Référé Cour des Comptes sur la prise en charge par l'Etat des majorations de rente
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Le 21/07/2017
Le Premier président
à
Monsieur Bruno Le Maire,
Ministre de l'économie et des finances
Monsieur Gérald Darmanin,
Ministre de l'action et des comptes publics
Réf. : S 2017-2216
Objet : Prise en charge par le budget de l’État (programme 168) des majorations de rentes
En application des dispositions des articles L. 111-2 et L. 111-3 du code des juridictions
financières, la Cour a examiné la gestion du programme budgétaire 168 : « Majoration de
rentes ».
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R. 143-11-4° du même code, d’appeler votre attention sur les observations suivantes :
I. UN DISPOSITIF DE COMPENSATION DE L’INFLATION POUR LES RENTES PRIVEES
MIS EN PLACE AU LENDEMAIN DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Le contrat de rente viagère est une forme particulière de convention de prêt à intérêt
de droit privé dans laquelle le prêteur personne physique - « le crédirentier » - perçoit du
débiteur, société d’assurance, mutuelle ou personne physique - « l’organisme débirentier » -
des versements périodiques d’un montant fixe, convenu à l’avance.
Après la seconde guerre mondiale, en raison de la forte inflation, différentes lois, votées
entre 1948 et 1951, ont mis en place des dispositifs garantissant le pouvoir d’achat des rentes
au moyen de majorations légales dont le coût a été financé sur crédits budgétaires. Ces
majorations, qui s’ajoutent au montant des rentes conventionnellement constituées, sont
remboursées par l’État aux organismes débiteurs.
Les 39 organismes débirentiers bénéficiaires des remboursements financés sur le
programme 168 sont 10 mutuelles et 29 sociétés d’assurance. Quatre de ces sociétés
perçoivent 70 % des crédits du programme 168. Ces organismes sont remboursés avec une
année de décalage de la charge des majorations qu’ils versent aux bénéficiaires des rentes.
Ainsi, les crédits ouverts en 2017 serviront à rembourser les majorations payées en 2016.
Jusqu’à la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, l’ensemble
des crédits nécessaires étaient inscrits sur un chapitre d’intervention du budget des charges
communes. Depuis 2006, ces crédits sont répartis entre deux programmes. Les majorations
considérées comme « de droit commun » sont inscrites au programme 168 de la mission
« Engagements financiers de l’État ».
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Les crédits destinés à rembourser la charge des majorations de rentes mutualistes
servies aux anciens combattants sont inscrits parmi les charges du programme 169
« Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » de la mission « Anciens
combattants, mémoire et liens avec la nation ». Ces derniers ne sont pas concernés par la
présente communication, qui ne porte que sur les majorations de droit commun du programme
168.
Les bénéficiaires des majorations de droit commun étaient 521 146 au 1er
janvier
20171
. Les crédits ouverts au programme 168 s’élèvent à 145 M€ en autorisations
d’engagements et crédits de paiement en loi de finances pour 2017 contre 151 M€ pour 2016.
Par ailleurs, les engagements financiers de l’État au titre de ce dispositif jusqu’à son extinction
étaient évalués à 1 816 M€ au 31 décembre 20162
.
II. UN DISPOSITIF DE PRISE EN CHARGE PAR L’ÉTAT QUI A PERDU TOUTE
JUSTIFICATION
Dans le droit commun des contrats privés, l’État n’intervient que pour fixer les
dispositions d’ordre public auxquelles ne peuvent déroger les parties dans leurs conventions
particulières. L’État n’a, en revanche, pas vocation à intervenir, a posteriori, pour suppléer à
l’imprévoyance des parties notamment au regard d’événements extérieurs, tels qu’une forte
inflation, bouleversant l’équilibre économique des contrats. Seules des circonstances
historiques particulières ont donc amené l’État, après la seconde guerre mondiale, à intervenir
pour apporter un palliatif aux conséquences financières pour les assureurs de l’indexation des
contrats de rentes sur l’inflation.
Compte tenu du caractère exceptionnel de ce dispositif de financement par la
collectivité publique de retraites par capitalisation ressortant du champ du contrat, mais aussi
de son coût, des limitations ont été progressivement apportées au cours des dernières
décennies à l’étendue du dispositif :
- en réduisant la participation de l’État selon la date de souscription du contrat ;
- en subordonnant le droit à majoration à une condition de ressources ;
- en fermant le dispositif pour les contrats souscrits depuis 1987 ;
- en gelant depuis 1995 les taux de revalorisation.
Le dispositif des majorations légales des rentes viagères est donc fermé et appelé à
s'éteindre progressivement (les crédits du programme 168 ont baissé de 18 % au cours des
cinq dernières années). Toutefois, en l’état actuel des prévisions, le dispositif ne sera éteint
pour l’essentiel que d’ici une vingtaine d’années, l’âge moyen des bénéficiaires s’établissant
en 2017 à 77 ans. Une faible partie des bénéficiaires actuels ou encore à venir au titre des
contrats souscrits avant la fermeture du dispositif mais non encore liquidés (3 % soit 15 000
personnes environ) continuerait cependant à percevoir ces majorations de rentes au-delà de
2050.
Sans remettre en cause le niveau des rentes effectivement perçues par les
crédirentiers et composé des rentes elles-mêmes et de leurs majorations, le maintien de leur
remboursement aux organismes crédirentiers par le budget de l’État n’apparaît plus justifié au
vu de plusieurs facteurs :
1
Projet annuel de performance – Mission engagements financiers de l’État – PLF 2017.
2
Compte général de l’État pour 2016 - Provisions pour transferts page 103.
