21
22. § 1. Les acteurs et outils à mobiliser à chaque étape de
l’’évaluation ou les méthodes classiques
d’’évaluation
« Mémento pratique de l’’évaluation »1 :
ETAPES OBJETS ACTEURS OUTILS
Sur quoi porte
l’’évaluation ? Pour qui ? Responsables politiques Réflexion
1 –– Etapes préalables Que veut-on en faire ? Acteurs responsables Discussion
Quel type d’’évaluation ?
Choix de l’’évaluateur
Préparation de la Commanditaire Conseil extérieur
2 –– Etapes de la
commande Groupe interlocuteur Contrat
décision
Détermination des moyens Evaluateur Budget
financiers
Connaissance de la
Diagnostic
3 –– Etapes de la situation Personnes ressources
Analyse documentaire
préparation de la Repérages de acteurs, Acteurs, Evaluateur
décision des actions Contacts, Enquête,
Groupe interlocuteur
Interviews
Méthodologie
Détermination des Notes, Rapports
Acteurs
4 –– Etape objectifs intermédiaires
Groupe interlocuteur
opérationnelle Analyse des moyens Documents audiovisuels
Evaluateur
Résultats Travail de groupe
Résultats Responsables politiques Travaux de groupes
5 –– Etape de la sectoriels/globaux
Groupe interlocuteur Rapport final
communication Communication
Acteurs Réunions publiques ou
des résultats totale/partielle,
publique/réduite Evaluateur réduites
Poursuite de la politique Direction
6 –– Etapes de la engagée Responsables politiques Budget
décision Modification Acteurs Nomination des
Choix nouveaux responsables
§ 2. Outils d’’évaluation et spécificités des politiques
culturelles
En 1985, un expert suédois déclarait que « parler d’’évaluation d’’une
politique culturelle revient à traiter de l’’impossible et du nécessaire » au cours
1
Source : Pierre MOULINIER, 1994, op. cit. p.79
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 22
23. d’’un séminaire sur l’’évaluation culturelle.1 Sans reconnaître une telle
impossibilité, doit-on néanmoins reconnaître que l’’évaluation des politiques
culturelle reste particulièrement difficile.
Essentiellement motivé par des raisons financières, le bilan de Lille 2004
ne pouvait guère déroger à ses écueils. Le traitement de l’’évaluation d’’une
politique culturelle
A. La nécessité d’’évaluer les politiques culturelles
Il conviendrait d’’abord de tempérer les propos de certains professionnels
de la culture revendiquant l’’exception de celle-ci. La politique culturelle
resterait donc avant tout une politique publique à part entière, « c'est-à-dire un
programme d’’actions représentant un choix spécifique en vue d’’obtenir certains
effets ou résultats. »2
Le prétexte selon lequel les politiques culturelles seraient empreintes de
finalités qualitatives, n’’ayant nullement besoin d’’un quelconque regard d’’expert
extérieur, peut être aujourd’’hui dépassé. Parce qu’’elles impliquent le déblocage
de crédits souvent non négligeables, qu’’elles articulent des outils de réalisations
complexes, une législation et des techniques administratives particulières,…… la
culture devrait alors être considérée comme un secteur autonome d’’action
publique. Les collectivités territoriales françaises (métropolitaines) –– régions,
départements et communes de plus de 10.000 habitants –– ont dépensé 4,6
milliards d’’euros pour la culture en 1996, c’’est à dire 5,4 % de leurs dépenses
générales3. Les liens entre culture, développement économique et culturel et
l’’élargissement du champ d’’action culturel ne peuvent que corroborer ce
constat.
On ne peut nier l’’existence de difficultés, mais elles ne doivent pas paraître
insurmontables. « Dès lors que la question artistique est traitée par les instances
1
Citation de Carl-Johan Kleberg dans Ministère suédois de l’’Education et de la Culture, Méthodes pour
l’’évaluation des politiques culturelles nationales, séminaire, Stockholm, 16-18 avril 1985, Compte
rendu, p. 21 in Pierre MOULINIER, 1994, op. cit. p.35
2
ibid.
3
Source : Ministère de la culture et de la communication / Direction des Etudes et de la Prospective
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 23
24. qui ont par tradition la compétence en la matière, dès lors que l’’on distingue
bien le suivi et les modalités des actions de l’’analyse de leurs effets, cette
spécificité n’’est pas, en effet, un obstacle sérieux à l’’évaluation. »1
B. Le cas du bilan de Lille 2004
Parler de « bilan de Lille 2004 » ne doit pas évacuer ce qui le structure.
Effectivement, il serait factice de ne pas y reconnaître une évaluation à part
entière en raison de sa seule appellation.
En conséquence, et en préambule de l’’analyse du bilan, il convient
nécessairement de réaliser une étude méthodologique des référentiels et outils
mobilisés au cours de sa construction.
1. Les enjeux
La ville de Lille et les collectivités territoriales avoisinantes (Lille ––
Métropole Communauté Urbaine « LMCU », Région, Département, Euro ––
région, etc.) se sont engagées dans une politique culturelle voulue sans
précédent autour de partenaires volontaires et motivés. Elle s’’est notamment
donné pour objectif de :
« positionner Lille et le Nord de la France sur la scène culturelle d’’Europe
du Nord, en révélant une image et une dynamique artistique internationale qui
doit contribuer à ce que la Région et sa capitale occupent une place de premier
plan et soient à même de rivaliser avec leurs homologues euro –– régionaux,
profiter de l’’élan donné par une très grande manifestation en Région, pour
renforcer et valoriser les aménagements et les équipements de cette région, les
dispositifs de décentralisation et contribuer de manière pérenne à la
restructuration du paysage culturel et urbain,
mettre en application par ce vecteur exceptionnel, relayé au plan régional
1
René RIZZARDO, Dialogues pour la culture et la communication
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 24
25. par les acteurs culturels et économiques, un certain nombre de grands objectifs
stratégiques nationaux. »1
Pour Laurent Dréano, coordinateur général de Lille 2004, « le programme
est ambitieux, à l’’échelle de ces enjeux, pour faire de l’’année 2004 le véritable
laboratoire de ce que peut être un nouvel art de vivre au début du XXIème siècle
dans une métropole euro –– régionale. Il s’’agit de changer cette opportunité en
challenge : placer la culture au cœœur, en faire un facteur de transformation
durable d’’un territoire »2 ; « il combine un ensemble de manifestations
artistiques de dimension internationale et un programme d’’action culturelle
innovante en s’’appuyant sur les potentialités de la Région. Les manifestations
sont coproduites et réalisées avec les structures culturelles des villes et de la
Région mais également avec des structures nationales et internationales. »3
Cependant, alors que la demande initiale de la ville et de ses habitants, en
terme de culture, n’’était pas explicite, le budget de 73,7 M€€ (483 MF), à hauteur
de 82% d’’argent public, révélait de nombreuses incertitudes et craintes
régulièrement formulées tant par les lillois, que la presse, les politiques locaux
ou certains acteurs du monde culturel. Aussi, dans cette dimension, produire un
bilan évaluatif pouvait permettre d’’y répondre, au dire des évaluateurs.
