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Newton PHAM DANG

Un tsunami venu d’Orient
LE PHENOMENE OTAKU
EN FRANCE

2
3
Newton Pham Dang

LE PHENOMENE OTAKU
EN FRANCE
UN TSUNAMI VENU D’ORIENT

4
© 2012, Warehouse Editions
5
Dédicace particulier
à une sociologue en devenir.

Que cet ouvrage te soit profitable
et qu’il te ramène au souvenir de
cet agréable après-midi au cours
duquel nous avons refait le monde.

Je vous souhaite beaucoup de
bonheur, à toi et à ton compagnon.

Newton

6
7
INTRODUCTION
L’Homo sapiens progressait, depuis la
découverte du feu, par la connaissance
empirique. Son monde était celui du réel
tangible, c’était celui de Newton, Copernic
ou Descartes. L’Homo virtuens vit par
procuration, il revendique le droit de rêver
tout éveillé. Cet Homme virtuel ne naîtra pas
dans une éprouvette mais des circuits
intégrés d’un ordinateur multimédia.1

Le phénomène otaku est un fait avéré propre à la civilisation
japonaise. L’otakisme se caractérise par la volonté d’une personne
de s’isoler du reste de la société en se réfugiant dans un monde fait
de divertissements (jeux vidéo, mangas, animes, maquettes,
figurines). Ce phénomène est intimement lié aux bouleversements
que le Japon a connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ce sont ces modifications profondes du pays qui ont rendues
possible l’otakisme aujourd’hui.
Alors qu’on serait tenté de croire que ce phénomène se réduit à
un cas de figure japonais, en France, le terme « otaku » fait depuis
peu partie du langage courant. Avec la vague asiatique qui
submerge l’Europe depuis quelques années déjà, de plus en plus de
jeunes se découvrent une passion pour le monde ludique nippon.

1

BARRAL, E., Otaku : les enfants du virtuel, J’ai lu, Paris, 1999, pp. 21-22.

8
De fait, bon nombre d’entre eux n’hésitent pas à se revendiquer
otaku.
A côté de cela, il existe en France des jeunes qui s’isolent et
s’auto-excluent de la société. Certains d’entre eux passent leurs
journées entières derrière l’écran de leur ordinateur sans
nécessairement s’intéresser au monde du manga ou de l’anime
japonais. Ceux-là ne sont-il finalement pas plus proche des otaku
tels qu’on les entend au Japon ?
Notre étude a une double intention. Dans un premier temps, il
s’agit de démontrer que le terme « otaku » tel qu’on le conçoit en
France ne revêt pas le même sens qu’au Japon. Dans un second
temps, nous allons également nous intéresser plus spécifiquement
aux personnes qui vivent exclusivement derrière leur ordinateur en
cherchant les causes qui justifient cette forme d’autisme technologique.

9
PARTIE I : L’OTAKISME AU JAPON
Etre comme tout le monde est essentiel
pour vivre dans la société japonaise. Même
lorsque le choix de la collectivité ne vous
plaît pas, vous devez vous convaincre du
contraire. Ce sont les gens qui ont cette
faculté qui réussissent le mieux. 2
1- DESCRIPTION DU PHENOMENE OTAKU

1.1.

Etymologie du terme

Utilisé pour la première fois par l’essayiste Nakamori Akio en
1983, le terme japonais « otaku » possède une double signification.
Il peut se traduire par « maison », « demeure » ou encore « chezsoi » désignant ainsi l’habitat, le lieu où l’on vit. Par ailleurs, il s’agit
d’une forme de vouvoiement impersonnel qu’on utilise lorsqu’on
s’adresse à quelqu’un sans pour autant désirer approfondir la
relation. La raison qui a valu à ce terme d’être rapidement adopté
pour qualifier une nouvelle génération de jeunes tient en ce qu’il
réunit à lui seul les deux caractéristiques principales du syndrome :
d’une part le refus catégorique de développer des relations
personnelles

approfondies

et,

d’autre

part,

l’enfermement

impliquant, par là même, le replis sur soi. On ne trouve toutefois
aucun équivalent à ce terme dans la langue française, ce qui
n’empêche pas l’apparition de multiples vulgarisations, souvent
2

MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et protière,
Gémenos, 2001, p. 221.

10
réductrices car ne rendant pas bien compte de la réalité
sociologique du phénomène.3 Aux Etats-Unis, l’otaku est
fréquemment associé au nerd qui partage les mêmes activités
ludiques.4
1.2.

Origine du phénomène

A la fin des années 70 apparaît dans le vocabulaire nippon le
terme de « jeunesse moratoire » (moratorium ningen). Ce qualificatif
sert à désigner les jeunes qui poursuivent indéfiniment leurs études
dans la seule intention de différer leur entrée dans la vie active.
Pour bon nombre d’étudiants universitaires, les années passées à la
faculté s’apparentent en effet à une période idyllique. S’il se trouve
que les examens d’entrée aux universités réputées atteignent
souvent un niveau de difficulté exceptionnel, les années passées à
la faculté n’ont en elles-mêmes rien d’insurmontable pour les
étudiants qui ont la chance d’y être admis.5 Profitant alors, sans
doute pour la première fois, de moments de temps libre et d’une
liberté sans précédent, les étudiants poursuivent leurs études avec
l’assurance quasi-totale de trouver un bon emploi dès leur sortie.
3

Au début des années 90, un mensuel avait ainsi traduit le terme otaku par « les
emmurés », un autre magazine encore par « les embastillés ».
4
Le terme nerd désigne une personne qui manifeste d’importantes difficultés à
sociabiliser et qui se passionne pour des sujets liés au domaine scientifique, aux
mathématiques ou aux techniques. Ce qualificatif est également utilisé pour
désigner les passionnés d’informatique. Mais ce terme ne suffit pas à rendre
compte de l’étendue du phénomène otaku.
5
Ces lieux prestigieux bénéficient d’une telle réputation que les grandes entreprises n’hésitent pas à se rendre sur les campus pour y recruter leurs futurs
membres.

11
La tentation devient alors grande de vouloir prolonger son séjour
dans le cocon universitaire.
Cette jeunesse qui cherche à fuir les responsabilités d’adultes
est caractéristique des sociétés industrielles ayant atteint un haut
niveau de développement. Bien que ces jeunes constituent la
première génération à profiter de la réussite économique de leur
pays, ils sont toutefois moins préparés à affronter l’existence. 6
Faute d’avoir grandi à une période de grande prospérité
économique, ces « enfants gâtés » ne connaissent rien de la
privation et n’ont jamais eu à s’inquiéter pour leur avenir. Le
contraste avec la rude compétition des examens n’en est que plus
saisissant. A travers la lutte effrénée pour l’obtention du diplôme le
plus gratifiant, les jeunes prennent conscience des règles qui
régissent le monde productiviste des adultes. Redoutant plus que
tout le passage à la profession, voie de non-retour qui risque
assurément de leur déplaire, ils préfèrent alors se réfugier dans le
monde de l’éternelle jeunesse afin de conserver la dernière part
d’enfance qui les habite.
Toutefois, pour voir apparaître les premiers otaku, il faut
attendre le début des années 80 avec la portée grandissante des
médias de masse et la consécration de la société de consommation.
A ces deux critères s’ajoute une éducation qui tend à négliger les
6

Les enfants nés à partir de 1965 forment la première génération dont les
parents ne sont pas eux-mêmes hantés par les souvenirs de la guerre.

12
défaites du passé, comme les échecs de la guerre, et qui trouve ses
nouveaux fondements non plus à travers la longue tradition
confucianiste, jusqu’alors ciment de la société japonaise, mais dans
la compétition avec l’Occident et, par là même, l’incitation au
consumérisme.
En l’absence de valeurs profondes qui puissent donner un sens
à son existence, c’est toute une génération qui a grandi sans buts ni
repères véritables. Et parce qu’il n’y avait pas de raison pour
qu’elle soit fière d’elle-même, parce que rien dans la société ne
semblait la rendre indispensable, elle a cherché à combler ce
manque d’idéaux avec le seul univers qui, à ses yeux, parvenait
encore à garder une certaine sincérité : le monde de l’enfance. Or,
en cette période des années 80, le monde de l’enfance est
indissociable de celui des mangas, des jeux vidéo et des héros
télévisés. L’armada technologique dont s’entourent les otaku est
donc perçu par eux non comme de simples machines mais comme
le prolongement direct de l’univers infantile qu’ils se sont
reconstitués et qu’ils tâchent de préserver.
C’est en explorant de fond en comble ce microcosme que les
otaku parviennent à affirmer leur personnalité. En se spécialisant à
outrance dans des domaines aussi variés que le maquettisme, les
figurines rares, les fanzines de BD ou même les childoles, ils

13
espèrent ainsi donner sens à leur existence.

7

Pour nombreux

d’entre eux, la plus belle chose qu’ils puissent espérer de la vie est
la reconnaissance par leurs pairs. Et pour ce faire, il n’est d’autre
moyen que de pousser à l’extrême les connaissances dans un
domaine précis ou de se distinguer par des aptitudes hors du
commun. C’est en procédant de la sorte que certains otaku
parviennent à se hisser parmi les gamers de légende. « Comment
reconnaître un gamer de légende lorsqu’il se présente ? Facile : il
doit être capable de « tirer » seize coups à la seconde, d’appuyer
seize fois avec son pouce sur le bouton de son boîtier de contrôle
pour abattre des ennemis. »8
Bien que le nombre d’otaku ne cesse de croître, le Japon ne
découvre l’existence de cette génération qu’à la fin des années 80
avec la sinistre histoire de Miyazaki Tsutomu. En 1988, ce Japonais
de 27 ans avait enlevé, dépecé et partiellement mangé quatre
petites filles. Ce n’est que deux années après les faits que le
meurtrier est identifié et arrêté. Par l’intermédiaire des médias, le
Japon entier découvre avec stupéfaction la chambre du meurtrier,
une pièce renfermant plus de 600 cassettes vidéo ainsi que des
piles de magazines mangas pornographiques. L’amalgame entre
Miyazaki et toute la génération otaku est inévitable. De génération
7

Le terme childole a été créé par Nakamori Akio, aussi auteur du mot otaku tel
qu’on le conçoit aujourd’hui. Il s’agit d’un néologisme construit avec les mots
child et idoles et qui désigne les idoles encore enfant, c’est-à-dire entre trois et
quinze ans.
8
BARRAL, E., Otaku : les enfants du virtuel, J’ai lu, Paris 1999, p.18

14
perdue, elle devient génération assassine. Finalement, les expertises
psychologiques ont pu rompre le lien entre les actes barbares
commis par Miyazaki et la génération otaku à laquelle il
appartenait.
2- JAPON : L’ENVERS DE L’ESSOR
Les otaku sont indissociables de la société qui les a enfanté. Et
s’il nous faut donner un point de départ à leur histoire,
certainement commence-t-elle à la fin de la Seconde Guerre
mondiale. L’humiliation de l’échec face aux Américains va
engendrer de profondes modifications au sein de la société
japonaise. Intégration de valeurs pacifistes, combat quotidien pour
remettre le pays sur pieds, modernisation à l’occidentale ; là sont
autant d’éléments qui rendront possible, des années plus tard, le
phénomène otaku.
2.1.

De la privation à la surabondance

2.1.1. La phase d’industrialisation
La défaite de 1945, qui marque la victoire des Etats-Unis sur le
Japon, fait l’effet d’un séisme dans la conscience des Japonais.
Après des années de lutte, de privations et de souffrances, le choc
de la défaite n’en est que plus difficile à supporter. Désormais, il

15
devient impératif pour la nation toute entière de réorienter ses
objectifs de base.
Habitués depuis toujours à résister aux forces naturelles qui
s’acharnent contre eux – tremblements de terre, typhons –, les
Japonais unissent leurs efforts et se lancent dans la reconstruction
d’un pays complètement laminé par la guerre. Malgré l’inflation
galopante et les pénuries qui empêchent la stabilité de l’économie
rurale et urbaine, la production japonaise progresse rapidement.
Grâce à d’habiles réformes et à l’ardeur au travail des Japonais, le
pays retrouve petit à petit un équilibre budgétaire, parvenant à
ainsi enrayer la redoutable spirale inflationniste. Au redressement
industriel s’accompagnent la reprise du commerce extérieur et les
circonstances liées au contexte extérieur, toutes en faveur pour
l’archipel : « le déclenchement de la guerre de Corée de 1950
permet au Japon de renforcer son partenariat avec les Etats-Unis
et, cinq années plus tard, la crise de Suez lui donne l’occasion de
développer ses chantiers navals. »9
2.1.2. La réorientation industrielle
Devenu désuet, le matériel d’industrie lourde est alors réutilisé
comme matière première pour l’industrie de transformation
(voitures, appareils électroménagers). Pour la première fois depuis
9

REISCHAUER, E. O., Histoire du Japon et des Japonais de 1945 à 1970,
Editions du Seuil, 1997, p.44.

16
la fin de la guerre, l’expression de « miracle japonais » est utilisée
au début des années 60 lorsque le Japon devient la première
société de consommation d’Asie et Tokyo, avec ses 11 millions
d’habitants, la première ville au monde. « L’apparition de nouveaux
biens matériels symbolise le changement de mode de vie. A la ville,
comme à la campagne, la télévision pénètre dans tous les foyers.
Appareils photographiques, machines à laver, réfrigérateurs
deviennent d’usage courant. »10
En cinquante ans, l’industrie japonaise connaît ainsi une
véritable métamorphose. Après avoir vu se développer les
industries de transformations, ce sont désormais les technologies
de pointes qui font leur apparition. Dans les années 80, les géants
de l’électronique tels que Matsushita ou Sony envahissent le
marché mondial. Le Japon s’est ainsi adapté aux besoins de ses 127
millions d’habitants qui comptent désormais parmi les plus grands
consommateurs au monde. Selon les statistiques de l’Agence
gouvernementale des affaires générales, chaque famille japonaise
possède en moyenne 2,24 postes de télévision, tandis que le taux
d’équipement en bicyclettes n’est que de 1,57 par foyer. 99,2 % des
foyers japonais possèderaient ainsi au moins un poste de
télévision. Pour indicateur de cette évolution, on peut également se

10

REISCHAUER, E. O., Histoire du Japon et des Japonais de 1945 à 1970,
Editions du Seuil, 1997, p.48.

17
baser sur le coefficient de Engel.11 Il nous indique que le taux des
dépenses consacrées à l’alimentation à l’intérieur d’un budget
familial est passé de 60,4 % en 1948 à 22% en 1998.
2.1.3. L’impasse du consumérisme
Les profondes modifications sociétales qui résultent du
redressement économique ne sont pas sans conséquences sur la
jeunesse. Ayant grandi dans un environnement d’abondance, les
jeunes n’ont pas connaissance des mots « privation » ou
« restriction ». Après l’ultime effort de reconstruction du pays, la
course pour doubler le revenu national en dix ans, la lutte effrénée
pour rattraper le retard sur l’Occident, puis la conquête des
marchés extérieurs, il n’est plus de grand projet fédérateur qui
puisse encore inciter le peuple à œuvrer dans un même sens. La
nouvelle génération se retrouve dès lors réduite à faire tourner la
machine sans pouvoir innover à son tour. Aussi, cette logique
consumériste qui a permis au pays de renaître de ses cendres se
retrouve dans une impasse : y a-t-il une vie après la
consommation ? Comme se le demande Jean-Jacques Beineix, « le
phénomène otaku ne représente-t-il pas la réponse d’une jeunesse
issue d’une société sans buts et sans valeurs qui se met à l’abri des
Le coefficient de Engel permet de mesurer le degré d’opulence d’une société
en calculant la part du revenu allouée aux denrées alimentaires, considérées
comme des dépenses vitales. Un faible pourcentage se traduit par une forte
opulence de la société.
11

18
réalités d’un monde devenu trop violent, d’un avenir sans
espoir ? »12
2.2. Un système éducatif en crise
Comme nous l’avons expliqué précédemment, la défaite de
1945 a engendré de profondes modifications au sein de la société
nippone. Le système éducatif n’est pas en reste. Deux ans après la
Seconde Guerre mondiale, sous l’impulsion américaine, l’actuel
système éducatif est mis sur pied. Pourtant au milieu des années
80, les inquiétudes des politiques vont grandissant à propos de ce
système et le Japon se demande comment il va pouvoir conserver
son statut de leader technologique mondial. Pour ce faire, il faut
des hommes nouveaux, des créateurs, et inventeurs. En effet, le
système éducatif japonais, qui met surtout l’accent sur la mémoire
comme on le voit avec les concours d’entrée, ne parvient pas à
former de véritables élites de la création. Une commission de
réforme se penche ainsi sur la question et en déduit qu’il est faut
rapidement repérer les meilleurs élèves et les éduquer à part. « Les
futures élites iraient dans des écoles spéciales, où elles pourraient
épanouir leurs dons. Pour les autres, rien de changé : régime de
concours sur fond de bachotage et de surmenage. »13

BEINIEX, J-J., in Otaku : les enfants du virtuel, J’ai lu, Paris, p. 8.
SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte,
Paris 1988, p. 210.
12
13

19
2.2.1. La mentalité collective
Le phénomène otaku est intimement lié au système éducatif
japonais. Ce sont ses excès qui sont majoritairement responsables
de l’accroissement du nombre des otaku dans les années 80. Et s’il
est vrai que ce processus éducatif a permis l’essor du plus grand
nombre et joué un rôle non négligeable dans la réussite
économique du pays, il est avant tout conçu pour la masse et
n’accorde que peu d’attention à l’individu. C’est cette négation
systématique de l’individu que Miyamoto Massao, ancien haut
fonctionnaire, dénonce dans son ouvrage intitulé Japon, société
camisole de force : « L’éducation japonaise (…) vise à supprimer les
différences, et ce qui importe c’est que tout le monde soit aussi
égal que possible. Réciter ensemble les préceptes de la société,
rester au bureau jusqu’à ce que tout le monde ait fini son travail, ce
sont autant de façons de sacrifier son domaine intellectuel pour
mieux s’intégrer à la collectivité. »14
Aussi, le secret de la réussite tient également, non pas en
l’ingéniosité de quelques-uns, mais en l’exécution machinale de
tous. Une société unifiée, avançant dans une seule et même
direction, constitue aux yeux des Japonais la condition même de
son bon fonctionnement. « Les membres constitutifs du groupe
doivent penser comme un seul homme. Ainsi, la pensée de tous
MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et
protière, Gémenos, 2001, p. 212.
14

20
doit être identique et s’impose comme une pression muette sur
tous les membres du groupe auxquels il est interdit d’avoir une
pensée personnelle. Tout mode de pensée un tant soit peu
individualiste est qualifié de tendance à l’autosatisfaction ou de
caprice égocentrique par l’ensemble des membres du groupe car il
risque de perturber l’ « esprit de corps » partagé par tous les
membres du groupe. »15
A travers ce système qui n’a de considération que pour la
collectivité, l’on peut se rendre compte du dédain qu’éprouvent les
Japonais à l’égard des métiers qui valorisent l’individu au détriment
du groupe. Le système japonais affiche ainsi une claire préférence
pour les métiers de généralistes à ceux de spécialistes, ces derniers
risquant, par les compétences supérieures dans un domaine précis,
de susciter des jalousies. La différence est donc une vraie cause de
souci au Japon et la cacher devient presque un impératif de survie.
Il en va ainsi des enfants qui ont eu l’opportunité d’apprendre
l’anglais à l’étranger. Une fois de retour au Japon, il n’ont d’autre
choix que de dissimuler comme ils le peuvent l’accent qu’ils ont
appris sur place en prononçant l’anglais à la manière japonaise.
C’est la seule manière pour ne pas se faire pointer du doigt par ses
camarades ou, pire encore, par ses professeurs qui sont les
premiers à lui reprocher un trop bon anglais. En 1953, Jean
Stotzel, qui réalisait une étude sur les attitudes de la jeunesse
15

Ibid., p. 151.

