1. INVESTIGATION DES EPIDEMIES EN MILIEU HOSPITALIER
Dr A. AIT-MOHAND
Maitre-assistant,
Faculté de Médecine de Tizi-Ouzou
Résumé :
Les épidémies occupent une place particulière dans le domaine d’hygiène hospitalière malgré leur faible contribution aux
infections associées aux soins (2-4%). Leur investigation épidémiologique doit commencer par le recueil et l’organisation des
données en termes de temps, lieu et personnes. Cette étape descriptive permet de formuler des hypothèses pouvant expliquer la
genèse et l’extension de l’épidémie et les mesures immédiates instituées permettent de la contrôler rapidement. Mais le plus
souvent, il s’agit d’un mode de transmission « non classique » où certains facteurs apparaissent suspects et seule une enquête de
type analytique permet d’avancer la causalité de tel ou tel facteur. Dans ce cas, on distingue deux types d’enquêtes : l’enquêtes
cas–témoins, le plus fréquemment utilisée car de réalisation facile et l’enquête cohorte, privilégiée quand une étude cas-témoins
ne peut pas être réalisée (données insuffisantes) ou pour confirmer les résultats d’une étude cas-témoins ou en cas de mode de
contamination complexe.
Lorsque l’épidémie est expliquée, la source identifiée et le mode de transmission défini, il convient d’instituer une prévention
propre à assurer l’arrêt de l’épidémie dont l’impact doit être évalué par la poursuite de la surveillance.
Au terme de l’investigation, un rapport écrit résumant l’ensemble de résultas doit être établi.
Mots clés : épidémiologie, épidémie, infection nosocomiale, investigation
I. INTRODUCTION
Les infections de nature épidémique en milieu hopitalier ne
contribuent que pour un faible pourcentage (2-4%) au total
des infections associées aux soins, mais elles doivent être
recoonues rapidement car :
- Elles inquiètent les médecins, le personnel et le grand
public, et nécessitent des mesures immédiates pour
éviter qu’elles ne s’étendent.
- Elles sont d’une importance stratégique : à la suite d’une
épidémie, il est fréquent de pouvoir débuter dans un
service un travail de fond en hygiène hospitalière
(initier un système de surveillance, conduire une action
éducative,).
L’observation au cours d’une période donnée d’un nombre
inhabituel de cas semblables doit inciter à une enquête
épidémiologique. Certaines épidémies sont évidentes à
reconnaître alors que d’autres ne comportant qu’un petit
nombre de cas se déclarant sur plusieurs mois peuvent
rester longtemps méconnues en l’absence d’un système de
surveillance efficace. Le plus souvent la combinaison d’un
type d’infection et d’un pathogène donné est relativement
spécifique d’un réservoir ou d’un mode de transmission
particulier, ce qui permet des investigations dirigées.
II. DEFINITION
Théoriquement, il s’agit d’une élévation significative sur le plan
statistique d’une maladie particulière, et ce, pendant un
intervalle de temps limité dans une population bien définie, un
seul agent infectant étant en cause dans la plupart des cas.
En pratique, on ne dispose que rarement de données
épidémiologiques permettant de connaître l’incidence de base
d’un germe ou une maladie en milieu hospitalier ; une épidémie
est suspectée dès lors que plus de deux patients ont des
manifestations cliniques ayant un lieu épidémiologique (on parle
également de « cas groupés »). Dans une telle situation, la
nécessite d’une investigation épidémiologique dépend
grandement des expériences antérieures et d’une certaine
intuition.
L’investigation épidémiologique d’une épidémie en milieu
hospitalier a pour buts :
- d’évaluer la gravité du problème
- d’identifier la source de contamination et les voies de
transmission afin d’enrayer la progression de l’épidémie et
d’éviter qu’elle ne se renouvelle.
- de mettre en place des études prospectives afin d’évaluer
les mesures de prévention.
La source d’une épidémie en milieu hospitalier peut être :
- un malade porteur d’une infection précise
- un membre du personnel porteur chronique ou malade
- ou « l’environnement inanimé » alimentation, eau, air,
surfaces, matériel de soins ou autre.
La transmission peut se faire par :
- contact direct (mains) ou indirect (un objet inanimé
intervient entre les mains et la « victime »)
- contact aérien (rougeole, Méningocoque…)
- un objet inanimé peut servir de véhicule à l’infection : ex :
un endoscope, un thermomètre…
La transmission d’un micro-organisme à partir d’une source peut
emprunter plusieurs voies de transmission.
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Echelle de temps
Nombredecas
Cas probales
Cas certains
Fig. 1 : Modèle de courbe d’une épidémie hospitalière
2. L’air constitue une voie de transmission pour certaines
infections hospitalières.
III. ETABLIR OU VERIFIER LE DIAGNOSTIC
1. Définir les critères permettant de retenir le diagnostic :
- critères cliniques : à eux seuls, ils sont en général
insuffisants
- critères biologiques : isolement de l’agent responsable en
précisant les caractéristiques de résistance et
éventuellement caractéristique biochimiques.