(Extrait d’’entretien de Laurent Tricart)
« [……] Evaluation n’’est peut être pas le terme adéquat…… est-ce que l’’on
vous a donné quelques consigne, des axes de travail ?
Non, …… comment dire à part la tutelle financière et sauf pour nos partenaires, il
faut qu'on fasse état de leur soutien et des manifestations qui ont été
particulièrement soutenues. Il n'y a pas de cahier des charges qui, émanerait de
l'Europe ou de je ne sais qui en terme de bilan euh…… J'ai envie de dire que le cahier
des charges a été donné, entre guillemet par exemple par la presse qui pose
régulièrement les mêmes questions. Il y a des choses qui relèvent d'un cahier des
charges, mais qui est un peu ... mais qui n’’est pas un cahier des charges.
Implicite ?...
Oui, voilà un peu fantôme ; qui est effectivement : « quel a été le nombre de
visiteurs ? », « d'où viennent ces visiteurs ? », etc. etc., mais on n'a pas eu de
cahier des charges précis. [……] »
1
Mémo sur Lille 2004 Capitale européenne de la culture
2
Laurent DREANO, Lille 2004 ou la culture comme moteur de transformation d’’un territoire
3
Mémo sur Lille 2004 Capitale européenne de la culture
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 25
26. 2. La méthode
a. La mise en place du dispositif
d’’évaluation
Le groupe chargé du bilan s’’est constitué au sein de l’’équipe de Lille 2004,
considérablement restreinte à quelques personnes depuis la fin officielle de
l’’année de la Capitale européenne de la culture. Celui-ci s’’est concentré autour
de Laurent Tricart, jusque là Responsable éditorial et rédacteur de l’’équipe
Communication. Il a donc été convenu dès le départ de ne pas recourir à un
évaluateur extérieur. Si le procédé facilite la connaissance de l’’objet d’’étude, il
va de soi que le principe d’’extériorité et d’’indépendance à l’’égard du champ
politico –– administratif ne peut être rempli.
Le bilan s’’est essentiellement borné à analyser quatre dimensions de
l’’action publique :
Les institutions qui sont intervenues dans l’’élaboration, la promotion et le
soutien de Lille 2004.
Les arts mis en valeur au cours de l’’année, et en particulier le choix de leur
imposer une dimension évènementielle toute particulière.
Le rapport du public à l’’offre culturelle, l’’accueil qu’’il a réservé à certaines
initiatives, etc.
Le budget, c'est-à-dire la gestion des crédits accordés par les collectivités
engagées autour du projet et les partenaires financiers privés.
Ces choix sont pleinement assumés et défendus par Laurent Tricart :
(Extrait d’’entretien de Laurent Tricart)
« [……] Après, le cahier des charges que l'on s'est fixé en interne, c'est simple il a été
effectivement...,c'est ce qu'on a appliqué depuis qu’’il y a de communication « Lille
2004 », c'est faire état de tous les soutiens, de toutes les structures partenaires
qu'elles soient : structures institutionnelles, structures culturelles, structures
privées, de faire état de l'importance qu'elles ont eu dans l'évènement « Lille
2004 », et puis après, grosso modo, ça a été de défendre les concepts propres à
« Lille 2004 » c'est-à-dire : les grandes fêtes, les mondes parallèles, qui étaient les
week-end thématiques, les métamorphoses, tout ce qu'on a créé, qui a été crée,
dans la rue, dans les rues, les maisons folies qu'on a ouvertes... Donc, voilà notre
cahier des charges il était comme ça, mais y a pas de ... Chaque capitale
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 26
27. européenne de la culture a fait grosso modo comme elle le souhaitait. Après y a
des choses qui relèvent de ce qu'on peut appeler un bilan moral, c'est à dire
effectivement ... On est dans l'obligation de rendre un bilan financier mais là c'est
encore autre chose. C'est à dire qu'effectivement, comme on est une association
soutenue etc., on se doit de rendre un bilan financier pour justifier tous les
centimes d'euros qui ont été dépensés. Ca c'est voilà... On se doit de le faire. Ca on
est en train de le faire, ce sera pas fini tout de suite parce que ça dépend aussi de
nos partenaires culturels, mais ça on se doit de le faire mais pour ça, y a pas de
soucis : c'est un bilan financier. On est en mesure logiquement de passer à travers
le contrôle de la Cour Régionale des Comptes. Ce qui est une sorte de cahier des
charges finalement. [……] »
b. Le processus de l’’évaluation
Aucun cahier des charges n’’a donc été explicitement formulé pour aborder
cette évaluation. Le bilan de Lille 2004 a été réalisé comme un continuum
naturel à l’’action publique initiale, une phase supplémentaire mais logique, en
guise de conclusion.
On a donc à faire à une analyse « ex post » de l’’action publique, qui vise
effectivement à vérifier que les moyens offerts, les choix opérés, et actions
réalisées étaient bien adaptés aux objectifs fixés initialement.