21
japonaise d’après-guerre, avait déjà fait le constat de cette mentalité
collective : « L’un des grands traits de personnalité qui ressort le
plus clairement des différentes enquêtes, c’est la grande
dépendance des jeunes Japonais. Ils ont besoin de se reposer sur
les autres, ils ont besoin d’autrui. »16
Selon Etienne Barral, cette prédominance du groupe sur
l’individu trouve ses origines dans un passé lointain. On peut
interpréter cette attitude comme « un vestige de la culture rurale de
ce pays. Le riz, aliment de base des Japonais, est une céréale
capricieuse et douillette qui nécessite des efforts intensifs et
concentrés pour le cultiver sans encombre. Après l’irrigation des
rizières, la phase de replantage des jeunes pousses de riz demande
d’agir avec rapidité afin que la culture soit égale en tout point de la
parcelle. Pour ce repiquage, l’aide de tous les villageois était requise
et chacun à son tour de rôle bénéficiait des bras de son voisin. Il
était impossible à un individu seul de cultiver du riz. (…) Se mettre
à l’écart du village, ou en subir l’ostracisme, revenait alors à signer
sa perte. Encore aujourd’hui, l’expression « être mis au ban du
village » désigne ceux qui ne peuvent s’intégrer à la société. »17

16

STOETZL, J., Jeunesse sans chrysanthème ni sabre, Plon-Unesco, Paris,
1953, p. 222.
17
BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », J’ai lu, Paris 1999,
p. 178.

22
2.2.2 Elitisme et compétition scolaire
Parce que la cohésion d’un groupe d’élèves prime sur
l’individu, il n’existe pas de système de redoublement jusqu’à
l’entrée au lycée. Autrement dit, il est possible pour un mauvais
élève de se retrouver durant toute sa scolarité sur le même banc
que le premier de classe, soit, pour une durée de neuf ans. En
effet, l’éducation obligatoire comprend six années d’écoles
primaires et trois de collège. Tous les Japonais suivent donc
d’année en année les mêmes programmes scolaires jusqu’à l’âge de
quinze ans. La distinction entre les élèves s’opère une fois arrivés
aux concours d’entrée pour le lycée. « Si la presque totalité des
jeunes (94 %) franchit cette étape, certains lycées ne recueillent que
les élèves dont les résultats sont les plus médiocres, alors que
d’autres ont le choix entre les meilleurs éléments de la ville. (...)
Une hiérarchie existe en effet entre les lycées japonais. Tout en
haut de l’échelle se situent les lycées ordinaires (futsu), puis
viennent les lycées techniques (kôgyô), les lycées commerciaux
(shôgyô), et en dernier lieu les lycées agricoles (nôgyo) et ceux
d’enseignement ménager (katei). »18
Selon les résultats obtenus aux examens d’entrée pour le lycée,
le destin de l'élève peut varier du tout au tout. Se voir accepté dans
SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte,
Paris 1988, p. 207.
18

23
un lycée de réputation, c’est s’offrir une meilleure formation au
futur concours d’entrée, autrement plus difficile, d’une université
prestigieuse comme celle de Tôkyô ou de Keio. Et qui parvient à
intégrer une université de renom s’assure l’octroi d’un métier
gratifiant une fois les études terminées. « Une université de
première catégorie enverra ses diplômés dans les plus grandes
entreprises ou dans les ministères les plus importants (Finances,
Commerce extérieur, Affaires étrangères). C’est donc finalement
l’embauche dans les grandes entreprises et les ministères qui
structure toute la pyramide scolaire. »19 En revanche, pour les
élèves qui auront obtenu des résultats plutôt médiocres, seules les
portes des petits lycées peu renommés leur seront ouvertes, ce qui,
à l’issue de leurs études, se traduira par une plus grande difficulté à
accéder aux professions les plus convoitées.
S’il tient à augmenter ses chances de réussir le concours
d’entrée à l’université, l’élève est alors amené à s’interroger sur le
lycée qui lui offrira la meilleure formation. Il existe à cet effet un
classement hiérarchique permettant de comparer les lycées entre
eux et dont la mesure ne repose que sur un seul critère : le nombre
d’étudiants ayant réussi à intégrer un établissement supérieur
renommé.

SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte,
Paris 1988, p. 205.
19

24
Conséquemment, la raison qui pousse les professeurs à
transmettre à leurs élèves des connaissances aiguës n’a que peu de
rapport avec le fait qu’ils soient bons pédagogues. Leur intention
première est de pouvoir se targuer auprès de leurs collègues d’avoir
fait entrer autant d’élèves dans tel ou tel établissement bien coté. Si
la compétition existe bien entre les élèves, elle est tout aussi
présente du côté des professeurs, ce qui se traduira par une
attention toujours portée sur les performances de l’élève plutôt
que sur son épanouissement personnel.
Ce sentiment d’être constamment en compétition accompagne
l’étudiant tout au long de sa scolarité et, de fait, n’encourage
aucunement les relations d’amitié avec ses camarades dont il ne
connaît rien, si ce n’est peut-être le hensachi.20 Aussi n’admettra-t-il
pour seul critère d’évaluation que ce qui est quantifiable. Et que
peut-on mesurer mathématiquement sinon les résultats obtenus
aux contrôles et aux examens. A côté de cela, les qualités humaines
qu’on ne peut faire figurer sur une échelle chiffrée n’auront pas
droit à la considération de l’enfant japonais. L’inquantifiable est
tout simplement inappréciable.

Le hensachi ou « valeur d’inflexion » est un système d’évaluation des résultats
scolaires des collégiens et lycéens à l’échelon national. Il se calcule pour chaque
élève par rapport à la moyenne nationale obtenue à un test standardisé mensuel
qui circule dans toutes les écoles, privées et publiques, avant d’être collecté au
niveau national.
20

25
2.2.3. Les Juku et Yobikô
Afin d’augmenter leur chance de réussir l’examen d’entrée d’un
lycée réputé, de nombreux jeunes se mettent à suivre des cours du
soir privés, parfois dès les primaires. Couramment appelées
« boîtes à concours », ces écoles privées du soir sont de deux
ordres. Il y a celles qui sont prévues pour les écoliers et collégiens
(juku) et celles destinées aux lycéens (yobikô). Les étudiants y
apprendront les techniques pour emmagasiner de grandes
quantités de matière et s’exerceront à d’innombrables simulations
d’examens. Sorte d’enseignement parallèle, ces cours sont
désormais jugés indispensables non seulement pour réussir les
concours d’entrée, mais plus simplement pour suivre le
programme scolaire officiel. Selon les chiffres du Ministère de
l’Education japonais, le pourcentage d’écoliers du primaire
fréquentant régulièrement un juku est passé de 17 % en 1985 à 41
% en 1997 et celui des collégiens de 45 % à 66 % pour les même
années. Il est toutefois reconnu que, dans la plupart des cas, c’est
l’enfant lui-même qui demande à intégrer ce genre d’école, et ce
malgré la charge de travail supplémentaire que cela implique. Sans
doute est-ce le prix à payer s’il veut éviter que les membres de sa
classe ne le qualifient de paresseux, l’une des pires insultes que l’on
puisse adresser à un Japonais.

26
2.2.4. Le phénomène des brimades
A mesure que la compétition scolaire s’accentue, on voit se
développer dans les établissements scolaires le phénomène du jime
que l’on peut traduire littéralement par « phénomène de souffredouleur ». Injures, sévices corporels, mise au ban de la société, le
ijime est essentiellement un moyen pour forcer l’individu à accepter
la logique du groupe. De par sa mentalité collective, la société
japonaise génère ainsi des forces d’autocontrôle du groupe
chargées de mettre au pas les non-conformistes. Qu’il s’agisse du
nouvel arrivant, de l’élève qui obtient les meilleures notes de sa
classe ou encore de celui qui a du mal à se maintenir à niveau, tout
qui se démarque du groupe encourt le risque de devenir la tête de
turc de la classe. « La différence est une tare. (…) Le fait d’être
différent des autres suffisait pour qu’on devienne la cible de toute
une série de petites persécutions, ce qui prouvait bien qu’il existait
une règle tacite selon laquelle il était mal vu de ne pas être comme
tout le monde. » 21
De nombreux enfants, victimes du ijime, se gardent toutefois de
parler à leurs proches des persécutions qu’ils subissent au
quotidien. Cela s’explique par le fait que la meilleure manière
d’affronter les brimades est d’attendre en silence que la tempête
MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et
protière, Gémenos, 2001, p. 171.
21

27
passe, soit, de faire profil bas sans montrer de signes de faiblesses.
Les auteurs de ces persécutions, voyant que la victime de leurs
acharnements reste sans réaction, finissent alors par se lasser et le
processus prend fin de lui-même. « C’est lorsque l’entourage
estime que les souffrances qu’on impose sont devenues « plaisir »
ou « jouissance » pour l’intéressé que les persécutions cessent
instantanément. » 22
Celui qui, par contre, se risque à dénoncer les auteurs des
brimades s’expose non seulement à des persécutions plus fortes
mais, pire encore, à une exclusion définitive du groupe, situation
tout à fait invivable pour un enfant Japonais et qui va d’ailleurs
jusqu’à acculer les élèves les plus fragiles au suicide. « Solitude et
échec sont les deux raisons principales du suicide des jeunes
Japonais. Le rôle du groupe est si important pour l’individu qu’en
être exclu ou bien encore en subir les brimades verbales ou
physiques conduit souvent la victime sur le chemin du suicide. » 23
Plutôt que de réprouver ces pratiques, nombreux sont les
éducateurs qui les tolèrent voyant là un simple rite d’initiation
adolescent. Certains d’entre eux les disent même nécessaires à la
structuration psychique de l’individu. C’est ainsi qu’au milieu des

MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et
protière, Gémenos, 2001, p. 174.
23
SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte,
Paris 1988, p. 212
22

28
années 80, un sombre fait divers défrayait la chronique : « dans une
école primaire, il y avait un garçon sur lequel se concentrait le ijime
de tout son entourage. Un jour les petits camarades du jeune
garçon imaginèrent un jeu nouveau qui consistait à faire comme si
la victime était morte. Toute la classe organisa même un simulacre
de cérémonie funèbre pour le pseudo-défunt, préparant des
banderoles sur lesquelles étaient écrites des paroles d’adieu
destinées au jeune garçon. La raison pour laquelle cet incident fit la
une des journaux est que le garçon persécuté s’est suicidé et que
l’on su que l’instituteur avait accepté de se joindre à cette macabre
mascarade. »24
Ainsi le ijime s’attaque au plus profond de la psychologie de la
victime en lui faisant subir une pression psychologique constante.
Cette

forme

de

persécution

laisse

des

blessures

durables dans l’esprit de la personne qu’elle vise. Plus jeune on
commence à être l’objet de ces brimades, plus profondes seront les
blessures qu’elles laisseront sur le sujet. Seuls les plus résistants
parviennent à développer des défenses immunitaires contre ces
persécutions, ce qui requiert une force intérieure pas donnée à
tous. Raison pour laquelle certains succombent.

24

MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et protière,
Gémenos, 2001, p. 188.

29
L’intérêt tout particulier que nous portons à cette attitude
typiquement japonaise s’explique par le fait que le phénomène du
ijime est intimement lié au phénomène otaku. En effet, bon
nombre d’enfants persécutés finissent par ne plus se rendre à
l’école par crainte d’y subir de nouvelles brimades. On dénombre
ainsi 75.000 élèves refusant officiellement d’aller à l’école, et qui se
procurent une dérogation spéciale les autorisant à rester chez eux.
Parmi ces jeunes, certains se réfugient dans un univers fictif, pas
nécessairement moins violent, mais où là au moins ils tiennent le
bon rôle et peuvent virtuellement se venger des sévices dont ils
ont été victimes. D’autres encore, empreints du sentiment que le
système est incapable de les écouter, décident de fuguer, autre
façon de boycotter l’école. « En 1998, on a dénombré 137 000 cas
de fugues répétées, voire de disparitions pures et simples (20 % de
plus sur un an). » 25

25

Il est à noter que ce problème ne se limite pas au seul univers scolaire.
L’acharnement de tous à l’encontre d’un seul se retrouve également dans
l’environnement professionnel. Dans son ouvrage Japon : Société camisole de
force, Miyamoto Massao dénonce les brimades dont il a été victime lorsqu’il
occupait le poste de vice-directeur de la division Santé mentale. Maîtrisant
parfaitement l’Anglais après avoir étudié onze ans aux Etats-Unis, Miyamoto a
eu l’opportunité assez exceptionnelle d’être recruté en cours de carrière. Faute
d’avoir été propulsé au sommet de la pyramide sans avoir eu à gravir les
échelons, ses collègues se sont ligués contre ce nouvel arrivant, parachuté de
nulle part, le soumettant ainsi à un véritable bizutage institutionnel. Ces actes
sont ainsi fréquents au Japon lorsqu’un individu arrive dans un environnement
nouveau, scolaire comme professionnel.

30
2.3. Dissolution de la cellule familiale
2.3.1. L’absence du père
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la société
nippone a redéfini le rôle de chacun des individus. On a ainsi
progressivement assisté à la disparition du modèle de la famille
souche, issu de la longue tradition confucéenne et qui réunissait
sous le même toit les membres de trois générations, pour voir
apparaître le modèle de la famille mononucléaire. « Lorsque le
Japon, après 1945, a aligné l’essentiel de sa législation sur celle
des vainqueurs, il s’est vu contraint de renoncer au système familial
qui jusque là cimentait l’ensemble de la société. Ce système, fondé
sur le concept du ie (famille souche) avait été la pierre angulaire de
l’idéologie militaro-fasciste : aux yeux des Américains, son
éradication devait conjurer à jamais les risques de récidives.
L’ancien système familial, typique d’une société agraire et
fortement marquée par le confucianisme, se caractérisait par la
préser-vation, à tout prix, de la lignée et celui à qui incombait cette
tâche était le père de famille. »26
Le père, chargé de nourrir le foyer, passe la majeure partie de
sa vie au travail, ce qui l’empêche de s’impliquer dans l’éducation
de son enfant. En effet, les exigences du milieu professionnel sont
SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte,
Paris 1988, p. 67.
26

31
telles que l’homme est souvent contraint d’exécuter des heures
supplémentaires – souvent gratuitement – ou de réaliser des sorties
entre collègues après le travail ou même le week-end.
Pourtant, pas question pour le salaryman de refuser la soirée au
bar ou au karaoké que lui proposent les collègues. D’abord parce
que ce serait la meilleure façon de se voir exclu du groupe. Ensuite
parce que, aux yeux des siens comme des voisins, le fait de rentrer
tôt à la maison ne peut relever que d’un problème survenu au
bureau. Alors, les hypothèses fusent : mauvaise intégration dans
l’entreprise, mésentente avec les collègues, perte de confiance des
supérieurs en son salaryman, etc. Aussi, pour éviter de se mettre les
collègues à dos, de voir son épouse s’inquiéter inutilement ou de
susciter l’interrogation du voisinage, l’homme préfèrera se livrer à
ces activités professionnelles prolongées qui, comme il le sait, font
implicitement partie du contrat de travail. Le père abandonne donc
la tâche pédagogique à la mère, laquelle prendra totalement en
charge l’enfant, allant jusqu’à choisir l’orientation de ses études.
« Au cours d’une enquête de l’Agence municipale de la vie
quotidienne de Tôkyô auprès de collégiens en classe de cinquième,
51 % n’ont jamais l’occasion de converser avec leur père pendant
la semaine (contre 21,8 % avec leur mère) (…) 52,1 % des enfants
avouent ne pas avoir l’occasion matérielle de parler avec leur père

32
et 51,5 % estiment n’avoir rien à lui dire. »27 La répartition des
rôles dans la société japonaise est ainsi en grande partie
responsable de la non-relation entre le père et son enfant.
2.3.2. La relation fusionnelle mère-enfant
Jusqu’à l’âge de cinq ans, l’enfant a droit à toute l’attention de
sa mère. En général, celle-ci abandonne son travail après
l’accouchement pour se consacrer pleinement à l’éducation de son
enfant et lui être entièrement disponible. A cet égard, il est
significatif de constater que, la plupart du temps, l’enfant dort dans
le même lit que ses parents. Ainsi, pendant que l’homme est
occupé à œuvrer au travail, la mère est à l’affût des moindres
besoins de l’enfant, et répond à toutes ses questions afin d’éveiller
son intelligence. De plus, avec la crise de la natalité qui frappe le
Japon depuis les années 60, cela notamment dû au fait qu’éduquer
un enfant coûte toujours plus cher, la mère concentre tout son
amour sur son unique enfant. « Jusqu’à la fin des années cinquante,
les familles de quatre enfants ne sont pas rares. Mais, dès le début
des années soixante, la démographie s’effondre. La famille au sens
large est une notion qui disparaît » 28

BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », Edition J’ai
lu, Paris 1999, p. 173.
28
BIROLLI, Bruno., in « La vague Otaku », Le Nouvel Observateur, Semaine
du 15 juin 2000 -H.S N°41.
27

33
Dès lors, le principal objectif de la mère est d’offrir à son seul
enfant les meilleures chances de réussir. C’est ainsi que, lorsqu’il
sera scolarisé, l’enfant sera suivi de près par sa mère. Et, du
moment où celui-ci travaille bien à l’école, à peu près tous les
caprices lui seront faits. Ce sacrifice sera récompensé par l’enfant
lorsque celui-ci, ayant brillamment réussi dans une grande
université, obtiendra une bonne situation professionnelle qui lui
permettra de prendre en charge ses parents. Pourtant, ce chantage
affectif n’est pas sans conséquence. Car, en retour de cet amour
maternel intense, l’enfant tient à être à la hauteur de ses
espérances. Pire, il paraît presque inconcevable d’aller à l’encontre
de la volonté maternelle, même dans le choix des études.
3- L’IMAGINAIRE : ZONE REFUGE

La perte des valeurs familiales, l’individualisation croissante des
jeunes nippons et leur enfermement dans un monde de fiction
s’est inévitablement reflété dans la culture nippone dans l’immédiat
après-guerre. Le Japon connaît alors un engouement croissant
pour les mangas d’abord, puis un peu plus tard pour les animes. A
la fin des années 70 la demande explose littéralement. Elle ne
connaîtra une diminution que dans les années 90. Il n’empêche, en
1997, le chiffre de la bande dessinée japonaise dépassait 4 milliards
d’euros, soit presque l’équivalent du chiffre de vente des jeux

34
vidéo.29 Nous allons tenter d’apporter un éclaircissement à cet
enthousiasme soudain pour les œuvres de fiction.
3.1.

