Bien que l’aventure commence en 2080, elle prend réellement ses racines... 62 millions d'années avant. Ce livre éclaire, grâce aux découvertes de cette fin de 21éme siècle, des événements ayant eu lieu au plus profond de la genèse humaine.
Le Mont Laoshan où se situe cette odyssée, abrite bien la demeure des
immortels. Il n'y a aucun doute !!!...
Un étrange vieillard rencontré sur ce lieu, raconte une épopée invraisemblable... Faut-il le croire ?
Son incroyable histoire conforte la quête du personnage principal, « Le Président », dont le but est de découvrir ses lointains aïeux depuis qu’il a inventé cet invraisemblable « ordinateur cerveau biochimique » baptisé : Cervoclonis .
Le chemin sera long et les surprises de tailles...
Jusqu’où ira le Président pour connaître ses racines ? Peut-être jusqu’à la source de l’Humanité.
2. 2
Chapitre 27
En posant le pied sur le sol souillé de la grande salle du QG, Luan prend
conscience de la tâche quasi impossible confiée à Childéric. Ce qu’elle voit
déclenche en elle un brusque jet d’adrénaline.
Le lieu n’est plus propre, les participants sont dispersés dans la salle, des
étagères en cours de montage défigurent l’espace sobre et mystérieux.
Childéric est en grande discussion avec An et paraît résoudre un conflit ;
tous s’agitent de manière désordonnée, dans un tohu-bohu indescriptible…
Les yeux de Luan luisent d’une colère sourde car il lui est impossible de
libérer la rage qui l’habite. Elle voudrait crier, châtier, frapper ceux qui ont
organisé cet immense désordre, mais le bruit est si fort que ses cris semblent
échouer à l’entrée de sa gorge.
Devant sa propre impuissance, elle remonte en courant à l’air libre,
revient vers ses quartiers, fouille dans une malle personnelle, et sort un gong
sacré.
Dans le même élan elle ressort de sa tente en furie, le serrant sous le bras,
et repart en courant vers le sanctuaire transformé en pagaille innommable.
Après une descente rapid,e elle dispose le Gong sur le côté de la salle et le
frappe nerveusement, plusieurs fois, de toute son énergie.
Rien de cette scène n’a pu être contrôlé par Cervoclonis qui suit tant bien
que mal les soubresauts de cet épisode de pure démence.
Le son sourd du Chao Gong fait vibrer l’air, faisant prendre conscience
instantanément à l’assemblée que le temps n’est plus au branle-bas mais à la
tâche confiée par le président.
Childéric, interdit, est resté dans sa dernière posture face à An rouge de
colère, le front plissé, visiblement dans un état similaire à celui de Luan.
Reprenant un instant son sang froid, le visage décomposé, Luan
s’adresse à Childéric.
3. 3
« N’est ce pas à vous, Mr Reyna, à qui j’ai confié la tâche de préparer
cette salle pour une réunion… prévue à huit heures ce matin ? ».
Regardant sa montre, le foudroyant du regard, elle reprend :
« Chacun a une mission et une fonction. Le temps ne nous est pas
compté. Seule la passion doit guider notre travail. Nous devons respecter un
minimum de choses : exemple cette salle. Comment avez-vous osé la
défigurer de la sorte ? Parce que vous n’aviez pas le temps ? Songez au
mystère présent derrière, dans les murs, ou dessous ces voûtes !
An Teh-hai, ici présent, est le gardien moral de ce sanctuaire !
Vous devez le respecter, et vous devez m’obéir ! Je le répète, le temps
n’est pas un obstacle à notre mission mais nous devons tous être habités par
l’impatience.
Childéric Reyna, avez-vous quelque chose à rajouter ? ».
*
Ravalant une juste répartie, beaucoup trop facile tenant compte des
événements de la fin de nuit, Childéric reconnut qu’il n’avait pas accompli
correctement la première partie de sa mission à quelques minutes près. Il
s’en excusa platement, honteux d’être rabroué devant tout le monde.
D’autre part, il confirma publiquement à An Teh-hai son désir,
désormais, de lui demander des conseils pour l’aménagement futur de la
caverne.
S’adressant à nouveau à Luan, il lui demanda de lui laisser une heure
pour nettoyer, mettre en place les éléments de la réunion, et libérer les
ouvriers.
Luan accepta de patienter et pour se calmer ramena le Chao Gong à sa
place, dans sa tente.
*
A sa nouvelle apparition dans la salle, balayant le volume du regard, elle
constate que le peu de temps laissé a permis de modifier correctement
l’espace et de rétablir un silence propre à la méditation.
Comme demandé, An est en place, et sera ainsi à ses côtés à l’extrémité
opposée de la table, face à l’entrée naturelle de la caverne.
Tout paraît en accord avec ses dernières recommandations.
4. 4
Une quinzaine de personnes qu’elle reconnaît, sont là, studieuses, la
machine sur la tête pour la plupart, n’osant perturber la fragile et récente
sérénité.
Au bout de quelques instants, elle prend la parole en s’asseyant,
feuilletant un dossier qui apparemment lui sert de pense-bête :
« Tout d’abord, je tiens à vous saluer respectueusement. Cet endroit est
un peu surprenant, n’est ce pas ? En tous cas je vous remercie… surtout des
derniers efforts hâtifs accomplis.
Pour cette première réunion, je vais laisser An Teh-hai vous exposer son
histoire pendant environ une heure, puis, John Malicorn vous résumera la
même histoire mais avec un angle de vision purement ERT.
Ensuite, Childéric Reyna vous précisera pour quelles raisons une grande
partie des ressources seront focalisées sur ce site.
Pour ce qui me concerne, je suis le responsable de la consolidation du jeu
concernant l’Atlantide dans la série des divertissements ERT. Je suis aussi le
manager de tout ce qui se passe et se passera sur ce lieu de l’ancien Taiqing
Palace. ».
Abandonnant ses notes, regardant sa montre, elle poursuit son
monologue :
« Il est actuellement neuf heures trente minutes. Lorsque tout le monde
aura été briefé, les personnes dont j’énoncerai le nom nous accompagneront,
An Teh-hai et moi-même, dans la bibliothèque du Palace.
Pour votre information, elle est quelque part sous nos pieds dans cet…
disons… ancien magma volcanique ! Vous l’avez peut être remarqué ; la
roche qui nous entoure est brute, sans aucune intervention humaine ni…
mécanique. La phosphorescence des murs, pour ne pas donner d’autre nom à
cette surprenante lumière venant des parois, n’est pas artificielle. Elle est
permanente, personne ne sait de quel phénomène il s’agit, enfin pas encore !
Bref, pour revenir à mon propos, nous allons nous rendre dans une
bibliothèque située au sous-sol et y réaliserons la première analyse sur un
ouvrage qui, en temps qu’archéologue, me paraît avoir une valeur
inestimable.
Par la suite, nous jugerons ensemble de l’utilité de transférer le manuscrit
en laboratoire, mais mon appréhension réside dans son hypothétique
résistance à des conditions externes d’humidité et de lumière !
Imaginez… ce livre a peut-être des centaines de siècles d’existence ?
5. 5
Cette appréciation n’engage que moi, nous aurons à le prouver
ensemble !
Nous aurons le loisir de faire également quelques expériences sur un
objet bizarre, dont la qualification à partir de cet instant sera : balise céleste.
Donc, je suggère que viennent avec moi, après ces discussions
préliminaires, dès cet après midi, en tout cas au plus tôt à la fin du
programme que je viens de préciser, les personnes suivantes, de l’équipe
scientifique :
– John Malicorn, que vous connaissez tous,
– John Aliwan, l’égyptologue expert en écritures anciennes,
– Arthur H Washington, l’archéologue spécialisé notamment en
civilisations inca et maya,
– James Dawsinger, le volcanologue,
– Wun wu Liang, le traducteur de langues extrême-orientales.
Les autres participants seront sollicités au cas par cas et selon
l’avancement de notre travail. ».
Se positionnant en face de Childéric, elle lui dit un brin provocatrice :
« J’espère que tout est préparé, comme prévu, aux abords de la
bibliothèque. Nous ne devons pas perdre de temps.
Mr Reyna avez-vous pu tout arranger, en accord avec An Teh-hai ?
Bien, votre hochement de tête me rassure. ».
Lui attribuant après cette dernière question, le premier sourire de la
matinée.
*
Se retournant alors vers An, elle le prie de bien vouloir commencer son
histoire.
An se lève avec une certaine lenteur, ajuste ses lunettes de lecture, et
brandit à bout de bras une feuille jaunie par le temps :
« Voyez-vous ce décret, ce texte paru en août 2 032 au niveau mondial,
augure du début de la destruction de la croyance, autrement dit, le
commencement des ravages engendrés par le néo-individualisme.
6. 6
Dans notre ancienne Chine, cette calamité a été bien plus destructrice
que le communisme, désertifiant les campagnes, supprimant les rapports
entre les humains… pour des raisons d’hygiène.
Enfin quoi, la terre tournait-elle donc si mal ? Ce début de siècle a bien
vu la grippe aviaire et d’autres calamités, et l’humanité n’en est pas morte.
Toutes ces usines qui polluaient notre planète n’avaient pas réussi à
détruire non plus, la solidarité, l’amour, l’amitié entre les humains…
Oui, ce décret a détruit vingt cinq années de ma vie… heureusement le
président d’ERT m’a sauvé d’une fin de vie terrestre un peu trop rapide à
mon goût. »
S’arrêtant alors, donnant le temps à quelques larmes de perler aux
commissures de ses yeux, il les essuie d’un geste pathétique, puis regardant
amicalement John Malicorn, il reprend :
« Vous vous en souvenez John, n’est ce pas, de votre arrivée en ce lieu du
Taiqing Palace. En quelle année ? Ca n’est pas aussi loin.
2 062, n’est ce pas ?
Mais ceci n’est pas l’objet de cette réunion.
Bien… Voici mon histoire.
Nous avions été cinq cents et n’étions plus que cinq. Je me dois de vous
conter ce qui s’est passé ce jour où j’ai frôlé la mort…
Je me souviens de ce jour-là avec angoisse, car il a déterminé le cours de
mon destin d’être vivant.
J’avais décidé que ce devait être lui ou moi.
Je venais de donner à boire à mes camarades d’infortune, allongés à
même le sol, très faibles.
Ce jour là, j’avais résolu de vivre.
Depuis dix jours, ou peut-être quinze, ce satané vautour tournait au
dessus de notre campement.
Je l’ai observé longuement qui virevoltait, planait, puis, grâce à Dieu, il
s’est posé près de moi.
J’étais allongé sans bouger, près de mes camarades.
De son long bec il a poussé mon bras, puis s’est éloigné en dandinant de
quelques centimètres en direction de mes compagnons, me négligeant, car je
ne devais pas suffisamment sentir la charogne.
7. 7
Tremblant de peur, j’ai armé le chien du fusil que je dissimulais sous
moi, et appuyé sur la gâchette, projetant dans mon index toute la haine et le
peu d’énergie qui me restaient.
La déflagration m’a paru dérisoire… heureusement elle avait suffit.
Mort, ou proche de l’être, le monstrueux animal s’était affalé sur mes
pauvres compagnons.
Je me suis relevé, soutenu par je ne sais quelle détermination ; j’ai
recueilli dans mes mains le sang chaud qui s’échappait de la plaie mortelle.
Je ne pensais plus qu’à moi, à laper comme une bête ce nectar doucereux.
Ma vie à moi allait continuer, les autres ne bougeaient pas ou… plus.
Je n’ai réalisé que bien plus tard qu’ils auraient pu être étouffés par cet
horrible animal. »
Les yeux et les bras vers le ciel, An Teh-hai revit la scène, puis il reprend
avec emphase son monologue, délivré de cette image angoissante :
« Seigneur, que ce breuvage tiède m’a paru divin !
A partir de cet instant, je savais que je pourrais manger pendant quelques
jours encore.
Je devais vivre, il m’était défendu de mourir, vous comprenez !
Je connaissais un secret que je n’aurais jamais dû posséder… je devais le
retransmettre.
Liu Huaiyuan, le grand maître taoïste, décédé en ces lieux, m’avait
transmis une partie de son savoir et de son pouvoir, en me promettant de le
recéder quand le temps serait venu.
Puis, comme par miracle, quelques longs jours après la mort de ce
charognard, le président, John et les autres sont apparus près de la tour. ».
