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La souffrance au travail générée par des ressorts subjectifs de
domination ?
Quelques réflexions en marge du livre Souffrance en France1
Johnny Coopmans et Germain Mugemangango
Etudes Marxistes nr. 82 - 2009
Christophe Dejours est un psychiatre et psychanalyste français de gauche, actif en
région parisienne, spécialiste de la psychodynamique du travail. Il faut souligner son
courage politique, car son œuvre sur les conditions de travail pénibles des
travailleurs intellectuels et manuels en France dans les grandes entreprises a pour
orientation fondamentale la défense inconditionnelle de leur santé mentale et de leur
santé tout court.
Il s’est posé la question du vécu des travailleurs dans les entreprises. Est-ce que le
travailleur actuel souffre ? Comment cette souffrance est-elle suscitée et comment
est-elle ressentie ? Fait-elle l’objet de la préoccupation d’autrui ou, au contraire, est-
elle niée ?
Il explique que dans la relation entre les entreprises et les travailleurs, ouvriers,
employés ou cadres, un nouvel aspect fait son apparition : la peur. Une enquête a
été faite en 1994 dans une entreprise automobile française. Une enquête précédente
avait eu lieu vingt ans auparavant. Le plus grand changement est que maintenant
cette usine fonctionne selon les principes de la production en flux tendu basés sur le
modèle japonais. Superficiellement, on pourrait dire que le travail à la chaîne n’a pas
réellement changé en vingt ans. Mais « L’analyse révèle […] que le “taux
d’engagement” (c’est-à-dire la part du temps de présence sur la chaîne consacrée à
des tâches directes de fabrication, de montage ou de production [une fois soustraits
les temps de déplacement, d’approvisionnement, de pause ou de relâchement]) est
beaucoup plus pénible que par le passé, qu’il n’existe aucun moyen actuellement de
ruser avec les cadences, aucune possibilité, même transitoire, de se dégager indi-
viduellement ou collectivement des contraintes de l’organisation2. » La principale
préoccupation des travailleurs est de tenir le coup malgré la pénibilité du travail. Il ne
faut surtout pas tomber malade. Se crée alors une situation où les travailleurs, dans
leur immense majorité, souffrent mais ne disent rien, car la souffrance est partie
intégrante du travail.
Dans les notes qui suivent, il ne s’agit pas de minimiser le travail remarquable de
Dejours, mais de débattre de certains aspects du cadre conceptuel de ces
recherches.
Le rapport entre les préjugés et la pratique sociale
Pour Dejours, ce sont les idées, les croyances des hommes qui déterminent leur
pratique sociale. Pour nous, c’est la pratique sociale qui fait naître des idées, qui à
leur tour ne sont naturellement pas passives, mais actives et influent sur la pratique.
Ces idées se divisent en deux : celles qui renforcent le système existant et celles qui
s’y opposent.
2
« La machinerie de la guerre économique n’est pas un deus ex machina. Elle
fonctionne parce que, en masse, les hommes et les femmes consentent à y
participer.
La question centrale de ce livre c’est […] celle des “ressorts subjectifs de la
domination” : pourquoi les uns consentent-ils à subir la souffrance, cependant que
d’autres consentent à infl iger cette souffrance aux premiers ?3 »
La contrainte économique qui explique en grande partie ce consentement disparaît
entièrement du tableau. On subit ou on infl ige parce que son emploi en dépend.
Quand on ne consent plus à y participer, la guerre économique ne s’arrête pas pour
autant, car elle est une nécessité objective dans le système actuel !
« Faute de moyens conceptuels indispensables pour analyser la souffrance, nous
dérivons, sans en avoir ni la conscience ni la maîtrise, vers des conduites qui
alimentent l’injustice et la font perdurer. Si en revanche nous étions capables de
penser la souffrance et la peur, ainsi que leurs effets pervers, au lieu de les
méconnaître, nous ne pourrions peut-être plus consentir-à-faire-le-mal-malgré-notre-
répugnance-àle-faire4. »
Bien sûr, on peut infliger ou subir de la souffrance inconsciemment. Cependant, il ne
s’agit pas là de la cause profonde de ces conduites, mais uniquement de leur
représentation et de leur mécanisme psychique. Si nous osons regarder la
souffrance et la peur en face, cette prise de conscience peut certainement influencer
notre comportement social concret. Faire remonter à la conscience des
comportements psychiquement nocifs est important et nécessaire. Mais le problème
principal reste de trouver la cause fondamentale, objective de ces comportements.
Dejours touche à ce sujet principal quand il avertit l’« exclueur » du risque d’être
l’exclu futur. « L’exclusion et le malheur infligés à autrui dans nos sociétés, sans
mobilisation politique contre l’injustice, viendraient d’une dissociation réalisée entre
malheur et injustice, sous l’effet de la banalisation du mal dans l’exercice des actes
civils ordinaires par ceux qui ne sont pas (ou pas encore) victimes de l’exclusion, et
qui contribuent à exclure et à aggraver le malheur de fractions de plus en plus
importantes de la population5. » Le malheur est effectivement le pendant de
l’injustice sociale créée par le système qui pousse des travailleurs au chômage au
nom du profi t maximum.
Libéralisme versus totalitarisme
« […] si la banalisation du mal n’a rien d’exceptionnel, dans la mesure où elle serait
sous-jacente au système libéral lui-même, elle serait aussi impliquée dans les
dérives totalitaires jusques et y compris dans le nazisme6. » Et encore : « […] la
banalisation du mal repose en fin de compte sur un dispositif à trois étages.
Lorsqu’ils sont correctement emboîtés, ils ont un pouvoir efficace de neutralisation de
la mobilisation collective contre l’injustice et le mal infl igés à autrui, dans notre
société.