Entre dure réalité et fiction animée

Au cinéma comme en littérature, de nombreux artistes japonais
ont tenté d’exprimer à travers leurs œuvres le malaise social et
l’aliénation des jeunes Japonais. On trouve un exemple marquant
de cette tendance dans les œuvres de l’auteur Kazuo Ishiguro. Cet
écrivain d’origine japonaise installé en Angleterre et écrivant dans
sa langue d’adoption est l’auteur de nombreux romans qui rendent
compte de ce malaise (notamment The remains of the day adapté au
cinéma en 1994). Mais ce sont surtout dans ses histoires courtes et
nouvelles qu’Ishiguro illustre au mieux la schizophrénie du Japon
tiraillé entre son désir d’expansion économique, technologique et
son ancrage dans les valeurs traditionnelles et familiales.
Dans l’une de ses nouvelles intitulée « un retour difficile »,
Ishiguro décrit une soirée passée par un jeune homme au sein de
sa famille. On y découvre tout le décalage qui sépare la jeunesse
japonaise de leurs aînés : le jeune homme travaille dans une grande
corporation à Kyoto, écoute sans cesse son walkman et n’a que
peu de temps à consacrer à sa famille. D’emblée, une atmosphère
d’incompréhension mutuelle s’installe, exprimée dans un style
Sotinel T., Le destin de l’anime japonais, in Le Monde, lundi 7 août 2006,
p. 16.
29

35
minimaliste qui cultive la litote et les non-dits. A aucun moment
les deux générations ne semblent véritablement capables de
communiquer, enfermées qu’elles sont dans leurs propres préjugés.
Pour les parents, en particulier le père, l’accomplissement
professionnel compte moins que l’épanouissement familial, ce qui
le pousse à ne pas apprécier à sa juste valeur la réussite de son fils.
D’un autre côté, l’ambition strictement égocentrique du jeune
homme lui fait oublier ses racines et l’empêche de comprendre ses
origines. Dans les deux cas, il y a impossibilité à véritablement
s’aimer. Sans qu’il y ait de véritable dispute, une tension palpable
finit par apparaître, aboutissant à une impasse, chacun des deux
partis campant sur ses positions et s’apprêtant après le repas, à
retourner dans son enfermement psychologique et émotionnel.
Le thème de cette nouvelle, que l’on retrouve dans plusieurs
autres œuvres d’Ishiguro, est l’incommunicabilité, l’incapacité à
exprimer des sentiments qui, à force d’être refoulés, ne peuvent
plus être partagés. Même l’amour familial ne semble plus avoir de
raison d’exister dans un pays qui, à l’image du jeune homme, se
condamne à réussir coûte que coûte sans se préoccuper des
conséquences. La détermination de ce jeune est d’autant plus
ironique qu’elle devrait refléter une réussite professionnelle et
sociale respectable. Mais en définitive, le prix à payer pour vivre
cette réussite au quotidien est celui de l’isolement individuel.

36
Cette illustration du malaise familial et social japonais n’est du
reste pas la seule. On peut également songer au chef d’œuvre de
Yasujiro Ozu, Tokyo story. Ce film réalisé dans l’immédiat aprèsguerre illustre la corrosion et l’effacement progressif des valeurs
traditionnelles au Japon à travers la rencontre entre un couple de
sexagénaires et leurs enfants dans la capitale nippone. Là encore, le
constat exprimé par les images plutôt que par les mots reste le
même : de génération en génération, les Japonais ne semblent plus
parvenir à communiquer, à se comprendre ni même à s’aimer. Plus
récemment, Takeshi Kitano, immense star télévisuelle au pays du
soleil levant a exprimé dans son film Kids return le déboussolement
ressenti par les jeunes Japonais au sein d’une société où les
sentiments comptent moins que la réussite.
Pour autant, il convient de souligner que les plus grands succès
cinématographiques de ces dernières années sont les œuvres qui
expriment une fascination pour les traditions ancestrales du Japon.
Ce phénomène est particulièrement flagrant à travers l’énorme
succès remporté par tous les dessins animés japonais produits et
réalisés par le studio Ghibli. « Le créateur de ce studio (Hayao
Miyazaki) entend sensibiliser le public à l’importance de rester en
accord avec la nature, faisant appel à ses souvenirs pour évoquer la
campagne japonaise des années cinquante. »30 Il reviendra d’ailleurs
sur ces thèmes dans ses films suivants, notamment le célèbre
30

Extrait tiré du magazine « Première », Paris, août 2006 N°354

37
Princesse Mononoké (1997) et ses divinités sylvestres baignant dans
un monde mythologique.
La sortie récente et simultanée en DVD de Mon voisin Totoro et
de Pompoko n’est pas dépourvue de cohérence, bien que les deux
films d’animations aient été réalisés à six ans d’intervalles. Outre
les liens évidents qui unissent ces deux dessins animés, l’un et
l’autre traitent de l’importance de rester en phase avec la nature et
les traditions. Le premier, d’une façon totalement apaisée (aucun
méchant dans Mon voisin Totoro), le second de manière beaucoup
plus réaliste. En effet, l’histoire de Pompoko est celle de Tanukis,
sorte de ratons laveurs qui résistent à l’implantation d’une ville
nouvelle, ce qui donne lieu à de multiples conflits. Entre humains
et animaux d’abord, les premiers étant considérés comme des
envahisseurs qui menacent l’équilibre de la forêt ; entre les Tanukis
ensuite, qui sont répartis en deux camps : d’une part, les partisans
d’un compromis inévitable avec les humains et, d’autre part, les
résistants irréductibles. A travers cette rivalité, on voit illustrée la
dispute qui a secoué la vie japonaise pendant vingt ans après la
Seconde Guerre mondiale. D’un côté les progressistes qui pensent
que la seule façon de sortir de la débâcle est de composer avec une
culture radicalement nouvelle, celle de l’ennemi américain, et plus
généralement de s’ouvrir au mode de vie occidental. De l’autre
côté, les conservateurs nationalistes partisans d’une résistance
culturelle et traditionnelle pour sauvegarder l’identité nippone.

38
Mais le dessin animé le plus pertinent, tant au Japon qu’en
Occident, est certainement

Le Voyage de Chihiro. A travers le

parcours initiatique et l’apprentissage picaresque d’une petite
Japonaise, Miyazaki parvient au cœur de ses thématiques : dans un
monde urbain, technologique et déshumanisé, il est nécessaire de
rester en contact avec les traditions, la nature et les sentiments. Au
début du dessin animé, Chihiro, une jeune écolière lasse d’une vie
qu’elle n’a pas encore vécue, n’écoute que très distraitement ses
deux parents. Mais quand le sort condamne ces derniers à être
transformés en cochons, la petite fille va être forcée de devenir
mature et responsable. Comme toujours chez Miyazaki, cette
évolution a un cadre authentiquement japonais qui fait référence à
la mythologie et aux histoires ancestrales du Japon. Symbole de ce
littéral retour aux sources, la maison des bains, somptueux
bâtiment architectural, dans lequel l’héroïne va réapprendre à vivre
au contact de personnages tels que sorcières, elfes ou autres
créatures des bois.
A travers ce lien entre réalité et fiction, l’on peut ainsi voir
comment des œuvres en apparence purement fictives parviennent
à rendre compte d’un malaise sociétal profond.

39
3.3.

Le Comiket : refuge des otaku

Créé par un petit groupe de fans en 1975, le Comiket a
aujourd’hui acquis ses lettres de noblesse au sein de la
communauté otaku. Alors qu’à ses débuts, ce rassemblement
bisannuel réunissait 32 cercles (clubs de dessinateurs amateurs) et
700 participants, aujourd’hui le Comiket regroupe plus de 34.000
cercles et 500.000 jeunes. L’événement est de telle ampleur qu’il
occupe tout le Parc des expositions d’Ariake, un complexe de la
taille du Parc des expositions de la porte de Versailles à Paris. En
trois jours, pas moins de 5 millions de fanzines sont vendues,
générant un chiffre d’affaires de 22,5 millions d’euros. Le guide du
visiteur contient à lui seul plus de 700 pages, consacrant à chacun
des exposants une vignette large 4 centimètres.31
La grande force du « Comic Market » tient en sa volonté de
dépasser les mangas commerciaux destinés à la masse. L’originalité
de sa démarche consiste à ne s’intéresser qu’aux fanzines, à
entendre par là les mangas dessinés par des amateurs et qui ne
s’adressant qu’à un cercle restreint de lecteurs avec lesquels les
dessinateurs lient une relation quasi-personnelle. La grande
particularité de cet événement tient donc en son aspect non
commercial. En effet, même si, au cours de ces trois jours, il s’y
produit de nombreuses transactions, l’argent circule uniquement
BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », J’ai lu, Paris 1999,
p. 150.
31

40
entre amateurs de mangas, les stands commerciaux étant bannis de
ces lieux.
En réaction à ce boycott radical des commerces, les médias ont
pris le parti de bouder la manifestation. Malgré son ampleur
considérable, le Comiket ne bénéficie pratiquement pas de
couverture médiatique. Alors que les manifestations sponsorisées,
même les plus petites, ont droit à leur heure de gloire sur les
chaînes nippones, le Comiket constitue pour les médias un nonévénement. Quel intérêt à médiatiser un événement où industriels
et commerciaux n’y trouvent pas leur compte ? C’est en déjouant
les lois du consumérisme que le Comiket se révèle être la plus
otakiste de toutes les manifestations. Car l’argent qui y circule ne
parvient pas à atterrir dans la poche des commerciaux.
Il n’empêche, depuis 1998, le Comiket a été contraint d’ouvrir
ses portes à quelques stands commerciaux. Etant donné qu’un
grand nombre de fanzines échangés à la manifestation constituent
des parodies de séries commerciales vendues sans que le
dessinateur ne possède de droits sur la série, les structures
commerciales se sont montrées intransigeantes en matière de
copyright. Soumis à une forte pression des commerciaux, le
Comiket a fini par accepter la présence de quelques stands, une
façon de calmer les ardeurs.

41
Dans le

fouillis dessiné

du

Comiket, l’on distingue

principalement deux genres dominants : les fanzines érotiques
pour les garçons et les yaoi pour les filles. Peu connus des
occidentaux, les yaoi mangas racontent les aventures de garçons
homosexuels. Ils sont principalement l’œuvre de jeunes femmes
dessinatrices cherchant à dépasser les romans à l’eau de rose. Selon
Etienne Barral, le genre yaoi serait une réaction à l’opposition
sexuelles des hommes, une forme de révolte contre l’image
stéréotypée de la femme dans les médias. « (Le phénomène) des
yaoi manga est révélateur du profond malaise qui sous-tend la
sexualité et les relations sociales entre hommes-femmes chez les
jeunes Japonaises (…). Le choix de décrire des relations
homosexuelles n’est pas innocent. Il tient au refus des jeunes filles
se lier le sentiment amoureux qu’elles idéalisent aux contraintes
sociales et psychologiques qu’engendre dans le réel une relation
« banale » entre un homme et une femme. »

32

Hormis le succès que remportent les fanzines, une autre
spécificité contribue à faire du Comiket le lieu de rassemblement
des foules : les activités cosplay.33 Par la pratique du cosplay, il s’agit
tant de revendiquer ses préférences en matière de personnages
manga que d’attirer le regard du public. Ils sont ainsi des milliers à
BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », J’ai lu, Paris 1999,
p. 162.
33
Le mot cosplay est né de la contraction de l’anglais costume et playing (ou
player). Le principe consiste à jouer le rôle d’un personnage, notamment de
mangas, à l’aide de déguisement et maquillage.
32

42
se promener en héros animés et à s’exposer aux flashes crépitants
des appareils photos.
Ainsi, le Comiket constitue le lieu de pèlerinage des otaku, leur
« Q.G. » pour reprendre l’expression de certains analystes. Il existe
toutefois en France un événement fort semblable : la Japan Expo.
Le rapprochement entre ces deux festivals sera l’objet de notre
second chapitre.

43
PARTIE II : L’OTAKISME EN FRANCE
je passe mon tps devant le pc / je suis
fille unique / j'ai tjr été entourée de gdes
personnes, ss autres enfants, dc peu de
contacts vers l'extérieur / on me donnait tt
qd j'étais petite dc égoïste aujourd'hui /
maintenant, je suis sauvage, associable,
agoraphobe, et toute la panoplie de la super
no life otaku / je voudrais m'améliorer 34
1- LA VAGUE ASIATIQUE
Depuis quelques années, la culture japonaise s’est mise à
déferler en vagues sur l’Occident. En France, ce sont d’abord les
animations qui conquièrent toute une génération d’enfants.
Quelques années plus tard, les consoles de jeux envahissent le
marché ludique. Et aujourd’hui, les mangas permettent aux
maisons d’éditions françaises de tenir bon sur le marché du livre.
Plus récemment encore, cette vague asiatique, surtout japonaise,
nous livre de nouvelles recettes. De nombreux jeunes Français se
mettent alors à pratiquer des activités cosplay, non seulement
occasionnellement mais parfois même dans leur vie quotidienne.
Et si certains préfèrent s’entraîner à longueur de journées à des MGames (jeux musicaux), d’autres choisissent encore de se rendre
aux événements du J-Rock (rock japonais) pour voir les stars
japonaises faire leurs premiers pas en France.
34

Entretien avec « Mitsubachi » via MSN Messenger.

44
Au sein de cette communauté de passionnés pour la
japanimation, nombreux sont ceux qui se prétendent otaku.
Comment interpréter cette revendication ? Faut-il y voir un simple
engouement pour la culture japonaise ou, au-delà des propos, le
signe d’un mal-être profond ? Parmi ces jeunes, le plus souvent
passionnés de jeux vidéos, ne trouve-t-on pas des joueurs
compulsifs qui, à l’instar des otaku japonais, se réfugient dans leur
bulle virtuelle ?
Récemment, en consultant des forums de discussions
« réservés aux otaku », nous avons remarqué qu’un événement
national imminent occupait tous les esprits. Les otaku français ne
semblaient plus vivre que pour une chose : la Japan Expo, le plus
grand festival européen des loisirs asiatiques.
1.1.

Le festival Japan Expo

C’est au Parc des expositions de Paris-Nord-Villepinte que se
tient durant trois jours la septième édition de la Japan Expo.
S’étendant sur 47.000 mètres carrés, ce festival du divertissement
asiatique qui comptait 2.400 personnes en 1999, devrait en
rassembler plus de 55.000 cette année.35 Et si un journal comme
Le Monde semble encore s’étonner de l’ampleur de cet événement,
pour bon nombre de fans, ce succès est depuis longtemps une
35

Entretien avec Pierre-Yves Devroute.