Le travail de terrain s’’est concentré sur le recueil de données statistiques
(issues de l’’INSEE, du Comité régional du tourisme, de la Chambre de
Commerce et d’’Industrie de Lille Métropole,……), de l’’étude de la presse papier ou
télévisuelle, locale, nationale et internationale. Enfin, un rôle majeur a été
accordé indirectement au ressenti, à la perception qu’’ont pu avoir les membres
du comité de rédaction du bilan vis-à-vis des évènements ou de la population.
Aucune étude qualitative ou de satisfaction n’’a été utilisée dans le cadre de
ce bilan. Pourtant, certaines Maisons folies, telle que la Condition Publique de
Roubaix ont réalisé des questionnaires.
L’’évaluation a été réalisée selon un procédé novateur quoique peu
conventionnel (un abécédaire), « pour qu’’il y ait un bilan qui soit compréhensif
et lisible. Alors on a fait ce choix-là : raconter une histoire à travers un
abécédaire », explique Laurent Tricart.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 27
28. c. La diffusion
Le bilan a été réalisé pour qu’’il soit certes relayé au plus grand nombre,
sans pour autant qu’’il soit communiqué directement à chaque citoyen. Il
semblerait que les considérations financières ne soient pas étrangères à ce
choix.
(Extrait d’’entretien de Laurent Tricart)
« [……] Mais ils vont le voir dans la presse ?!...
Effectivement…… qu’’est ce que l’’on devait faire : éditer un document à quelques
milliers d’’exemplaires……pour être diffuser……. On va dépenser quelques millions
d’’euros pour faire ça, donc dépenser quelques millions d’’euros pour leur dire vous
voyez c’’était bien…… c’’est pas logique moi je pense après …… [……] Dans l’’évènement
Lille 2004 ,qui est quelque chose d’’un peu marquant, dans l’’idée de transparence,
on a un budget qui était de plus de 73 millions d’’euros, c’’est un chiffre énorme…… on
se doit d’’être transparent c’’est de l’’argent public, à plus ……de 89%. [……] »
En conséquence, il a été décidé de privilégier une présentation du bilan en
deux phases aux publics. Dans un premier temps, une conférence de presse de
présentation du bilan écrit a donc été réalisée le 16 mars 2005 dans l’’une des
deux Maisons folie de Lille intra muros (celle de Lille –– Wazemmes), Martine
Aubry (Maire de Lille), Jean-Michel Stievenard (Maire de Villeneuve d’’Ascq et
Vice-président à la culture de la LMCU), Laurent Dréano (coordinateur général
de Lille 2004) et Didier Fusiller (directeur de Lille 2004) se succédant alors à la
tribune.
La presse locale mais aussi nationale s’’est largement faite l’’écho de cette
présentation dans les éditions des jours suivants en retranscrivant en grande
partie les points positifs mis en valeur, « chiffres à l’’appui », dans la conférence
de presse.
La publication en deux temps a donc cet avantage de contrôler plus
strictement la mise à jour des conséquences des choix effectués. Si les
documents ont été largement diffusés à la presse, l’’objectif de transparence
absolue ne peut être reconnu en l’’espèce.
d. Réflexions sur la méthode employée
La typologie indicative établie préalablement nous permet de reconnaître
dans le « bilan de Lille 2004 » une réelle évaluation. Ainsi, et même si l’’équipe
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 28
29. n’’a pas pris le soin de travailler autour d’’une méthode reconnue techniquement
et intellectuellement pour son pluralisme et son extériorité, il est intéressant de
constater que l’’on peut objectiver une certaine homogénéité dans les méthodes
employées.
Il a semblé naturel, aux yeux des rédacteurs, de partir du postulat selon
lequel Lille 2004 avait été une réussite, à charge pour eux de la justifier.
Bernard Perret soulignait à juste titre les recommandations de la Commission
Européenne quant à la rédaction d’’évaluation : « un lecteur potentiel d’’un
rapport d’’évaluation doit pouvoir comprendre : 1°) l’’objectif de l’’évaluation ; 2°)
la délimitation exacte de l’’objet ;3°) comment l’’évaluation a été planifiée et
conduite ; 4°) quels faits ont été établis ; 5°) quelles conclusions ont été tirées ;
et 6°) quelles recommandations ont, le cas échéant, été tirées. »1 Ce vade-
mecum de l’’évaluation nous permet donc de synthétiser le bilan de 2004 selon
ces six mêmes critères : 1°) vérifier l’’adéquation des choix opérés dans le cadre
de Lille 2004 avec les objectifs définis initialement ; 2°) l’’objet d’’étude se
résume aux actions menées sous le label « Lille 2004, capitale européenne de la
culture » et leurs conséquences directes ; 3°) le bilan a donc été réalisé à la fin
de l’’évènementiel par une partie des membres de « Lille Horizon 2004 » ; 4°) on
y fait un rapide retour sur les arts mis à l’’honneur durant l’’année, sur les
intervenants, le budget, et le public ; 5°) et 6°) le bilan doit donc être désormais
étudié au même titre que les perspectives qui en découlent.
1
Bernard PERRET, 2001, op. cit., p. 30
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 29
30. Chapitre 2. LE BILAN DE LILLE 2004 OU L’’OBJECTIVATION
1
DES RESULTATS D’’UN « PROGRAMME AMBITIEUX »
A peine, Lille 2004 terminé, le journal Libération annonçait que « Lille
2004 a réussi à écrabouiller le syndrome Germinal, ce Nord à corons, sous les
ocres des pierres flamandes et les confettis des pierres populaires. La capitale
européenne de la culture revient de loin. Le premier terril a beau pointer son
nez à trente kilomètres du beffroi de Martine Aubry, Lille a longtemps souffert
d’’une image noire de charbon, grise de pluie. »
On le voit, la fierté prétendument retrouvée s’’est construite autour de cette
dimension de dépasser l’’image « des carreaux de mines avec ces gens un peu
malheureux mais sympathiques », comme l’’explique Laurent Dréano. Pour cela,
Lille 2004 a permis de concentrer l’’élan autour des trois objectifs : culturel bien
sûr, médiatique et « glamour » comme l’’affirment certains journaux et
économique.