2. Etablir un modèle de fiche de recensement des patients
atteints comportant :
- les renseignements cliniques
- les renseignements épidémiologiques.
L’établissement de cette fiche est capital, afin que tous les
cas soient explorés de la même manière.
3. Classer les cas recensés, en fonction de certains critères
qui doivent être simples et reproductibles en :
- cas certains
- cas probables
- cas possibles.
4. Revoir systématiquement tous les cas qui sont rapportés.
Même les cas qui se sont déclarés en premier quelques
semaines ou mois auparavant doivent être investigués :
l’information qu’ils apportent est souvent riche.
IV. CONFIRMER L’EXISTENCE D’UNE EPIDEMIE
- Dénombrer les cas qui sont signalés, afin d’estimer
l’amplitude du problème. Compter le nombre total de
patients hospitalisés au lieu de l’épidémie et pendant la
période de l’épidémie
- Rechercher activement ceux qui ne l’ont pas été :
infections inopérantes, patients sortis de l’hôpital
- Mettre en place immédiatement un système de
recensement des cas qui pourraient encore se déclarer,
au moyen de la fiche précédemment mise au point.
V. DECRIRE l’EPIDEMIE
Cette phase d’épidémiologie descriptive est capitale car les
résultats permettent de formuler les hypothèses
concernant les agents étiologiques responsables, la source
de contamination et les modes de transmission.
1. Description de l’épidémie en fonction du temps.
- Définir la date de début, l’acmé, la date des derniers
cas et l’existence de cas secondaires.
- Déterminer la date d’exposition en fonction du temps
d’incubation des maladies étudiées.
- Construire une courbe de l’épidémie en y notant tous les cas
en fonction de leur date d’apparition. L’intervalle choisi
(jour, demi-journée) doit être plus court que l’incubation
supposée de la maladie. (Figure 1)
La courbe donne des indications sur la date d’exposition, le mode
de transmission et l’existence d’une source commune ou non.
2. Description de l’épidémie en fonction de son extension
spatiale.
Essayer d’établir une carte des cas afin de déterminer s’ils sont
groupés sur le plan géographique (dans ce cas, on invoque une
source commune ou une transmission de personne à personne) ou
disséminés (dans ce cas, on peut envisager un vecteur plus
général : alimentation, air…).
Il faut donc rechercher si les cas sont regroupés par services
d’hospitalisation, par blocs opératoires ou services de
diagnostic.
Calculer un taux d’attaque de la période de l’épidémie après
avoir dénombré le nombre total de cas (numérateur) et le
nombre total de patients hospitalisés (dénominateur).
3. Description de l’épidémie en fonction des caractéristiques
des patients concernés.
Ces éléments apparaissent sur la fiche de recensement des
cas et comportent des caractéristiques générales (âge, sexe,
pathologie, terrain du malade, intervention chirurgicale, sonde
urinaire, traitement etc.…) et des informations selon le type
d’infection (pneumopathies, infection urinaire, infection du site
opératoire, bactériémies,). Les éléments à recenser sont
étroitement liés à la maladie épidémique en cause. Cette étape
permet de formuler des hypothèses pouvant expliquer la genèse
et l’extension de l’épidémie : en effet un ou plusieurs facteurs
peuvent apparaître particulièrement fréquents chez les patients
concernés par l’épidémie.
Dans certains cas simples, l’enquête descriptive permet de
conclure sur les origines de l’épidémie et les mesures
immédiates permettent de la contrôler rapidement. Mais le plus
souvent, il s’agit d’un mode de transmission « non classique » où
certains facteurs apparaissent suspects et l’enquête descriptive
ne permet pas de conclure à la causalité de tel ou tel facteur.
VI. REALISER UNE ENQUETE VISANT A ETAYER
UNE RELATION CAUSALE ENTRE UN FACTEUR ET
LA SURVENUE D’UNE EPIDEMIE
Dans un contexte épidémique, cette enquête analytique doit
être réalisée rapidement et grossièrement (" quick and dirty ")
pour instituer le plus vite possible les mesures de contrôle du
phénomène épidémique, mais elle doit être suffisamment
performante (" quick and appropriate ") pour trouver la cause de
l’épidémie et si possible affirmer la causalité.
1. Enquête cas - témoins.
Ce type d’enquête rétrospective est fréquemment utilisé dans
l’investigation des épidémies en milieu hospitalier. Un groupe de
patients non infectés (témoin) est comparé au groupe de
patients infectés (cas) : on examine la différence de
susceptibilité vis à vis de l’infection et d’exposition à certains
facteurs. Comme dans toutes les études cas-témoins, le
problème réside dans le choix des témoins. Le nombre de
témoins par cas dépend du nombre de facteurs que l’on désire
investiguer car suspects d’expliquer l’épidémie.
2. Etude de cohorte
L’étude de cohorte prospective peut également être utilisée
pour investiguer une épidémie hospitalière.