45
évidence. Sur un forum de discussion Internet consacré à la Japan
Expo, on peut lire ce commentaire laissé par un internaute : « Un
peu d'humour venant du monde [le journal] du 6 juin "Japan
Expo, qui ouvre à Paris le vendredi 7 juillet, attend 60 000
visiteurs. La culture populaire nipponne suscite un engouement
croissant, surtout chez les jeunes. Pour les spécialistes, le
phénomène n'est pas passager". Ils sont mignons avec leur
phénomène passager, ça fait 10 ans que je l'entends, il était grand
temps qu'ils se rendent compte que c'est loin de l'être.... »36
En vouant un véritable culte au manga et à l’anime, en débattant
de pratiques telles que le scantrading ou le fansubbing à la lisière de la
légalité ou en accueillant les fanzines, ces bandes dessinées
réalisées par des amateurs, le festival Japan Expo représente aux
yeux des fans, un Eldorado de trois jours. Trois jours durant
lesquels ils pourront s’affronter entre experts de Mario Kart Twin,
se procurer « Weather Report », le dernier single de Hitomitoi,
célèbre chanteuse de J-Pop (pop japonaise) ou tout simplement se
pavaner en tenue cosplay.
1.1.1. L’art du cosplay
Les défilés cosplay constituent l’une des principales attractions
du festival. Le principe consiste à reproduire et à porter un
Commentaire laissé par « Gexian » sur un forum d’Animeland.com intitulé
« Japan Expo ».
36

46
costume, le plus souvent fait à la main, issu d’une œuvre de fiction
(manga, série ou film d’animation). Apparu en France au sein des
salons à tendance japanime, le cosplay est souvent inspiré des mangas
ou dessins animés japonais, mais depuis peu, s’ouvre également
aux bandes dessinées françaises et étrangères ainsi qu’aux jeux
vidéo.
Depuis 2003, TV Aichi, grande chaîne japonaise, organise le
World Cosplay Summit, la plus grande compétition internationale de
cosplay. Pour la première fois, l’étape française du concours se
déroule à la Japan Expo où deux cosplayers seront sélectionnés
pour participer à la finale au Japon, à Nagoya. Le thème est libre à
condition de rester dans la tradition du cosplay, c’est-à-dire de
réaliser son propre costume inspiré d’un personnage tiré d’une
œuvre précise. Le règlement spécifie toutefois : « le crossplay
(inversion des sexes) et les costumes "humanisés" sont autorisés,
tous comme les robots et les mascottes. Par contre, évitez les
cosplay aux costumes banals sans aucune réalisation technique, les
customisations à outrance de costumes obscurs et les costumes
originaux, vous pourriez être éconduits pour l'inscription aux
concours car le nombre de places est très limité. » 37
En effet, la capacité maximale autorisée est de 80 places pour
les participations en individuels et un maximum de 40 groupes est
37

Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, Evénement Cosplay, p. 19.
(v. site web de la Cosplay Factory : http://www.cosplayfactory.org)

47
autorisé à défiler. Ils sont toutefois des centaines à avoir revêtu la
tenue d’un héros animé, souvent sans l’intention de concourir.
C’est le cas de nombreux exposants ou de créateurs de fanzines,
ces derniers portant parfois la même tenue que le héros qu’ils ont
accouché sur papier.
Cécile Pera, grande adepte de cosplay et de jeux musicaux, ne
tient pas à participer au concours de cosplay. Elle a juste voulu se
déguiser en Iroha, l’héroïne du jeu Beatmania IDDX, un M-Game
populaire. Nous lui demandons des détails sur la fabrication de son
costume pour pouvoir en estimer le prix.
« Les petits signes sur les manches, je les ai brodés à la main, …euh…
pour les écouteurs, j’ai utilisé des boules de polystyrène, le vinyle je l’ai
trouvé en brocante. Le plus pénible, c’était sans doute la perruque parce
qu’on ne la trouve pas en France et que je ne pouvais pas la faire moimême. Donc j’ai du la faire importer de Chine. Elle m’a coûté …euh…
j’ai payé 14 euros, donc 18 avec les frais de port. Au final, ça revient pas
si cher. Bon, c’est vrai que ça m’a pris du temps pour le faire [le
costume], bien plus que pour un Japonais expérimenté. »
- Parce que tu as mis combien de temps ?
« Non, je suis désolée, je ne peux pas le dire, c’est la honte …mais c’est
aussi mon premier costume. »
- Un Japonais expérimenté, il met environ combien de
temps ?
« A peu près 10 heures … … Moi j’ai mis …euh…entre 300 et 400
heures. »38
Autre différence avec le cas japonais, Cécile Pera conservera
son costume une fois le festival terminé. Au Japon, faute de place,
38

Entretien avec Cécile Pera.

48
les cosplayeurs sont souvent forcés de se défaire de leurs créations
parfois pour une bouchée de pain. Difficile cependant d’évaluer le
coût d’un costume, le caractère unique de chacun d’eux ainsi que
les matériaux spécifiques utilisés pour les constituer risquant de
rendre toute estimation erronée. En revanche, il semble que le
temps

nécessaire

à

leur

fabrication

est

considérable,

disproportionné même au regard du temps d’emploi.
La confirmation de cette idée nous vient d’un cosplayer adulte
qui, au beau milieu d’une foule de jeunes, s’en distingue
complètement : habillé de façon tout à fait ordinaire, il porte au
sommet du crâne une sorte de visière avec trois lentilles vertes en
guise d’yeux. Nous le questionnons au sujet de cet objet
interpellant.
« Ça ? (C’est) le casque de Splinter Cell. »
- Pourquoi ne portez-vous pas toute la tenue ?
« Je l’ai déjà portée les deux jours. En général, une tenue, on ne la porte
qu’une fois. »
- Cela revient cher pour toute la combinaison ?
« Ça coûte rien, c’est fait maison. C’est juste que ça m’a pris 400 heures
pour faire tout le déguisement. Mais, bon …si vous tenez vraiment à le
voir, allez sur le Net ... j’ai été pris au moins 200 fois en photo depuis
que je suis ici. »39
Ces centaines de photos d’un seul et même cosplayer constituent
sans doute pour lui la compensation des centaines d’heures de

39

Interview de Thierry Poncelet.

49
travail investies dans la confection de son costume. Il lui est en
effet presque impossible de marcher dans une allée sans se faire
interpeller par des fans qui, parce qu’ils viennent de reconnaître en
lui le héros d’une série qu’ils affectionnent, souhaitent conserver
un souvenir de son passage-éclair. L’on voit ainsi fréquemment des
groupes de six ou sept cosplayeurs marcher côte à côte et prendre la
pose lorsque se présente devant eux une armada de photographes
amateurs.
Il est plus rare qu’un cosplayer circule seul. Les solitaires le sont
généralement par nécessité, lorsqu’ils sont en quête de bandes
dessinées mangas ou autres objets de la japanimation. C’est le cas
de ce jeune garçon aux yeux et cheveux bleus clairs dont l’anneau à
la lèvre inférieure est relié au piercing de son oreille par une
chaînette argentée. Ses vêtements lacérés donnent l’impression
qu’il sort à l’instant d’un violent affrontement. Même plongé dans
les bacs de mangas du stand Kurokawa à la recherche d’un épisode
de Full Metal Alchemist, le combattant charismatique n’a pas
échappé à la gent féminine. En l’espace de deux minutes, pas
moins de trois jeunes filles ont demandé à le prendre en photo. Au
cours de la conversation que nous tenons avec lui, nous discutons
des critères permettant de déterminer la valeur d’un costume :
« Pour moi, ce qui fait la valeur d’un costume, c’est pas son prix mais
l’originalité. Il faut que ça soit quelque chose de personnel. Ça doit pas
nécessairement coûter cher. Regarde les filles là-bas (il montre un
50
groupe de sept filles Japonaises, toutes affublées de la même
tenue de collégienne). Un ensemble comme ça, t’achètes ça tout fait.
Et c’est pas donné, ça va facilement chercher dans les 200 euros. Mon
déguisement, c’est quoi … des vêtements que j’ai découpé moi-même, une
double coloration et des lentilles bleues, rien d’autre. Mais c’est de moi. »
- Donc, tu estimes qu’il ne devrait y avoir que des
costumes originaux …
« Non, non, pas du tout …euh… tout le monde n’a pas la patience ni
l’envie de créer son propre costume. Je dis juste que …euh… que
l’originalité, c’est un bon critère pour juger un costume. Maintenant, libre
à lui celui qui l’achète tout fait. De toute façon l’objectif n’est pas là.
L’objectif du déguisement c’est de pouvoir s’exprimer à sa façon. C’est
l’occasion pour des filles qui … qui ne sont pas spécialement jolies de se
mettre en valeur sans avoir peur d’être jugées sur leur physique. C’est ça, le
but. La Japan Expo, ça sert de défouloir. »40
La discussion semble déboucher sur quelque chose de très
significatif : la nécessité pour des jeunes de se travestir en
personnages fictifs afin d’échapper à ce qu’ils sont au quotidien.
C’est déjà ce qu’Etienne Barral pointait du doigt en se rendant au
Comiket : « Ce désir de changer de peau est une constante dans la
galaxie otaku. Comme si en se déguisant en personnages de dessins
animés les jeunes parvenaient en fait à retrouver leur vraie
personnalité. Comme si leur morne habit de tous les jours était en
fait le vrai déguisement, celui qui les représente sous un jour qui ne
leur correspond pas. »41

40

Entretien avec « Bluestone ».
BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », J’ai lu, Paris 1999,
p. 161.
41

51
1.1.2. Les jeux musicaux
Parmi les nombreux stands, celui des M-Games (jeux
musicaux) est de loin l’un des plus populaires. Bien que les MGames se déclinent sous de multiples formes, le principe reste le
même pour tous : suivre un rythme ou une mélodie en utilisant un
accessoire particulier (tapis de danse, micro, castagnettes). Le player
aura donc pour mission de reproduire un enchaînement de riffs à
la batterie ou à la guitare, de répéter des rythmes aux tambours ou
encore de réaliser une succession de scratches aux platines.
L’une des innovations de cette année tient en la présence de
bornes d’arcade sur le stand de jeux musicaux. Les visiteurs
peuvent désormais s’essayer aux bornes traditionnelles (Singstar,
Donkey Konga) mais également aux dernières importations
japonaises pas encore disponibles en France (Beatmania IIDX 11,
Taiko No Tatsujin, Pop'n Music 12, Guitar Freaks V)

42.

Pour les

débutants, des séances d’initiation aux jeux musicaux sont
possibles. Les plus expérimentés peuvent quant à eux participer à
de mini-tournois avec lots à la clé. De toutes les déclinaisons MGames, l’attraction sans conteste la plus populaire est le tapis de
danse. Il en existe de tous types : cela va du simple tapis mou à 20
euros au tapis de luxe à 300 euros (comme le EDG de cobalt Flax)
en passant par le tapis métallique à 150 euros (tels les TX1000 et
42

Guide du visiteur de Japan Expo 7 ème impact, Pop Culture : M-Games et le
Bemani, p. 30.

52
TX2000), le plus célèbre étant le Dance Dance Revolution (DDR)
dont la nouvelle borne DDR Supernova est très attendue par la
communauté des joueurs français.
Cécile Pera s’est découverte une passion pour les jeux
musicaux lors de la Japan Expo de 2003. Après avoir assisté à des
démonstrations de danse avec son compagnon, tous deux se sont
procurés un tapis afin de s’exercer à domicile. A force
d’entraînements journaliers (3 à 4 heures par jour), ils ont
aujourd’hui atteint un niveau plus que respectable dans la
communauté des joueurs. Lorsque nous lui demandons le genre de
performance qu’elle est capable de réaliser, Cécile Pera nous donne
deux références Internet où l’on peut visionner en ligne des démos
de danse.43 Sur l’une des vidéos, on peut voir un jeune garçon
dansant, dans un état quasi-épileptique, sur deux bornes de jeu à la
fois, bondissant instantanément de l’une à l’autre.
A un niveau plus modéré, on trouve au festival de nombreux
visiteurs venus expérimenter les bornes de jeux par simple
curiosité. Cela peut expliquer l’attroupement autour du Dancing
Stage Supernova, une borne de jeu au concept plutôt aguicheur. Le
principe constitue à reproduire au mieux la chorégraphie virtuelle
d’une danseuse japonaise en tenue moulante qui se remue au son
43

Les adresses des deux sites web :
http://www.youtube.com/watch?v=TChVcm8fLcc&search=iidx%20LISU
http://www.youtube.com/watch?v=E-TFd3eN70o&search=DDR%20yasu

53

et
d’une musique J-Pop (pop japonaise). Autour de l’apprentidanseur, cinq capteurs en forme de fleur rose posés au sol évaluent
ses mouvements de danse. La chorégraphie terminée, le joueur
voit apparaître son score à l’écran. Nous interrogeons un danseur
qui vient d’enchaîner coup sur coup deux chorégraphies.
- Après ça, tu penses t’être amélioré en danse ?
« (Essoufflé) En fait, ça t’apprend pas vraiment à danser … c’est plus
un sport. Et puis, ça t’initie aux chansons japonaises. »44
Cette dernière phrase nous semble tout particulièrement
porteuse de sens. Nous constatons en effet qu’à travers les
multiples

activités

que

propose

le

festival,

nombreuses

sont celles qui permettent aux néophytes français de se familiariser
avec la culture japonaise. Cécile Pera, l’adepte des M-Games,
reconnaîtra que depuis qu’elle s’est mise à pratiquer les jeux
musicaux, elle écoute bien plus d’Eurobeat (musique dance
japonaise). De nombreux karaokés permettent aux fans de chanter
les génériques de leurs séries préférées en VF mais aussi en VO.
Des associations (comme GKJdR) proposent au visiteur d’incarner
le héros manga ou d’animation de son choix à travers des jeux de
rôles. Et toutes sortes de quiz sont là pour inciter les badauds à
réviser leurs connaissances en matière de jeux vidéo japonais ou de
japanimation.

44

Interview de Julie Fraiquin.

54
A côté de cela, on remarque que la plupart des stands
proposent des séances d’initiation aux spécificités nippones :
initiation à la calligraphie, à l’origami (art du pliage de papier), au OGestu Ryu (forme de danse de combat) ou même au puroresu (catch
japonais). Les stands de modélisme, en plus d’offrir des stages
d’initiation, vous propose de réaliser vos propres maquettes de
papier à domicile en téléchargeant des modèles pliables. L’on
pourra ainsi voir à côté d’un gigantesque vaisseau spatial en papier
un petit écriteau précisant que « le fichier du Gun Dam Hazel est
disponible sur www.tamasoft.co.jp/pepakura_en ». Certains concours
offrent de redessiner les héros manga façon estampes (comme le
concours Okami-Capcom) ou de recréer un manga à partir de la
première et dernière case d’une planche tirée d’un manga existant.
Des associations proposent même aux intéressés des stages
payants pour expérimenter l’activité de mangaka (dessinateur de
manga) à travers l’apprentissage du trait, l’écriture de scénario, la
création

de

d’infographie.

story-board

ou

tout

simplement

le

travail

45

Si, a priori, les activités du festival semblent exclusivement
résulter de l’importation pure et simple de différents pans de la
culture nippone, en y regardant plus près, on remarque des
affinités entre culture française et japonaise, lesquelles donnent
45

Une association comme Yutaka propose ainsi 70 heures de cours (24 heures
de cours de japonais et 46 heures de cours de manga) pour la somme de 476
euros.

55
quelquefois lieu à un vrai métissage culturel. Ainsi, le jeu du Suchi
Quiz reprend le principe de l’ancienne émission télévisée d’Alain
Chabat, le Burger Quiz. Un autre divertissement intitulé « Qui veut
devenir un champion de Tsubasa ? » n’est autre que la version anime de
« Qui veut gagner des millions ? ».
Autrement plus significatif, le large emplacement consacré à
Espace Japon, un espace culturel franco-japonais (et dont
l’établissement prestigieux est situé à environ trois cent mètres de
la tour Eiffel). A ce stand, on trouve un étalage réservé au journal
OVNI,

un

bimensuel

franco-japonais

parisien

distribué

gratuitement en France et au Japon. 46 Il peut sembler surprenant
de constater comment les langues française et japonaise, pourtant
si différentes l’une de l’autre, parviennent non seulement à
cohabiter au sein d’un journal mais, mieux encore, à se compléter.
L’on voit ainsi apparaître dans des articles rédigés en langue
japonaise des mots français intraduisibles en japonais (comme
« pruneau », « crème anglaise », « eau de vie », ou « contrat
première

embauche »).

A

chaque

parution,

la

section

« dico » permet aux lecteurs japonais l’apprentissage d’un mot
français. Le nom des rubriques (actualités, annonces, cinéma) est
par contre toujours écrit en français.

Il est à noter qu’Etienne Barral, l’auteur de « Otaku : les enfants du virtuel »
est membre de la rédaction de ce journal.
46

56
Autre signe de ces affinités franco-japonaises, la collaboration
de Japan Expo et de la NHK, première chaîne de télévision
nippone, pour l’enregistrement d’une émission spéciale de 90
minutes. Intitulé Cool Japan, ce talk-show japonais connaît déjà un
franc succès en son pays. « Le concept de l'émission Cool Japan
est plutôt simple : réunir sur un plateau huit personnes nonjaponaises mais vivant au Japon afin de leur demander ce qu'elles y
trouvent de « cool ». (…) La NHK a décidé de reprendre le même
concept, mais au lieu de demander aux visiteurs ce qu'ils pensent
du Japon, les présentateurs de cette célèbre émission leur
demanderont ce qui est « cool » à Japan Expo. ( …) La présence
de la première chaîne japonaise sur notre événement est pour nous
[les organisateurs] une preuve que celui-ci est désormais connu et
reconnu bien au-delà de nos frontières. »47
1.1.3. Mangas, animes et jeux d’arcade
A côté des deux attractions populaires que sont le cosplay et les
M-Games, d’autres encore ont une propension à rassembler les
foules. Les secteurs du manga, de l’anime et du jeu d’arcade, qui
feront chacun l’objet d’un chapitre particulier, remportent comme
à leur habitude un franc succès.

47

Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, Evenement Cool Japan, p. 17.