An Teh-hai continue son incroyable histoire, se penchant vers Luan pour
avoir son assentiment sur les bribes de secret qu’il lâche de temps à autre,
ses yeux bridés renforçant alors par leurs plissements le côté énigmatique de
son ahurissante aventure.
Le silence règne sur l’assemblée, les expressions des visages sont figées,
impressionnées, incrédules, voire sceptiques.
Personne n’ose interrompre le commentaire de ce vieillard. Tous, au
fond d’eux-mêmes, sont curieux et agacés à la fois d’entendre et de voir une
personne ayant dérogé aux sacro-saintes règles de la société néo-
8. 8
individualiste, celles même auxquelles ils sont convaincus de ne pouvoir se
soustraire !
De plus, ils se demandent un peu quel peut être le rapport entre ce que dit
ce vieillard et la débauche de moyens mis en œuvre en ce lieu.
Il serait temps que John Malicorn clarifie la situation, ou même Childéric
ou Luan.
Ressentant, au travers des attitudes agacées voire nerveuses des
participants, que l’orateur commence à fatiguer l’assemblée, Luan suggère
de manière diplomatique à An de garder quelques informations pour les
jours à venir.
Il ne faut en aucun cas se fâcher avec le vieil homme car il possède le
secret des clés, et sûrement des éléments dont lui même ne soupçonne pas
l’importance.
Seuls Luan, Childéric et John Malicorn, et bien sûr, le président en
connaissent l’extrême portée.
*
La réunion se poursuit avec l’intervention de John, puis arrive le tour de
Childéric.
*
Ce dernier semble embarrassé, et requiert urgemment l’aide de la
machine. Luan lui a confié, sans le consulter, le soin de préciser pour quelles
raisons les jeux étaient tous suspendus, à l’exception de celui sur l’Atlantide,
et la raison expliquant la présence de tous les moyens d’ERT engagés sur le
site du Taiqing Palace.
La machine ne répondant pas, il se lance dans une explication qui
finalement est la vérité, du moins celle qu’il connaît… certainement pas
celle enfermée dans le cerveau du président :
« Je suis le responsable des jeux de ERT et Luan Shing Pei, en plus de sa
fonction d’archéologue était chargée de suivre et s’est impliquée dans un jeu
dont le sujet concerne l’hypothétique existence de l’Atlantide.
De ce jeu ainsi que de six autres, je devais effectuer la supervision. Je
devais m’assurer avec l’aide d’un équipement de contrôle et la machine dont
certains sont détenteurs autour de cette table, que les personnes nominées, à
9. 9
savoir, John Aliwan, Arthur H Washington, ainsi que 4 personnes non
présentes ici, suivaient correctement les processus du jeu.
Je devais vérifier s’ils ne se fourvoyaient pas trop, respectaient les règles
et confirmaient ou non la véracité des faits ou histoires intégrés aux
divertissements.
A peine étais-je entré en fonction que notre président, à la suite d’une
discussion avec Takamaki Sone de l’équipe EL4, m’enjoignait de stopper
tous les lancements de jeux, à l’exception de celui sur l’Atlantide.
Néanmoins, après quelques phases de ce jeu, il s’est avéré, que, tenant
compte de l’intérêt des informations transmises par Takamaki Sone, le dit
JEU devait subir une refonte totale.
Nous sommes donc ici pour rebâtir la vérité sur l’Atlantide qui selon les
propres termes du président… doit être conforme à la réalité. ».
*
S’arrêtant à ce point de son explication, Childéric se tourne vers Luan
pour requérir de l’aide, observant avec appréhension les réactions prévisibles
des participants.
Les fronts soucieux et surpris, ils se regardent les uns et les autres,
complètement incrédules, mais sans réactions, sans questions !
L’explication donnée par le responsable des jeux, est pourtant
surprenante, voire incompréhensible pour des gens sensés et raisonnables
vivant dans un monde où règnent la logique, la gestion du temps,
l’efficacité…
Quelques invités, non porteurs de Cervoclonis, se retournent vers John
Aliwan ou John Malicorn, espérant que des questions vont fuser, permettant
d’éclaircir cet invraisemblable et inconsistant commentaire.
Rien ne se passe !
Comme leur rôle est subalterne, ils se taisent, présentant néanmoins les
stigmates de leur curiosité non satisfaite.
Le silence… plutôt une sérénité bienveillante habite désormais la salle.
Désarçonnés, mais ravis de cet état de fait, Luan et Childéric, et peut être
John, sont les seuls à soupçonner fortement les machines d’avoir géré cet
épineux problème !
*
10. 10
Considérant la réunion arrivée à son terme, Luan d’une mimique discrète
fait une injonction de la suivre à An, John Malicorn, John Aliwan, Arthur H
Washington, James Dawsinger, Wun wu Liang, puis, après réflexion,
Childéric.
S’adressant aux autres participants de la réunion, elle leur demande de
regagner leur poste respectif.
Dans un calme impressionnant les gens se lèvent, observent une dernière
fois la caverne, et remontent à la surface, abandonnant leurs collègues
devant poursuivre leurs investigations dans la bibliothèque.
11. Chapitre 28
Un par un, ils franchissent la porte dérobée ouvrant sur le second escalier
sous la conduite d’An et Luan.
La largeur de ce nouvel escalier, qui a tant surpris Luan, produit à
nouveau le même effet.
Toujours là : cette absence d’humidité, cette matière luminescente, cette
tiédeur surprenante !
Toujours aussi impressionnante la voûte de l’escalier s’élevant au moins
à dix mètres au dessus des marches !
Toujours ahurissantes ces perceptions de vide et de silence !
La phosphorescence des parois et de la voûte n’éclaire que le néant vers
lequel An se dirige en maître des lieux.
James Dawsinger, le vulcanologue, n’a pas suffisamment de son champ
visuel pour embrasser le volume !
Les autres, tout en descendant les marches, ont leur regard qui parcourt à
la fois les murs supportant ce qui apparaît, à première vue, comme des
rampes ou des glissières… ainsi que le plafond où 2 encoches identiques aux
rampes apparaissent aussi sur la voûte, symétriques !
Les superlatifs fusent : gigantesque, génial, invraisemblable, incroyable.
An, qui les précède de quelques mètres, en contre-bas, se retourne et les
apostrophe.
« Mais enfin que faites vous… plus tard s’il vous plaît ? »
Tous restent en suspens au centre de l’escalier monumental, n’écoutant
que leur curiosité.
Luan vient de rejoindre An sur le plateau débouchant sur l’entrée de la
bibliothèque. Childéric a bien respecté ses consignes : quelques tables, des
chaises, et tous les instruments d’investigation sont rassemblés sur cette
grande plateforme qui jouxte l’entrée.
Elle profite de cet instant de quiétude avec le vieil homme pour observer
ce qu’elle n’a pas osé ou oublié de regarder la première fois.
12. 12
An tourne lentement sur lui-même, recherchant des points de repères. Il
se dirige finalement vers un endroit de la paroi, la caresse du bout des doigts,
marmonne quelques mots et y applique la première clé qui… disparaît
comme avalée !
Luan observe méticuleusement le mur. Aucune serrure, aucune
empreinte n’est visible ! La clé, qui a disparu, n’a aucune action mécanique
appréciable.
Pourtant, un étrange dispositif, s’effaçant dans la cloison fort épaisse,
ouvre un passage sur la mystérieuse bibliothèque !
*
An Teh-hai en franchit le seuil, puis se retourne, d’abord amusé par l’air
inquisiteur de Luan, mais une fois dans l’entrée se fige comme en extase.
Une attitude impénétrable et glaciale empreint son visage taillé par les
ans. Une voix monocorde égrène un chapelet de mots.
« La logique du grand Maître commence par le déchiffrage du manuscrit,
puis par l’identification de certaines qualités de la balise céleste, puis le
secret des clés. Je ne pourrai pas déroger à cette requête. ».
Luan, un brin effrayée, se demande si la machine portée en permanence
par le vieil homme n’est pas en train de prendre possession de l’essence de
son esprit, ainsi que Childéric et Luan l’ont subi !
S’il en est ainsi, cette situation bien qu’inconfortable au début, présente
des avantages certains quant à l’efficacité.
Tout vient de se passer en quelques instants, dans l’entrée de la
bibliothèque. Seule Luan a vu et entendu An se métamorphoser.
En entrant à son tour, Childéric remarque sur le visage de sa bien-aimée
les traces roses de cette émotion fugace qui l’a traversée le temps de la
transe d’An.
Les autres scientifiques, encore sous la surprise de la démesure de
l’escalier, pénètrent, recherchant visiblement le dispositif d’ouverture de
l’entrée de la bibliothèque sans se préoccuper de ce qui se passe à
l’intérieur !
An Teh-hai, ayant repris ses esprits, se dirige vers un fourreau de matière
noircie par les ans, contenant sûrement l’ouvrage.
13. 13
Ne laissant pas aux visiteurs le temps de parcourir les lieux, il leur
demande de bien vouloir introduire les chaises, tables et instrument disposés
sur le palier.
Luan, pensive, hoche de la tête positivement en observant fixement le
visage de Childéric, sans le voir.
*
Depuis la dernière visite, elle garde au fond d’elle-même une question
sans réponse.
« Où se trouve le manuscrit visionné lors de sa participation au jeu sur
l’Atlantide ? ».
Elle se souvient très bien des idéogrammes identifiés alors, même si le
livre lui avait été retiré rapidement des mains !
L’ouvrage lui ayant été présenté ici, lors de sa dernière visite en ces
lieux, ne correspondait pas à celui dont elle avait tourné les pages dans le
jeu !
*
Profitant de l’agitation provoquée par le déplacement des meubles et
équipements, elle se glisse dans la zone où elle a vu la dernière fois de ses
yeux ébahis écrit en chinois :
« Littérature pré-sumérienne »
Puis, s’adresse à la machine pour extraire les dernières images du jeu et
de sa dernière visite réelle en ce lieu.
Instantanément, elle les reçoit et revit les derniers instants du
divertissement. Le livre visionné effectivement était différent !
D’autre part, les images de son dernier passage ici montrent qu’An en
entrant dans la pièce, s’était rendu vers le mur opposé à l’accès de l’entrée. Il
avait eu l’air de marmonner en caressant le mur.
Mais pendant ce temps-là, l’esprit de Luan était bien trop occupé par la
recherche de la balise céleste pour imaginer que le vieil homme se moquait
d’elle, lui présentant n’importe quel livre !
D’autres images lui parviennent en accéléré. Elle ne perçoit rien
d’intéressant dans les éléments transmis, à l’exception du fait qu’elle ne voit
plus de zone pré-sumérienne, ici, dans les rayonnages actuels !
14. 14
*
An Teh-hai ne l’apercevant plus, abandonne la zone de travail et se
dirige vers Luan dont il devine la présence dans la partie arrière de la salle.
En le voyant, elle baisse la tête, fulminant intérieurement.
Percevant nettement une colère contenue, il la dévisage attendant que
Luan le regarde en face.
Elle relève la tête, les yeux brillant d’irritation. Elle lui dit en mandarin,
contenant la force de sa voix. ».
« An, pourquoi nous faites-vous perdre notre temps? L’ouvrage que vous
m’avez montré et que vous avez sorti n’est pas celui que nous devrions
étudier !
Pourquoi ce stratagème surprenant ? Me jugez-vous donc si stupide ?
Vous devez savoir qu’à chaque instant, grâce à la machine, je peux
comparer les images du jeu et celles de la réalité que nous vivons !
Je peux donc vous dire avec la plus absolue des certitudes :
le livre que vous avez déposé sur la table n’est… qu’une pâle imitation
de l’ouvrage montré dans le jeu !
Je crois que j’ai compris votre manège ; allez chercher la deuxième clé si
vous ne la portez sur vous, dirigez-vous vers le mur opposé à l’entrée et
faites ce qu’il faut pour que toute la littérature pré-sumérienne soit mise à
notre disposition ! ».
La fureur de Luan au fur et à mesure de son monologue atteint son
paroxysme.
Childéric, ayant vécu ce genre de confrontations avec An, pense que la
situation va se bloquer et le vieillard rompre le dialogue.
*
Il n’est pas question, pour Luan, que le vieil homme fasse des caprices,
aussi donne-t-elle une injonction à Cervoclonis de s’en occuper !