Section I. La valorisation du « bond culturel »
Nul ne semble surpris de constater que Martine Aubry puisse être la
principale porteuse du projet de Lille 2004, et, effectivement, les dispositions
techniques qui lui sont associées la mettent en adéquation avec celle-ci.
Pourtant, encore aujourd’’hui, peu de personnes reconnaissent l’’adaptation du
projet au territoire.
Cette multitude de critiques sont d’’origines toutes aussi diverses que les
acteurs qui les portent. Ainsi, certains regrettent voir dénoncent
l’’instrumentalisation de la culture à des fins politiques, d’’autres encore
1
L’’expression ici employée fait explicitement référence aux objectifs définis initialement par le
coordinateur général de Lille 2004, Laurent Dréano
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 30
31. déplorent que la culture puisse être utilisée comme moteur de développement
économique et social.
(Extrait d’’entretien de Laurent Tricart)
« [……] Moi j’’ai aucun scrupule à dire Lille 2004 ça a été aussi une promotion à
l’’échelle d’’une ville, d’’une région après il y a des gens vont dire « est-ce que les
artistes n’’ont pas servi à ça » pour moi les artistes n’’ont pas servi à ça. Les
artistes ont eu toute latitude pour créer, il y a eu un évènement culturel, seulement
cet évènement dépasse le cadre culturel [……] j’’aime pas [……] je comprends la
critique [……] ça renvoi à une sorte de pureté de l’’artiste qui serait déconnecté de ce
qui l’’entoure, au contraire il doit être connecté à ce qui l’’entoure et quand on
demande par exemple à Jean-Claude Casadesus voilà le truc est clair on est dans
la rue, on demande à priori de faire ce qui va plaire aux gens [……] C’’est un truc
énorme, vous utilisez des artistes, etc. etc. ……est ce que l’’on a besoin d’’une capitale
européenne de la culture, on a entendu quelques personnes tenir ce discours là et
à côté, dans un autre cadre ils vont dire l’’Etat, les collectivités locales peuvent
s’’engager sur la culture. 64 millions d’’euros ; ça c’’est le budget, c’’est la
communication ; le fonctionnement mais surtout principalement l’’artistique.
Qu’’est ce qu’’il faut de plus comme preuve d’’engagement tu en croiseras qui
râleront mais qui n’’ont pas participé au truc. [……] »
Au-delà de ces critiques, il est souvent reproché le manque de
problématisation des enjeux culturels. Il est « impossible de changer les
pratiques culturelles avec un simple feu d’’artifice. Toucher tous les publics, c’’est
un travail de fourmi, » note Françoise Dupas, la directrice du Grand Mix. La
plupart des écueils notés par la population sont relatifs aux coûts jugés
faramineux, alors que dans le même temps, le climat social du Nord –– Pas-de-
Calais n’’a pas changé outre mesure. Les mouvements sociaux continuent
d’’exister, et, y compris au sein des sympathisants politiques de la majorité
municipale, des voix s’’élèvent contre ce que certains qualifient de
« gaspillages ». On note ainsi que « devant les militants socialistes qui
s’’inquiètent du coût de l’’opération, elle met en avant le fait qu’’elle est une
« opération quasi-blanche » pour Lille. Aux employés municipaux qui craignent
de faire les frais de Lille 2004, elle martèle que « les autres capitales
européennes de la culture ont supporté seules 1 tiers à la moitié du budget de
leur année culturelle, parfois dans des montants bien plus élevés, d’’ailleurs que
le budget global de Lille 2004. »1
Pour relativiser ce mécontentement, diverses mesures vont être engagées :
baisse des coûts de billets, vente de « pass »,…… A ceux qui dénoncent le manque
d’’intégration des quartiers périphériques au dispositif, on parle de cultures
1
Rémi LEFEBVRE, 2004, op. cit.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 31
32. urbaines et de « vitalité culturelle des banlieues »1, entre graffiti, breakdance,
rap et deejaying international et local. Le « barnum des postes », chapiteau
installé 9 semaines durant au niveau de la Porte des Postes, reste d’’ailleurs
symbolique de l’’absence critique de structures pérennes à la confluence « des
quatre quartiers les plus populaires des Lille. » « Pourquoi les belles rues
piétonnes, les parades, les feux d’’artifice seulement en centre-ville ? »2 relève un
journaliste de Libération auprès des habitants.
Il faut cependant rappeler ici l’’importance d’’une « « culture anti-culture »
enracinée dans la tradition ouvriériste locale qui assimile la culture à une
pratique « bourgeoise » classée et classante »3.
Pour appuyer le « bond culturel » vanté le bilan de Lille 2004 se base
essentiellement sur un ensemble de données chiffrées. Dans les indicateurs, on
fait donc la part belles aux sources purement quantitatives. Malgré la
production de nombreux questionnaires d’’analyse qualitative et de satisfaction
des œœuvres, l’’équipe de rédaction du bilan va étrangement ne pas y faire
référence. On note cependant avec intérêt les quelques 9 millions de
spectateurs, dont plus de la moitié aux seules fêtes et métamorphoses, aux
quelques 2.500 manifestations ayant rassemblé 17.000 artistes, ainsi que les 2,8
millions de billets et 100.000 pass vendus. Etrangement, et malgré le fait que le
discours s’’attachant au seul et unique objectif de démocratisation de la culture
n’’est pas excédé plus des 2/5 de l’’intervention de Martine Aubry lors de la
présentation du bilan, la presse locale et nationale va largement se faire l’’écho
de ce « bond ».
Cependant, par un document annexé à la conférence de presse4, on dénote
néanmoins la volonté « d’’amplifier de manière structurelle et durable » la
culture en basant la politique sur trois fondements : faire de Lille une ville des
artistes et de la création en favorisant l’’ouverture de nouveaux lieux tout en
confortant les institutions culturelles préexistantes (Palais des Beaux-Arts,
Opéra jugé « métamorphosé »). D’’autre part, on veut rappeler que Lille est une
1
Lille 2004, de A à Z, mars 2005, op. cit.,p. 54, « Urbaine (Culture) »
2
« Même les plus pauvres sont venus », Libération des 11 et 12 décembre 2004, supplément « Villes »
3
Rémi LEFEBVRE, 2004, op. cit.