57
L’on trouve ainsi un espace du nom de Arcaland regroupant
plusieurs salles d’arcades, lesquelles mettent à la disposition des
fans une série de bornes de jeux vidéo en freeplay (gratuitement),
toutes sous l’hégire des plus célèbres noms d’éditeurs arcade (tel
que Sega, Konami, Namco ou encore Nintendo). Certaines salles
proposent les dernières nouveautés en avant-première, comme le
stand Nintendo avec sa nouvelle version de Zelda et de Final
Fantasy 3 sur Nintendo DS.
En matière d’animes, on trouve également de quoi ravir tous les
fans de japanimation. Sur toute la durée du festival, une trentaine
de dessins animés japonais doivent être projetés « en avantpremière mondiale ».48 Dans le même registre, on trouve un écran
géant qui diffuse en boucle le générique des plus célèbres dessins
animés japonais. Une scène entière est carrément consacrée à un
jeu de connaissance des génériques au cours duquel quatre équipes
s’affrontent sur des karaokés piégés. Alors que les membres d’une
équipe sont occupés à chanter en chœur un générique d’anime en
suivant les paroles sur un écran, surgissent soudainement des
paroles inexactes. Instantanément, les membres de l’équipe
doivent faire appel à leur mémoire pour ne pas se laisser entraîner
dans l’erreur. L’équipe gagnante est celle qui sera restée la plus
fidèle au générique original. 49
48

Ibid, p. 36.
Le succès de l’anime en France a notamment donné naissance à de nouvelles
professions comme celui d’importateur de celluloïds (cell) et qui consiste à
49

58
Les mangas ne sont pas en reste. Pour l’occasion, la Japan Expo
a invité des mangakas (dessinateurs de mangas) de renommée
internationale. Leur plus fervents admirateurs, venus expressément
au festival pour leur rendre hommage, n’auront souvent pas
l’occasion de voir autre chose qu’une longue file d’attente de fans
attendant d’obtenir non pas un autographe mais un dessin de leur
mangaka favori. Certains arrivés tôt le matin feront parfois la
queue jusqu’à l’heure de fermeture des portes sans même avoir fait
un pas dans le festival.
1.2.

Japan Expo : un refuge pour otaku ?

De par son concept et le succès qu’il rencontre, le festival Japan
Expo n’est pas sans rappeler le Comiket. Tant les fanzines de
bandes dessinées que les défilés cosplay autorisent à croire que le
festival tire directement ses idées du Comic Market japonais. Il y a
toutefois une différence de taille entre les deux événements qu’on
ne pourrait négliger : la dimension commerciale de la Japan Expo.
1.2.1. Dimension commerciale
La description du festival Japan Expo nous vient du journal Le
Monde lequel décrit l’événement comme un « hybride de festival
racheter des planches originales de dessins animés japonais pour les revendre
soit par Internet, soit à l’occasion d’événements exceptionnels comme lors de
festivals.

59
culturel et de Salon commercial. »50 Les sponsors figurant sur la
couverture du guide du festival en sont peut-être la meilleure
illustration : Glénat, Delcourt ou Soleil Manga ; tous les plus
grands du marché de la bande dessinée.
A l’intérieur du festival, on remarque une large place laissée à
des animes populaires comme Naruto ou Full Metal Alchemist,
désormais distribués dans les hypermarchés après avoir conquis les
grandes surfaces culturelles. Conséquence de cette expansion du
marché manga, un élargissement de l’audience qui fait que « depuis
2004, le public de la Japan Expo n’est plus seulement constitué de
fans mais aussi de familles. »51 A côté de cela, des voyages d’un
mois au Japon sont organisés en collaboration avec Japan Airlines
(JAL), la plus grande compagnie aérienne nippone, et qui se
présente comme le « transporteur officiel de Japan Expo 2006 »52
Un peu partout à travers le festival, on trouve des distributeurs
Capsule Station Gashapon proposant des figurines de personnages
mangas de cinq centimètres à un euro la pièce.
A bien des égards, la Japan Expo prend la forme d’un
hypermarché de produits japanisés. A l’achat de plusieurs articles
(animes, mangas ou autres), le client reçoit un énorme sac en carton
à l’effigie des plus célèbres héros mangas. De fait, ce sont des
Sotinel T.,Wecker N., , Mangas : « Goldorak », vers l’âge adulte, in Le
Monde, jeudi 6 juillet 2006, p. 19
51
Idem.
52
Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, p. 35.
50

60
milliers de sacs que l’on voit tenus à bout de bras. Plusieurs fans
déplorent pourtant ce développement vers le marchandising :
« C'est de plus en plus une boite a fric / moins d'exclusivite / (tout ce
qu'il y a tu peux le trouver dans les boutiques specialise a Paris) / (et
moins cher sur internet) / et de plus en plus en monde / disparition des
stands plus classiques / disparition des plus petit stands / et de plus en
plus de gros stands commerciaux : tonkam, pika, declic image... » 53
« Personnellement, je dois dire que je suis un peu déçu. Quand on voit
comment c’était avant [le festival] … franchement, c’était nettement
moins commercial. Euh… je me souviens qu’avant, dans l’ancienne salle,
t’avais un amphithéâtre avec des gradins d’où tu pouvais voir les spectacles
de danse et tout ça … Maintenant, avec tout ce nouveau monde, la salle
où ils organisaient ça était devenue trop petite. Donc pour pouvoir
accueillir tous les fans, …ben ils ont décidé de faire ça au Parc des
expositions qui est une grande surface plane. Maintenant tu vois plus rien
des spectacles et t’as plus aucun point de repères quand tu es dans la
salle. »54
Il n’empêche, certains préceptes de la Japan Expo laissent
encore planer un certain esprit de Comiket. Ainsi, par exemple, si
les quarante premières pages du guide du visiteur sont consacrées
aux activités du festival, les cent autres ne sont que des extraits de
mangas (Kamunagara, Geobreeders, Tokyo Underground).55 Lorsque
nous demandons à Pierre-Yves Devroute, porte-parole de Japan
Expo, si le concept est bien inspiré du Comiket, sa réponse est
catégorique :
53

Entretien avec Cécile Pera via MSN Messenger.
Entretien avec Philippe Deguel.
55
Il est à noter que les sept extraits de mangas figurant dans le guide du visiteur
comportent tous d’importantes scènes de violence.
54

61
« L'idée initiale est bien sur inspirée du Comicket, mais sur la forme, les
deux festivals n'ont rien à voir. »56
1.2.2. Et les otaku ?
Si la différence entre les deux festivals tient en la dimension
non-commerciale de l’un et l’aspect exclusivement commercial de
l’autre, peut-on dès lors envisager que des otaku songent même se
rendre à la Japan Expo ? La réponse des commerçants varie du tout
au tout :
« Des otaku ? Il n’y a que ça ici ! »57
« Si tu cherches des otaku, c’est pas ici que tu vas les trouver … les vrais
otaku, ils sont chez eux, pas ici. Japan Expo, c’est trop commercial
… »58
Aussi, à la question « comment décrivez-vous le véritable
otaku », les réponses varient :
« Le vrai otaku, c’est celui qui reste chez lui, qui télécharge comme un
porc, qui a raté ses études, qui regarde des animes à longueur de journées,
qui ne parle et ne vit que pour ça. »59
« Le vrai otaku, c’est celui qui est capable de te faire un « perfect » au
DDR [Dance Dance Revolution]. »60

56

Entretien avec Pierre-Yves Devroute.
Interview de Mathieu Warzée.
58
Interview de Marie Evrard.
59
Entretien avec Cécile Pera.
60
Interview d’un jeune journaliste couvrant le festival Japan Expo.
57

62
« Pour moi, le vrai otaku, c’est celui qui aime la culture japonaise. »61
Sans doute sommes-nous ici au cœur de notre problématique.
Le terme « otaku » semble revêtir, dans le sens commun, deux
significations antinomiques. D’un côté, il définirait le fan de
japanimation qui trouve en un événement comme la Japan Expo de
quoi alimenter sa passion ; de l’autre, ce terme désignerait plutôt
une personne qui a connu des difficultés dans la vie et qui cultive
une passion intense pour la fiction animée japonaise sans pour
autant recourir aux grands commerces de produits japanisés.
Nous pouvons constater au travers des divertissements
proposés par le festival que le terme « otaku » est souvent utilisé de
façon anodine. L’association Tsubasa par exemple organise un jeu
appelé « le Parcours de l’Otaku » où « chaque joueur tire une épreuve
(au sort) et doit faire deviner une série (animée) à son équipe. »62 A côté
de cela, d’autres activités, moins tape-à-l’œil, parviennent pourtant
à rendre compte d’un malaise bien réel. L’exemple le plus
significatif se trouve certainement dans le Tanabata (arbre aux
souhaits). Ce grand bambou japonais permet aux visiteurs
d’accrocher leur vœu le plus cher. A l’aide d’un stylo ou à l’encre
de Chine, ils rédigent ce vœu sur un petit papier coloré qu’ils
suspendent ensuite à une branche de l’arbre. Ce dernier sera alors
entièrement brûlé, la fumée qu’il dégage étant supposée rejoindre
61
62

Interview de Sylvain Delentrée.
Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, p. 21.

63
deux étoiles incarnant un prince et une princesse du Japon
ancestral. Parmi ces vœux, certains sont simplement le fruit
d’aspirations adolescentes :
« Je souhaite avoir le pouvoir de contrôler par la pensée des objets comme
Jean dans Xmen. Hinata. »
D’autres, plus significatifs, illustrent la nécessité de combler un
besoin sexuel :
« Je voudrais plus de Yaoi en France. Audrey. »
D’autres encore sont carrément l’expression d’un malaise
profond :
« Salut, je m’appelle Jean-Baptiste. Je voudrais arrêter de jouer à CounterStrike. »
2- AUX ORIGINES DE LA JAPANIMATION
Pour comprendre l’engouement de milliers de jeunes Français
pour la japanimation et les dérives que celle-ci a parfois pu
entraîner, il nous faut revenir au début des années 80 quand le
paysage audiovisuel français connaît de profondes modifications.
A cette époque, la chaîne télévisée TF1, qui vient d’être privatisée,
cherche un moyen peu onéreux de remplir ses grilles de
programmes. La solution vient du Japon : TF1 rachète pour un
prix dérisoire une très grande quantité de dessins animés aux

64
producteurs japonais et se met à les diffuser dans une émission
pour enfants intitulée « Le Club Dorothée ». Tandis que la chaîne
s’occupe d’importer massivement des séries japonaises, se produit
en France un autre phénomène originaire du même pays : l'arrivée
des premières consoles de jeux vidéo japonaises dans les
commerces français. Quelques années plus tard, c’est au tour des
bandes dessinées manga de faire leur apparition. Autant de
facteurs qui vont contribuer à l’immersion nippone de toute une
génération de jeunes Français.
2.1.

Les animes du Club Dorothée

2.1.1. L’apogée de l’animation (1985-1990)
Au milieu des années 80, la chaîne française TF1 doit se rendre
à une dure évidence : Récré A2, l’émission pour enfant de la chaîne
concurrente Antenne 2, fait la meilleure audience. Pour
concurrencer Goldorak qui cartonne sur A2, TF1 décide alors de
miser sur l’animation japonaise. Dorothée qui jusque là animait
Récré A2, passe donc sur TF1, récemment privatisée, pour
présenter une émission destinée aux enfants : le Club Dorothée.
Avec l’aide de son équipe exclusivement composée de
transfuges d’A2 (Ariane, Patrick et Corbier), l’animatrice Dorothée
donne le coup d’envoi en 1987 au début de la rentrée scolaire. La
programmation de l’émission est alors essentiellement composée
65
de rediffusions. En effet, pour éviter une prise de risque inutile, la
première entreprise du Club Dorothée consiste à reprendre à son
compte les quelques succès confirmés (tels que Goldorak, Candy ou
encore Jayce).63
Mais à la fin des années 80, le Club innove en diffusant de
nouvelles séries nippones encore inconnues du grand public
(Juliette je t’aime, Le Collège fou fou fou, Lamu) permettant à plusieurs
milliers d’enfants d’origine française de se trouver en contact avec
la culture japonaise. L’engouement croissant des enfants pour ces
dessins animés conforte TF1 dans sa démarche d’importateur de
séries nippones, une pratique jusqu’alors unique en son genre.
« En ce qui concerne l’animation, il faut savoir que …euh… à l’époque
de Dorothée, le Club Dorothée, Dorothée était la seule au monde à aller
chercher des dessins animés au Japon – à l’époque, personne n’y allait – et
le Japon a fait ce business avec la France, ce qui a transformé la France.
Parce que, il faut dire ce qui est, même si le club Dorothée n’était pas tout
le temps pertinent au niveau de la sélection des programmes, c’est le Club
Dorothée qui a fait de la France le deuxième pays consommateur de
mangas au monde pendant très longtemps. » 64
Avec l’énorme succès des Chevaliers du Zodiaque et toute la
panoplie de produits dérivés qui en découle (figurines de
combattants, déguisements etc.), TF1 prend véritablement
conscience du potentiel des séries japonaises. Autre confirmation

63
64

http://www.gametronik.com/site/ClubDo.html
Entretien avec Sébastien Moricard.

66
de ce succès, la série Dragon Ball, puis plus tard Dragon Ball Z, qui
fait littéralement exploser l’audience.
A côté de cela, la Cinq, concurrente directe de TF1, lance à son
tour un programme constitué de dessins animés plutôt destinés
aux filles (avec des séries comme Sous le signe des Mousquetaires ou
encore Les Quatre filles du Docteur March). Sans trop s’en rendre
compte, les chaînes françaises sont en train de sensibiliser toute
une génération à la culture et subculture nippone.
2.1.2. Protestations et suppressions (1990-1993)
Avec l’explosion des chaînes commerciales s’accompagne la
nécessité de remplir les grilles de programmation de la manière la
plus rentable possible. La solution-miracle réside dans la
production japonaise, excessivement large de choix et relativement
bon marché. Seul problème, faute d’acheter massivement, les
diffuseurs prêtent une attention très relative aux programmes qu’ils
mettent sur les ondes hertziennes. Conséquemment, il arrive que
des séries achetées à la hâte se révèlent, à la grande surprise des
diffuseurs eux-mêmes, empreintes d’une grande violence.
« Le Club Dorothée, il faut savoir, en fait, achetait vraiment ça ...euh...
comme des grossistes. C’était au nombre d’épisodes qu’ils achetaient. Ils ne
faisaient pas attention à ce qu’ils achetaient. Ils regardaient quelques
épisodes, ils prenaient un paquet, ils se mettaient à doubler ça à la va-vite,
et puis ils distribuaient. Donc, souvent, la qualité du doublage ou des
séries qui étaient distribuées, ben ...euh... c’était pas terrible. »
67
- C’est comme ça, par exemple, qu’une série comme Ken
Le Survivant s’est retrouvée dans un programme pour
enfants ...
« En fait, ils ont regardé quelques épisodes et ils se sont dits, oui pourquoi
pas, la violence ça marche. Donc, ils ont pris et ...euh... les épisodes après
ont franchement ...euh... ont franchement dérapés. T’avais des signes SS
dans les séries ... qui ont été censurés ... (…) Donc ...euh... c’est vraiment
pour te dire que, quand je dis grossiste, ça l’est jusque là. Le doublage se
faisait ...euh... à la va-vite ...euh... c’était au nombre de lignes qu’ils
lisaient. Donc ...euh... plus ils en enfilaient ...euh... sur très peu de temps
et ...euh... plus ils touchaient. Donc c’était vraiment ...euh... un immense
supermarché ...euh... à l’animation. » 65
Si les enfants ne voient rien à redire aux scènes poussées de
violence auxquelles ils assistent, les parents, indignés, n’hésitent
pas à monter au créneau contre la chaîne responsable de la
programmation. C’est ainsi que fin des années 80 se forment des
associations de parents d’élèves exigeant la déprogrammation pure
et simple de dessins animés jugés trop violents. En tête de liste,
Ken Le Survivant dont les scènes de décapitations et autres sévices
corporels n’ont pas échappé à la vigilance parentale. L’affaire
atterrit au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et conduit à la
suppression irrévocable du dessin animé. Quelques temps après,
c’est au tour de Dragon Ball Z de provoquer la fureur des parents
faute d’une scène d’extrême violence. L’action menée de front par
les diverses associations ira jusqu’à conduire TF1 à s’excuser
auprès de ses téléspectateurs avant le journal de 20 heures. Ces

65

Entretien avec Claude Mathy.

68
actions répétées finissent non seulement par porter un discrédit sur
la production japonaise mais également par réduire fortement le
nombre de séries diffusées. Par ailleurs, les censures multiples et
répétées dans les épisodes nuisent fortement à la cohérence du
scénario.
Dès 1992, le Club Dorothée cesse la programmation de dessins
animés le mercredi après-midi, lesquels se trouvent remplacés par
des sitcoms pour adolescents (Hélène et les Garçons, Premiers baisers).
Les animations japonaises désertent les grilles de programmes.
2.1.3. Développement d’un marché parallèle (1993-…)
La suppression des dessins animés japonais va créer un attrait
pour

ce

qui

est

désormais

devenu

une

denrée

rare.