Le premier étage est constitué par les leaders de la doctrine néolibérale et
l’organisation concrète du travail du mal sur le théâtre des opérations. […]
3
Le deuxième étage est constitué par les collaborateurs directs, à proximité ou sur le
terrain même des opérations. Les structures mentales sont ici extrêmement diverses.
Leur unification, leur coordination et leur participation active sont obtenues par le
truchement de stratégies collectives et d’idéologies de défense. C’est la défense ici
qui est le ressort de l’engagement, et non le désir (stratégie collective de défense du
cynisme viril).
Enfin, le troisième étage est constitué par la masse de ceux qui re-courent à des
stratégies de défense individuelles contre la peur7. »
Pour la stratégie collective du cynisme, voici un exemple : « Au cours de mes
enquêtes de ces dernières années, j’ai découvert l’existence de concours organisés
entre cadres qui mettent en scène le cynisme, la capacité de faire encore plus fort
que ce qui est demandé, d’annoncer des chiffres de dégraissage d’effectifs
faramineux par rapport à ce que de-mande la direction… et à montrer qu’ils ne
bluffent pas : ils tiendront les objectifs qu’ils ont annoncés, haut et fort, en réunion de
direction ou de cadres, comme une enchère en salle de vente. On les surnomme
“cow-boys” ou “tueurs”. Les autres cadres assistant à la réunion sont impressionnés
mais soutiennent et participent à la plaisanterie, en y allant chacun à son tour dans la
surenchère. La provocation ne s’arrête pas toujours aux chiffres et aux mots.
Certains vont jusqu’à faire des déclarations tapageuses devant leurs subordonnés ou
en plein atelier, pour prouver qu’ils n’ont pas peur de montrer leur courage et leur dé-
termination, aux yeux de tous, ainsi que leur capacité à faire face à la haine de ceux
à qui ils vont infliger le mal. Et des épreuves sont organisées, où chacun doit montrer
par un geste, une circulaire, une note intérieure, un discours public, etc., qu’il fait bien
partie du collectif de travail du “sale boulot”.
De ces épreuves, on sort grandi par l’admiration ou l’estime, voire par la
reconnaissance des pairs, comme un homme – ou une femme ! – … qui en a (du
culot, de la détermination et des couilles) ! La virilité fait donc l’objet d’épreuves à
répétition qui jouent un rôle majeur dans le zèle des travailleurs du “sale boulot”.
Ensuite, on arrose cela au cours de repas, le plus souvent dans des restaurants
réputés, où beaucoup d’argent est dépensé, cependant qu’on porte des toasts avec
des vins coûteux et que l’on fait des plaisanteries grivoises et surtout vulgaires, ce
qui contraste avec le raffinement des lieux, plaisanteries dont le caractère commun
est de mettre en exergue le cynisme, de réitérer le choix du parti pris dans la lutte
sociale, de cultiver le mépris à l’égard des victimes et de réaffirmer en fin de repas
les lieux communs sur la nécessité de réduire les avantages sociaux, de rétablir
l’équilibre de la Sécurité sociale, sur les indispensables sacrifices à consentir pour
sauver le pays du naufrage économique, sur l’urgence de réduire les dépenses dans
tous les domaines (ce qui ne manque pas de piquant quand on examine l’addition
d’une telle cérémonie).
[… Ces repas] se déroulent souvent à l’issue de stages de formation pour cadres, en
séminaire, dans des hôtels de luxe, où la bonne humeur est favorisée par l’ébriété et
la satisfaction de jouir des privilèges réservés aux riches et aux dominants8. »
Dans cette analyse, c’est la dichotomie libéralisme/totalitarisme qui pose problème.
D’un côté, on présente le système actuel comme un fruit du libéralisme. Le système
actuel est l’impérialisme qui poursuit le profit maximum, le profit de monopole des
4
multinationales. C’est la propriété privée des moyens de production qui fait que l’on
jette des millions de travailleurs au chômage et que l’on exploite, voire occupe
militairement, des pays du tiers monde. Les sociaux-démocrates de tous les pays
impérialistes soutiennent ce système et sont souvent à la pointe de sa défense.
D’autre part, le terme totalitarisme prétend englober le nazisme et le communisme.
Comment pourrait-on identifier le nazisme avec une des forces essentielles qui a
contribué à son écrasement, l’URSS, au prix de vingt-deux millions de morts ? Pour
Dejours : « L’utilisation de la terreur et de l’assassinat est évidemment ce qui
distingue le totalitarisme du système néolibéral9. » Et il ajoute, en note de bas de
page, une citation de P. Levi : « La pression qu’un État totalitaire moderne peut
exercer sur l’individu est effrayante. Ses armes principales sont au nombre de trois :
la propagande directe ou camouflée par l’éducation, par l’enseignement, par la
culture populaire ; le barrage opposé au pluralisme des informations ; la terreur10. »
Quand Levi parle en 1986 d’États totalitaires modernes, il pense aux pays de l’ancien
bloc de l’Est.
Exonérer le libéralisme d’assassinats et de terreur est une position remarquable. On
ne peut nier que le système néo-libéral provoque quotidiennement la mort de milliers
de gens au travail par le stress, le manque flagrant de mesures de sécurité au travail.
Dans les entreprises des pays occidentaux, les travailleurs subissent
quotidiennement l’oppression du capital. C’est obéir ou être licencié. Les ouvriers
n’ont rien à décider sur ce qui est produit et comment c’est produit, on ne demande
pas leur avis en cas de fermeture. Ce manque total de démocratie a amené les
socialistes à exiger des réformes au niveau des entreprises, des lieux de décision à
participation syndicale, etc. Pourtant, tous ces organes n’ont pu que maquiller les
constats profonds sur la nature du système, qui impose sa loi contraire aux besoins
de la population. Dans les pays socialistes, par contre, où les moyens de production
appartiennent au peuple, beaucoup de points du mal-être des travailleurs dans les
entreprises disparaissent.