Les ordres donnés à la machine annihilent brutalement toute velléité de
réponse ou de rébellion du vieillard !
Childéric le constate avec surprise, mais il commence à connaître les
effets puissants mais quelquefois aléatoires, de la machine sur le mental des
humains !
15. 15
Pathétique, gardant un brin de sa culture d’origine, An Teh-hai se
courbe, les mains jointes en signe d’assentiment et se dirige vers le fond de
la bibliothèque. A mi-chemin, il se retourne et demande froidement à Luan
en mandarin :
« Merci de demander à ces personnes de sortir quelques instants ! Vous,
Luan Shing Pei, vous pouvez rester. ».
Parmi les scientifiques, seul le traducteur Wun wu Liang a compris
l’objet de la dispute entre Luan et le vieil homme.
*
Au cours de cette péripétie, voyant An partir, John Aliwan avait saisi le
premier livre des mains du vieillard. Il le manipulait, le soupesant pour en
deviner la matière, balayant méticuleusement d’une brosse minuscule les
traces de poussière pouvant cacher quelques empreintes ou incrustations
secondaires.
Il avait déjà sorti ses premiers instruments d’investigation des différents
paquets transportés : loupe, lampe à spectres de couleurs multiples, micro-
pincettes, ainsi qu’un ordinateur de poche de génération un peu dépassée.
Obéissant par délégation au dernier ordre donné par le vieil homme, et
voyant son confrère Aliwan s’activer, le traducteur s’avance dans sa
direction, s’efforçant de lui faire comprendre que cet ouvrage n’est pas
l’objet des analyses.
Au passage, il entraîne ses autres confrères à l’extérieur de la
bibliothèque, en disant en confidence :
« Nous sommes entrés trop tôt. Luan nous refera signe. ».
*
Une fois les scientifiques sortis, Luan décide de suivre les moindres
gestes et attitudes d’An.
La bibliothèque est un immense espace, s’inscrivant a priori dans un
rectangle. En avançant, de multiples recoins, cachés par les étagères
supportant les ouvrages, modifient la forme de ce parallélépipède dans sa
longueur. Avec l’habitude de cette étrange phosphorescence, on aperçoit,
après quelques instants, une voûte située à plusieurs mètres du sol, mais dont
la hauteur des rayonnages cache la géométrie.
16. 16
L’entrée, que l’équipe a franchie puis refranchie, est située dans la
largeur du rectangle.
Les parois, devinées derrière les châssis supportant les livres, sont d’une
matière identique à celle de la caverne principale où se trouve le QG
technique.
An se positionne en face de la cloison située à l’opposé de l’entrée, puis
se déplace recherchant un point de repère.
Il sort alors la deuxième clé, la positionne à un endroit de la paroi,
procédant de la même manière que pour l’entrée de la bibliothèque.
Subjuguée, Luan regarde la matière de la paroi latérale droite s’effacer,
devenir translucide, puis laisser apparaître la fameuse collection de
littérature pré-sumérienne dans la profondeur d’un nouveau renfoncement.
Tout ceci s’est passé en quelques centièmes de seconde devant ses yeux
ébahis.
*
Profitant de la surprise An Teh-hai l’air grave saisit l’occasion :
« Vous avez été nommée par le président comme responsable de ces
recherches.
Le Maître taoïste m’a désigné comme le gardien de ces lieux.
C’est à mon libre arbitre qu’il a confié la divulgation de cet immense
secret.
Comprenez-vous la responsabilité que porte ma misérable personne ?
Vous voulez aller trop vite ! Hier, vous avez donné des ordres à vos
adjoints. Avez-vous vu le résultat ce matin, de l’aménagement de votre QG
technique ?
Pensez-vous que ceux qui ont sacrifié leurs vies voulaient ceci ? ».
Luan regarde, dubitative, la machine sur la tête de son nouveau locataire.
La fonction d’auto-création, était-elle en route ?
Qui contrôlait qui ? Le président suivait-il pas à pas ce qui se passait ?
An Teh-hai, imaginant Luan en pleine écoute, continue son poignant
monologue :
« Croyez-vous que j’allais confier immédiatement à cette équipe, dont je
ne connais ni l’honnêteté ni la morale, le plus vieux manuscrit du monde
sans que je puisse préjuger de leurs compétences, de leur habileté ?
17. 17
Comprenez-le, nous devons établir ensemble, puisque c’est l’ordre du
président, un protocole de travail en toute collaboration, mais à ma manière.
Je veux être sûr de votre équipe, de vous.
Prenons le temps de travailler sereinement ; vous même avez dit que le
temps n’était pas un obstacle !
Sommes-nous d’accord ? ».
Luan, perdue dans ses pensées, acquiesce d’un clignement de cils.
Conforté dans sa conviction, le vieil homme reprend son commentaire :
« Donc, comme j’en avais l’intention, je confie le premier manuscrit sorti
à votre équipe ?
Ce que vous venez de découvrir furtivement sera pour demain si je juge
que nous devons le voir rapidement…
Avez-vous une objection à ce que vous avez vu, disparaisse pour
aujourd’hui au moins ? ».
Il se retourne à nouveau vers la paroi, recherchant l’endroit propice.
Ressortant de la matière du mur, la deuxième clé tombe dans le creux de
sa main.
Se retournant alors, il dit à Luan ses yeux regardant au-delà des épaules
de cette dernière !
« Il ne faudra jamais oublier le côté mystique et sacré de cette quête sur
l’Atlantide ! Ce soir je vous confierai partiellement le secret des clés, bien
que cela me déplaise, car vous, Luan Shing Pei, après notre dernière visite,
me semblez apte et qualifiée à découvrir la suite du secret des clés. ».
*
Luan, abasourdie par les propos du vieillard, vient de comprendre que la
machine n’a apparemment aucune action d’aliénation sur lui. Le module
neuronal doit en être absent !
Elle se dirige vers l’entrée, suivant docilement le vieil homme. D’un
geste et d’un marmonnement, il fait ouvrir de l’intérieur l’étrange dispositif
d’ouverture.
Tout cet échange s’est fait en quelques minutes, mais a apporté à Luan
de nouvelles visions sur la mise en œuvre ou le changement de ses méthodes
de commandement considérées comme un peu rapides, voire brutales !
18. 18
*
Lorsque la porte de la bibliothèque s’ouvre à nouveau, l’équipe, de
l’autre côté de l’ouverture, est en pleine discussion, les yeux tournés vers le
haut de l’escalier.
Le volcanologue est à genoux, sondant le sol de la plateforme où ils se
trouvent.
Par endroits, une sonorité rappelant le creux attire l’oreille de Luan et
intéresse au plus haut point John Dawsinger.
Se relevant en se frottant les genoux, il dit avec emphase, s’adressant à
Luan :
« Dès demain, je souhaiterais étudier ce problème en faisant plusieurs
carottages… pour y insérer des sondes. ».
*
Sortant tout juste de sa confrontation houleuse avec An, elle lui répond
qu’elle souhaite dans un premier temps l’examen de la structure de la
bibliothèque et le test des parois, ceci grâce à des analyses non destructives.
Ayant mis au point ce qui lui est apparu comme une décision un peu
hâtive, elle s’adresse alors à tous, les conviant de nouveau à pénétrer dans le
local.
*
An les accueille à l’entrée et les conduit à la table de travail. Rien
n’apparaît dans son comportement de la discussion un peu rude ayant eu lieu
avec la responsable du site.
En apercevant le même ouvrage sur la table et ses outils épars, John
Aliwan cherche le regard de Wun wu Liang. Ce dernier hausse les épaules
en signe d’incompréhension.
An, s’adressant d’abord avec respect à l’égyptologue, le prie de bien
vouloir continuer ses investigations.
Regardant ensuite le traducteur chinois droit dans les yeux, il lui glisse
sèchement et avec autorité en mandarin.
« Rien ne doit transparaître de ce que vous avez écouté et compris. Vous
êtes à la disposition de vos collègues en cas de besoin : demain tout sera
rentré dans l’ordre ! ».
19. 19
*
Légèrement à l’écart, Luan fait signe au vieillard de venir la rejoindre.
Le vieil homme s’excuse auprès des scientifiques et se rend à ses côtés.
Au fond de lui, il connaît l’objet de la sollicitation de la directrice.
Les sourcils froncés, le regard soupçonneux, elle le dévisage, cherchant
la trace d’une aversion à son encontre. D’une voix contenue mais
respectueuse, connaissant la réponse à l’avance, elle lui demande :
« S’il vous plaît, allons dans la zone des vestiges, je ne les ai pas trouvés.
Pouvez-vous me guider An Teh-hai? ».
Les yeux énigmatiques du vieil homme laissent passer un court instant le
ressentiment qu’il porte envers cette femme. Elle se prend pour un manager
mais, de son temps, elle serait encore confinée à l’administration de tâches
ménagères !
« Cela nécessite l’usage de la deuxième clé, bien sûr ! Je croyais que
nous avions fait un pacte de non agression ! »,
répond-il avec compassion.
*
Rentrant au fond d’elle-même la colère qui la mine, Luan décide alors
d’apporter son aide à l’équipe, donc de ne pas s’occuper de la balise… non
sans penser à une hypothétique revanche.
Demain au lever du soleil, elle aura envoyé son rapport au président ; An
devra être plus conciliant et elle plus calme et réservée.
20. Chapitre 29
Luan, après avoir envoyé le rapport sur cette étrange journée, s’est
endormie très difficilement, songeant à la manière de sortir de l’impasse de
ses mauvaises relations avec An.
Malheureusement, cette nuit, la machine et son extension ne lui
accordent que peu de répit.
Les images, recueillies chaque jour par Cervoclonis au sein des méninges
de Luan sont disséquées et comparées la nuit à d’hypothétiques événements
passés, récents ou anciens, dont le déroulement a eu lieu dans les mêmes
circonstances et aux mêmes endroits.
Cette nuit, des traces infinitésimales trouvées dans le cerveau de Luan
sont confrontées à des ondes identifiées, miraculeusement matérialisées dans
la bibliothèque.
L’adéquation du lieu exact, deviné par le président (l’emplacement du
Taiqing Palace, la caverne contenant la bibliothèque sur le Mont Laoshan, la
vision fugace des étagères pré-sumériennes contenant le manuscrit), et le
choix des personnes (Luan, Childéric), ont conduit à identifier et à révéler
des images, venant tout droit du passé, enchâssées profondément dans leur
cerveau. * (se reporter à la théorie de la profondeur de l’esprit p. 81, 82, 83).
Des consignes, émanant de Cervoclonis, réclament désormais la
décompression des zones subliminales identifiées dans les dédales de
neurones de Luan et Childéric, qui bien malgré lui se trouve également
concerné !
Une kyrielle d’images se disperse dans les synapses de chacun d’eux,
occupant la place de leurs rêves, remplaçant les étranges images
apparaissant auparavant à la limite de leur conscience.
La rencontre subtile vient de se produire, couronnant de succès l’étrange,
permanente, incompréhensible, et mystérieuse analyse de Cervoclonis et de
son extension neuronale !
21. 21
La machine va éclairer désormais Luan et Childéric sur le chemin qu’ils
doivent suivre pour découvrir les secrets présumés de l’Atlantide ; la
première recherche vient d’être validée.
*
Dès l’apparition des images venant de leur subconscient, un rapport
immédiat a été émis par les machines au président, sans en demander
l’autorisation aux entités humaines les supportant.
L’aventure, enfin, peut commencer sur des bases scientifiques saines et
rigoureuses, au moins, c’est ainsi qu’elles apparaissent pour ERT et son
surprenant président !
*
Perturbés par leur activité cérébrale inconsciente, mais débridée, Luan et
Childéric se dressent en même temps sur leur lit respectif.
Leur machines extirpe les images perturbatrices de leur cerveau, les
projetant sur la toile de leur tente, leur expliquant conjointement dans leur
semi-conscience, la concordance des vies qu’ils voient se dérouler, à leurs
vies antérieures.
Sous leurs yeux ébahis, ils voient, simultanément, bien que dormant en
deux endroits distincts, la même scène dans la caverne de la bibliothèque. La
pièce est quasiment vide, deux personnages inconnus, de sexes opposés, les
regards emplis d’angoisse, projettent un ensemble d’images s’incrustant dans
la matière des parois.