Progressivement, des clubs de fans apparaissent sur Internet,
réseau encore peu connu du grand public. Il faut aussi compter
qu’à l’époque, il n’existe que très peu de magasins spécialisés dans
le domaine d’où la difficulté de se procurer des animes
authentiques. Seule alternative pour les fans, s’échanger par la
poste les cassettes vidéo sur lesquelles on a enregistré telle ou telle
série :
« Au moment où je l’ai redécouvert, l’anime ne faisait pas autant vendre,
n’était pas aussi commercial que maintenant. Donc on ne trouvait
quasiment rien du tout, si ce n’est quelques VHS, donc ...euh... ça a été
vraiment très pénible à ce moment-là de redécouvrir une passion et de ne
69
pas avoir le support dans les magasins pour pouvoir l’assouvir. Et alors je
dois dire que, vraiment, Internet a amené énormément parce qu’en fait, vu
que personne ne vendait ce genre de chose, ou très peu et c’était assez limité,
on a commencé, en fait, à créer des forums de discussion et d’échange
d’animes. Et donc ...euh... on s’est retrouvé ... on était une bonne centaine
à l’époque à avoir à peu près ce même goût-là, de vouloir retrouver les
vieilles séries et ...euh... ben il y a toujours quelqu’un qui a une vieille
VHS qu’il avait enregistré à l’époque et ...euh... de fil en aiguille comme
ça, on arrivait à se recréer des intégrales de très vieilles séries. » 66
Petit à petit, les fans s’organisent et se retrouvent, notamment
par le biais des conventions manga. On assiste ainsi au
développement d’un véritable marché parallèle regroupant tous les
amateurs d’animation. Grâce aux performances grandissantes
d’Internet et à sa popularité croissante, les fans peuvent désormais
visionner de nouvelles séries via les fansubs, et occasionnellement
les télécharger. 67
Cet engouement n’échappe pas aux yeux des commerciaux qui
y flairent la bonne affaire. Progressivement, l’on voit apparaître des
commerces proposant des bandes dessinées en format de poche,
noir et blanc, traduites en français : ce sont les premiers mangas.
Petit à petit, le marché de la vidéo s’étend sur le territoire français,
permettant aux fans de se procurer des séries intégrales non

66

Entretien avec Claude Mathy.
Le terme fansub (contraction de « fan » et du diminutif de « subtitle ») désigne
la copie d’une série, d’un film ou d’une émission sous-titré par des fans dans
leur langue maternelle. Ainsi, par exemple, un anglophone parlant japonais et
qui affectionne une série nippone jamais sortie en Occident créera lui-même les
sous-titres afin de permettre à d’autres anglophones de découvrir cette série.
67

70
censurées. A côté de cela, on voit apparaître sur les écrans de
cinéma des longs métrages d’animation. « La probabilité de voir les
grands festivals s'arracher la production des studios d'animation
nippons était quasi nulle. Depuis, Le Voyage de Chihiro, d'Hayao
Miyazaki, a remporté l'Ours d'or de la Berlinale de 2002, et son
Château ambulant a été sélectionné à Venise en 2004. Cannes a
invité deux fois Mamoru Oshii : en 2001, Avalon a été présenté
hors compétition, et, en 2004, Innocence affrontait Fahrenheit
9/11, de Michael Moore, ou Clean, d'Olivier Assayas. Pourtant, le
parfum de mépris qui entoure l'anime ne s'est pas tout à fait
dissipé. » 68
Cette industrie florissante constitue pour le fan une véritable
opportunité en ce qu’elle lui permet d’effectuer un littéral retour
aux sources. En effet, les animations du Club Dorothée étant
principalement destinées à des enfants, les doubleurs n’hésitaient
pas à édulcorer les œuvres originales. Dans une série comme Juliette
je t’aime, il n’était ainsi pas rare de voir les personnages, de jeunes
adolescents, tituber après avoir s’être soûlés au jus d’orange. Le
cheminement logique devait mener les fans français à se détourner
des adaptations françaises pour se mettre en quête des
authenticités japonaises.

Sotinel T., Le destin de l’anime japonais, in Le Monde, lundi 7 août 2006,
p. 16.
68

71
Timidement, on voit réapparaître des mangas au Club
Dorothée. Mais, mis à part le très populaire Sailormoon, les autres
séries nippones ne rencontrent pas un franc succès. De plus,
Dragon Ball Z, en dépit de sa forte audience, fait incessamment
l’objet de critiques et semble, à bien des égards, nuire à la
réputation de la chaîne. La suppression du dessin animé est
finalement ordonnée par le CSA. A cela s’ajoute la baisse constante
de l’audience et l’image vieillissante de l’émission. Le Club
Dorothée prend fin à la fin des vacances scolaires de 1997 après
dix années de monopole sur les émissions jeunesse.
Pendant un temps, Canal+ reprend le flambeau en diffusant en
1998 une nouveauté à succès, la célébrissime série Evangélion. La
chaîne donne également lieu à une émission mensuelle consacrée
aux mangas (« manga manga ») ; cela durera un an. Aujourd’hui, les
dessins animés nippons ont disparu des ondes hertziennes et sont
uniquement disponibles par satellite ou sur les chaînes câblées qui
les diffusent en boucle (sur TMC ou ABSat). 69
Ainsi, depuis les débuts en 1978 sur A2 jusqu’à 1998 sur
Canal+, les chaînes françaises n’ont cessé, durant vingt années
consécutives, de diffuser des dessins animés japonais, presque
chaque jour de la semaine. Ce fait n’est pas sans impact sur toute
une génération qui, depuis sa plus tendre enfance, a été abreuvée
69

http://membres.lycos.fr/cinemajaponais/DA.jap.80.htm

72
de ces animations. Plus que jamais aujourd’hui, bon nombre de ces
jeunes fréquentent les magasins de mangas, participent à des
conventions mangas ou suivent de près les sorties de longs
métrages d’animation.
2.1.4. Hypothèses interprétatives
Il peut sembler surprenant de voir comment, en quelques
années à peine, la société française est parvenue avec succès à
intégrer dans sa propre culture un pan entier de la culture
japonaise, celui des animes nippons. Selon nous, ce succès repose
avant tout sur le genre même du dessin animé. Depuis ses origines
jusqu’à aujourd’hui encore, ce genre télévisuel est apparu comme
un instrument de popularisation incontournable. Ils ont ainsi
permis à toute une génération d’occidentaux de découvrir une
culture dont ils ne pouvaient que difficilement soupçonner
l’existence :
« Etant tout petit ...euh... j’ai été ...euh... baby-sitté par le Club
Dorothée et ...euh... c’est comme ça, en fait, que je les ai
découverts (les animes), mais sans savoir vraiment ...euh... que
ça venait du Japon etc. Donc sans savoir ce que c’était
vraiment un anime, un manga etc. » 70
Parmi les séries proposées, différents genres apparaissent
rétrospectivement : certains dessins animés étaient consacrés aux
70

Entretien avec Claude Mathy.