Comment interpréter les luttes sociales dans la France des années 1970-1990 ?
Dejours analyse11 les luttes sociales des années 1970-90 en France. Il critique les
gauchistes, les partis de gauche et les syndicats qui ont refusé d’envisager l’analyse
de la souffrance, au motif qu’elle est subjective par essence. Ensuite le patronat a
développé ce créneau dans la dynamique de groupe des cadres, la théorie des
ressources humaines et la notion de culture d’entreprise, le tout sur fond
d’introduction du management participatif avec sa flexibilité totale. Au refus de
s’occuper de la souffrance et donc d’admettre une tolérance à la souffrance «
succède une deuxième phase : celle de la honte de rendre publique la souffrance
engendrée par les nouvelles techniques de gestion du personnel12 ».
Il ne s’agit bien sûr pas d’un simple changement quantitatif. Dans le management
participatif, à part la hausse énorme des cadences par un contrôle informatisé
rigoureux sur les prestations, cause de nouvelles maladies comme les TMS13, le
patronat essaye de gagner une nouvelle bataille, celle de la conquête des esprits.
Les équipes se battent pour des objectifs de production de leur entreprise ou partie
d’entreprise.
5
Les idées de fatalité et de nécessité de la compétitivité ont certainement amoindri les
résistances quotidiennes et les luttes contre les nouvelles organisations du travail.
Elles proviennent du réformisme de toute sorte qui accepte le système existant. Mais
c’est le patronat qui a imposé les nouvelles méthodes de travail dans les entreprises.
La place des cadres (la virilité cynique) et des collègues (les œillères volontaires)
dans la banalisation
Dejours explique bien comment la direction des entreprises met en place une
campagne de négation de la réalité du terrain. « Le déni du réel du travail [travail
prescrit versus travail réel, ndlr] constitue la base de la distorsion
communicationnelle14. » Le rôle des cadres làdedans est important, ce qui fait naître
un processus psychologique de rationalisation. Tout un chapitre15 est alors consacré
à l’explication, aux explications possibles de « l’acceptation du “sale boulot” ».
Dejours analyse principalement la place des cadres et il tend à justifier les attitudes
prises par les cadres et/ou de faire porter une responsabilité importante par les
collègues de travail dans ce processus.
Les initiateurs du mal en haut de la hiérarchie de l’entreprise sont considérés par
Dejours comme des pervers ou des paranoïaques. « Bien entendu, le leader du
travail du mal est avant tout pervers, lorsqu’il utilise le recours à la virilité pour faire
passer le mal pour le bien. Il est pervers parce qu’il utilise ce qu’en psychanalyse on
désigne par le ter-me “menace de castration” comme levier de la banalisation du
mal16. » Selon Dejours, le courage nécessaire à l’exécution de tout travail et la peur
face à la souffrance que l’on doit infliger à autrui sont transformés en preuves de
virilité, ceci pour les hommes, moins souvent pour les femmes17. Hormis une sous-
représentation des femmes parmi les cadres, un argumentaire sérieux de cette
dernière affi rmation manque. Par contre, il ne considère pas comme
psychopathologiques les comportements des autres, des cadres intermédiaires et
des collègues de travail.
« La virilité, c’est tout autre chose que la dimension de l’intérêt économique,
personnel ou égoïste, dont on croit souvent qu’il est le motif de l’action malveillante
selon, encore une fois, le modèle de l’Homo œconomicus, agent mû par le calcul
rationnel de ses intérêts. Cette dernière proposition est fausse. Il s’agit, dans
l’analyse que nous proposons, d’une dimension rigoureusement éthique des
conduites, manipulée par des ressorts proprement psychologiques et
sexuels. L’abolition du sens moral passe par l’activation du choix relevant de la
rationalité pathique, contre des choix relevant de la rationalité moralepratique. La
rationalité stratégique ne constitue pas, ici, une référence de premier plan, dans la
genèse des conduites de virilité18. »
Cette analyse pose de sérieux problèmes. L’initiateur du mal, la virilité est un
problème psychopathologique. Ceci revient à indiquer comme responsable principal
une maladie ou un malade. D’autre part, l’analyse économique est remplacée par
une grille éthique. Le système pourrait chercher des personnes ayant ce profi l pour
exercer la fonction qu’il veut leur confier. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est
un risque mal calculé, car les dynamiques individuelles ne correspondent que
rarement efficacement au fonctionnement économique. Le capitalisme se base
6
essentiellement sur des cadres sains et pas psychopathes. On pourrait
secondairement affirmer que l’exercice d’une fonction d’élimination développerait,
créerait, stimulerait un certain type de personnalité maladive (« la fonction crée
l’organe »). On ne peut exclure mais certainement pas généraliser ce type
d’hypothèse.
Le comportement humain dans les entreprises est ici psychologisé19 à l’extrême. On
ne trouve plus trace du fait que, dans les entreprises, les travailleurs et la direction
sont opposés par des intérêts inconciliables. Le profit maximum s’oppose au bien-
être, aux salaires et aux emplois du personnel. Les agents de maîtrise, cadres
intermédiaires qui constituent la cible favorite de Dejours sont tiraillés entre ces deux
intérêts et ils choisissent en règle générale leur survie personnelle au détriment des
employés de la société. On ne peut exclure de l’analyse du comportement les
éléments économiques objectifs et les réduire à des ressorts moraux et
psychologiques.
À côté de la réaction de virilité, il y a aussi celle des œillères. « […] deux populations
coopèrent au mal : les uns sont des “collaborateurs”, les autres sont une population
consentante. La coopération ne se fait pas entre les deux populations directement,
mais entre deux types de stratégies défensives : stratégie collective d’un côté,
stratégie individuelle de l’autre, cynisme viril d’un côté, œillères volontaires de
l’autre20. »
Nous ne voyons pas ce que les termes collectif et individuel viennent faire ici. Il est
certain que face à un comportement d’élimination il peut y avoir du consentement.