4
« Le bond en avant de la culture après 2004 », publié par « Lille Horizon 2004 »
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 32
33. ville d’’action artistique où l’’accès à la culture à tous est soutenu ; pour cela, deux
leviers d’’action : le soutien aux associations culturelles et le développement de
l’’accès à la culture et à la formation artistique. Enfin, par le renforcement du
patrimoine touristique et l’’anticipation, on voudrait faire de Lille une « ville
d’’art et d’’histoire mais aussi [une] ville de l’’innovation. » On regrettera
évidemment que ce projet politique culturel pour la ville (pour l’’essentiel déjà
mis en œœuvre au cours de l’’année 2004), ne fasse l’’objet d’’un quelconque bilan
analytique.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 33
34. Section II. Lille, nouvelle métropole incontournable
Outre l’’organisation de l’’événement, « Lille Horizon 2004 » a attaché une
attention particulière à la promotion de l’’évènement. Ainsi, 4 000 journalistes
ont pu être reçus individuellement ou dans le cadre de voyages de presse ; le site
Internet (www.lille2004.com), vitrine virtuelle vivante et remise à jour
régulièrement du dispositif, a reçu en moyenne 100.000 visiteurs mensuels ; un
publipostage électronique aurait permis d’’envoyer une lettre d’’informations à
25.000 destinataires chaque semaine ; près de 10 millions de dépliants,
agendas, magazines et « flyers » ont été distribués ; 8.000 grandes affiches
promotionnelles déployées en France, en Belgique, en Grande-Bretagne et aux
Pays-Bas ; plus de 6 000 drapeaux et calicots exposés dans les 142 villes
partenaires et dans les gares de Lille, Londres, Paris et Bruxelles,…… Par Lille
2004, la métropole lilloise aurait ainsi bénéficié d’’une opportunité de plan
communication majeure.
§ 1. Un nouvel attrait médiatique
Plus de 3.500 journalistes ont été reçus au cours de l’’année 2004 par
l’’équipe de presse de Lille 2004. La promotion menée par Lille 2004, alliée à
une programmation de qualité, a eu des retombées médiatiques jugées
« considérables » : plus de 2.000 reportages audiovisuels ont été réalisés sur
Lille 2004 en France et à l’’étranger.
A. En France
En France, des émissions ont été entièrement consacrées à l’’événement
(notamment Des Racines et des Ailes sur France 3, 24 heures en Europe en
direct de Lille sur TV5) ainsi qu’’un très grand nombre de reportages diffusés
aux journaux télévisés. Dans la presse régionale (La voix du Nord et Nord ––
Eclair pour l’’essentiel), 5.000 articles y ont été consacrés dans les colonnes de
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 34
35. la presse régionale, et 1.500 dans la presse nationale.
L’’initiative de France 3 de consacrer une émission en « prime time » à Lille
2004 semble avoir permis de combler une dimension communicationnelle qui
n’’avait pas été portée initialement.
(Extrait d’’entretien de Laurent Tricart)
« [……] On l'a constaté dans l'année parce qu'il y a eu un phénomène qui nous a ...
légèrement dépassé, c'est à dire que par rapport à la communication on a
énormément communiqué en amont sur l'international, sur l'extérieur de la
région, et sur l'intérieur de la région, mais il y a une dimension qu'on avait pas
beaucoup travaillé qui était la dimension nationale. Et ça, chez nous, c'est un peu
venu tout seul et c'est notamment venu grâce à la presse et tout particulièrement
grâce à une émission de France 3 qui s'appelle Des racines et des ailes. Et, à partir
de ce moment là, on a vu énormément de gens venir des autres régions françaises.
[……] »
B. En Europe
En tant que « capitale européenne de la Culture », dont l’’ambition était de
dépasser les frontières de la ville en s’’étendant sur l’’euro –– région, il a été
possible de recenser 127 publications ayant parlé de Lille 2004, dans pas moins
de 520 articles :
« Belgique : 520 articles publiés dans 127 titres, notamment Le Soir, La
Libre Belgique, Le Temps, De Standaard, De Morgen……
Pays-Bas : De Volkstrant, Spits……
Allemagne : plus d’’une centaine d’’articles publiés dans 86 journaux
régionaux et nationaux dont Frankfurter Allgemeine Zeitung, Der Spiegel, Die
Zeit, Gästezeitung, Sonntag Aktuelle, Journal für die Frau.
Grande-Bretagne : The Times, The Daily Mail, The Guardian, The
Daily Express, The Daily Telegraph, The Sunday Time, Sunday Express, The
Liverpool Daily Post.
Italie : Il Giorno, Gente Viaggi, Tuttoturismo, Glamour Italie, Bell
Europa, Il Secolo XIX
Espagne : plus de trente articles dans plus d’’une vingtaine de journaux
espagnols dont El Pais et El Mundo, La Vanguardia, Géo……
Suisse [……], Luxembourg [……], Autriche [……], Hongrie, Finlande,
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 35
36. Grèce, République Tchèque,…… »1
Les télévisions européennes ont aussi consacré de multiples reportages à
propos de Lille 2004 : Euronews (reçu par 148 millions de foyers dans 79 pays),
en Belgique (La Une, La Deux), en Allemagne (ZDF, Arte, Kölnische
Runschau), Italie (Sky TV), ou encore en Espagne.
C. Aux Etats Etats-Unis et dans le reste du monde...
Le Time magazine, The Chicago Tribune, The Wall Street Journal, New
York Post ont chacun consacré au moins un article dans leur colonne pour
relater une partie du dispositif. Il en est de même dans de nombreuses autres
publications du reste du monde comme au Japon (Nikkei), en Chine (Beijing
Youth Daily, Beijing Today), en Russie (Elle), en Argentine (Buenos Aires
Herald Tribune), au Brésil, au Canada, ou aux Emirats Arabes Unis……
Au total, près de 1.400 articles ont été consacrés à Lille 2004 dans la
presse étrangère.