73
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  • 1. Newton PHAM DANG Un tsunami venu d’Orient
  • 3. 3
  • 4. Newton Pham Dang LE PHENOMENE OTAKU EN FRANCE UN TSUNAMI VENU D’ORIENT 4
  • 5. © 2012, Warehouse Editions 5
  • 6. Dédicace particulier à une sociologue en devenir. Que cet ouvrage te soit profitable et qu’il te ramène au souvenir de cet agréable après-midi au cours duquel nous avons refait le monde. Je vous souhaite beaucoup de bonheur, à toi et à ton compagnon. Newton 6
  • 7. 7
  • 8. INTRODUCTION L’Homo sapiens progressait, depuis la découverte du feu, par la connaissance empirique. Son monde était celui du réel tangible, c’était celui de Newton, Copernic ou Descartes. L’Homo virtuens vit par procuration, il revendique le droit de rêver tout éveillé. Cet Homme virtuel ne naîtra pas dans une éprouvette mais des circuits intégrés d’un ordinateur multimédia.1 Le phénomène otaku est un fait avéré propre à la civilisation japonaise. L’otakisme se caractérise par la volonté d’une personne de s’isoler du reste de la société en se réfugiant dans un monde fait de divertissements (jeux vidéo, mangas, animes, maquettes, figurines). Ce phénomène est intimement lié aux bouleversements que le Japon a connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce sont ces modifications profondes du pays qui ont rendues possible l’otakisme aujourd’hui. Alors qu’on serait tenté de croire que ce phénomène se réduit à un cas de figure japonais, en France, le terme « otaku » fait depuis peu partie du langage courant. Avec la vague asiatique qui submerge l’Europe depuis quelques années déjà, de plus en plus de jeunes se découvrent une passion pour le monde ludique nippon. 1 BARRAL, E., Otaku : les enfants du virtuel, J’ai lu, Paris, 1999, pp. 21-22. 8
  • 9. De fait, bon nombre d’entre eux n’hésitent pas à se revendiquer otaku. A côté de cela, il existe en France des jeunes qui s’isolent et s’auto-excluent de la société. Certains d’entre eux passent leurs journées entières derrière l’écran de leur ordinateur sans nécessairement s’intéresser au monde du manga ou de l’anime japonais. Ceux-là ne sont-il finalement pas plus proche des otaku tels qu’on les entend au Japon ? Notre étude a une double intention. Dans un premier temps, il s’agit de démontrer que le terme « otaku » tel qu’on le conçoit en France ne revêt pas le même sens qu’au Japon. Dans un second temps, nous allons également nous intéresser plus spécifiquement aux personnes qui vivent exclusivement derrière leur ordinateur en cherchant les causes qui justifient cette forme d’autisme technologique. 9
  • 10. PARTIE I : L’OTAKISME AU JAPON Etre comme tout le monde est essentiel pour vivre dans la société japonaise. Même lorsque le choix de la collectivité ne vous plaît pas, vous devez vous convaincre du contraire. Ce sont les gens qui ont cette faculté qui réussissent le mieux. 2 1- DESCRIPTION DU PHENOMENE OTAKU 1.1. Etymologie du terme Utilisé pour la première fois par l’essayiste Nakamori Akio en 1983, le terme japonais « otaku » possède une double signification. Il peut se traduire par « maison », « demeure » ou encore « chezsoi » désignant ainsi l’habitat, le lieu où l’on vit. Par ailleurs, il s’agit d’une forme de vouvoiement impersonnel qu’on utilise lorsqu’on s’adresse à quelqu’un sans pour autant désirer approfondir la relation. La raison qui a valu à ce terme d’être rapidement adopté pour qualifier une nouvelle génération de jeunes tient en ce qu’il réunit à lui seul les deux caractéristiques principales du syndrome : d’une part le refus catégorique de développer des relations personnelles approfondies et, d’autre part, l’enfermement impliquant, par là même, le replis sur soi. On ne trouve toutefois aucun équivalent à ce terme dans la langue française, ce qui n’empêche pas l’apparition de multiples vulgarisations, souvent 2 MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et protière, Gémenos, 2001, p. 221. 10
  • 11. réductrices car ne rendant pas bien compte de la réalité sociologique du phénomène.3 Aux Etats-Unis, l’otaku est fréquemment associé au nerd qui partage les mêmes activités ludiques.4 1.2. Origine du phénomène A la fin des années 70 apparaît dans le vocabulaire nippon le terme de « jeunesse moratoire » (moratorium ningen). Ce qualificatif sert à désigner les jeunes qui poursuivent indéfiniment leurs études dans la seule intention de différer leur entrée dans la vie active. Pour bon nombre d’étudiants universitaires, les années passées à la faculté s’apparentent en effet à une période idyllique. S’il se trouve que les examens d’entrée aux universités réputées atteignent souvent un niveau de difficulté exceptionnel, les années passées à la faculté n’ont en elles-mêmes rien d’insurmontable pour les étudiants qui ont la chance d’y être admis.5 Profitant alors, sans doute pour la première fois, de moments de temps libre et d’une liberté sans précédent, les étudiants poursuivent leurs études avec l’assurance quasi-totale de trouver un bon emploi dès leur sortie. 3 Au début des années 90, un mensuel avait ainsi traduit le terme otaku par « les emmurés », un autre magazine encore par « les embastillés ». 4 Le terme nerd désigne une personne qui manifeste d’importantes difficultés à sociabiliser et qui se passionne pour des sujets liés au domaine scientifique, aux mathématiques ou aux techniques. Ce qualificatif est également utilisé pour désigner les passionnés d’informatique. Mais ce terme ne suffit pas à rendre compte de l’étendue du phénomène otaku. 5 Ces lieux prestigieux bénéficient d’une telle réputation que les grandes entreprises n’hésitent pas à se rendre sur les campus pour y recruter leurs futurs membres. 11
  • 12. La tentation devient alors grande de vouloir prolonger son séjour dans le cocon universitaire. Cette jeunesse qui cherche à fuir les responsabilités d’adultes est caractéristique des sociétés industrielles ayant atteint un haut niveau de développement. Bien que ces jeunes constituent la première génération à profiter de la réussite économique de leur pays, ils sont toutefois moins préparés à affronter l’existence. 6 Faute d’avoir grandi à une période de grande prospérité économique, ces « enfants gâtés » ne connaissent rien de la privation et n’ont jamais eu à s’inquiéter pour leur avenir. Le contraste avec la rude compétition des examens n’en est que plus saisissant. A travers la lutte effrénée pour l’obtention du diplôme le plus gratifiant, les jeunes prennent conscience des règles qui régissent le monde productiviste des adultes. Redoutant plus que tout le passage à la profession, voie de non-retour qui risque assurément de leur déplaire, ils préfèrent alors se réfugier dans le monde de l’éternelle jeunesse afin de conserver la dernière part d’enfance qui les habite. Toutefois, pour voir apparaître les premiers otaku, il faut attendre le début des années 80 avec la portée grandissante des médias de masse et la consécration de la société de consommation. A ces deux critères s’ajoute une éducation qui tend à négliger les 6 Les enfants nés à partir de 1965 forment la première génération dont les parents ne sont pas eux-mêmes hantés par les souvenirs de la guerre. 12
  • 13. défaites du passé, comme les échecs de la guerre, et qui trouve ses nouveaux fondements non plus à travers la longue tradition confucianiste, jusqu’alors ciment de la société japonaise, mais dans la compétition avec l’Occident et, par là même, l’incitation au consumérisme. En l’absence de valeurs profondes qui puissent donner un sens à son existence, c’est toute une génération qui a grandi sans buts ni repères véritables. Et parce qu’il n’y avait pas de raison pour qu’elle soit fière d’elle-même, parce que rien dans la société ne semblait la rendre indispensable, elle a cherché à combler ce manque d’idéaux avec le seul univers qui, à ses yeux, parvenait encore à garder une certaine sincérité : le monde de l’enfance. Or, en cette période des années 80, le monde de l’enfance est indissociable de celui des mangas, des jeux vidéo et des héros télévisés. L’armada technologique dont s’entourent les otaku est donc perçu par eux non comme de simples machines mais comme le prolongement direct de l’univers infantile qu’ils se sont reconstitués et qu’ils tâchent de préserver. C’est en explorant de fond en comble ce microcosme que les otaku parviennent à affirmer leur personnalité. En se spécialisant à outrance dans des domaines aussi variés que le maquettisme, les figurines rares, les fanzines de BD ou même les childoles, ils 13
  • 14. espèrent ainsi donner sens à leur existence. 7 Pour nombreux d’entre eux, la plus belle chose qu’ils puissent espérer de la vie est la reconnaissance par leurs pairs. Et pour ce faire, il n’est d’autre moyen que de pousser à l’extrême les connaissances dans un domaine précis ou de se distinguer par des aptitudes hors du commun. C’est en procédant de la sorte que certains otaku parviennent à se hisser parmi les gamers de légende. « Comment reconnaître un gamer de légende lorsqu’il se présente ? Facile : il doit être capable de « tirer » seize coups à la seconde, d’appuyer seize fois avec son pouce sur le bouton de son boîtier de contrôle pour abattre des ennemis. »8 Bien que le nombre d’otaku ne cesse de croître, le Japon ne découvre l’existence de cette génération qu’à la fin des années 80 avec la sinistre histoire de Miyazaki Tsutomu. En 1988, ce Japonais de 27 ans avait enlevé, dépecé et partiellement mangé quatre petites filles. Ce n’est que deux années après les faits que le meurtrier est identifié et arrêté. Par l’intermédiaire des médias, le Japon entier découvre avec stupéfaction la chambre du meurtrier, une pièce renfermant plus de 600 cassettes vidéo ainsi que des piles de magazines mangas pornographiques. L’amalgame entre Miyazaki et toute la génération otaku est inévitable. De génération 7 Le terme childole a été créé par Nakamori Akio, aussi auteur du mot otaku tel qu’on le conçoit aujourd’hui. Il s’agit d’un néologisme construit avec les mots child et idoles et qui désigne les idoles encore enfant, c’est-à-dire entre trois et quinze ans. 8 BARRAL, E., Otaku : les enfants du virtuel, J’ai lu, Paris 1999, p.18 14
  • 15. perdue, elle devient génération assassine. Finalement, les expertises psychologiques ont pu rompre le lien entre les actes barbares commis par Miyazaki et la génération otaku à laquelle il appartenait. 2- JAPON : L’ENVERS DE L’ESSOR Les otaku sont indissociables de la société qui les a enfanté. Et s’il nous faut donner un point de départ à leur histoire, certainement commence-t-elle à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’humiliation de l’échec face aux Américains va engendrer de profondes modifications au sein de la société japonaise. Intégration de valeurs pacifistes, combat quotidien pour remettre le pays sur pieds, modernisation à l’occidentale ; là sont autant d’éléments qui rendront possible, des années plus tard, le phénomène otaku. 2.1. De la privation à la surabondance 2.1.1. La phase d’industrialisation La défaite de 1945, qui marque la victoire des Etats-Unis sur le Japon, fait l’effet d’un séisme dans la conscience des Japonais. Après des années de lutte, de privations et de souffrances, le choc de la défaite n’en est que plus difficile à supporter. Désormais, il 15
  • 16. devient impératif pour la nation toute entière de réorienter ses objectifs de base. Habitués depuis toujours à résister aux forces naturelles qui s’acharnent contre eux – tremblements de terre, typhons –, les Japonais unissent leurs efforts et se lancent dans la reconstruction d’un pays complètement laminé par la guerre. Malgré l’inflation galopante et les pénuries qui empêchent la stabilité de l’économie rurale et urbaine, la production japonaise progresse rapidement. Grâce à d’habiles réformes et à l’ardeur au travail des Japonais, le pays retrouve petit à petit un équilibre budgétaire, parvenant à ainsi enrayer la redoutable spirale inflationniste. Au redressement industriel s’accompagnent la reprise du commerce extérieur et les circonstances liées au contexte extérieur, toutes en faveur pour l’archipel : « le déclenchement de la guerre de Corée de 1950 permet au Japon de renforcer son partenariat avec les Etats-Unis et, cinq années plus tard, la crise de Suez lui donne l’occasion de développer ses chantiers navals. »9 2.1.2. La réorientation industrielle Devenu désuet, le matériel d’industrie lourde est alors réutilisé comme matière première pour l’industrie de transformation (voitures, appareils électroménagers). Pour la première fois depuis 9 REISCHAUER, E. O., Histoire du Japon et des Japonais de 1945 à 1970, Editions du Seuil, 1997, p.44. 16
  • 17. la fin de la guerre, l’expression de « miracle japonais » est utilisée au début des années 60 lorsque le Japon devient la première société de consommation d’Asie et Tokyo, avec ses 11 millions d’habitants, la première ville au monde. « L’apparition de nouveaux biens matériels symbolise le changement de mode de vie. A la ville, comme à la campagne, la télévision pénètre dans tous les foyers. Appareils photographiques, machines à laver, réfrigérateurs deviennent d’usage courant. »10 En cinquante ans, l’industrie japonaise connaît ainsi une véritable métamorphose. Après avoir vu se développer les industries de transformations, ce sont désormais les technologies de pointes qui font leur apparition. Dans les années 80, les géants de l’électronique tels que Matsushita ou Sony envahissent le marché mondial. Le Japon s’est ainsi adapté aux besoins de ses 127 millions d’habitants qui comptent désormais parmi les plus grands consommateurs au monde. Selon les statistiques de l’Agence gouvernementale des affaires générales, chaque famille japonaise possède en moyenne 2,24 postes de télévision, tandis que le taux d’équipement en bicyclettes n’est que de 1,57 par foyer. 99,2 % des foyers japonais possèderaient ainsi au moins un poste de télévision. Pour indicateur de cette évolution, on peut également se 10 REISCHAUER, E. O., Histoire du Japon et des Japonais de 1945 à 1970, Editions du Seuil, 1997, p.48. 17
  • 18. baser sur le coefficient de Engel.11 Il nous indique que le taux des dépenses consacrées à l’alimentation à l’intérieur d’un budget familial est passé de 60,4 % en 1948 à 22% en 1998. 2.1.3. L’impasse du consumérisme Les profondes modifications sociétales qui résultent du redressement économique ne sont pas sans conséquences sur la jeunesse. Ayant grandi dans un environnement d’abondance, les jeunes n’ont pas connaissance des mots « privation » ou « restriction ». Après l’ultime effort de reconstruction du pays, la course pour doubler le revenu national en dix ans, la lutte effrénée pour rattraper le retard sur l’Occident, puis la conquête des marchés extérieurs, il n’est plus de grand projet fédérateur qui puisse encore inciter le peuple à œuvrer dans un même sens. La nouvelle génération se retrouve dès lors réduite à faire tourner la machine sans pouvoir innover à son tour. Aussi, cette logique consumériste qui a permis au pays de renaître de ses cendres se retrouve dans une impasse : y a-t-il une vie après la consommation ? Comme se le demande Jean-Jacques Beineix, « le phénomène otaku ne représente-t-il pas la réponse d’une jeunesse issue d’une société sans buts et sans valeurs qui se met à l’abri des Le coefficient de Engel permet de mesurer le degré d’opulence d’une société en calculant la part du revenu allouée aux denrées alimentaires, considérées comme des dépenses vitales. Un faible pourcentage se traduit par une forte opulence de la société. 11 18
  • 19. réalités d’un monde devenu trop violent, d’un avenir sans espoir ? »12 2.2. Un système éducatif en crise Comme nous l’avons expliqué précédemment, la défaite de 1945 a engendré de profondes modifications au sein de la société nippone. Le système éducatif n’est pas en reste. Deux ans après la Seconde Guerre mondiale, sous l’impulsion américaine, l’actuel système éducatif est mis sur pied. Pourtant au milieu des années 80, les inquiétudes des politiques vont grandissant à propos de ce système et le Japon se demande comment il va pouvoir conserver son statut de leader technologique mondial. Pour ce faire, il faut des hommes nouveaux, des créateurs, et inventeurs. En effet, le système éducatif japonais, qui met surtout l’accent sur la mémoire comme on le voit avec les concours d’entrée, ne parvient pas à former de véritables élites de la création. Une commission de réforme se penche ainsi sur la question et en déduit qu’il est faut rapidement repérer les meilleurs élèves et les éduquer à part. « Les futures élites iraient dans des écoles spéciales, où elles pourraient épanouir leurs dons. Pour les autres, rien de changé : régime de concours sur fond de bachotage et de surmenage. »13 BEINIEX, J-J., in Otaku : les enfants du virtuel, J’ai lu, Paris, p. 8. SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte, Paris 1988, p. 210. 12 13 19
  • 20. 2.2.1. La mentalité collective Le phénomène otaku est intimement lié au système éducatif japonais. Ce sont ses excès qui sont majoritairement responsables de l’accroissement du nombre des otaku dans les années 80. Et s’il est vrai que ce processus éducatif a permis l’essor du plus grand nombre et joué un rôle non négligeable dans la réussite économique du pays, il est avant tout conçu pour la masse et n’accorde que peu d’attention à l’individu. C’est cette négation systématique de l’individu que Miyamoto Massao, ancien haut fonctionnaire, dénonce dans son ouvrage intitulé Japon, société camisole de force : « L’éducation japonaise (…) vise à supprimer les différences, et ce qui importe c’est que tout le monde soit aussi égal que possible. Réciter ensemble les préceptes de la société, rester au bureau jusqu’à ce que tout le monde ait fini son travail, ce sont autant de façons de sacrifier son domaine intellectuel pour mieux s’intégrer à la collectivité. »14 Aussi, le secret de la réussite tient également, non pas en l’ingéniosité de quelques-uns, mais en l’exécution machinale de tous. Une société unifiée, avançant dans une seule et même direction, constitue aux yeux des Japonais la condition même de son bon fonctionnement. « Les membres constitutifs du groupe doivent penser comme un seul homme. Ainsi, la pensée de tous MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et protière, Gémenos, 2001, p. 212. 14 20
  • 21. doit être identique et s’impose comme une pression muette sur tous les membres du groupe auxquels il est interdit d’avoir une pensée personnelle. Tout mode de pensée un tant soit peu individualiste est qualifié de tendance à l’autosatisfaction ou de caprice égocentrique par l’ensemble des membres du groupe car il risque de perturber l’ « esprit de corps » partagé par tous les membres du groupe. »15 A travers ce système qui n’a de considération que pour la collectivité, l’on peut se rendre compte du dédain qu’éprouvent les Japonais à l’égard des métiers qui valorisent l’individu au détriment du groupe. Le système japonais affiche ainsi une claire préférence pour les métiers de généralistes à ceux de spécialistes, ces derniers risquant, par les compétences supérieures dans un domaine précis, de susciter des jalousies. La différence est donc une vraie cause de souci au Japon et la cacher devient presque un impératif de survie. Il en va ainsi des enfants qui ont eu l’opportunité d’apprendre l’anglais à l’étranger. Une fois de retour au Japon, il n’ont d’autre choix que de dissimuler comme ils le peuvent l’accent qu’ils ont appris sur place en prononçant l’anglais à la manière japonaise. C’est la seule manière pour ne pas se faire pointer du doigt par ses camarades ou, pire encore, par ses professeurs qui sont les premiers à lui reprocher un trop bon anglais. En 1953, Jean Stotzel, qui réalisait une étude sur les attitudes de la jeunesse 15 Ibid., p. 151. 21
  • 22. japonaise d’après-guerre, avait déjà fait le constat de cette mentalité collective : « L’un des grands traits de personnalité qui ressort le plus clairement des différentes enquêtes, c’est la grande dépendance des jeunes Japonais. Ils ont besoin de se reposer sur les autres, ils ont besoin d’autrui. »16 Selon Etienne Barral, cette prédominance du groupe sur l’individu trouve ses origines dans un passé lointain. On peut interpréter cette attitude comme « un vestige de la culture rurale de ce pays. Le riz, aliment de base des Japonais, est une céréale capricieuse et douillette qui nécessite des efforts intensifs et concentrés pour le cultiver sans encombre. Après l’irrigation des rizières, la phase de replantage des jeunes pousses de riz demande d’agir avec rapidité afin que la culture soit égale en tout point de la parcelle. Pour ce repiquage, l’aide de tous les villageois était requise et chacun à son tour de rôle bénéficiait des bras de son voisin. Il était impossible à un individu seul de cultiver du riz. (…) Se mettre à l’écart du village, ou en subir l’ostracisme, revenait alors à signer sa perte. Encore aujourd’hui, l’expression « être mis au ban du village » désigne ceux qui ne peuvent s’intégrer à la société. »17 16 STOETZL, J., Jeunesse sans chrysanthème ni sabre, Plon-Unesco, Paris, 1953, p. 222. 17 BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », J’ai lu, Paris 1999, p. 178. 22
  • 23. 2.2.2 Elitisme et compétition scolaire Parce que la cohésion d’un groupe d’élèves prime sur l’individu, il n’existe pas de système de redoublement jusqu’à l’entrée au lycée. Autrement dit, il est possible pour un mauvais élève de se retrouver durant toute sa scolarité sur le même banc que le premier de classe, soit, pour une durée de neuf ans. En effet, l’éducation obligatoire comprend six années d’écoles primaires et trois de collège. Tous les Japonais suivent donc d’année en année les mêmes programmes scolaires jusqu’à l’âge de quinze ans. La distinction entre les élèves s’opère une fois arrivés aux concours d’entrée pour le lycée. « Si la presque totalité des jeunes (94 %) franchit cette étape, certains lycées ne recueillent que les élèves dont les résultats sont les plus médiocres, alors que d’autres ont le choix entre les meilleurs éléments de la ville. (...) Une hiérarchie existe en effet entre les lycées japonais. Tout en haut de l’échelle se situent les lycées ordinaires (futsu), puis viennent les lycées techniques (kôgyô), les lycées commerciaux (shôgyô), et en dernier lieu les lycées agricoles (nôgyo) et ceux d’enseignement ménager (katei). »18 Selon les résultats obtenus aux examens d’entrée pour le lycée, le destin de l'élève peut varier du tout au tout. Se voir accepté dans SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte, Paris 1988, p. 207. 18 23
  • 24. un lycée de réputation, c’est s’offrir une meilleure formation au futur concours d’entrée, autrement plus difficile, d’une université prestigieuse comme celle de Tôkyô ou de Keio. Et qui parvient à intégrer une université de renom s’assure l’octroi d’un métier gratifiant une fois les études terminées. « Une université de première catégorie enverra ses diplômés dans les plus grandes entreprises ou dans les ministères les plus importants (Finances, Commerce extérieur, Affaires étrangères). C’est donc finalement l’embauche dans les grandes entreprises et les ministères qui structure toute la pyramide scolaire. »19 En revanche, pour les élèves qui auront obtenu des résultats plutôt médiocres, seules les portes des petits lycées peu renommés leur seront ouvertes, ce qui, à l’issue de leurs études, se traduira par une plus grande difficulté à accéder aux professions les plus convoitées. S’il tient à augmenter ses chances de réussir le concours d’entrée à l’université, l’élève est alors amené à s’interroger sur le lycée qui lui offrira la meilleure formation. Il existe à cet effet un classement hiérarchique permettant de comparer les lycées entre eux et dont la mesure ne repose que sur un seul critère : le nombre d’étudiants ayant réussi à intégrer un établissement supérieur renommé. SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte, Paris 1988, p. 205. 19 24
  • 25. Conséquemment, la raison qui pousse les professeurs à transmettre à leurs élèves des connaissances aiguës n’a que peu de rapport avec le fait qu’ils soient bons pédagogues. Leur intention première est de pouvoir se targuer auprès de leurs collègues d’avoir fait entrer autant d’élèves dans tel ou tel établissement bien coté. Si la compétition existe bien entre les élèves, elle est tout aussi présente du côté des professeurs, ce qui se traduira par une attention toujours portée sur les performances de l’élève plutôt que sur son épanouissement personnel. Ce sentiment d’être constamment en compétition accompagne l’étudiant tout au long de sa scolarité et, de fait, n’encourage aucunement les relations d’amitié avec ses camarades dont il ne connaît rien, si ce n’est peut-être le hensachi.20 Aussi n’admettra-t-il pour seul critère d’évaluation que ce qui est quantifiable. Et que peut-on mesurer mathématiquement sinon les résultats obtenus aux contrôles et aux examens. A côté de cela, les qualités humaines qu’on ne peut faire figurer sur une échelle chiffrée n’auront pas droit à la considération de l’enfant japonais. L’inquantifiable est tout simplement inappréciable. Le hensachi ou « valeur d’inflexion » est un système d’évaluation des résultats scolaires des collégiens et lycéens à l’échelon national. Il se calcule pour chaque élève par rapport à la moyenne nationale obtenue à un test standardisé mensuel qui circule dans toutes les écoles, privées et publiques, avant d’être collecté au niveau national. 20 25
