3. A l’origine, la littérature se transmet essentiellement de manière orale (ce sont les récits
des aèdes, qui véhiculent de grandes histoires mythiques, ou des déclamations offertes
aux dieux à l’occasion de cérémonies en leur honneur). A l’origine donc, toute la
littérature est associée à des rythmes, à de la musique, à des chants qui permettent de
mieux retenir les paroles et de mieux captiver les auditoires. Par conséquent, pour les
Grecs, toute la littérature est de la poésie c’est à dire un texte fabriqué, créé, mis en
forme et rythmé de manière à être particulièrement expressif. Ils distinguent la poésie
épique (les récits), la poésie dramatique (les textes de nature théâtrale), la poésie
lyrique (les textes qui expriment des idées ou des sentiments plus personnels).
4. Mais petit à petit, et notamment après l’invention de l’imprimerie il y a 5 siècles, la
littérature se transmet davantage par les livres écrits et le vers est moins nécessaire car
il n’est plus obligatoire de retenir par cœur les textes pour les véhiculer. On réserve
alors le terme de poésie, non plus à toute la littérature, mais à un genre particulier qui
travaille le langage de manière particulièrement minutieuse, en jouant sur ses
sonorités ou la musicalité qu’on peut lui donner. La poésie devient alors un des genres
littéraires, à côté du roman (en prose), et du théâtre (qui ne sera plus nécessairement
en vers lui non plus).
6. Aujourd’hui donc, on peut donner cette définition de la poésie : un genre
littéraire qui se caractérise par une certaine brièveté des textes et par un travail
minutieux sur la langue, sur ses sonorités, ses rythmes ainsi que sur les images
qu’elle peut présenter à l’esprit, de manière à exprimer les observations, les
idées ou les sentiments les plus subtils, les plus fuyants, les plus difficiles à
faire passer dans le langage courant ou dans les situations de la vie
quotidienne.
7. Un brouillon du poète Paul ValéryEpreuves corrigées par Charles Baudelaire des Fleurs du
mal
9. Un mythe permet de mieux comprendre ce que la poésie peut nous dire : il s’agit du
mythe d’Orphée.
Orphée est un poète, et il joue de la lyre. Il épouse Eurydice mais, peu de temps après
leur mariage, Eurydice est mordue par un serpent et meurt. Orphée descend aux enfers
et charme les dieux par son chant, par sa plainte. Il les implore de lui rendre Eurydice.
Ceux-ci acceptent. Ils demandent à Orphée de chanter et promettent qu’Eurydice le
suivra dans sa remontée à la surface de la terre. Simplement il ne devra pas se
retourner pour vérifier la présence de sa bien-aimée. Orphée remonte des enfers ;
Eurydice le suit. A quelques pas de la porte des enfers, il regarde en arrière ; Eurydice
est à nouveau précipitée aux enfers.
10. On fait souvent une lecture symbolique de ce mythe et on y voit une réflexion sur la
poésie : la poésie explore ce qui est le plus sombre, le plus souterrain, y compris la
mort. Elle permet de faire remonter à la surface du langage ce qui est enfoui, invisible,
disparu mais cette quête est infinie, car ce que l’on cherche à faire venir à la surface
nous échappe toujours un petit peu. Simplement la poésie est sans doute le langage qui
s’approche le plus de ces vérités ou de ces sentiments enfouis.
12. La poésie se prête bien sûr à l’expression des sentiments (c’est ce qu’on
appelle communément la poésie lyrique) mais elle peut également exprimer
des idées, des engagements car nos idées prennent source aussi dans des
émotions, dans des dimensions très intérieures et très enfouies de notre être
(on appelle communément cette poésie qui véhicule des idées, la poésie
engagée)
13. Alphone Osbert (1857-1939) : Sapho ou la poésie
lyrique
Illustration de Fernand Léger pour le
poème Liberté de Paul Eluard, texte
devenu un symbole de la résistance aux
nazis
15. Un grand nombre de poèmes sont en vers : le vers permet de donner un rythme au texte
puisque la lecture est suspendue un instant à la fin d’un vers de manière volontaire (alors
que dans le texte en prose, le retour à la ligne est aléatoire, en fonction de la largeur de la
page). On nomme les vers en fonction du nombre de syllabes : l’octosyllabe a 8 syllabes, le
décasyllabe en a 10, l’alexandrin en a 12. La rime, elle aussi, qui fait revenir une sonorité à
la fin du vers, donne un rythme et met en résonnance certains mots du texte. Une rime doit
avoir au moins deux sons identiques. Les vers sont regroupés en strophes plus ou moins
longues (les distiques sont des strophes de 2 vers, les tercets de 3 vers, les quatrains de 4
vers, les quintils de 5 vers). Certains poèmes présentent même des refrains, c’est à dire des
vers ou des strophes qui reviennent à intervalles réguliers.
16. Certaines formes fixes imposent des règles relatives aux types de strophes, à la longueur
des vers, ou à la disposition des rimes : les formes fixes les plus connues sont le sonnet et
la ballade (avec deux « l », à ne pas confondre avec son homophone « balade » qui désigne
une promenade). Le sonnet est un poème de 14 vers distribués en 2 quatrains et 2 tercets.
Dans le sonnet régulier les rimes doivent avoir une disposition précise et elles doivent être
identiques dans les deux quatrains. Ces règles sont très contraignantes mais finalement
elles obligent à travailler la langue, à la faire dévier de la langue commune, à choisir les
mots de manière très consciente. Elles facilitent dans un sens la création.
18. A l’inverse, certains poètes s’affranchissent des règles. Le poème en vers libre
présente bien des vers (puisque le poète choisit d’aller à la ligne en fonction de
ce qu’il veut faire sentir sans que cela soit imposé par le bord de la page,)
mais ces vers sont de longueur variable, irrégulière et ils ne riment pas
forcément. Le poème en prose ne présente pas de vers. Mais par sa longueur
limitée, par l’utilisation qui est faite des rythmes des phrases (grâce à des
choix syntaxiques), par les jeux de sonorités (allitérations ou assonances) ainsi
que par la force des images, il appartient bien au genre poétique.
19. Marine
Les chars d'argent et de cuivre -
Les proues d'acier et d'argent -
Battent l'écume, -
Soulèvent les souches des ronces.
Les courants de la lande,
Et les ornières immenses du reflux,
Filent circulairement vers l'est,
Vers les piliers de la forêt, -
Vers les fûts de la jetée,
Dont l'angle est heurté par des tourbillons de lumière.
Les Fenêtres
Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de
choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond,
plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre
éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant
que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie,
rêve la vie, souffre la vie.
Par delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre,
toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec
son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette
femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en
pleurant.
Si c’eût été un pauvre vieux homme, j’aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ? » Qu’importe
ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que
je suis et ce que je suis ?
Un poème en vers libre d’Arthur Rimbaud
Un poème en prose de Charles Baudelaire
Un calligramme d’Apollinaire :
La Colombe poignardée et le jet
d’eau