Mais s’il est là, il est exercé par des pairs, car on enlève aux subordonnés dans ce
système tout pouvoir de réaction effi cace.
Dejours oublie que, face aux virils et aux œillères, il y a dans les entreprises pas mal
de réactions syndicales de lutte pour la défense des conditions de travail et des
emplois mêmes des travailleurs concernés par des menaces de licenciements.
Différentes conceptions de la signification du terme aliénation
« Dans mes recherches sur le travail depuis le séminaire “Plaisir et souffrance dans
le travail” de 1986-1987, je me suis surtout efforcé de développer la
psychodynamique du plaisir dans le travail et du travail comme médiateur
irremplaçable de la réappropriation et de l’émancipation21. Si les rapports sociaux
sont d’abord des rapports de domination, le travail, cependant, peut permettre une
subversion de cette domination par le truchement de la psychodynamique de la
reconnaissance : reconnaissance par autrui de la contribution du sujet à la gestion
du décalage entre l’organisation prescrite et l’organisation réelle du travail. Cette
reconnaissance de la contribution du sujet à la société et à son évolution par le
truchement du travail ouvre sur la réappropriation. Lorsque la dynamique de la
reconnaissance fonctionne, le sujet bénéficie d’une rétribution symbolique qui peut
s’inscrire dans le registre de l’accomplissement de soi, dans le champ social. Ces
recherches s’inscrivaient dans la fidélité à l’orientation théorique fondamentale
proposée par Alain Cotterau22, selon qui il faut adopter une position de prudence
théorique vis-à-vis du concept d’aliénation et, par principe, dissocier domination et
aliénation23. »
7
Dans cette position, le concept d’aliénation est mal défi ni. Dans l’aliénation, il ne
s’agit pas de relations de domination, il s’agit de la séparation du travailleur d’avec
ses produits opérés par la propriété privée des moyens de production. La valeur
d’usage et la valeur d’échange des produits sont opposées. N’est produit que ce qui
a une valeur d’échange et réalise la plus-value. Le travailleur n’est pas maître de son
produit. Les travailleurs ne possèdent pas les moyens de production et ne maîtrisent
pas la finalité de la production qui est pourtant sociale. De là l’aliénation. Il est
impossible de supprimer ou d’atténuer l’aliénation au travail sans toucher aux
rapports de production, au système économique.
Où sont les liens entre la réalité objective du système capitaliste qui oblige les cadres
d’entreprise à éliminer des employés au nom du profit maximum et leurs
représentations mentales ? Qu’est-ce qui est la base ? Les mauvaises conceptions
et les mauvais comportements ou le système inhumain24 ? Les cadres sont
endoctrinés pour réussir à atteindre les objectifs de l’entreprise. Cet endoctrinement
empêche une prise de conscience individuelle des dégâts humains causés aux
collègues subalternes. L’endoctrinement peut-il relever des aspects pervers présents
dans la personnalité du cadre ou les provoquer ? On ne peut l’exclure, mais on ne
peut pas non plus le généraliser et le formuler comme une loi générale : « les cadres
qui éliminent des subalternes sont souvent des pervers ». Reste à se mettre d’accord
sur ce que veut dire pervers et sur comment le mesurer scientifi quement.
En tout cas, plutôt que d’être générée par des ressorts subjectifs de domination, qui
constituent l’aspect secondaire, la souffrance au travail est générée par les ressorts
objectifs des rapports d’exploitation dans notre système socio-économique actuel.
Janvier 2008.
Johnny Coopmans (johnny_coopmans(at)hotmail.com ; 0499 424 166) est licencié
en psychologie. Il est l’auteur de deux articles sur la grève de 1960-61 parus
dans Études marxistes no 12. Germain Mugemangango
(germainmugemangango(at)hotmail.com ; 0473 218 572) est licencié en sciences
sociales et politiques et responsable du Parti du Travail de Belgique pour le Hainaut.
1. Christophe Dejours, Souffrance en France : La banalisation de l’injustice sociale,
Paris, Éditions du Seuil, collection Points no 549, 1998.
2. Christophe Dejours, ibidem, p. 60.
3. Ibidem, p. 15. Dans cette citation comme dans toutes les citations que nous
donnons de Souffrance en France, ce qui est souligné l’est par l’auteur.
4. Ibidem, p. 17.
5. Ibidem, p. 22.
6. Ibidem, p. 24.
8
7. Ibidem, p. 181.
8. Ibidem, p. 125-127.
9. Ibidem, p. 182.
10. P. Levi, I Sommersi e i Salvati, Turin, Einaudi, 1986, p. 29. Traduit en français
sous le titre Les naufragés et les rescapés : Quarante ans après Auschwitz, Paris,
Gallimard, 1989.
11. Christophe Dejours, op. cit., pp. 47-49.
12. Ibidem, p. 57.
13. Troubles musculaires squelettiques
14. Christophe Dejours, op.cit., p. 85.
15. Ibidem, pp. 101-121.
16. Ibidem, p. 115.
17. Ibidem, pp. 113-115.
18. Ibidem, pp. 115-116.
19. Système d’explication des comportements sociaux uniquement par des
mécanismes psychologiques.
20. Ibidem, p. 176.
21. Voir Christophe Dejours, « De la psychopathologie à la psychodynamique du
travail », addendum à la 2e édition de Travail, usure mentale, Paris, Bayard éditions,
263 p., pp. 183-204.
22. Voir Alain Cottereau, « Plaisir et souffrance, justice et injustice sur les lieux de
travail, dans une perspective socio-historique », dans Christophe Dejours
(dir.), Plaisir et souffrance dans le travail, Éditions de l’AO-CIP, 1988, tome 2, pp. 37-
82.