§ 2. Le tourisme en pleine mutation
Après s’’être doté d’’infrastructures de transports de pointes, l’’un des
objectifs de Lille 2004 a été de tenter d’’en tirer les bénéfices sans pour autant
que la ville ne soit perçue comme simple territoire de transit, de passage. Lille
pourrait donc désormais s’’envisager comme destination de vacances, « une
destination particulièrement prisée. » Les chiffres de fréquentations proposés
par l’’Office de tourisme confirmeraient cette tendance, au même titre que
l’’étude des programmations des « tour-opérateurs ».
1
Lille 2004, indicateurs, mars 2005, op.cit.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 36
37. 1
Au-delà des 32% de visiteurs en transit2 (contre donc 68% dont la
Métropole Lilloise est la destination finale), cette dimension, selon l’’expérience
rapportée par Laurent Tricart, se révèlerait dans le comportement de certains
voyageurs.
(Extrait d’’entretien de Laurent Tricart)
Moi, je me souviens avoir croisé quelqu'un qui était... je l'ai croisé au « Tri
Postal », où à l'époque mon bureau était installé là-bas, quelqu'un qui était entre
deux trains. Elle venait de faire Paris Lille et après elle allait faire Lille Bruxelles,
elle était entre deux trains. Ca ne devait pas être Paris Lille... Elle avait entendu
parler de « Lille 2004 » et elle en profitait pour faire un petit tour au « Tri
Postal », donc elle en avait entendu parler. Elle avait une heure... Et donc moi je
lui dis que c'est dommage de ne pas rester. Et elle me répond : « Ha, si, si, si !
Mais je vais revenir : je suis persuadé que c'est fabuleux ! Là, je profite justement
pour découvrir » [entretien interrompu par une collègue de M. TRICART sur le
départ] Oui donc, l'intérêt... Le premier intérêt, c'est qu'on a changé l'image de la
région ; en tout cas on a énormément participé au changement d'image de la
région qui est là depuis... On vient pour appuyer les efforts qui sont créés depuis
20 ans.
Cette dimension réaffirmée d’’une ville de Lille au cœœur de l’’Europe semble
être renforcée par l’’étude de la nationalité des visiteurs proposée par la
Chambre de Commerce et d’’Industrie. Même si les sources et les techniques de
recueil de données sont suffisamment divergentes pour prendre une certaine
distance, il est intéressant de constater que pour l’’année 2003, la répartition des
sondés par nationalité communiquée par l’’Office du tourisme de Lille différaient
sur certains points, en particulier dans le partage entre Français et étrangers.
Les Français représentaient ainsi 64% des sollicitations enregistrées par l’’Office
de Tourisme (contre 42% en 2004). Parmi les 36% de touristes étrangers, la
composition était la suivante : 53% de touristes britanniques (20% en 2004),
1
Lille 2004, indicateurs, mars 2005, op.cit.
2
CCI de Lille Métropole, Département études et projets, Les visiteurs de Lille 2004 –– Enquête de
satisfaction, 2005
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 37
38. 30% de belges (19% en 2004), 14% de néerlandais (5% en 2004) et 3% d’’autres
pays. Lille 2004 aurait donc permis une diversification importante des visiteurs
de la Métropole.
1
Dans cette mesure dynamisante de l’’image véhiculée, « la culture n’’est pas
qu’’un supplément d’’âme [……] apporté à la vie grise de tous les jours, elle est un
instrument de développement social et économique, un élément du lien social,
un vecteur de sens. »2 Corroborée par les statistiques présentées par la CCI,
indéniablement la présentation du bilan de Lille 2004 a permis de présenter,
sur fond de données statistiques et économiques diverses, les évolutions
bénéfiques qu’’a permis le titre de capitale européenne de la culture.
3
1
Taux de réponse : 100 % (soit 300 personnes interrogées). Question à réponse unique (300 citations),
ibid.
2
Pierre MOULINIER, 1999, op. cit., p. 18
3
Taux de réponse : 99,3 % (soit 298 personnes). Question à réponses multiples (647 citations), ibid.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 38
39. Section III. Un engouement au service du monde
économique
Les effets de Lille 2004 sur l’’activité économique locale sont l’’un des
principaux points sur lequel le bilan insiste. Dans le bilan de Lille 2004 en mars,
Martine Aubry met en avant le « boom » de l’’économie locale dans de nombreux
secteurs, et, au premier rang desquels se trouve celui de l’’hôtellerie. Les clefs
économiques proposées aux journalistes dans Lille 2004, indicateurs,
permettraient donc de mettre en valeur un bilan jugé « satisfaisant » dans de
nombreux domaines d’’activités liées aux retombées touristiques.
1
En outre, et à travers le dispositif de Lille 2004, Martine Aubry a tenté de
renouveler l’’appréhension de la scène politique locale en tant que « lieu de
concertation pertinent entre des acteurs et des arènes d’’horizons divers et met
en scène sa centralité dans cet espace où elle endosse un rôle de médiateur ».2
De la sorte, si plusieurs partenariats ont été signés avec l’’Education Nationale,
ou certains des organismes sociaux ou d’’insertion, un soucis majeur a été
concédé aux partenariats d’’entreprises, Martine Aubry mettant alors fortement
en valeur ses réseaux dans le monde « patronal » et en invitant les entreprises à
se joindre aux manifestations lors de conférences de presses. Au cours d’’une de
celles-ci, la première magistrate affirme que : « Lille 2004 célébrera l’’art de
1
Lille 2004, indicateurs, mars 2005, op.cit.