Ces dernières sont imprimées, selon une couleur verte, au sein de cette
étrange phosphorescence plutôt bleue, dont personne ne comprend la
provenance.
De temps en temps, en se retournant, le regard des deux personnages
inconnus se porte sur deux autres individus. Ceux-ci s’affairent sur une table
de marbre et rassemblent des feuilles dans un ouvrage ressemblant de
manière flagrante à celui que Luan a vu lors du jeu.
Subjugués, Luan et Childéric se laissent porter par les images dont seule
leur machine est détentrice, désormais !
La première, Luan, réalise soudain que le soleil se lève, réduisant la
qualité des images projetées par leur machine.
22. 22
Reprenant ses esprits, découvrant l’heure tardive, se souvenant avec
panique de son rendez-vous matinal, elle s’habille en toute hâte, et fonce
vers la tour, non sans faire un détour à la cantine pour y prendre un café et
une miche de pain bien chauds.
*
La fraîcheur du matin s’est incrustée dans les habits de chacun. Ils ont
tous franchi l’espace extérieur et sont réunis ici, un peu tremblant dans la
chaleur relative du QG technique, attendant Luan et le vieil homme.
Tous ont été déçus de la précédente journée, à l’exception de John
Dawsinger. Il a passé son temps à sonder les murs.
Certaines zones sont apparues comme creuses, bien que la matière,
frappée centimètre carré par centimètre carré, possède toujours la même
structure extérieure apparente.
Il a parcouru la bibliothèque dans ses moindres encoignures, du sol au
sommet de la voûte, et mesuré les éventuelles radiations émises. Il a jaugé la
température des parois, et gratté sans succès cette matière surprenante.
Il a abouti déjà à plusieurs conclusions, pas particulièrement positives.
Selon les connaissances actuelles de la science, tout est inexplicable !
– La matière ne correspond pas à de la lave d’éruption récente, ni à de la
lave tout court. Si la matière a été chaude, selon l’orientation moléculaire
prise, elle est venue du ciel et non de la terre.
– Une pièce de la taille de la bibliothèque ne peut pas être le fruit d’un
pur hasard : les formes sont trop géométriques et trop symétriques.
– La matière des parois est trop homogène, et n’a reçu aucun travail de
transformation, ni de formage, ni de revêtement !!
– La phosphorescence s’adapte naturellement à la présence humaine.
– Il n’y a aucun début de fissuration !!
De toute sa carrière il n’a rien vu de tel. L’interrogation qui le mine est
celle de sa propre compétence, car comment faut-il procéder pour mettre à
nu de si grands secrets ?
Après analyse approfondie, devant ce mur d’énigmes, il considère que les
vraies questions devant être posées sont celles-ci :
– Quelle est l’utilité de découvrir ces mystères ?
– Quel est l’objectif du président ?
23. 23
Tenant compte de ses conclusions personnelles, les investigations faites
la veille doivent se poursuivre et s’affiner aujourd’hui.
Mais, trop d’inconnues ne subsistent-elles pas ?
*
Le retard de Luan qui se prolonge est étonnant ; celui d’An,
invraisemblable.
Personne ne peut imaginer à quoi elle et Childéric viennent d’assister !
Personne ne peut concevoir que le président en personne, ayant reçu les
rapports des machines et de Luan, s’adresse respectueusement en ce moment
à An, lui adjurant de rétablir des relations cordiales, sinon professionnelles
avec sa directrice !
*
Se précipitant dans la spirale lumineuse de l’escalier, Luan ne s’aperçoit
plus du tout de l’étrange phosphorescence qui l’a frappée précédemment.
Elle ressasse son rêve de la nuit et la projection faite par Cervoclonis.
Loin de ces instants intenses, elle les voit se dérouler dans sa mémoire,
cherchant à les comprendre en dévalant les marches.
A son apparition dans la caverne transformée en QG technique, une
dizaine de paires d’yeux interrogateurs accrochent son regard.
Elle les observe, et prend alors conscience de l’absence d’An.
Le front soucieux à son tour, s’excusant à peine, agacée, elle interroge
James Dawsinger.
« Mais, où est An Teh-hai ? ».
A l’énoncé de cette question, James hoche la tête de gauche à droite,
faisant une moue marquant son ignorance.
Enragée, s’adressant à l’ensemble des scientifiques, elle hausse la voix,
jusque là normale malgré sa fureur contenue.
« Mais enfin… où est passé ce… ».
Bafouillant presque, elle s’arrête, se remémorant les remarques du vieil
homme dans la bibliothèque.
Finalement après quelques instants, s’excusant de cette colère, elle
reprend la situation en sa faveur.
24. 24
« C’est la matinée des retards. Nous ne sommes pas encore rodés. ».
Voyant le reste de la miche de pain reposant dans sa main droite, elle la
montre et esquisse un sourire amusé :
« Je comprends que notre ami An se soit attardé à la cantine… moi-
même… ».
Cette simple remarque et ce léger badinage effacent d’un coup toutes les
tensions et mimiques de reproches présentes sur les visages.
Elle continue, reprenant à son compte la leçon de la veille :
« Finalement, que représentent quelques minutes de retard à l’aune de ce
que nous allons découvrir ! ».
*
A cet instant, l’apparition du vieillard résout l’essentiel, libérant les
pressions encore présentes.
Luan se retourne, sentant sa présence par le changement d’attitude de
l’ensemble des membres.
Cérémonieux, un brin obséquieux, il salut l’assemblée en se courbant et
en joignant les mains, puis négligemment, par un plissement d’yeux, il
commence son entrée en matière.
« La cause de mon retard est une discussion. ».
S’arrêtant l’espace d’une seconde, fixant Luan, il continue :
« … Que je viens de terminer avec le président. ».
Cette phrase prononcée, quasi théâtralement, fait à nouveau remonter la
tension entre An et Luan.
Elle se garde bien de laisser apparaître une quelconque colère. Elle se
doit de rester calme !
La suite de l’aventure est à ce prix.
Son absence de réactions surprend l’assemblée qui s’attend à une
question bien compréhensible sur le sujet de conversation entre le vieillard
et le président.
De son côté, An sait qu’il devra tôt ou tard faire part à la directrice de la
teneur de ses échanges !
25. 25
Quelques instants de lourd silence se passent, puis, Luan fait signe à tous
de se diriger vers la bibliothèque.
En arrivant sur la plateforme jouxtant l’entrée de cette dernière, tous
regardent avec attention le vieil homme réaliser ses gestes de recherche de
positionnement de la clé, puis, observent l’ouverture majestueusement
silencieuse du dispositif de passage.
Alors qu’An se faufile entre les étagères, se dirigeant vers le lieu
d’ouverture des rayonnages pré-sumériens, les spécialistes, guidés par Luan,
s’installent à leurs tables respectives.
Seul John Malicorn, récemment alerté par un message du président, se
doute que l’escapade du vieil homme n’est pas sans rapport avec le
déroulement actuel des événements.
Profitant d’un instant d’inattention de Luan, il se détâche et rattrape
discrètement An.
John observe le vieil homme, accomplissant les mêmes gestes rituels
devant la paroi opposée à la porte d’entrée, tout en songeant à l’appel récent
et personnel du président.
Ce dernier s’était adressé en ultime secours à son directeur scientifique,
craignant que sa future intervention matinale à distance, ne dénoue pas le
conflit Luan, An Teh-hai !
Sa fidélité à son patron a toujours été sans faille. Il sait que le président
ne peut accorder sa confiance à personne d’autre qu’a lui, John Malicorn.
La situation, pour lui en demander la surveillance, doit devenir critique !
Des quelques bribes communiquées par son chef suprême, John a
compris que l’aventure était arrivée à un nœud crucial et en aucun cas des
querelles de personnes ne devaient en empêcher le bon déroulement.
Sa mission, désormais, est d’obtenir par tous les moyens les mêmes
informations que Luan ; pour cela, il sera connecté en permanence sur les
machines d’An, Luan, et Childéric !
Le président, par le biais de la machine de John, surveillera ainsi chaque
minute écoulée dans les dédales de cette aventure !
Soudain, John efface instantanément les pensées occupant son esprit, car
il observe sur sa droite, avec stupeur, l’apparition de nouveaux rayonnages
surgissant du néant !
26. 26
Cette invraisemblable vision provoque de sa part un geste maladroit,
entraînant la chute d’un livre.
An se retourne, l’aperçoit, cherchant désespérément quelqu’un du regard,
laissant un court instant à son visage ridé le soin d’effectuer un rictus
d’impuissance.
« Un de plus… »,
marmonne le vieillard en mandarin, se dirigeant nerveusement vers le
vrai manuscrit, écartant John d’un geste belliqueux.
Alors qu’il bousculait John, le vieillard pensait à sa discussion avec le
président, regrettant en cet instant d’être vivant alors que tous ses amis
étaient enfouis sur le site de la demeure des immortels.
Il assistait, avec pitié, à ce balai d’individus inutiles et pressés autour de
sa personne.
Le pacte était conclu avec le patron, pas avec ses subalternes !
Puisque chacun de ses collaborateurs agissaient comme des enfants, ou
pire, comme des femelles tout juste bonnes à faire des enfants, il ne
délivrerait ses secrets qu’au président !
Mais pourquoi ce dernier avait-il d’aussi pitoyables collaborateurs ?
Cette Luan, quelle idée saugrenue ; une femme impulsive, irraisonnée,
incontrôlable et de plus agressive !
Et ce directeur technique agissant comme le dernier des enfants ! Se
cacher derrière des étagères ! Stupide, ridicule.
An s’est engagé auprès du président à fournir le manuscrit, rien de plus !
Il y a bien sûr la balise et les autres vestiges.
La partie pré-sumérienne ouverte, il lui sera difficile de les cacher.
Ces derniers ne révéleront pas leur mystère avant une semaine… et le
président lui a promis sa présence in situ, sous dix jours.
Cette information lui appartient, du moins le croit-il !
27. Chapitre 30
Cet afflux d’informations, envoyé à la fois par les machines et par sa
directrice, rassure le président sur les hypothèses qu’il a prises, mais il a tout
prévu, sauf le conflit Luan, An Teh-hai !
Peut-être, aurait-il dû donner la direction du site à Childéric ?
Il doit assumer la portée de cette erreur !
Il a pris l’option personnelle de ne pas intervenir sur l’esprit du vieillard
en lui confiant une machine sans extension neuronale, croyant le connaître
suffisamment.
A ses dépens, il s’avère que ce choix n’a pas été réfléchi ; il sera corrigé !
Détestant les erreurs, surtout de son fait, son humeur massacrante est
amplifiée depuis peu par l’observation en direct du comportement délétère
d’An Teh-hai !
L’impuissance du président est réelle et sa colère secoue l’ensemble de
son être ! Il jure, les poings crispés, frappant avec fureur le bois parfait de
son bureau à la taille démesurée.
Ce qu’il voyait s’ajoutait à l’échec de sa visite à Kyoto en août 2 080 sur
le site industriel dont Takamaki Sone était le responsable.
Le président détestait les aléas. Alors qu’il était sur place, la décision
surprenante, inattendue et inopportune d’arrêter les expériences en cours,
avait été prise.
En effet, cette décision était la conséquence de la constatation de
divergences incroyables entre les datations : celles de la paléoanthropologie
officielle, concernant l’apparition de primates bipèdes (il y a dix millions
d’années) et, celles découvertes par le principe de la « datation par analogie
créative », la propre méthode de Takamaki (donnant un résultat proche de
100 millions d’années !).
Un verdict immédiat en découlait ; les vestiges appartenant au site du
Taiqing Palace, transportés une année plus tôt à Kyoto ne seraient pas
datés selon cette méthode !
28. 28
Cette information remettait en cause irrémédiablement le délai de son
projet !
*
Une année auparavant, il avait fait dater ces vestiges par la méthode dite
« de l’usure »* (voir explications p. 81, 82, 83) procédé permettant une
datation à une dizaine d’années près.
Disposant déjà d’une précision jamais atteinte, mais malheureusement
insuffisante pour le projet chimérique qu’il conduisait, il lui fallait une
précision de l’ordre de l’heure, voire de la minute !!
La méthode de « datation par analogie créative » était nouvelle, et, le
premier résultat flagrant du projet de Takamaki Sone.