23. Christophe Dejours, Souffrance, op. cit., pp. 139-140.
24 C’est la réalité objective qui est reflétée dans la personnalité, la conscience et
l’activité humaine. À leur tour, les idées influent sur la réalité.

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La souffrance au travail générée par des ressorts subjectifs de domination ? Quelques réflexions en marge du livre Souffrance en France

  • 1. 1 La souffrance au travail générée par des ressorts subjectifs de domination ? Quelques réflexions en marge du livre Souffrance en France1 Johnny Coopmans et Germain Mugemangango Etudes Marxistes nr. 82 - 2009 Christophe Dejours est un psychiatre et psychanalyste français de gauche, actif en région parisienne, spécialiste de la psychodynamique du travail. Il faut souligner son courage politique, car son œuvre sur les conditions de travail pénibles des travailleurs intellectuels et manuels en France dans les grandes entreprises a pour orientation fondamentale la défense inconditionnelle de leur santé mentale et de leur santé tout court. Il s’est posé la question du vécu des travailleurs dans les entreprises. Est-ce que le travailleur actuel souffre ? Comment cette souffrance est-elle suscitée et comment est-elle ressentie ? Fait-elle l’objet de la préoccupation d’autrui ou, au contraire, est- elle niée ? Il explique que dans la relation entre les entreprises et les travailleurs, ouvriers, employés ou cadres, un nouvel aspect fait son apparition : la peur. Une enquête a été faite en 1994 dans une entreprise automobile française. Une enquête précédente avait eu lieu vingt ans auparavant. Le plus grand changement est que maintenant cette usine fonctionne selon les principes de la production en flux tendu basés sur le modèle japonais. Superficiellement, on pourrait dire que le travail à la chaîne n’a pas réellement changé en vingt ans. Mais « L’analyse révèle […] que le “taux d’engagement” (c’est-à-dire la part du temps de présence sur la chaîne consacrée à des tâches directes de fabrication, de montage ou de production [une fois soustraits les temps de déplacement, d’approvisionnement, de pause ou de relâchement]) est beaucoup plus pénible que par le passé, qu’il n’existe aucun moyen actuellement de ruser avec les cadences, aucune possibilité, même transitoire, de se dégager indi- viduellement ou collectivement des contraintes de l’organisation2. » La principale préoccupation des travailleurs est de tenir le coup malgré la pénibilité du travail. Il ne faut surtout pas tomber malade. Se crée alors une situation où les travailleurs, dans leur immense majorité, souffrent mais ne disent rien, car la souffrance est partie intégrante du travail. Dans les notes qui suivent, il ne s’agit pas de minimiser le travail remarquable de Dejours, mais de débattre de certains aspects du cadre conceptuel de ces recherches. Le rapport entre les préjugés et la pratique sociale Pour Dejours, ce sont les idées, les croyances des hommes qui déterminent leur pratique sociale. Pour nous, c’est la pratique sociale qui fait naître des idées, qui à leur tour ne sont naturellement pas passives, mais actives et influent sur la pratique. Ces idées se divisent en deux : celles qui renforcent le système existant et celles qui s’y opposent.
  • 2. 2 « La machinerie de la guerre économique n’est pas un deus ex machina. Elle fonctionne parce que, en masse, les hommes et les femmes consentent à y participer. La question centrale de ce livre c’est […] celle des “ressorts subjectifs de la domination” : pourquoi les uns consentent-ils à subir la souffrance, cependant que d’autres consentent à infl iger cette souffrance aux premiers ?3 » La contrainte économique qui explique en grande partie ce consentement disparaît entièrement du tableau. On subit ou on infl ige parce que son emploi en dépend. Quand on ne consent plus à y participer, la guerre économique ne s’arrête pas pour autant, car elle est une nécessité objective dans le système actuel ! « Faute de moyens conceptuels indispensables pour analyser la souffrance, nous dérivons, sans en avoir ni la conscience ni la maîtrise, vers des conduites qui alimentent l’injustice et la font perdurer. Si en revanche nous étions capables de penser la souffrance et la peur, ainsi que leurs effets pervers, au lieu de les méconnaître, nous ne pourrions peut-être plus consentir-à-faire-le-mal-malgré-notre- répugnance-àle-faire4. » Bien sûr, on peut infliger ou subir de la souffrance inconsciemment. Cependant, il ne s’agit pas là de la cause profonde de ces conduites, mais uniquement de leur représentation et de leur mécanisme psychique. Si nous osons regarder la souffrance et la peur en face, cette prise de conscience peut certainement influencer notre comportement social concret. Faire remonter à la conscience des comportements psychiquement nocifs est important et nécessaire. Mais le problème principal reste de trouver la cause fondamentale, objective de ces comportements. Dejours touche à ce sujet principal quand il avertit l’« exclueur » du risque d’être l’exclu futur. « L’exclusion et le malheur infligés à autrui dans nos sociétés, sans mobilisation politique contre l’injustice, viendraient d’une dissociation réalisée entre malheur et injustice, sous l’effet de la banalisation du mal dans l’exercice des actes civils ordinaires par ceux qui ne sont pas (ou pas encore) victimes de l’exclusion, et qui contribuent à exclure et à aggraver le malheur de fractions de plus en plus importantes de la population5. » Le malheur est effectivement le pendant de l’injustice sociale créée par le système qui pousse des travailleurs au chômage au nom du profi t maximum. Libéralisme versus totalitarisme « […] si la banalisation du mal n’a rien d’exceptionnel, dans la mesure où elle serait sous-jacente au système libéral lui-même, elle serait aussi impliquée dans les dérives totalitaires jusques et y compris dans le nazisme6. » Et encore : « […] la banalisation du mal repose en fin de compte sur un dispositif à trois étages. Lorsqu’ils sont correctement emboîtés, ils ont un pouvoir efficace de neutralisation de la mobilisation collective contre l’injustice et le mal infl igés à autrui, dans notre société. Le premier étage est constitué par les leaders de la doctrine néolibérale et l’organisation concrète du travail du mal sur le théâtre des opérations. […]