- sont parce qu’une étude rétrospective cas-témoin n’est pas
possible (les données disponibles sont insuffisantes)
Tableau 1 : Source de quelques épidémies nosocomiales
EPIDEMIES SOURCES
Gastro-entérite à Salmonella
Hépatite A
Intoxications alimentaires
Infections des plaies à streptocoques groupe A
Infections des plaies à Staphylocoques dorés
Infections cutanées à Staphylocoques dorés
Infections urinaires à bacilles Gram négatif
Infections à Rotavirus
Aspergillose pulmonaire Légionnellose
Bactériémies à bacilles gram négatifs
Pneumonies à bacilles Gram négatifs.
Nourriture
Porteur
disséminateur
(en salle d’opération)
Infection croisée
Ventilation
Perfusions, têtes de
pression
Humidificateurs
3. - soit parce que l’on désire confirmer les résultats d’une
étude cas témoin.
- soit en cas de mode de contamination complexe
Ces études de cohorte concernent en général des patients
soumis à "la cause potentielle" définie par l’étude cas-
témoins. Ils sont comparés à un groupe de patients, non
soumis au facteur incriminé. La différence dans la survenue
d’une infection peut être imputée au facteur testé.
3. Etude d’évaluation d’une mesure de prévention.
Ce type d’étude prospective et randomisée est proposé
après une étude de cas témoin. L’hypothèse est testée de
façon expérimentale : on compare un groupe soumis au
facteur incriminé et n groupe soumis au même facteur
accompagné de mesures spécifiques capables de prévenir
l’infection présumée.
4. Etude microbiologie de l’environnement
Les prélèvements réalisés dans l’environnement inanimé
peuvent être un complément à l’investigation d’une épidémie.
Ils doivent être interprétés avec beaucoup de prudence, de
même que les prélèvements réalisés chez le personnel
soignant.
Il est fréquent d’obtenir des prélèvements positifs avec des
germes réputés pathogènes qui n’expliquent pas l’épidémie.
Les seuls cas où les prélèvements l’environnement sont
irréfutables concernent les solutés normalement stériles
(solutés du perfusion, antiseptiques) et l’alimentation si le
germe retrouvé est le même que celui isolé chez les patients.
La négativité d’un prélèvement n’exclut pas que l’objet
prélevé soit en cause. Les prélèvements microbiologiques
doivent être orientés sur les source ou réservoirs présumés
de l’épidémie. Le typage du germe isolé peut s’avérer utile
pour savoir s’il s’agit d’une souche unique ou de souches
multiples.
VII. INSITUER ET EVALUER DES MESURES DE
PREVENTION
Lorsque l’épidémie est expliquée, la source identifiée et le
mode de transmission défini, il convient d’instituer une
prévention propre à assurer l’arrêt de l’épidémie :
En cas d’une transmission croisée, prendre des mesures
d’isolement en fonction du site infecté (isoler le cas si
possible, renforcer le lavage de mains)
En cas d’une source commune intermittente ou brève, les
mesures sont orientées par la nature et l’écologie du micro-
organisme responsable de l’épidémie :
• Micro-organisme d’origine alimentaire : éviction des
aliments suspect
• Micro-organisme des milieux liquides : vérifier les
points d’eau, les solutés de perfusion, tout matériel à
usage unique, …
• Micro-organisme de l’air : fermer ou isoler les parties
des bâtiments où sont survenus les cas, d’où
l’importance de la répartition des cas.
L’impact de ces mesures doit être évalué par la poursuite de la
surveillance ou par une étude prospective.
VIII/ REDIGER UN RAPPORT
Au terme de l’investigation, un rapport écrit résumant l’ensemble
de résultas doit être établi et comporter les parties suivantes :
1. Introduction
2. Description de l’épidémie
3. Analyse de l’épidémie
4. Méthodes de surveillance
5. Mesures d lutte qui ont été prises
6. Problèmes auxquelles on a été confronté
7. Conclusions et recommandations
IX. CONCLUSION
L’investigation des épidémies hospitalières est un problème
souvent difficile car elles doivent être résolues rapidement.
Une fois le diagnostic d’épidémie vérifié, l’enquête
épidémiologique est indispensable au moins pour sa partie
descriptive. L’institution des mesures de contrôle de l’épidémie
doit être immédiate en fonction du mécanisme de contamination
et/ou de la source suspectés. Une enquête analytique sera
réalisée si l’épidémie n’est pas contrôlée et/ou quand le
mécanisme de transmission ou la source de l’épidémie sont non
authentifiés. La réalisation et l’analyse de cette enquête
analytique doit reposer sur une méthodologie rigoureuse. La
solution apportée au problème épidémique est cependant
importante et constitue toujours un progrès dans les procédures
d’hygiène qui dépasse le cadre de l’épidémie elle-même.
BIBLIOGRAPHIE :
1. Dr. Ph. Berthelot, Pr. F. Lucht : Investigation d’épidémie d’infections nosocomiales : Les différents types d’enquêtes épidémiologiques et leur
méthodologie d’analyse, Document Internet
2. Dr A.AIT-MOHAND, Epidémiologie des infections nosocomiales. Polycope cours d’épidémiologie, 6ème
année de médecine, Faculté de médecine de
Tizi-ouzou.
3. Investigation d’épidémie d’infections nosocomiales, cours intensif d’hygiène hospitalière, 1987, Ministère de la santé et de la population