Ce procédé était complémentaire ou substitutif à la datation par la
méthode « d’usure », car une fois la période déterminée… parmi des
centaines de siècles passés… il suffisait de lancer un processus d’analogie
créative pour retrouver l’année, le mois, puis le jour, puis l’heure, puis la
minute, une technique usant de moyens exorbitants, mais obtenant des
résultats théoriques d’une précision inimaginable en 2 080 !
Le président, ayant appris cette découverte, comptait fermement sur
Takamaki, et avait fait, en conséquence, du projet sur l’Atlantide son fer de
lance.
Il caressait l’espoir, désormais, d’obtenir une réelle issue à son démentiel
pari.
En cas d’échec de ce procédé, sa fortune disparaîtrait, engloutie par son
utopie ; en effet, en l’absence des mesures précises de la « méthode
d’analogie créative », le temps de recherche serait infiniment plus long !
*
La victoire avait toujours été son credo depuis qu’il existait sur cette
terre, mais, depuis ce mois d’août 2 080 à Kyoto, il était devenu tout
simplement un spectateur incrédule et impuissant.
De même en cet instant, quelques semaines après cet épisode d’août
2 080, le président accumulait les déceptions au vu des hologrammes
tridimensionnels, reportant minute par minute, la scène de la bibliothèque.
Quelle stupidité de la part de John ! Laisser tomber un ouvrage, alors que
le deuxième vrai secret de l’aventure se livrait à sa curiosité !
29. 29
On nageait depuis quelques temps en plein cauchemar !
D’autre part, l’attente de cet appel venant de Takamaki l’irritait au plus
haut point ; son importance était cruciale !
Il lui avait demandé quel était le coût pour continuer les travaux engagés
par l’Empire sur le site industriel de Kyoto, de manière à reprendre le projet
à son compte ! Il attendait la réponse à cette question démentielle.
Combien devrait-il investir pour ne pas reculer l’échéance de sa quête sur
l’Atlantide ?
Cette civilisation était la clé de voûte des habitants de la terre, le maillon
manquant à son passé lointain, la source expliquant son inexplicable
solitude et son intelligence clairvoyante !
Bon sang ! Mais que faisait donc ce damné citoyen de l’Empire du
Levant, quatre longues semaines… depuis quatre longues semaines il
attendait une réponse ?
Il n’allait pas s’abaisser à l’appeler tout de même, il était le Président !!
Décidemment, il ne comprendrait jamais cette mentalité asiatique…
*
Ce 14 Septembre 2 080, bougeant nerveusement sans cesse dans son
immense bureau, ajustant cent fois la position de la machine sur son front,
jetant de temps en temps un œil désabusé sur ses écrans de contrôle, le
président ressasse sans fin le scénario des mois à venir, (combien ? 1, 2, 3, 6,
12 mois, plus encore !) dans lequel s’intégrait cette fameuse datation et la
création de quelques… et avec la puissance des neurones de Cervoclonis…
sinon…
Il compte également sur l’équipe et les moyens démesurés envoyés sur le
site du mont Laoshan, la demeure des immortels, et sur un vieillard, la clé de
l’avancement de son projet.
Ce dernier, stupidement, joue en ce moment avec les nerfs de Luan, et
les siens !!!
Pouvait-on, en 2 080, imaginer un tel grain de sable, dans un mécanisme
aussi complexe !!!
*
30. 30
Soudain, alors qu’il regarde avec amertume, un énième coucher de soleil,
présageant d’une ixième nuit d’attente sans sommeil, le système contact
vidéo-psycho-senso-phonique (VPSP) alerte ses neurones surexcités.
Changeant d’image vidéo, il l’aperçoit enfin !
Pendant quelques micro-secondes les deux hommes ont un échange muet
de mimiques, se repositionnant dans leur rôle respectif.
Takamaki, un peu crispé, semble être porteur d’une information lourde à
annoncer.
Le président, le visage figé, se prépare au pire.
Au bout d’un court instant, ne pouvant plus supporter ce silence, il
s’adresse à son interlocuteur sur un ton badin, mais peu assuré :
« N’avez-vous jamais prononcé une valeur d’investissement aussi
élevée… que celle dont vous allez m’aviser ?
Ne vous inquiétez pas, pour moi le pire n’est pas la somme dont le
montant vous effraierait, Mr Takamaki Sone, mais le fait que vos associés
refusent de continuer ces expériences ! »
*
Takamaki n’est ni un homme d’affaire, ni un gestionnaire !
Ce qu’il doit dire dépasse ses capacités techniques ou scientifiques,
d’autant que le message ne concerne, ni le montant de l’investissement, ni
l’arrêt temporaire des expériences… ni la science.
Son information est trop simple, trop insignifiante, pour l’attente du
président.
Néanmoins, il se lance, le visage blême, non sans bredouiller au début :
« Je n’ai pas de réponse sur l’investissement, ni sur la reprise des
expériences à court terme, mais je suis porteur d’une invitation du
gouvernorat local pour vous rendre à Kyoto donner des explications sur
l’urgence et l’utilité de votre projet. Je n’ai pas su porter et faire aboutir
votre demande, j’en suis confus ! ».
L’image, « hologrammée » par Cervoclonis, est toujours aussi
époustouflante de qualité, mais il y a longtemps que le président n’y prête
plus attention !
31. 31
Il ne discerne plus les images, il ne voit que son rêve s’envoler en fumée,
et une étrange impression, méconnue, comme une lassitude, ou de
l’amertume…
Mettrait-on volontairement des obstacles à son hégémonie ?
Aurait-il, finalement, à rendre des comptes à quelqu’un ?
*
Depuis que son « joujou » existait, le président s’était enfermé dans son
propre monde, ayant pris l’habitude de s’appuyer sur les qualités infiniment
grandes de la machine, de contrôler les personnes par son intermédiaire, ou
d’abuser de sa trop grande notoriété ou de son autoritarisme maladif !
Il avait érigé un système dont il imaginait que les rouages étaient sa
possession et le reste du monde son univers.
Grâce à l’incroyable rayonnement et la dimension de la Multi
Continentale ERT, n’était-il pas connu dans les arcanes des Empires
comme… le Président ?
Une situation aussi assise, dans la société néo-individualiste, le portait en
permanence. Tous ses challenges réussis, une certaine habitude, voire une
routine tranquille, s’était établie.
Même ce projet, le plus fou dans lequel il s’était engagé, ne lui posait pas
de problème majeur, jusqu’à l’instant… de cet appel incroyable, où sa
volonté, ses désirs lui paraissaient rejetés comme s’il était une personne
anonyme, négligeable !
Il allait devoir expliquer à des quidams, d’obscurs fonctionnaires d’un
non moins confus Empire du Levant, pour quelles raisons, lui, Aristide
Adhemar Prasigarett, président à vie de la société mondialement connue
ERT, voulait dater des vestiges, à la minute… voire à la seconde !
Décidemment, il restait encore bien trop de structures et de commis
d’Empire incompétents dont le rôle était de surveiller où passait l’argent des
contribuables !
Pourtant, Takamaki, comme eux, était un employé de l’Empire du
Levant, une communauté d’Etats dont la puissance financière, économique,
technologique, scientifique, était de loin la plus énorme de la planète Terre !
32. 32
Son esprit reprenant contact peu à peu avec la réalité de l’appel de
Takamaki, une évidence apparaissait alors au président, comme une
révélation ; un projet, de l’ampleur de celui des processus modélisés de
recréation de la Terre à partir de -3,6 giga années avant J.-C., ne pouvait être
traité par des entreprises, ni des Etats. Seuls les empires pouvaient se le
permettre !
Sa décision de vouloir acquérir la maîtrise d’un tel projet paraissait, à cet
instant, irréaliste, irresponsable, incongrue, voire délirante !
Cette convocation, auprès de ceux qu’il qualifiait de sous-fifres,
représentait pour le président l’abandon de sa toute puissance, la première
retombée vers le commun des mortels…
Pour le président, livrer le secret de son projet sur l’Atlantide, serait
trahir ses ancêtres dont il ressentait chaque jour la puissante présence dans
tout son être !
*
Toutes ces pensées ou émotions défilent l’espace de quelques secondes à
l’intérieur de sa tête et dans les synapses de sa machine.
Takamaki, muet, observe les mimiques se bousculant sur le visage du
président.
Finalement, après plusieurs mouvements sporadiques des mains
accompagnés de tics involontaires de la face, le président prend la décision
d’accepter ce qu’il considère comme une sommation.
Au cours de ces secondes intenses, la machine lui a proposé un scénario
plausible ne mettant pas en cause l’essence de sa quête pour l’Atlantide !
En effet, pourquoi se focaliser sur l’explication de ce projet particulier,
alors que l’activité des jeux, aujourd’hui en sommeil, réclamera toujours une
réalité historique, donc de multiples besoins de datation extrêmement
précise ?
Pourquoi ne pas contourner la vérité, mystifier ?
Seuls le président et quelques machines sans âme possédaient au tréfonds
de leurs neurones, l’expression de la vérité sur le projet actuel !
33. Chapitre 31
Dans la bibliothèque, le véritable manuscrit pré-sumérien a finalement
rejoint la table de travail, étalant devant les yeux ébahis des scientifiques la
richesse préservée de sa reliure brunie.
Le premier, John Aliwan s’approche, tendant précautionneusement les
mains vers la couverture qu’il effleure de la pointe des doigts, enlevant au
passage des bribes de poussière d’un âge plus que respectable !
Feuilletant religieusement les pages jaunies, il dévoile à la vue de ses
collègues le mystère de la multitude de ses surprenants idéogrammes et de la
richesse de ses sobres enluminures.
Luan découvre avec stupeur la similitude de ce livre et des images
visionnées à l’aube, dans sa tente.
La persistance de ces dernières se mélange avec la réalité vécue en ce
lieu, divulguant peu à peu les éléments d’un puzzle, dans lequel le manuscrit
est une partie visible et accessible à l’entendement humain.
Pendant que chacun analyse, qui la structure de la poussière, qui la
nature des plantes ou alchimies ayant aidé à la création des couleurs, qui le
filigrane des feuilles étrangement fines, Luan se glisse vers la zone où elle
pense trouver la balise, impatiente de ressentir à nouveau ces sensations
étranges survenues lors de leurs premiers contacts.
An Teh-hai, tel un cerbère, la suit du regard, devinant où elle va diriger
ses pas.
Lorsqu’elle disparaît de sa vue, en grognant il se déplace vers elle,
laissant l’ouvrage à la convoitise des scientifiques.
Porté par une forte curiosité, il se cache derrière les rayonnages.
John Malicorn fait de même, à l’opposé, hors de leur vue.
Luan, tout à ses pensées, cherche fébrilement « l’objet », soulevant les
colis épars, les repoussant, fulminant intérieurement de ne pas le découvrir
rapidement.
Le dernier carton, présentant toutes les caractéristiques relatives à l’objet
recherché, elle se retourne alors, jetant un œil furtif vers la zone de travail.
34. 34
Ne remarquant rien de suspect, Luan ouvre, tremblante, le colis… dont elle
extirpe avec difficulté une forme ovoïde, brune… la balise.
Accroupie, elle passe délicatement ses paumes de mains, recouvrant en
conque, peu à peu, la surface supérieure.
L’impression ressentie la première fois se reproduit à nouveau, beaucoup
plus fortement, plus intimement, plus ouvertement, sans équivoque…
*
Quelques instants s’écoulent, intenses pour Luan.
Puis, jaillissant de Cervoclonis, des sons étranges et des images se
produisent.
La concordance, à l’exception des bruits, est frappante avec les
événements du matin, sauf que… c’est elle, Luan, qui se trouve fictivement,
du moins c’est ce qu’elle suppose… dans la bibliothèque en compagnie d’un
homme à la taille démesuré, l’un des deux personnages inconnus déjà vu, le
regard empli d’angoisse… s’adressant à elle, dans un langage inconnu.
De temps en temps, en se retournant, ce personnage examine les deux
autres individus s’affairant sur une table de marbre, et assemblant des
feuilles dans un ouvrage.
Un frisson de peur secoue Luan, lorsqu’elle comprend que le deuxième
personnage déjà aperçu… c’est elle…
Elle assimile à présent les paroles d’An Teh-hai. Celles-ci s’épanchent
dans sa tête :
« Mais le mystère de ce lieu ne se dévoilera que si vous êtes… la
personne choisie. ».