  • 3. 3 Le deuxième étage est constitué par les collaborateurs directs, à proximité ou sur le terrain même des opérations. Les structures mentales sont ici extrêmement diverses. Leur unification, leur coordination et leur participation active sont obtenues par le truchement de stratégies collectives et d’idéologies de défense. C’est la défense ici qui est le ressort de l’engagement, et non le désir (stratégie collective de défense du cynisme viril). Enfin, le troisième étage est constitué par la masse de ceux qui re-courent à des stratégies de défense individuelles contre la peur7. » Pour la stratégie collective du cynisme, voici un exemple : « Au cours de mes enquêtes de ces dernières années, j’ai découvert l’existence de concours organisés entre cadres qui mettent en scène le cynisme, la capacité de faire encore plus fort que ce qui est demandé, d’annoncer des chiffres de dégraissage d’effectifs faramineux par rapport à ce que de-mande la direction… et à montrer qu’ils ne bluffent pas : ils tiendront les objectifs qu’ils ont annoncés, haut et fort, en réunion de direction ou de cadres, comme une enchère en salle de vente. On les surnomme “cow-boys” ou “tueurs”. Les autres cadres assistant à la réunion sont impressionnés mais soutiennent et participent à la plaisanterie, en y allant chacun à son tour dans la surenchère. La provocation ne s’arrête pas toujours aux chiffres et aux mots. Certains vont jusqu’à faire des déclarations tapageuses devant leurs subordonnés ou en plein atelier, pour prouver qu’ils n’ont pas peur de montrer leur courage et leur dé- termination, aux yeux de tous, ainsi que leur capacité à faire face à la haine de ceux à qui ils vont infliger le mal. Et des épreuves sont organisées, où chacun doit montrer par un geste, une circulaire, une note intérieure, un discours public, etc., qu’il fait bien partie du collectif de travail du “sale boulot”. De ces épreuves, on sort grandi par l’admiration ou l’estime, voire par la reconnaissance des pairs, comme un homme – ou une femme ! – … qui en a (du culot, de la détermination et des couilles) ! La virilité fait donc l’objet d’épreuves à répétition qui jouent un rôle majeur dans le zèle des travailleurs du “sale boulot”. Ensuite, on arrose cela au cours de repas, le plus souvent dans des restaurants réputés, où beaucoup d’argent est dépensé, cependant qu’on porte des toasts avec des vins coûteux et que l’on fait des plaisanteries grivoises et surtout vulgaires, ce qui contraste avec le raffinement des lieux, plaisanteries dont le caractère commun est de mettre en exergue le cynisme, de réitérer le choix du parti pris dans la lutte sociale, de cultiver le mépris à l’égard des victimes et de réaffirmer en fin de repas les lieux communs sur la nécessité de réduire les avantages sociaux, de rétablir l’équilibre de la Sécurité sociale, sur les indispensables sacrifices à consentir pour sauver le pays du naufrage économique, sur l’urgence de réduire les dépenses dans tous les domaines (ce qui ne manque pas de piquant quand on examine l’addition d’une telle cérémonie). [… Ces repas] se déroulent souvent à l’issue de stages de formation pour cadres, en séminaire, dans des hôtels de luxe, où la bonne humeur est favorisée par l’ébriété et la satisfaction de jouir des privilèges réservés aux riches et aux dominants8. » Dans cette analyse, c’est la dichotomie libéralisme/totalitarisme qui pose problème. D’un côté, on présente le système actuel comme un fruit du libéralisme. Le système actuel est l’impérialisme qui poursuit le profit maximum, le profit de monopole des
  • 4. 4 multinationales. C’est la propriété privée des moyens de production qui fait que l’on jette des millions de travailleurs au chômage et que l’on exploite, voire occupe militairement, des pays du tiers monde. Les sociaux-démocrates de tous les pays impérialistes soutiennent ce système et sont souvent à la pointe de sa défense. D’autre part, le terme totalitarisme prétend englober le nazisme et le communisme. Comment pourrait-on identifier le nazisme avec une des forces essentielles qui a contribué à son écrasement, l’URSS, au prix de vingt-deux millions de morts ? Pour Dejours : « L’utilisation de la terreur et de l’assassinat est évidemment ce qui distingue le totalitarisme du système néolibéral9. » Et il ajoute, en note de bas de page, une citation de P. Levi : « La pression qu’un État totalitaire moderne peut exercer sur l’individu est effrayante. Ses armes principales sont au nombre de trois : la propagande directe ou camouflée par l’éducation, par l’enseignement, par la culture populaire ; le barrage opposé au pluralisme des informations ; la terreur10. » Quand Levi parle en 1986 d’États totalitaires modernes, il pense aux pays de l’ancien bloc de l’Est. Exonérer le libéralisme d’assassinats et de terreur est une position remarquable. On ne peut nier que le système néo-libéral provoque quotidiennement la mort de milliers de gens au travail par le stress, le manque flagrant de mesures de sécurité au travail. Dans les entreprises des pays occidentaux, les travailleurs subissent quotidiennement l’oppression du capital. C’est obéir ou être licencié. Les ouvriers n’ont rien à décider sur ce qui est produit et comment c’est produit, on ne demande pas leur avis en cas de fermeture. Ce manque total de démocratie a amené les socialistes à exiger des réformes au niveau des entreprises, des lieux de décision à participation syndicale, etc. Pourtant, tous ces organes n’ont pu que maquiller les constats profonds sur la nature du système, qui impose sa loi contraire aux besoins de la population. Dans les pays socialistes, par contre, où les moyens de production appartiennent au peuple, beaucoup de points du mal-être des travailleurs dans les entreprises disparaissent. Comment interpréter les luttes sociales dans la France des années 1970-1990 ? Dejours analyse11 les luttes sociales des années 1970-90 en France. Il critique les gauchistes, les partis de gauche et les syndicats qui ont refusé d’envisager l’analyse de la souffrance, au motif qu’elle est subjective par essence. Ensuite le patronat a développé ce créneau dans la dynamique de groupe des cadres, la théorie des ressources humaines et la notion de culture d’entreprise, le tout sur fond d’introduction du management participatif avec sa flexibilité totale. Au refus de s’occuper de la souffrance et donc d’admettre une tolérance à la souffrance « succède une deuxième phase : celle de la honte de rendre publique la souffrance engendrée par les nouvelles techniques de gestion du personnel12 ». Il ne s’agit bien sûr pas d’un simple changement quantitatif. Dans le management participatif, à part la hausse énorme des cadences par un contrôle informatisé rigoureux sur les prestations, cause de nouvelles maladies comme les TMS13, le patronat essaye de gagner une nouvelle bataille, celle de la conquête des esprits. Les équipes se battent pour des objectifs de production de leur entreprise ou partie d’entreprise.