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- la disparition de la forte inflation qui avait justifié la création du dispositif ;
- les lois de majoration des rentes, et la prise en charge de leur coût par l’État,
au travers du remboursement de ces majorations aux assureurs et aux mutuelles,
ont conféré à leur origine un avantage économique décisif au secteur de l’assurance
commerciale ou mutualiste. En sécurisant les produits de l’épargne retraite dite
«supplémentaire», ces dispositions ont permis de continuer à les rendre attractifs
alors que leur érosion par l’inflation en aurait détourné durablement les épargnants.
Aujourd’hui, cette forme d’épargne est le secteur d’activité des entreprises
d’assurance et des mutuelles qui connaît la croissance la plus forte ;
- au regard de la taille des sociétés d’assurance et des mutuelles bénéficiaires des
remboursements et, globalement, de leurs résultats financiers, la charge des
majorations de rentes n’est plus de nature à compromettre leur équilibre
d’exploitation; un désengagement de l’État ne dégraderait donc la santé financière de
ces sociétés qu’à la marge et serait en partie compensé par la réduction de l’impôt
sur les sociétés résultant, notamment la première année, de la charge de
provisionnement des engagements financiers associés au dispositif ;
- le contrôle de la Cour a établi que le décret n° 70-104 du 30 janvier 1970 fixant les
modalités d'application des majorations de rentes viagères comportait certaines
lacunes qui peuvent présenter des risques de paiement indu d’une partie des
remboursements, notamment en ce qui concerne les crédirentiers décédés,
le respect des plafonds de ressources applicables aux majorations de rentes,
l’évaluation du périmètre des crédirentiers éligibles, l’absence de droit d’accès de
l’ordonnateur aux pièces détenues par les organismes débirentiers ou la compétence
de contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ;
- plus fondamentalement, la situation actuelle des finances publiques ne justifie plus
de continuer à accorder à ces entreprises un allègement de charges qu’elles sont en
mesure de supporter sans mettre en péril leur équilibre financier ou les droits des
crédirentiers.
Aussi la Cour recommande aujourd’hui d’aller au-delà des réductions décidées par les
lois de finances pour 1987 et pour 1995, et de supprimer totalement la prise en charge par
l’État de ces majorations légales.
III. UNE SUPPRESSION QUI POURRAIT ETRE MISE EN ŒUVRE DE FAÇON IMMEDIATE
OU PROGRESSIVE
Différentes options sont envisageables : la suppression immédiate, qui permettrait une
économie instantanée, ou une réduction progressive s’étalant, par exemple entre cinq ans et
dix ans.
Comme le montre le tableau ci-dessous, l’économie structurelle serait alors comprise
entre 1 050 M€ et 1 816 M€.
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Impact budgétaire de trois scénarios de suppression des remboursements
par l’État des majorations de rentes
Scénarios Crédits à inscrire au PLF de
l’année n+1
(En M€)
Gain budgétaire total pour la
période restant à couvrir
jusqu’à l’extinction (en M€)
Aucune décision de
suppression
136 0
Suppression immédiate des
remboursements
0 1 816
Suppression en 5 ans 81 1 350
Suppression en 10 ans 108 1 050
Source : Cour des comptes
Dans l’hypothèse d’une réforme adoptée avant la fin de l’année 2017 et entrant en
vigueur en 2018 :
- La suppression immédiate des remboursements permettrait au budget de l’État
d’économiser 1 816 M€ sur les 20 prochaines années.
- La suppression des remboursements de l’État en 5 ans, permettrait 1 350 M€
d’économies sur la période, dont 55 M€ d’économies dès la loi de finances initiale
(LFI) 2019. La dernière année d’inscription de crédits dans la loi de finances serait
2022.
- La suppression des remboursements de l’État en 10 ans permettrait 1 050 M€
d’économies sur la période, dont 28 M€ d’économies dès la LFI 2019. La dernière
année d’inscription de crédits dans la loi de finances serait 2027.
Il est à noter que la suppression de la prise en charge des majorations de rente par
l’État aura un impact sur les recettes d’impôt sur les sociétés (IS). En effet, les résultats des
assurances et mutuelles seront diminués, pour l’exercice d’entrée en vigueur de la réforme,
du provisionnement à due concurrence de la valeur actuarielle du risque transféré, diminuant
ainsi leurs bénéfices et l’impôt sur les sociétés dont ils sont redevables. Sur la base des études
réalisées par la direction générale du trésor et la direction du budget, cet impact fiscal est
estimé par la Cour à 250 M€ et réduirait, quelle que soit la solution retenue, d’autant les
recettes d’IS au début de la période.
Compte tenu de l’ancienneté du sujet et de l’effort important d’économies à réaliser sur
le budget de l’État, la suppression immédiate des remboursements aux organismes
débirentiers payés sur le programme 168, qui exige une disposition en loi de finances, apparaît
comme la solution la plus justifiée.
La Cour formule donc la recommandation suivante :
- Recommandation unique : Supprimer immédiatement la contribution budgétaire de
l’État à la prise en charge des majorations de rentes. À défaut, organiser cette
suppression sur une période n’excédant pas 10 ans.
-=o0o=-
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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à
l’article L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que
vous aurez donnée à la présente communication3
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
- deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions
permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de
votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse
leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-4) ;
- dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son
site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
- l’article L. 143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé,
vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations,
en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit
être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné
convenue entre elle et votre administration.
Signé le Premier président
Didier Migaud
3
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via Correspondance JF
(https://correspondancejf.ccomptes.fr/linshare/) à l’adresse électronique suivante : greffepresidence@ccomptes.fr
(cf. arrêté du 8 septembre 2015 portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).