« Le président assure que vous saurez le déchiffrez ! ».
« Le président, lui, pense que vous avez un pouvoir, peut-être celui des
clés ! ».
« Devinez-vous l’usage de l’objet ? Je discerne un lien, une osmose. ».
Le mot d’osmose n’est pas trop fort, tenant compte des sensations qu’elle
perçoit en cette seconde ! Mais que faire pour retenir ces images et ces
sons ?
Heureusement, la machine doit enregistrer et réfléchir à sa place !
35. 35
Quelle stupidité de ne pas avoir prévenu le président à ce stade de sa
recherche ! Que de temps perdu !
Que signifient les sons émis par cet immense personnage ? Qui sont ces
deux autres inconnus ?
Quels messages transmettent les deux premiers personnages (dont elle
fait partie), en regardant les deux autres ?
*
De leurs cachette respective, An Teh-hai et John observent l’étrange
comportement de Luan.
Seule la machine de Luan projette les images à son intention, seule Luan
peut entendre les sons, car c’est au tréfonds de son cerveau que Cervoclonis
a identifié la subtile concordance.
C’est dans son subconscient que se déroulent ces échanges !! Elle vit
complètement cette scène à l’intérieur d’elle-même, et son corps, son visage,
parodient ce qu’elle ressent : ses interrogations, ses surprises, son envie de
fuir, son impuissance, ses peurs.
John et An Teh-hai, stupéfaits, sortant de leur cachette, se découvrent
mutuellement, alors qu’ils se précipitent vers Luan qui hurle, le visage tordu
de terreur, puis s’écroule sur le sol.
En la soulevant, John constate la révulsion de ses yeux, et, sous la
directive avisée du président observant la scène en liaison à distance, retire
sèchement Cervoclonis.
An Teh-hai accroupi à ses côtés, écarte vivement John, pratiquant quasi
instantanément un massage énergétique qui la ramène aussitôt dans le
monde des vivants.
D’emblée, elle se frotte la tête et regarde, surprise, ses deux collègues.
Elle est encore perturbée par la transe provoquée par Cervoclonis… ayant du
mal à faire la part des choses.
D’une voie pâteuse, elle s’enquiert de la disparition des personnages
qu’elle a vus, puis, soudain, réalise la situation en constatant le manque de la
machine.
Elle se relève alors, titubant, tentant de remettre en place Cervoclonis,
chassant de la main le bras de John, qui tente de l’empêcher d’accomplir ce
geste.
36. 36
John, toujours sur les ordres du président, retire brutalement la machine
sous le regard irrité de Luan.
« Qui vous a permis… John Malicorn …», bégaie-t’elle, reprenant
totalement ses esprits.
« Le président… », répond-il avec autorité.
« Le président… Quoi… où, il… est là », dit-elle désorientée, en le
cherchant parmi les scientifiques regroupés désormais autour d’elle.
Les voyant, John, leur demande de regagner leur poste, les repoussant
poliment mais fermement, An Teh-hai y compris.
Puis, discrètement, se tournant vers Luan, il fait un signe montrant le
sommet de son crâne.
« Là… le président… est là… », susurre-t-il.
Elle le regarde à nouveau, voyant tout à coup en lui un adversaire, puis
d’une voix rauque empreinte de dépit.
« Vous… vous me surveillez… Il me surveille, il a tout vu… ce que j’ai
vu. ».
*
John réalise alors que l’état de transe subi par Luan venait certainement
de visions engendrées par Cervoclonis !
« Non… il surveille le vieil homme. Vous comprenez mon embarras. »,
dit-il en déformant la vérité ; puis, continuant dans le fil de sa curiosité :
« Heureusement, le président était présent virtuellement, sinon nous
n’aurions pas su quoi faire en vous voyant au sol…
Mais enfin… que s’est-il passé ? Qu’avez-vous vu ? ».
*
Luan comprend, à cet instant, le danger de cette aventure et l’aspect très
personnel engendrés par la subtile concordance.
A la découverte de chacune des nouvelles images, elle devra gérer seule
ses émotions, car se déroulant dans son moi profond et nulle part ailleurs, ni
dans la machine du président, ni dans celle de John, ni…
Il faudra le temps à Cervoclonis de copier les images, d’enregistrer les
sons, pour les transférer et les analyser vers une équipe. Mais qui se chargera
37. 37
de cette tâche, sera-t-elle suffisamment forte, pour résister à une telle
pression?
Connaissant sa dualité personnelle due à son clonage, qui, sinon le
président, pourrait croire cette incroyable occurrence.
*
Luan ignorait que ce matin, à l’apparition des premières images
holographiques, Childéric aussi, faisait, de facto, partie de l’épopée !
Le premier jour elle l’avait conduit dans les entrailles de la terre avec
l’équipe, mais… n’avait pas deviné l’étendue de son rôle à venir.
38. Chapitre 32
Bien plus tard dans la journée, après les incidents provoqués par An Teh-
hai, et la perte de connaissance de Luan, le premier débriefing de l’équipe de
scientifiques a commencé à lever le voile sur les premiers secrets de ce
respectable ouvrage :
– Les idéogrammes, classés sans ordre apparent, représentent,
individuellement, des objets inconnus, des outils, des positions baroques de
personnages ou d’animaux, mais en aucun cas des scènes de vie : batailles,
repas, images religieuses, cérémonies… ou des idées abstraites…
– L’incohérence ou le manque de liaison entre les idéogrammes devrait
contenir, à l’évidence, un code, une énigme, dont la recherche permettrait
sûrement de résoudre une part du mystère abyssal !
– Chacune des feuilles, étrangement, reflète un anachronisme flagrant,
entre les calligraphies, apparemment très anciennes, et le style des
enluminures, beaucoup plus modernes.
– Après analyse plus fine, l’écriture apparaît comme faisant…
moléculairement partie de la matière des feuilles ! Donc pas d’encre, pas de
ratures permettant de déterminer la provenance ou le temps présumé de
réalisation du manuscrit.
– La texture des feuilles présente une homogénéité telle qu’aucune trace
de micro-organismes ni d’humidité, ni de pollution ne paraît en avoir
modifié la structure !!!
Ayant établi ces premières constatations, la conclusion conduit
irrémédiablement au choix de la datation de l’œuvre, ceci permettant
d’établir une première certitude au milieu de tout ce questionnement !
Il faudra donc sortir précautionneusement le manuscrit de la bibliothèque
pour l’analyser selon la méthode de « l’usure », le procédé développé par
Takamaki étant provisoirement inutilisable !
*
39. 39
La synthèse de cette deuxième journée vient juste de finir d’être
commentée par John ; tous, muets, ils observent Luan, recherchant dans son
regard, qui un encouragement, qui la naissance d’une colère bien connue,
voire une approbation sur la conclusion…
Luan participe à la réunion, à peine rétablie de ses émotions intenses,
tremblant encore intérieurement, la machine ayant repris sa place sur le
sommet de son crâne.
Donner son assentiment, une opinion, une directive sur ce qui vient
d’être présenté, est au dessus de ses forces.
Une impression de grand vide, de découragement s’est installée au plus
profond de son esprit… Chaque étape de cette quête du président se fait au
prix d’un effort surhumain ; elle se sent ballottée par des événements dont elle
n’a pas le moindre contrôle.
Le constat de sa solitude face à l’inconnu de sa mission lui glace le
sang…
Qui peut la comprendre, qui peut partager son fardeau ?
*
Le président, dans son poste de contrôle à distance, serre les poings
d’impuissance contenue.
Les obstacles s’élèvent les uns après les autres ; An Teh-hai et sa hargne,
Luan et sa faiblesse, Takamaki et ses expérience retardées voire annulées, le
secret très fermé du manuscrit…
Jamais, jamais dans sa vie, Aristide Prasigarett n’a eu à surmonter de
telles difficultés cumulées !
Pourquoi a-t-il choisi des collaborateurs aussi faibles, versatiles, voire
incompétents ?
Il se doit de reprendre la situation en main ; un atout reste à sa
disposition : Childéric.
Doit-il profiter de l’état de fatigue de Luan pour confier le
commandement de la mission à son responsable des jeux… et lui donner
quelques éléments complémentaires qu’il est le seul à détenir ?
Ces derniers sont fondamentaux, mais n’ont aucune base scientifique,
sauf depuis l’avènement du scanner subliminal et des résultats des premières
expérimentations de Takamaki !
40. 40
Ces éléments sont étayés par des convictions profondes, confortées par
les rapports d’informations transmis récemment par Cervoclonis et son
extension !
Néanmoins, depuis l’accumulation des derniers soucis, les certitudes du
président sont bousculées, et l’amertume imprègne toujours son quotidien.
Il doit remplacer Luan, de cela il est sûr !
Son remplaçant ne peut-être Takamaki, ni John ni aucun des savants ici
présents…
Childéric semble être le seul, à l’aune de ses critères, à avoir le profil
pour continuer ; par contre il devra l’informer de tous les déboires et des
risques encourus.
Mais comment lui expliquer les retards provoqués par Takamaki sans se
ridiculiser ! Comment dire à Childéric qu’il n’a pas jaugé suffisamment les
caractères de l’équipe en place… qu’il n’est pas… sûr de son choix en le
désignant lui… le maître des jeux ?
*
Tenant compte de l’avancement problématique de son projet, après
maintes hésitations, il prend finalement la décision de nommer Childéric, de
lui expliquer l’étendue de son projet, et à ce stade, de l’aider à distance dans
toutes les circonstances.
Ultérieurement, il se rendra sur le site en personne, mais pas avant
d’avoir débloqué la situation du projet de Takamaki Sone !
Plongé dans ses pensées, le président prend soudain conscience, devant
son pupitre de contrôle, qu’une décision concernant la datation du manuscrit
doit être prise à cette fin de réunion là bas, sur le site du Taiqing Palace.
Il s’adresse à John par machine interposée, lui demandant de valider la
conclusion du débriefing ; le manuscrit doit être envoyé pour datation.
De plus il lui demande de convoyer lui-même l’ouvrage lors de son futur
transport et de bien vouloir notifier à Childéric son souhait de le rencontrer
le lendemain.
41. Chapitre 33
Passée la première réaction de dépit, Luan se trouve soulagée de ne plus
avoir temporairement la direction du site ; le président le lui a annoncé à
l’aube, juste avant de désigner son nouveau manager.
Il lui a conseillé paternellement, sans acrimonie, de se rendre dans la
tente d’Ali Khoury, le médecin psychiatre, pour lui soumettre la complexité
de son déséquilibre psychologique.
Dès l’amélioration de sa santé, elle reprendra la suite de l’aventure, il le
lui a certifié.
Le président a besoin d’elle et a ménagé sa susceptibilité naturelle,
n’ayant fait preuve d’aucune agressivité tout au long de ses propos.
Luan connaîtra son remplaçant à la fin de la journée.
*
Ce 15 septembre est placé sous le signe du repos, tenant compte du
quasi-fiasco de la veille sur le mystérieux manuscrit et les soucis de Luan.
Seul James Dawsinger est autorisé à se rendre dans la caverne et/ou la
bibliothèque pour tenter de conforter ses conclusions par des mesures de
résonance dans un volume dénué de tout bruit parasite.
Le président, alerté tout récemment d’un fait nouveau, décide de suivre
avec attention les travaux du volcanologue, ce dernier ne baissant pas les
bras devant les résultats plus que décevants de ses précédentes
investigations.
*
En effet, cette nuit, une rencontre subtile s’est manifestée au sein des
neurones de James Dawsinger… projetant clairement des images montrant
le prolongement naturel dans le vide de l’escalier monumental menant à la
plateforme de la bibliothèque.
42. 42
Son réveil brutal, au cours de son sommeil, l’a rendu muet de
stupéfaction, mais James n’est jamais angoissé ; il a laissé sans peur, ni
panique, ces images surprenantes polluer ses rêves.
Depuis quelques jours, d’étranges intuitions se produisaient en lui. Cette
dernière nuit, il en a compris l’origine : son ahurissante machine.
Nullement impressionné en se rendormant, il l’a flattée amicalement
comme il l’aurait fait à un enfant.
*
Ce matin du 15 septembre, à l’aube, incité par ses songes de la nuit,
James Dawsinger, contre l’avis de Luan, veut absolument débuter des
carottages sur la plateforme d’accès à la bibliothèque.