  • 5. 5 Les idées de fatalité et de nécessité de la compétitivité ont certainement amoindri les résistances quotidiennes et les luttes contre les nouvelles organisations du travail. Elles proviennent du réformisme de toute sorte qui accepte le système existant. Mais c’est le patronat qui a imposé les nouvelles méthodes de travail dans les entreprises. La place des cadres (la virilité cynique) et des collègues (les œillères volontaires) dans la banalisation Dejours explique bien comment la direction des entreprises met en place une campagne de négation de la réalité du terrain. « Le déni du réel du travail [travail prescrit versus travail réel, ndlr] constitue la base de la distorsion communicationnelle14. » Le rôle des cadres làdedans est important, ce qui fait naître un processus psychologique de rationalisation. Tout un chapitre15 est alors consacré à l’explication, aux explications possibles de « l’acceptation du “sale boulot” ». Dejours analyse principalement la place des cadres et il tend à justifier les attitudes prises par les cadres et/ou de faire porter une responsabilité importante par les collègues de travail dans ce processus. Les initiateurs du mal en haut de la hiérarchie de l’entreprise sont considérés par Dejours comme des pervers ou des paranoïaques. « Bien entendu, le leader du travail du mal est avant tout pervers, lorsqu’il utilise le recours à la virilité pour faire passer le mal pour le bien. Il est pervers parce qu’il utilise ce qu’en psychanalyse on désigne par le ter-me “menace de castration” comme levier de la banalisation du mal16. » Selon Dejours, le courage nécessaire à l’exécution de tout travail et la peur face à la souffrance que l’on doit infliger à autrui sont transformés en preuves de virilité, ceci pour les hommes, moins souvent pour les femmes17. Hormis une sous- représentation des femmes parmi les cadres, un argumentaire sérieux de cette dernière affi rmation manque. Par contre, il ne considère pas comme psychopathologiques les comportements des autres, des cadres intermédiaires et des collègues de travail. « La virilité, c’est tout autre chose que la dimension de l’intérêt économique, personnel ou égoïste, dont on croit souvent qu’il est le motif de l’action malveillante selon, encore une fois, le modèle de l’Homo œconomicus, agent mû par le calcul rationnel de ses intérêts. Cette dernière proposition est fausse. Il s’agit, dans l’analyse que nous proposons, d’une dimension rigoureusement éthique des conduites, manipulée par des ressorts proprement psychologiques et sexuels. L’abolition du sens moral passe par l’activation du choix relevant de la rationalité pathique, contre des choix relevant de la rationalité moralepratique. La rationalité stratégique ne constitue pas, ici, une référence de premier plan, dans la genèse des conduites de virilité18. » Cette analyse pose de sérieux problèmes. L’initiateur du mal, la virilité est un problème psychopathologique. Ceci revient à indiquer comme responsable principal une maladie ou un malade. D’autre part, l’analyse économique est remplacée par une grille éthique. Le système pourrait chercher des personnes ayant ce profi l pour exercer la fonction qu’il veut leur confier. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est un risque mal calculé, car les dynamiques individuelles ne correspondent que rarement efficacement au fonctionnement économique. Le capitalisme se base
  • 6. 6 essentiellement sur des cadres sains et pas psychopathes. On pourrait secondairement affirmer que l’exercice d’une fonction d’élimination développerait, créerait, stimulerait un certain type de personnalité maladive (« la fonction crée l’organe »). On ne peut exclure mais certainement pas généraliser ce type d’hypothèse. Le comportement humain dans les entreprises est ici psychologisé19 à l’extrême. On ne trouve plus trace du fait que, dans les entreprises, les travailleurs et la direction sont opposés par des intérêts inconciliables. Le profit maximum s’oppose au bien- être, aux salaires et aux emplois du personnel. Les agents de maîtrise, cadres intermédiaires qui constituent la cible favorite de Dejours sont tiraillés entre ces deux intérêts et ils choisissent en règle générale leur survie personnelle au détriment des employés de la société. On ne peut exclure de l’analyse du comportement les éléments économiques objectifs et les réduire à des ressorts moraux et psychologiques. À côté de la réaction de virilité, il y a aussi celle des œillères. « […] deux populations coopèrent au mal : les uns sont des “collaborateurs”, les autres sont une population consentante. La coopération ne se fait pas entre les deux populations directement, mais entre deux types de stratégies défensives : stratégie collective d’un côté, stratégie individuelle de l’autre, cynisme viril d’un côté, œillères volontaires de l’autre20. » Nous ne voyons pas ce que les termes collectif et individuel viennent faire ici. Il est certain que face à un comportement d’élimination il peut y avoir du consentement. Mais s’il est là, il est exercé par des pairs, car on enlève aux subordonnés dans ce système tout pouvoir de réaction effi cace. Dejours oublie que, face aux virils et aux œillères, il y a dans les entreprises pas mal de réactions syndicales de lutte pour la défense des conditions