2
Rémi LEFEBVRE, 2004, op. cit.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 39
40. vivre ensemble. Culture, économie et politique peuvent travailler ensemble
autour de ce projet. La culture est un moyen pour vous de mieux vous faire
connaître », les journaux de décrire alors la situation : « Hier face à un bel
aréopage de chefs d’’entreprises, [……, Martine Aubry] n’’a pas ménagé ses efforts
oratoires pour convaincre et séduire. [……] Le message est clair et sans ambages :
Lille 2004 ne peut se concevoir sans partenariat bien compris. Parce que le
monde de la culture a besoin d’’argent comme le monde économique a besoin de
la culture. »1
1
Rémi LEFEBVRE, 2004, op. cit.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 40
41. Chapitre 3. L’’EVALUATION, ENJEU STRATEGIQUE POUR LA
POLITIQUE LOCALE
En promouvant les « bienfaits » d’’une politique conduite tout au long
d’’une année, les acteurs de Lille 2004 ont eu l’’opportunité de dire « qu’’avec
9.000.000 de visiteurs, [ont peut dire] aux grincheux d’’aujourd’’hui que les
grincheux d’’hier se sont trompés. »1 Bien rares ont alors été les commentateurs
journalistiques à émettre quelques réserves sur le bien fondé de l’’évènement. Au
final, la presse locale révèle en grande partie une certaine réussite à l’’égard
« d’’un budget en équilibre, une image régionale revitalisée et une culture
retrouvée. »2
Section I. Renouveau territorial ou imposition d’’une
nouvelle perception de l’’espace urbain ?
C’’est donc au travers d’’une logique culturelle que les collectivités locales
du Nord –– Pas-de-Calais, et plus particulièrement la métropole lilloise, ont
choisi d’’engager une partie de leur renouveau. Effectivement, la culture a cet
avantage de proposer une vision de l’’espace qui s’’applique bilatéralement :
d’’une part en externe, par l’’image qu’’elle renverra aux autres, mais aussi en
interne par l’’image qu’’elle se donne à elle-même. A la différence de nombreux
autres secteurs de l’’action publique, la culture offre une perspective
dynamisante. Cette perception aurait des effets largement transversaux qui
permettraient de recouvrir l’’ensemble des autres politiques publiques en les
transcendant.
§ 1. Faire de Lille 2004 la vitrine de la métropole lilloise
1
Martine Aubry sur France 3 Nord –– Pas-de-Calais, édition « 19/20 » du 16 mars 2005
2
Nord Eclair, édition du 17 mars 2005
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 41
42. A. Le renouvellement territorial par la culture et la
présentation d’’un nouvel art de ville
Il va s’’en dire que la région Nord –– Pas-de-Calais souffre au mieux d’’un
déficit d’’image, voire d’’une image plutôt négative dans l’’inconscient collectif.
Tant pour des raisons historiques, que sociales ou économiques, le Nord renvoie
souvent cette image de région dévastée. Déjà soutenu par Michel Delebarre,
président du Conseil Régional du Nord –– Pas-de-Calais de l’’époque, au moment
de la désignation de Lille1, Lille 2004 s’’est ainsi proposé de combler ce fossé et
revaloriser cette image d’’une Région dont « on ne nous montre d’’autres réalités
que Métaleurop…… »2
L’’objectif fixé, dans une démarche proche du marketing, est donc de
rompre clairement avec l’’image qui « colle » à la région, en la faisant apparaître
comme plus vivante : « de vieux proverbes idiots prétendent que dans le Nord, il
« pleut tous les jours » (sic) même si (et là c’’est vrai) les gens du coin « ont le
soleil dans le cœœur ». »3
(Extrait d’’entretien de Laurent Tricart)
« [……] Est-ce que ce n'est pas aussi une nouvelle image ou c'est juste
révéler celle existante ? Je ne sais pas, je fais une nuance là... mais ça
ne ferait pas ressortir les traits sur lesquels on avait envie d'appuyer ?
Ben il y a quand même beaucoup de gens, et notamment en France, qui étaient
encore persuadés que le Nord c'était gris, c'était triste, c'était mort, c'était... [Je
souris] Non non ! Mais je crois qu'il faut des fois ré enfoncer des portes ouvertes !
Mais y a encore énormément de gens, c’’est vrai, qui ont encore cette image et nous
on l'a constaté dans l'année [……] On a vu énormément de gens venir des autres
régions françaises. Et on a rencontré dans les lieux de « Lille 2004 », j'en avais
fait l'expérience, des gens qui nous disions « Ha, c'est incroyable, on était venu à
Lille il y a 20 ans... On avait un sale souvenir, on a vu l'émission à la télé, on s'est
dit « tiens, ça a plus l'air d'être la même ville, donc on est venu voir... Ha c'est
extraordinaire ! » [……] »
« Lille 2004 a fait gagner quelque 10 années de notoriété à notre territoire,
selon les décideurs économiques »4. Le projet de Lille 2004 s’’est ainsi toujours
ancré dans cette volonté de renforcer sa position de centralité dans l’’espace
1
« [Cette désignation] s’’inscrit dans un dynamique de renouvellement de l’’image du Nord –– Pas-de-
Calais. Il convient de relier cette décision aux efforts engagés depuis plusieurs années pour accueillir
les plus grands évènements (Mundial, Jeux Olympiques,……) et les plus grands équipements (Tunnel
sous la Manche, TGV et demain peut-être SOLEIL –– le nouvel accélérateur de particules », extrait du
communiqué de Michel Delebarre
2
Martine Aubry lors de la conférence de presse de présentation du bilan
3
Lille 2004, de A à Z, mars 2005, op. cit.,p. 28 « Extérieurs »
4
ibid.
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 42
43. territoriale de l’’euro –– région.
(Extrait d’’entretien de Laurent Tricart)
« [……] Voilà, aujourd'hui c'est terminé, est-ce qu'on peut, a posteriori,
dire qu'il y avait vraiment un intérêt à organiser cet événement ?
Oui ! L'intérêt pour moi il est que ... depuis, grosso modo, une vingtaine d'années
notamment sous l'impulsion de Pierre Mauroy, y a eu la volonté de révéler cette
espèce de position stratégique, un peu unique d'une ville au coeur de l'Europe.
C'est un discours qu'on entend depuis 20 ans, qui, à force peut être lassant, mais
qui néanmoins est basé sur une stricte réalité. Et depuis plus de 20 ans, y a eu
énormément d'efforts qui ont été fait par l'ensemble des collectivités publiques ici
et par aussi les acteurs économiques pour revaloriser cette région qui,
notamment, en rappelant qu’’elle est coincée entre Londres, Bruxelles et Paris.