La veille, secrètement, il a fait transporter une foreuse laser dans la
caverne.
Il est sûr que cet immense palier est artificiel ; dessous, se prolonge… !
Des mesures de résonance ne donneront que des hypothèses ; rien ne
vaut mieux que de voir de ses propres yeux !
*
En se précipitant dans l’escalier en colimaçon de la tour, il se demande si
la livraison de la foreuse a bien été exécutée conformément à ses directives.
Seul un modèle fabriqué à Shanghai peut prétendre traverser cette
matière étrange, dure et dense !
De plus, cet appareil a deux qualités exceptionnelles : la compacité et la
légèreté.
A l’arrivée dans la caverne, son excitation est à son comble.
Des yeux il recherche l’outillage commandé en addition de la foreuse
Laser.
Il s’en empare fébrilement, et, chargé lourdement de l’ensemble, se rend
vers l’escalier monumental.
Rien n’attire son regard sinon le vide et au fond, la plateforme qu’il
devine et, dessous, sûrement le vide encore, et jusqu’où…
Il veut vérifier la réalité de son rêve.
Dessous la plateforme il y a sûrement… une autre plateforme identique.
43. 43
Il ne cherche plus à expliquer pourquoi il y a cette phosphorescence,
pourquoi les murs n’ont pas d’humidité, pourquoi il fait chaud.
Arrivé sur le palier, déposant hâtivement son barda, il met en route la
foreuse, choisi un lieu opposé à la place présumé de la bibliothèque, puis,
fébrilement, applique le rayon laser perpendiculairement au sol.
Plus sûrement qu’un diamant, la chaleur de la foreuse pulvérise la
matière.
Un, deux, vingt, puis cinquante, puis cent centimètres.
Rien ne se produit ; la matière est toujours là, faisant obstacle à la
chaleur démentielle de la torche Laser.
James s’essuie le front, regardant avec une certaine appréhension le haut
de l’escalier. Personne ! Il peut continuer…
Il examine l’ensemble de la plateforme, puis, après quelques minutes de
réflexion intense, il choisit de se déplacer vers le centre de la plateforme,
plantant à nouveau le dard de lumière, vaporisant instantanément une
matière incandescente.
Après une trentaine de centimètres, la foreuse, brusquement, diminue la
puissance de ses rayons. Ceux ci viennent de franchir une dernière strate de
matière, se dispersant vraisemblablement dans un volume moins dense.
Tremblant d’excitation, James se met à genoux espérant comprendre
pour quelle raison la machine a réduit sa puissance, appréhendant la
présence d’une bulle de gaz, d’air, ou d’eau enchâssée dans la matière.
Rien ne lui est délivré de manière flagrante, sinon une odeur âcre venant
du refroidissement progressif des parois du carottage.
Il attend quelques minutes, accroupi, se frottant la tête, impatient
d’introduire la micro-caméra permettant ainsi de visualiser le dessous de la
plateforme.
Si ses expériences ne réussissent pas, il refermera les minuscules trous
réalisés. Personne ne s’en apercevra et sa curiosité sera satisfaite.
Si les tests sont concluants, il prolongera son rêve et celui du président, il
en est sûr !
« Quelle chance cette journée de repos forcé pour les autres membres. »,
se dit-il intérieurement, essuyant machinalement la sueur qui coule sur son
visage !
44. 44
Pris dans le cours de ses pensées, il introduit un thermomètre dans le
micro-forage, en lit la mesure, et décide d’introduire la caméra.
Il ne songe pas à ses genoux brûlants, mais à vérifier son hypothèse.
Quelles images allaient être transmises par la caméra ?
Le jour précédant son songe, il savait déjà qu’en cet endroit le sol avait
une résonance impliquant un vide ou un creux !
Résultat de vingt années de métier !
Il l’avait imaginé et rêvé : un vide identique à celui où il se tenait en cette
instant, une immense caverne verticale s’enfonçant dans le sol et aboutissant
sur une autre plateforme !
Mais comment y parvenir ? Détruire la plateforme sur laquelle il se
trouvait ?
*
James Dawsinger sait que la prochaine nuit lui apportera une nouvelle
subtile concordance, car il a vu de ses yeux le volume du dessous !
Le président en liaison permanente avec le volcanologue, grâce à la
machine, se réjouit enfin de ce qu’il considère comme un premier succès.
45. Chapitre 34
Aristide Adhemar Prasigarett regarde sa montre : Childéric devrait
arriver dans quelques instants.
Quelles informations allait-il lui divulguer ?
Sa dernière rencontre, en ces lieux, avec celui qui devait devenir son
maître des jeux, ne s’était pas passée au mieux.
Il se souvenait de la froideur de son accueil, et de la déception apparue
sur le visage de son interlocuteur.
Devait-il lui confier cette fois, ce qui l’avait lié avec sa mère ? Il avait
aimé Maggy comme un fou, au point qu’il n’avait plus jamais aimé d’amour
depuis.
Devait-il lui donner l’objectif réel du projet ou une vérité proche ?
Devait-il décrire les phases de l’avancement à venir, les raisons de son
attâchement aux expérimentations de Takamaki ?
Il pouvait dans tous les cas donner une partie de la vérité, suffisamment
palpable pour que son maître des jeux soit satisfait.
Par contre, le président ne pouvait plus se permettre de se tromper ; pour
arriver à ses objectifs avec une équipe telle que celle qu’il connaissait, il
devrait créer un ciment pour bâtir une cohésion, une motivation commune.
Tant qu’il devrait rester en retrait, dans l’attente de l’hypothétique reprise
des expérimentations de Takamaki, il lui faudrait une personne de confiance
pour diriger le site, quelqu’un lui ressemblant psychiquement et
physiologiquement… un autre lui-même ; Childéric correspondait à ce
profil, il devait tout simplement mûrir, et lui le président, devenir plus
humain.
*
Les jours écoulés depuis son voyage à Kyoto avaient mis à mal sa
mégalomanie naturelle, son manque de simplicité, et de compréhension.
46. 46
L’amertume qu’il avait ressentie pour la première fois à cette occasion
avait distillé dans son corps et son esprit un élixir fait d’humilité, de
compassion, voire de tendresse.
Mais ne s’agissait-il pas plutôt de l’évolution de sa machine elle-même,
qui, partant de son état natif, avait franchi tout les stades de la maturité et de
l’expérience, arrivant peu à peu à la sagesse et à la diplomatie ?
Aristide Adhemar Prasigarett serait-il la victime de sa propre invention et
de cette incroyable faculté d’auto création ?
Cette étrange question se pose à son entendement, alors que Childéric
frappe et entre dans la pièce sans y avoir été convié.
*
Childéric, en poussant la porte, sait qu’il n’y a pas été invité.
Contrairement à l’état de panique dans lequel il se trouvait précédemment en
ces lieux, il s’arrête au seuil, et observe calmement, lentement le volume. Il
n’accorde pas un seul regard à celui qui l’avait humilié.
Une immense pièce s’ouvre à lui.
La hauteur des plafonds, décorés de copies d’œuvre de la chapelle
Sixtine, dépasse l’entendement… L’ivresse de Noé, le Déluge universel, le
Péché originel, la Création d’Eve, la création d’Adam, la création des Astres
et des Plantes… les Pendentifs de Judith et Holopherne, David et Goliath, la
punition d’Aman, le Serpent de Bronze…
Sur tous les murs de cette pièce rectangulaire, d’immenses tentures,
représentant les phases d’évolutions géologiques de la terre, encadrent, au
centre, un meuble monumental faisant office de bureau, dont la moindre
portion de bois a subi le travail de la gouge, du bédane, ou du simple ciseau
à bois de l’ébéniste.
La vue du président siégeant derrière cet immense écritoire lui rappelle
alors l’objet de sa venue.
Il se souvient des réflexions de ce dernier lors de son séjour à QUFU,
concernant de malheureuses décisions prises en plein jeu, mais plus que
tout… il ne veut pas lui laisser le loisir de l’abaisser, comme il l’a déjà fait.
Il a longuement mûri son attitude ; désormais il est en phase avec sa
machine, avec Luan, ainsi qu’avec les scientifiques ; le président ne peut
l’ignorer. Ce lieu incroyable ne l’impressionne plus !
47. 47
Il n’est plus le fragile ingénieur de ses débuts. L’usage permanent de la
machine l’a fait progresser dans bien des domaines ; la conviction de son
expérience, de sa nouvelle connaissance du monde, et de son utilité dans
ERT !
Ces éléments lui confèrent le droit à une attitude digne, impliquant le
respect lorsqu’il prend la parole, regardant le président droit dans les yeux…
prononçant cette imprévisible question :
« Pourriez-vous éviter de me faire convoquer, par personne interposée ?
».
Ce comportement n’a pas échappé au président. Jubilant au fond de lui-
même, il fait signe amicalement à Childéric de s’installer en face de lui.
Il le considère longuement, sans qu’un cil ni une ride ne bouge, cette
attitude déstabilisant habituellement ses interlocuteurs !
Childéric, le visage hermétique, jauge à son tour le président, ne
manifestant pas la moindre émotion.
Après quelques minutes de silence oppressant, le président décide de
prendre la parole, s’appuyant sur un léger sourire, la tête oscillant lentement
d’avant en arrière, la bouche faisant une moue montrant un certain respect
pour la contenance de son vis-à-vis.
« J’ai des choses à vous dire d’une extrême importance. Sachez que j’ai
aimé votre mère et que vous êtes… notre point commun.
Nous sommes du même sang, et nous portons les mêmes gènes.
Autrement dit, je suis votre géniteur, votre père biologique. Mais ceci n’est
pas tout ; de ce fait, nous avons les mêmes ancêtres.
J’ai retrouvé mon père très récemment, et je me dois de vous reporter
une histoire que nous transmettons de descendant mâle à descendant mâle,
depuis des millions de lustres… ».
*
Après avoir longuement parlé, le visage empreint de solennité, le
président s’arrête, observant les réactions de Childéric.
Ce dernier, muet, le visage ne trahissant aucun trouble apparent, n’est
pas venu pour écouter cette longue litanie sur sa nouvelle famille. Tout
tourne dans sa tête : la découverte de son père biologique, la longue lignée
de sa toute récente origine, son histoire peu banale.
48. 48
Que pouvait-il dire, sinon hocher de la tête, déstabilisé, oubliant tout ce
qu’il voulait dire au président.
*
Le président, profitant de l’effet de surprise, reprend son commentaire
avec une attitude de fierté dans le regard.
« Tout ce qui vous a été dit vous appartient désormais, à vous d’en
assurer la pérennité.
Je ne vous ai pas convoqué pour vous annoncer seulement ceci.
En attendant ma venue sur le site du Taiqing Palace, vous êtes nommé à
la place de Luan Shing Pei, son état de santé nécessitant une cessation
temporaire d’activité. Vous assumerez donc, en mon absence, la totalité de la
direction des opérations. Je veux… j’exige que vous assuriez un management
conduisant à une cohésion du personnel et non à une dissidence ! Je vous en
juge capable.
Je vous recommande particulièrement An Teh-hai, il est encore un
maillon important !
Je ferai une annonce concernant vos nouvelles fonctions à tous les
responsables présents sur le site.
Notez, comme mesure d’encouragement, un événement arrivé quelques
minutes avant notre entretien : James Dawsinger a apporté la première pierre
à notre édifice ; apportez-lui tout votre soutien, il fait désormais partie des…
nôtres. ».
49. Chapitre 35
Ce 15 septembre, couronné par la découverte de James Dawsinger, s’est
passé calmement sur le site, sans John Malicorn, ni Childéric.
Luan s’est rendue de bonne heure dans la tente d’Ali Khoury, doutant
d’y retrouver un peu de sérénité.
Son conflit avec An Teh-hai a sapé la base fragile de sa personnalité.
L’amour qu’elle porte en son cœur pour le maître des jeux, provoque en
elle une mélancolie s’ajoutant à toutes les émotions provoquées par la
machine.
Cervoclonis a utilisé toutes les possibilités de sa fonction d’auto création
et n’assure plus le contrôle de sa double personnalité.
Le président n’a plus confiance en elle ; elle a du mal à l’accepter !
Mais le pire, c’est qu’au fond d’elle même, elle n’imagine pas le
psychiatre dénouant cet invraisemblable trouble
*
L’annonce de la nomination de Childéric s’est propagée instantanément
en fin de journée sur le site.