de travail et des emplois mêmes des travailleurs concernés par des menaces de licenciements. Différentes conceptions de la signification du terme aliénation « Dans mes recherches sur le travail depuis le séminaire “Plaisir et souffrance dans le travail” de 1986-1987, je me suis surtout efforcé de développer la psychodynamique du plaisir dans le travail et du travail comme médiateur irremplaçable de la réappropriation et de l’émancipation21. Si les rapports sociaux sont d’abord des rapports de domination, le travail, cependant, peut permettre une subversion de cette domination par le truchement de la psychodynamique de la reconnaissance : reconnaissance par autrui de la contribution du sujet à la gestion du décalage entre l’organisation prescrite et l’organisation réelle du travail. Cette reconnaissance de la contribution du sujet à la société et à son évolution par le truchement du travail ouvre sur la réappropriation. Lorsque la dynamique de la reconnaissance fonctionne, le sujet bénéficie d’une rétribution symbolique qui peut s’inscrire dans le registre de l’accomplissement de soi, dans le champ social. Ces recherches s’inscrivaient dans la fidélité à l’orientation théorique fondamentale proposée par Alain Cotterau22, selon qui il faut adopter une position de prudence théorique vis-à-vis du concept d’aliénation et, par principe, dissocier domination et aliénation23. »
  • 7. 7 Dans cette position, le concept d’aliénation est mal défi ni. Dans l’aliénation, il ne s’agit pas de relations de domination, il s’agit de la séparation du travailleur d’avec ses produits opérés par la propriété privée des moyens de production. La valeur d’usage et la valeur d’échange des produits sont opposées. N’est produit que ce qui a une valeur d’échange et réalise la plus-value. Le travailleur n’est pas maître de son produit. Les travailleurs ne possèdent pas les moyens de production et ne maîtrisent pas la finalité de la production qui est pourtant sociale. De là l’aliénation. Il est impossible de supprimer ou d’atténuer l’aliénation au travail sans toucher aux rapports de production, au système économique. Où sont les liens entre la réalité objective du système capitaliste qui oblige les cadres d’entreprise à éliminer des employés au nom du profit maximum et leurs représentations mentales ? Qu’est-ce qui est la base ? Les mauvaises conceptions et les mauvais comportements ou le système inhumain24 ? Les cadres sont endoctrinés pour réussir à atteindre les objectifs de l’entreprise. Cet endoctrinement empêche une prise de conscience individuelle des dégâts humains causés aux collègues subalternes. L’endoctrinement peut-il relever des aspects pervers présents dans la personnalité du cadre ou les provoquer ? On ne peut l’exclure, mais on ne peut pas non plus le généraliser et le formuler comme une loi générale : « les cadres qui éliminent des subalternes sont souvent des pervers ». Reste à se mettre d’accord sur ce que veut dire pervers et sur comment le mesurer scientifi quement. En tout cas, plutôt que d’être générée par des ressorts subjectifs de domination, qui constituent l’aspect secondaire, la souffrance au travail est générée par les ressorts objectifs des rapports d’exploitation dans notre système socio-économique actuel. Janvier 2008. Johnny Coopmans (johnny_coopmans(at)hotmail.com ; 0499 424 166) est licencié en psychologie. Il est l’auteur de deux articles sur la grève de 1960-61 parus dans Études marxistes no 12. Germain Mugemangango (germainmugemangango(at)hotmail.com ; 0473 218 572) est licencié en sciences sociales et politiques et responsable du Parti du Travail de Belgique pour le Hainaut. 1. Christophe Dejours, Souffrance en France : La banalisation de l’injustice sociale, Paris, Éditions du Seuil, collection Points no 549, 1998. 2. Christophe Dejours, ibidem, p. 60. 3. Ibidem, p. 15. Dans cette citation comme dans toutes les citations que nous donnons de Souffrance en France, ce qui est souligné l’est par l’auteur. 4. Ibidem, p. 17. 5. Ibidem, p. 22. 6. Ibidem, p. 24.
  • 8. 8 7. Ibidem, p. 181. 8. Ibidem, p. 125-127. 9. Ibidem, p. 182. 10. P. Levi, I Sommersi e i Salvati, Turin, Einaudi, 1986, p. 29. Traduit en français sous le titre Les naufragés et les rescapés : Quarante ans après Auschwitz, Paris, Gallimard, 1989. 11. Christophe Dejours, op. cit., pp. 47-49. 12. Ibidem, p. 57. 13. Troubles musculaires squelettiques 14. Christophe Dejours, op.cit., p. 85. 15. Ibidem, pp. 101-121. 16. Ibidem, p. 115. 17. Ibidem, pp. 113-115. 18. Ibidem, pp. 115-116. 19. Système d’explication des comportements sociaux uniquement par des mécanismes psychologiques. 20. Ibidem, p. 176. 21. Voir Christophe Dejours, « De la psychopathologie à la psychodynamique du travail », addendum à la 2e édition de Travail, usure mentale, Paris, Bayard éditions, 263 p., pp. 183-204. 22. Voir Alain Cottereau, « Plaisir et souffrance, justice et injustice sur les lieux de travail, dans une perspective socio-historique », dans Christophe Dejours (dir.), Plaisir et souffrance dans le travail, Éditions de l’AO-CIP, 1988, tome 2, pp. 37- 82. 23. Christophe Dejours, Souffrance, op. cit., pp. 139-140. 24 C’est la réalité objective qui est reflétée dans la personnalité, la conscience et l’activité humaine. À leur tour, les idées influent sur la réalité.