L'évènement « Lille 2004 », ça a été, comment dire... ça a été une preuve
supplémentaire de ce positionnement géographique, mais aussi du dynamisme de
sa population, de cette capacité qu'ont, justement, les acteurs politiques et
économiques de se serrer les coudes et à avancer tous ensemble tête baissée. Et
c'est vrai, « Lille 2004 » ça a révélé tout ça. Ca, c'est une première chose : y a ... on
peut le voir de plein de manières... Soit... Pour moi, c'est avant tout un nouveau
visage de Lille qu'on a renvoyé à l'extérieur. On peut dire autrement, on peut dire
simplement que « Lille 2004 » ça a été aussi au-delà de l'évènement culturel,
c'était une campagne de communication, comme y en a rarement eu pour
défendre cette région. [……]
Est-ce que tu estimes que ce côté-là, qui change un peu la perception de
la région, était un objectif initial ?
Oui …… j’’en veux pour preuve qu’’il ne faut pas oublier la genèse de Lille 2004 qui,
avant d’’être Lille 2004 capitales européennes de la culture, a été Lille 2008 Jeux
Olympiques. Les deux projets se sont suivis et ce sont les mêmes personnes qui ont
poussé à ce qu’’il y ait une candidature aux Jeux Olympiques qui ont poussé à ce
qu’’il y ait une candidature au titre de capitale européenne et que pour ces
personnes, ou une partie des gens qui ont poussé à cette candidature, il n’’y avait
pas de …… ce n’’était pas des gens qui avaient comment dire avait une soif de ……de
dynamisme culturel en tant que tel, c’’était des gens qui avait envie de changer
l’’image de cette ville.
Et de créer [……]
Tu disais simplement, il y avait un calcul qui était juste de dire : cette région est
déjà riche culturellement on n’’aura pas trop de difficultés à construire quelque
chose qui soit un peu dynamique. [……] »
Bien sûr, il reste difficile pour les collectivités territoriales de faire de l’’art
dans de seuls buts artistiques, c'est-à-dire « de l’’art pour l’’art ». « Le champ
culturel a été d’’emblée reconnu comme solidaire et complémentaire des
programmes visant le développement urbain, économique et social »1
B. Lille 2004 ou comment rendre la région attractive ?
Lille 2004 a été un moyen de rendre la région attractive. L’’héliotropisme
1
Jean-Michel MONTFORT et Hugues De VARINE, Ville, culture et développement, L’’art de la
manière, Paris : Syros, 1995, p. 13
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 43
44. attirerait les entrepreneurs dans le Sud ? Qu’’à cela ne tienne, « la chaleur » des
gens du Nord mise à jour grâce à Lille 2004 pourrait être un atout de
redynamisation.
De cette dynamique lancée par Lille 2004, on retiendrait que Lille attire
aujourd’’hui « comme si enfin Lille pouvait se montrer comme une ville qui a
changé, qui s’’est reprise après tous les coups reçus. Ce message est passé jusque
ici. »1
§ 2. Changer la perception des Lillois de leur ville et
d’’eux-mêmes
S’’il apparaît que Lille 2004 a été plus une chance de développement pour
le territoire qu’’un évènement permettant de valoriser divers projets, il reste que
ce choix n’’a pas toujours paru si évident pour la population. Laurent Dréano
affirme ainsi que « nous avons voulu que les habitants se réapproprient leurs
atouts et leur culture populaire. »
A. De faibles desseins démopédiques
L’’objectif initial n’’a jamais été ouvertement démopédique. Ainsi, la culture
a certes toujours été perçue comme outil de dynamisation, mais jamais en tant
que finalité. Laurent Dréano soulignait ainsi, dès l’’origine du projet, qu’’il« s’’agit
de faire de l’’année 2004 un véritable laboratoire national de l’’innovation en
mettant en jeu, une année entière et à l’’échelle d’’un territoire, une autre façon
de vivre la culture dans ses relations à l’’éducation, aux sports, au cadre de vie,
aux transports et à l’’aménagement du territoire, aux pratiques urbaines et aux
nouvelles solidarités. »2
De fait, Lille 2004 a permis de proposer aux habitants de nouveaux
aménagements urbains, parfois d’’ailleurs totalement déconnectés de visées
1
Pierre Muyle, ancien collaborateur pour Bruges capitale culturelle 2002, cité dans Libération des 11 et
12 décembre 2004, supplémant « Villes »
2
Mémo sur Lille 2004 Capitale européenne de la culture
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 44
45. artistiques. La Halle de glisse construite dans Lille –– Sud est ainsi présentée
comme « temple de la glisse », « dédié aux nouveaux sports ». La culture a donc
été utilisée en tant que justificatrice d’’un remodelage urbanistique beaucoup
plus large auprès des habitants.
En fait, au-delà de considérations purement quantitatives, peu de place
dans le bilan a été consacré à l’’évaluation qualitative des manifestations. On
découvrirait ainsi une « adhésion populaire » et « un engouement sans
précédent » sur une simple présentation de chiffres. On peut envisager que les
39% de manifestations gratuites auraient largement contribué à atteindre les
9.000.000 de participants prétendus.
B. L’’évènementialisation au service d’’un dynamisme
mobilisant tous les lillois
« La politique culturelle locale [est] un mode de gestion territorialisé [……]
dont le public est l’’acteur, en même que l’’enjeu et, parfois, l’’otage. »
Les rapports entre art, culture et développement sont particulièrement
complexes, malléables et fonction des acteurs.
Culture : Art :
Valeurs, Expression par la
représentations et forme
manière de faire
Espace de la Espace singulier
production et de de la dimension
significations et de sensible et
leurs attributions affective d’’abord,
cognitive ensuite,
de la culture
1
La culture ne peut se réduire aux seuls projets artistiques, ni même à
l’’accès à l’’art. La culture allie en fait ses deux objectifs, mais est aussi l’’ensemble
1
Jean-Michel MONTFORT et Hugues De VARINE, 1995, op. cit., p. 64
LE BILAN DE LILLE 2004 · Technique et enjeux d'une évaluation de politique publique culturelle · p. 45