L’absence de Luan et de Childéric au repas du soir permet à chacun de
faire ses commentaires.
*
16 septembre 2 080. Sortant d’un nuage de brume, la navette transportant
John Malicorn amorce sa lente et silencieuse descente vers le camp du
Taiqing Palace. John observe par le hublot le halo majestueux du soleil
levant.
Des myriades de rayons lumineux s’entrecroisent entre ciel, terre, et mer
percutant la crête d’une vague, déchirant une nuée naissante, frappant un nid
isolé de verdure, rendant flamboyant tout à coup l’ocre des falaises…
50. 50
Des oiseaux de mer, points insignifiants à l’horizon portés par le vent,
virevoltent en ballets incessants, balayant l’espace de leurs ailes
immaculées.
John, bien que soucieux, observe ce fabuleux spectacle.
Il retourne, dans son esprit de scientifique, des pensées qui le troublent
bien plus que ce spectacle inouï dispensé par la nature.
Personne, même pas le président, ne pouvait imaginer les conclusions de
la datation du manuscrit !
John a déjà informé ce dernier de l’inimaginable expertise.
Il songe au rapport incroyable qu’il va lire !
« Après analyse des matières contenues dans ce livre, couverture et texte,
il apparaît nettement deux périodes distinctes.
L’une concernant la couverture et pouvant être datée à -590 avant J.-C.,
présentant des signes de dégradation standard.
L’autre concernant le texte, dont la datation pourrait être de 2 080…
après J.-C., donc contemporain de notre siècle. En effet aucun signe de
vieillissement apparent, autrement dit, d’usure, n’est mesurable.
La conclusion concernant le texte semblait évidente : les feuillets
devraient donc être datés actuels, à l’exception du fait remarquable que la
matière du support et de l’encre n’est pas identifiable dans le répertoire
technique mondial des matériaux simples et composés !
La prestation de datation ne pouvait prendre en compte les matériaux non
répertoriés !!!! »
John retourne sans cesse dans son esprit cette invraisemblable conclusion
alors que l’aéronef finit de se poser sur l’aire d’atterrissage.
Childéric, dont la nuit a été brève, est le premier à l’accueillir.
A peine John a-t-il posé le pied sur le sol que le nouveau directeur de site
le conduit vers la tour sans lui poser de questions.
Quelques mots de Childéric accompagnent leurs pas pressés :
« Luan est en indisponibilité ; je suis le nouveau directeur du site.
Pardonnez notre hâte, tous, nous voulons entendre votre rapport.
Quelqu’un de confiance prend soin du manuscrit et le redescend dans la
bibliothèque. ».
*
51. 51
Toute l’équipe de savants est déjà dans la caverne, lorsque John et
Childéric y entrent. Un calme religieux accueille leur arrivée. La plupart des
regards sont graves, soucieux. An Teh-hai est à l’écart, à genoux, en position
de méditation.
Childéric se glisse discrètement à la place réservée à la direction. John
s’installe à son tour.
Quelques raclements de gorges, quelques bruits de feuilles polluent le
silence.
Le vieillard se lève enfin, mettant un terme à son étrange posture.
John saisit cet intermède pour commencer son incroyable rapport.
Les sourcils levés, le regard grave, il l’égrène, factuel, insipide…
La dernière phrase rebondit, anodine, laissant incrédule l’ensemble de
l’assemblée.
« … à l’exception du fait remarquable que la matière des feuilles n’est
pas identifiable dans le répertoire technique mondial des matériaux simples
et composés.
La prestation de datation ne prend pas en compte les matériaux non
répertoriés ! ».
Devant l’ahurissement des scientifiques, Childéric pose la question lui
paraissant fondamentale.
« Dois-je comprendre : la conclusion ne fera pas avancer notre
recherche ?
Pourriez-vous commenter… John… messieurs, s’il vous plaît ? ».
John parcourt du regard les visages des experts, imaginant visiblement
des idées, des supports.
Personne ne bouge.
An Teh-hai sourit en son for intérieur, ayant toujours considéré l’aspect
mystique de ce lieu et de ces découvertes. Pourquoi rechercher un côté
rationnel à chaque chose ?
Cette nouvelle énigme s’ajoute aux autres !
Pourquoi ne pas tout bêtement l’écouter, lui, An l’Ancien ?
Pourquoi ne pas attendre son bon vouloir ?
Il peut aider à résoudre le mystère de trois clés, selon ses critères.
52. 52
D’autre part, le président vient de nommer Childéric ; cette nomination
n’est pas faite pour lui déplaire !
*
Quelques minutes se passent ; les scientifiques sont toujours en train de
rechercher une explication logique à cet incroyable rapport.
Depuis quelques secondes, James Dawsinger souhaite commenter le
rapport. N’y tenant plus, il se lève et fonce au paperboard.
Il commence à écrire ;
« Désolidarisons la couverture du manuscrit des textes idéographiques.
L’important c’est le texte !
Quel est l’âge du texte :
– L’âge… est-il le fondement de notre recherche ?
– la signification, elle, est beaucoup plus importante. ».
Puis, se retournant vers les experts, il demande leur attention :
« Les mystères… à savoir :
– L’immuabilité du support de l’écriture !
– Les codes cachés ; tout le monde semble partager l’idée que le texte est
codé !
Ces mystères doivent-ils être percés en tant que tels… ou en tant que ce
qu’ils entraînent ?
Exemple :
La datation du support, le papier, est-ce le problème ? La datation ne va
pas nous apporter la traduction !
Le fait que la matière ne soit pas répertoriée, est un point fort et non
négligeable, qui élimine un papier d’origine contemporaine.
Conclusion : le texte et son contenu mérite notre expertise, la datation
elle, est secondaire ! Nous devons découvrir au plus vite les codes et en
déchiffrer les sens cachés. ».
James, cherchant à accrocher le regard de Childéric, s’essuie le front,
puis continue :
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« Mr Reyna, ne croyez-vous pas que la première chose à faire est de
déchiffrer le ou les codes de ce manuscrit, et lorsque le texte aura un
semblant de cohérence, de le confier à notre machine pour décryptage ? ».
Childéric se sent personnellement impliqué par les questions de James.
Bien que le volcanologue paraisse le moins qualifié pour parler
d’idéogrammes ou de codes, les suggestions paraissent bonnes.
En les acceptant implicitement, Childéric en propose l’accord collégial à
l’assemblée.
Un grand nombre de hochements de têtes positifs saluent cette première
décision du nouveau directeur.
Childéric se lève alors, fort de cette prise de position, et demande à
chacun de bien vouloir accompagner An Teh-hai à la bibliothèque.
*
Le vieillard l’observe depuis quelques minutes, étonné de la décision
prise et de la manière dont Childéric a réussi à la faire passer, sans
qu’aucune réticence ne se soit manifestée.
Entendant la dernière partie des propos du directeur, An Teh-hai fait
signe aux scientifiques de l’attendre quelques instants, se dirigeant
résolument vers Childéric.
Arrivé à son niveau, il chuchote à son oreille :
« Pourquoi négligez-vous le secret des clés ? Les codes et les clés sont
liés. Votre approche est trop scientifique ! Ne perdez jamais de vue ceci :
vous allez découvrir le secret du président et peut-être plus.
Ne prenez pas chaque découverte comme un secret à percer
scientifiquement, mais comme un pas en avant accompli, précédant un autre
pas et ainsi de suite…
Je ne vous donnerai que la manière d’utiliser les clés, pas le secret de
leur fabrication… ni le secret des mécanismes d’ouvertures des portes.
Oui, Childéric… vous allez lever le voile sur un mystère dont vous
n’avez pas conscience. N’oubliez pas, néanmoins, à chaque pas, le respect
dû à ceux qui l’ont préservé…
Voulez-vous que nous parlions sereinement de tout ceci ? ».
**
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Childéric en cet instant, vient de comprendre la portée des paroles du
vieillard.
Il vient d’exprimer son désir de collaboration avec Childéric… ici, dans
la caverne, alors que toute l’équipe l’attend pour continuer les travaux à la
bibliothèque.
Le Directeur ne peut en aucun cas laisser passer une telle offre.
*
Childéric accepte la proposition d’An, l’abandonne quelques instants
pour donner à James Dawsinger la direction des travaux sur le manuscrit en
l’absence d’An. Le vieil homme restera avec lui, ce matin.
Revenant sur ses pas, il demande au vieillard de bien vouloir aller ouvrir
la bibliothèque, accompagné de l’équipe de scientifiques, et remonter par la
suite dans la caverne où il l’attendra.
55. Chapitre 36
Le silence règne dans la caverne du QG lorsque An Teh-hai émerge en
provenance de la bibliothèque où il a accompagné l’équipe.
Childéric, seul désormais, s’est installé confortablement.
En le voyant, il se précipite pour l’accueillir avec respect, lui désignant
un siège.
Chacun porte sa machine, tout semble propice, calme, serein, les fronts
sont détendus, aucun signe de crispation n’apparaît sur les visages.
D’un geste de la main, Childéric invite le vieil homme à s’exprimer.
An Teh-hai se racle la gorge, déplie ses mains, la pointe des doigts
tournée vers le ciel et se lance dans un long monologue.
« Immortel… est le mot qui revenait comme un leitmotiv, lors de mes
longues discussions avec le grand maître de la communauté taoïste.
Je ne me souviens plus de quel jour ni de quelle année… mais ce jour fut
important !
Nous étions installés, ici, au sein de ces lieux immuables.
Il m’a regardé et m’a dit : « Je sens venir en moi l’hiver ; le feu ne brûle
plus dans ma vieille carcasse…
Je me dois de partager avec vous un lourd secret. Ils s’appelaient les
immortels, et vivaient en relation permanente avec leur Maître.
D’où venaient-t’ils ? Nul ne le savait.
Plusieurs fois, ils avaient essayé de s’implanter sur la planète Terre.
Cette tentative était la dernière.
La Terre était mature au printemps de son âge, l’astre soleil brûlait le sol,
de longues traînées d’eau modéraient son ardeur, de rares tâches de verdure
recouvraient rocailles et terres rouges.
Venant des nuages du ciel, des orages de pluie, se vaporisaient en
frappant les surfaces brûlantes.
Quelques coulées de laves incandescentes ravinaient les flancs de
volcans juste nés.
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Avant le grand chambardement ils vivaient ici, sous nos pas entre terre et
mer.
Le grand bouleversement les avait confinés en ces lieux, puis leur lien
céleste s’était rompu.
Leur âme et leur corps s’étaient étiolés, comme meurent les fleurs.
Heureusement, ils avaient essaimé en parcourant le monde, s’enracinant
profondément dans la tourbe humaine, apportant à chaque pas de l’humanité
leur bienveillante connaissance.
A chacune des graines germées, ils avaient apporté une parcelle infime et
bienveillante du grand Organisateur, espérant que la source ne serait jamais
rompue. »
Le vieillard s’interrompt, puis, dans un état proche de l’extase, reprend le
monologue à son compte :
« Ce que nous allons découvrir, ce que le président a compris, est très
proche, mais nous ne le voyons pas.
Pour comprendre la suite de cette quête, il faut ouvrir les yeux, ceux de
l’âme, ceux qui ne font pas partie de nos cinq sens physiques…
Il faut les réanimer, les faire revivre, pour comprendre l’inconcevable.
Luan Shing Pei possède cette ouverture de l’esprit, mais, je ne
comprends pas, en contrepartie, pourquoi son corps porte deux personnes.
L’une m’irrite au plus haut point, l’autre résonne en moi comme une
source vive.
Mais Luan nous est indispensable, car elle possède la liaison avec ce que
nous appelons « la balise céleste », et que le grand Maître appelait « céleste
sésame… »
Liu Huaiyuan a déchiffré le manuscrit ; nous devons le faire aussi !
Néanmoins, attendez, oui… oui… un instant, quelques phrases
reviennent dans ma mémoire. Notez-les s’il vous plaît :
« Entre mer et ciel, sous la flèche des cieux, ils refranchiront les étapes.
6 chevaliers de fontaine commune, casqués, munis du céleste sésame,
s’enfonceront sous la voûte ; ils seront accompagnés d’autant de serviteurs.
… Le temps, alors, suspendra son cours ; pour retrouver sa source, il
inversera sa spirale.
Mille jalons évanescents surgiront du passé.