  • 26. 2.2.3. Les Juku et Yobikô Afin d’augmenter leur chance de réussir l’examen d’entrée d’un lycée réputé, de nombreux jeunes se mettent à suivre des cours du soir privés, parfois dès les primaires. Couramment appelées « boîtes à concours », ces écoles privées du soir sont de deux ordres. Il y a celles qui sont prévues pour les écoliers et collégiens (juku) et celles destinées aux lycéens (yobikô). Les étudiants y apprendront les techniques pour emmagasiner de grandes quantités de matière et s’exerceront à d’innombrables simulations d’examens. Sorte d’enseignement parallèle, ces cours sont désormais jugés indispensables non seulement pour réussir les concours d’entrée, mais plus simplement pour suivre le programme scolaire officiel. Selon les chiffres du Ministère de l’Education japonais, le pourcentage d’écoliers du primaire fréquentant régulièrement un juku est passé de 17 % en 1985 à 41 % en 1997 et celui des collégiens de 45 % à 66 % pour les même années. Il est toutefois reconnu que, dans la plupart des cas, c’est l’enfant lui-même qui demande à intégrer ce genre d’école, et ce malgré la charge de travail supplémentaire que cela implique. Sans doute est-ce le prix à payer s’il veut éviter que les membres de sa classe ne le qualifient de paresseux, l’une des pires insultes que l’on puisse adresser à un Japonais. 26
  • 27. 2.2.4. Le phénomène des brimades A mesure que la compétition scolaire s’accentue, on voit se développer dans les établissements scolaires le phénomène du jime que l’on peut traduire littéralement par « phénomène de souffredouleur ». Injures, sévices corporels, mise au ban de la société, le ijime est essentiellement un moyen pour forcer l’individu à accepter la logique du groupe. De par sa mentalité collective, la société japonaise génère ainsi des forces d’autocontrôle du groupe chargées de mettre au pas les non-conformistes. Qu’il s’agisse du nouvel arrivant, de l’élève qui obtient les meilleures notes de sa classe ou encore de celui qui a du mal à se maintenir à niveau, tout qui se démarque du groupe encourt le risque de devenir la tête de turc de la classe. « La différence est une tare. (…) Le fait d’être différent des autres suffisait pour qu’on devienne la cible de toute une série de petites persécutions, ce qui prouvait bien qu’il existait une règle tacite selon laquelle il était mal vu de ne pas être comme tout le monde. » 21 De nombreux enfants, victimes du ijime, se gardent toutefois de parler à leurs proches des persécutions qu’ils subissent au quotidien. Cela s’explique par le fait que la meilleure manière d’affronter les brimades est d’attendre en silence que la tempête MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et protière, Gémenos, 2001, p. 171. 21 27
  • 28. passe, soit, de faire profil bas sans montrer de signes de faiblesses. Les auteurs de ces persécutions, voyant que la victime de leurs acharnements reste sans réaction, finissent alors par se lasser et le processus prend fin de lui-même. « C’est lorsque l’entourage estime que les souffrances qu’on impose sont devenues « plaisir » ou « jouissance » pour l’intéressé que les persécutions cessent instantanément. » 22 Celui qui, par contre, se risque à dénoncer les auteurs des brimades s’expose non seulement à des persécutions plus fortes mais, pire encore, à une exclusion définitive du groupe, situation tout à fait invivable pour un enfant Japonais et qui va d’ailleurs jusqu’à acculer les élèves les plus fragiles au suicide. « Solitude et échec sont les deux raisons principales du suicide des jeunes Japonais. Le rôle du groupe est si important pour l’individu qu’en être exclu ou bien encore en subir les brimades verbales ou physiques conduit souvent la victime sur le chemin du suicide. » 23 Plutôt que de réprouver ces pratiques, nombreux sont les éducateurs qui les tolèrent voyant là un simple rite d’initiation adolescent. Certains d’entre eux les disent même nécessaires à la structuration psychique de l’individu. C’est ainsi qu’au milieu des MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et protière, Gémenos, 2001, p. 174. 23 SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte, Paris 1988, p. 212 22 28
  • 29. années 80, un sombre fait divers défrayait la chronique : « dans une école primaire, il y avait un garçon sur lequel se concentrait le ijime de tout son entourage. Un jour les petits camarades du jeune garçon imaginèrent un jeu nouveau qui consistait à faire comme si la victime était morte. Toute la classe organisa même un simulacre de cérémonie funèbre pour le pseudo-défunt, préparant des banderoles sur lesquelles étaient écrites des paroles d’adieu destinées au jeune garçon. La raison pour laquelle cet incident fit la une des journaux est que le garçon persécuté s’est suicidé et que l’on su que l’instituteur avait accepté de se joindre à cette macabre mascarade. »24 Ainsi le ijime s’attaque au plus profond de la psychologie de la victime en lui faisant subir une pression psychologique constante. Cette forme de persécution laisse des blessures durables dans l’esprit de la personne qu’elle vise. Plus jeune on commence à être l’objet de ces brimades, plus profondes seront les blessures qu’elles laisseront sur le sujet. Seuls les plus résistants parviennent à développer des défenses immunitaires contre ces persécutions, ce qui requiert une force intérieure pas donnée à tous. Raison pour laquelle certains succombent. 24 MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et protière, Gémenos, 2001, p. 188. 29
  • 30. L’intérêt tout particulier que nous portons à cette attitude typiquement japonaise s’explique par le fait que le phénomène du ijime est intimement lié au phénomène otaku. En effet, bon nombre d’enfants persécutés finissent par ne plus se rendre à l’école par crainte d’y subir de nouvelles brimades. On dénombre ainsi 75.000 élèves refusant officiellement d’aller à l’école, et qui se procurent une dérogation spéciale les autorisant à rester chez eux. Parmi ces jeunes, certains se réfugient dans un univers fictif, pas nécessairement moins violent, mais où là au moins ils tiennent le bon rôle et peuvent virtuellement se venger des sévices dont ils ont été victimes. D’autres encore, empreints du sentiment que le système est incapable de les écouter, décident de fuguer, autre façon de boycotter l’école. « En 1998, on a dénombré 137 000 cas de fugues répétées, voire de disparitions pures et simples (20 % de plus sur un an). » 25 25 Il est à noter que ce problème ne se limite pas au seul univers scolaire. L’acharnement de tous à l’encontre d’un seul se retrouve également dans l’environnement professionnel. Dans son ouvrage Japon : Société camisole de force, Miyamoto Massao dénonce les brimades dont il a été victime lorsqu’il occupait le poste de vice-directeur de la division Santé mentale. Maîtrisant parfaitement l’Anglais après avoir étudié onze ans aux Etats-Unis, Miyamoto a eu l’opportunité assez exceptionnelle d’être recruté en cours de carrière. Faute d’avoir été propulsé au sommet de la pyramide sans avoir eu à gravir les échelons, ses collègues se sont ligués contre ce nouvel arrivant, parachuté de nulle part, le soumettant ainsi à un véritable bizutage institutionnel. Ces actes sont ainsi fréquents au Japon lorsqu’un individu arrive dans un environnement nouveau, scolaire comme professionnel. 30
  • 31. 2.3. Dissolution de la cellule familiale 2.3.1. L’absence du père Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la société nippone a redéfini le rôle de chacun des individus. On a ainsi progressivement assisté à la disparition du modèle de la famille souche, issu de la longue tradition confucéenne et qui réunissait sous le même toit les membres de trois générations, pour voir apparaître le modèle de la famille mononucléaire. « Lorsque le Japon, après 1945, a aligné l’essentiel de sa législation sur celle des vainqueurs, il s’est vu contraint de renoncer au système familial qui jusque là cimentait l’ensemble de la société. Ce système, fondé sur le concept du ie (famille souche) avait été la pierre angulaire de l’idéologie militaro-fasciste : aux yeux des Américains, son éradication devait conjurer à jamais les risques de récidives. L’ancien système familial, typique d’une société agraire et fortement marquée par le confucianisme, se caractérisait par la préser-vation, à tout prix, de la lignée et celui à qui incombait cette tâche était le père de famille. »26 Le père, chargé de nourrir le foyer, passe la majeure partie de sa vie au travail, ce qui l’empêche de s’impliquer dans l’éducation de son enfant. En effet, les exigences du milieu professionnel sont SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte, Paris 1988, p. 67. 26 31
  • 32. telles que l’homme est souvent contraint d’exécuter des heures supplémentaires – souvent gratuitement – ou de réaliser des sorties entre collègues après le travail ou même le week-end. Pourtant, pas question pour le salaryman de refuser la soirée au bar ou au karaoké que lui proposent les collègues. D’abord parce que ce serait la meilleure façon de se voir exclu du groupe. Ensuite parce que, aux yeux des siens comme des voisins, le fait de rentrer tôt à la maison ne peut relever que d’un problème survenu au bureau. Alors, les hypothèses fusent : mauvaise intégration dans l’entreprise, mésentente avec les collègues, perte de confiance des supérieurs en son salaryman, etc. Aussi, pour éviter de se mettre les collègues à dos, de voir son épouse s’inquiéter inutilement ou de susciter l’interrogation du voisinage, l’homme préfèrera se livrer à ces activités professionnelles prolongées qui, comme il le sait, font implicitement partie du contrat de travail. Le père abandonne donc la tâche pédagogique à la mère, laquelle prendra totalement en charge l’enfant, allant jusqu’à choisir l’orientation de ses études. « Au cours d’une enquête de l’Agence municipale de la vie quotidienne de Tôkyô auprès de collégiens en classe de cinquième, 51 % n’ont jamais l’occasion de converser avec leur père pendant la semaine (contre 21,8 % avec leur mère) (…) 52,1 % des enfants avouent ne pas avoir l’occasion matérielle de parler avec leur père 32
  • 33. et 51,5 % estiment n’avoir rien à lui dire. »27 La répartition des rôles dans la société japonaise est ainsi en grande partie responsable de la non-relation entre le père et son enfant. 2.3.2. La relation fusionnelle mère-enfant Jusqu’à l’âge de cinq ans, l’enfant a droit à toute l’attention de sa mère. En général, celle-ci abandonne son travail après l’accouchement pour se consacrer pleinement à l’éducation de son enfant et lui être entièrement disponible. A cet égard, il est significatif de constater que, la plupart du temps, l’enfant dort dans le même lit que ses parents. Ainsi, pendant que l’homme est occupé à œuvrer au travail, la mère est à l’affût des moindres besoins de l’enfant, et répond à toutes ses questions afin d’éveiller son intelligence. De plus, avec la crise de la natalité qui frappe le Japon depuis les années 60, cela notamment dû au fait qu’éduquer un enfant coûte toujours plus cher, la mère concentre tout son amour sur son unique enfant. « Jusqu’à la fin des années cinquante, les familles de quatre enfants ne sont pas rares. Mais, dès le début des années soixante, la démographie s’effondre. La famille au sens large est une notion qui disparaît » 28 BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », Edition J’ai lu, Paris 1999, p. 173. 28 BIROLLI, Bruno., in « La vague Otaku », Le Nouvel Observateur, Semaine du 15 juin 2000 -H.S N°41. 27 33
  • 34. Dès lors, le principal objectif de la mère est d’offrir à son seul enfant les meilleures chances de réussir. C’est ainsi que, lorsqu’il sera scolarisé, l’enfant sera suivi de près par sa mère. Et, du moment où celui-ci travaille bien à l’école, à peu près tous les caprices lui seront faits. Ce sacrifice sera récompensé par l’enfant lorsque celui-ci, ayant brillamment réussi dans une grande université, obtiendra une bonne situation professionnelle qui lui permettra de prendre en charge ses parents. Pourtant, ce chantage affectif n’est pas sans conséquence. Car, en retour de cet amour maternel intense, l’enfant tient à être à la hauteur de ses espérances. Pire, il paraît presque inconcevable d’aller à l’encontre de la volonté maternelle, même dans le choix des études. 3- L’IMAGINAIRE : ZONE REFUGE La perte des valeurs familiales, l’individualisation croissante des jeunes nippons et leur enfermement dans un monde de fiction s’est inévitablement reflété dans la culture nippone dans l’immédiat après-guerre. Le Japon connaît alors un engouement croissant pour les mangas d’abord, puis un peu plus tard pour les animes. A la fin des années 70 la demande explose littéralement. Elle ne connaîtra une diminution que dans les années 90. Il n’empêche, en 1997, le chiffre de la bande dessinée japonaise dépassait 4 milliards d’euros, soit presque l’équivalent du chiffre de vente des jeux 34
  • 35. vidéo.29 Nous allons tenter d’apporter un éclaircissement à cet enthousiasme soudain pour les œuvres de fiction. 3.1. Entre dure réalité et fiction animée Au cinéma comme en littérature, de nombreux artistes japonais ont tenté d’exprimer à travers leurs œuvres le malaise social et l’aliénation des jeunes Japonais. On trouve un exemple marquant de cette tendance dans les œuvres de l’auteur Kazuo Ishiguro. Cet écrivain d’origine japonaise installé en Angleterre et écrivant dans sa langue d’adoption est l’auteur de nombreux romans qui rendent compte de ce malaise (notamment The remains of the day adapté au cinéma en 1994). Mais ce sont surtout dans ses histoires courtes et nouvelles qu’Ishiguro illustre au mieux la schizophrénie du Japon tiraillé entre son désir d’expansion économique, technologique et son ancrage dans les valeurs traditionnelles et familiales. Dans l’une de ses nouvelles intitulée « un retour difficile », Ishiguro décrit une soirée passée par un jeune homme au sein de sa famille. On y découvre tout le décalage qui sépare la jeunesse japonaise de leurs aînés : le jeune homme travaille dans une grande corporation à Kyoto, écoute sans cesse son walkman et n’a que peu de temps à consacrer à sa famille. D’emblée, une atmosphère d’incompréhension mutuelle s’installe, exprimée dans un style Sotinel T., Le destin de l’anime japonais, in Le Monde, lundi 7 août 2006, p. 16. 29 35
  • 36. minimaliste qui cultive la litote et les non-dits. A aucun moment les deux générations ne semblent véritablement capables de communiquer, enfermées qu’elles sont dans leurs propres préjugés. Pour les parents, en particulier le père, l’accomplissement professionnel compte moins que l’épanouissement familial, ce qui le pousse à ne pas apprécier à sa juste valeur la réussite de son fils. D’un autre côté, l’ambition strictement égocentrique du jeune homme lui fait oublier ses racines et l’empêche de comprendre ses origines. Dans les deux cas, il y a impossibilité à véritablement s’aimer. Sans qu’il y ait de véritable dispute, une tension palpable finit par apparaître, aboutissant à une impasse, chacun des deux partis campant sur ses positions et s’apprêtant après le repas, à retourner dans son enfermement psychologique et émotionnel. Le thème de cette nouvelle, que l’on retrouve dans plusieurs autres œuvres d’Ishiguro, est l’incommunicabilité, l’incapacité à exprimer des sentiments qui, à force d’être refoulés, ne peuvent plus être partagés. Même l’amour familial ne semble plus avoir de raison d’exister dans un pays qui, à l’image du jeune homme, se condamne à réussir coûte que coûte sans se préoccuper des conséquences. La détermination de ce jeune est d’autant plus ironique qu’elle devrait refléter une réussite professionnelle et sociale respectable. Mais en définitive, le prix à payer pour vivre cette réussite au quotidien est celui de l’isolement individuel. 36
  • 37. Cette illustration du malaise familial et social japonais n’est du reste pas la seule. On peut également songer au chef d’œuvre de Yasujiro Ozu, Tokyo story. Ce film réalisé dans l’immédiat aprèsguerre illustre la corrosion et l’effacement progressif des valeurs traditionnelles au Japon à travers la rencontre entre un couple de sexagénaires et leurs enfants dans la capitale nippone. Là encore, le constat exprimé par les images plutôt que par les mots reste le même : de génération en génération, les Japonais ne semblent plus parvenir à communiquer, à se comprendre ni même à s’aimer. Plus récemment, Takeshi Kitano, immense star télévisuelle au pays du soleil levant a exprimé dans son film Kids return le déboussolement ressenti par les jeunes Japonais au sein d’une société où les sentiments comptent moins que la réussite. Pour autant, il convient de souligner que les plus grands succès cinématographiques de ces dernières années sont les œuvres qui expriment une fascination pour les traditions ancestrales du Japon. Ce phénomène est particulièrement flagrant à travers l’énorme succès remporté par tous les dessins animés japonais produits et réalisés par le studio Ghibli. « Le créateur de ce studio (Hayao Miyazaki) entend sensibiliser le public à l’importance de rester en accord avec la nature, faisant appel à ses souvenirs pour évoquer la campagne japonaise des années cinquante. »30 Il reviendra d’ailleurs sur ces thèmes dans ses films suivants, notamment le célèbre 30 Extrait tiré du magazine « Première », Paris, août 2006 N°354 37
  • 38. Princesse Mononoké (1997) et ses divinités sylvestres baignant dans un monde mythologique. La sortie récente et simultanée en DVD de Mon voisin Totoro et de Pompoko n’est pas dépourvue de cohérence, bien que les deux films d’animations aient été réalisés à six ans d’intervalles. Outre les liens évidents qui unissent ces deux dessins animés, l’un et l’autre traitent de l’importance de rester en phase avec la nature et les traditions. Le premier, d’une façon totalement apaisée (aucun méchant dans Mon voisin Totoro), le second de manière beaucoup plus réaliste. En effet, l’histoire de Pompoko est celle de Tanukis, sorte de ratons laveurs qui résistent à l’implantation d’une ville nouvelle, ce qui donne lieu à de multiples conflits. Entre humains et animaux d’abord, les premiers étant considérés comme des envahisseurs qui menacent l’équilibre de la forêt ; entre les Tanukis ensuite, qui sont répartis en deux camps : d’une part, les partisans d’un compromis inévitable avec les humains et, d’autre part, les résistants irréductibles. A travers cette rivalité, on voit illustrée la dispute qui a secoué la vie japonaise pendant vingt ans après la Seconde Guerre mondiale. D’un côté les progressistes qui pensent que la seule façon de sortir de la débâcle est de composer avec une culture radicalement nouvelle, celle de l’ennemi américain, et plus généralement de s’ouvrir au mode de vie occidental. De l’autre côté, les conservateurs nationalistes partisans d’une résistance culturelle et traditionnelle pour sauvegarder l’identité nippone. 38
  • 39. Mais le dessin animé le plus pertinent, tant au Japon qu’en Occident, est certainement Le Voyage de Chihiro. A travers le parcours initiatique et l’apprentissage picaresque d’une petite Japonaise, Miyazaki parvient au cœur de ses thématiques : dans un monde urbain, technologique et déshumanisé, il est nécessaire de rester en contact avec les traditions, la nature et les sentiments. Au début du dessin animé, Chihiro, une jeune écolière lasse d’une vie qu’elle n’a pas encore vécue, n’écoute que très distraitement ses deux parents. Mais quand le sort condamne ces derniers à être transformés en cochons, la petite fille va être forcée de devenir mature et responsable. Comme toujours chez Miyazaki, cette évolution a un cadre authentiquement japonais qui fait référence à la mythologie et aux histoires ancestrales du Japon. Symbole de ce littéral retour aux sources, la maison des bains, somptueux bâtiment architectural, dans lequel l’héroïne va réapprendre à vivre au contact de personnages tels que sorcières, elfes ou autres créatures des bois. A travers ce lien entre réalité et fiction, l’on peut ainsi voir comment des œuvres en apparence purement fictives parviennent à rendre compte d’un malaise sociétal profond. 39
  • 40. 3.3. Le Comiket : refuge des otaku Créé par un petit groupe de fans en 1975, le Comiket a aujourd’hui acquis ses lettres de noblesse au sein de la communauté otaku. Alors qu’à ses débuts, ce rassemblement bisannuel réunissait 32 cercles (clubs de dessinateurs amateurs) et 700 participants, aujourd’hui le Comiket regroupe plus de 34.000 cercles et 500.000 jeunes. L’événement est de telle ampleur qu’il occupe tout le Parc des expositions d’Ariake, un complexe de la taille du Parc des expositions de la porte de Versailles à Paris. En trois jours, pas moins de 5 millions de fanzines sont vendues, générant un chiffre d’affaires de 22,5 millions d’euros. Le guide du visiteur contient à lui seul plus de 700 pages, consacrant à chacun des exposants une vignette large 4 centimètres.31 La grande force du « Comic Market » tient en sa volonté de dépasser les mangas commerciaux destinés à la masse. L’originalité de sa démarche consiste à ne s’intéresser qu’aux fanzines, à entendre par là les mangas dessinés par des amateurs et qui ne s’adressant qu’à un cercle restreint de lecteurs avec lesquels les dessinateurs lient une relation quasi-personnelle. La grande particularité de cet événement tient donc en son aspect non commercial. En effet, même si, au cours de ces trois jours, il s’y produit de nombreuses transactions, l’argent circule uniquement BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », J’ai lu, Paris 1999, p. 150. 31 40
  • 41. entre amateurs de mangas, les stands commerciaux étant bannis de ces lieux. En réaction à ce boycott radical des commerces, les médias ont pris le parti de bouder la manifestation. Malgré son ampleur considérable, le Comiket ne bénéficie pratiquement pas de couverture médiatique. Alors que les manifestations sponsorisées, même les plus petites, ont droit à leur heure de gloire sur les chaînes nippones, le Comiket constitue pour les médias un nonévénement. Quel intérêt à médiatiser un événement où industriels et commerciaux n’y trouvent pas leur compte ? C’est en déjouant les lois du consumérisme que le Comiket se révèle être la plus otakiste de toutes les manifestations. Car l’argent qui y circule ne parvient pas à atterrir dans la poche des commerciaux. Il n’empêche, depuis 1998, le Comiket a été contraint d’ouvrir ses portes à quelques stands commerciaux. Etant donné qu’un grand nombre de fanzines échangés à la manifestation constituent des parodies de séries commerciales vendues sans que le dessinateur ne possède de droits sur la série, les structures commerciales se sont montrées intransigeantes en matière de copyright. Soumis à une forte pression des commerciaux, le Comiket a fini par accepter la présence de quelques stands, une façon de calmer les ardeurs. 41
  • 42. Dans le fouillis dessiné du Comiket, l’on distingue principalement deux genres dominants : les fanzines érotiques pour les garçons et les yaoi pour les filles. Peu connus des occidentaux, les yaoi mangas racontent les aventures de garçons homosexuels. Ils sont principalement l’œuvre de jeunes femmes dessinatrices cherchant à dépasser les romans à l’eau de rose. Selon Etienne Barral, le genre yaoi serait une réaction à l’opposition sexuelles des hommes, une forme de révolte contre l’image stéréotypée de la femme dans les médias. « (Le phénomène) des yaoi manga est révélateur du profond malaise qui sous-tend la sexualité et les relations sociales entre hommes-femmes chez les jeunes Japonaises (…). Le choix de décrire des relations homosexuelles n’est pas innocent. Il tient au refus des jeunes filles se lier le sentiment amoureux qu’elles idéalisent aux contraintes sociales et psychologiques qu’engendre dans le réel une relation « banale » entre un homme et une femme. » 32 Hormis le succès que remportent les fanzines, une autre spécificité contribue à faire du Comiket le lieu de rassemblement des foules : les activités cosplay.33 Par la pratique du cosplay, il s’agit tant de revendiquer ses préférences en matière de personnages manga que d’attirer le regard du public. Ils sont ainsi des milliers à BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », J’ai lu, Paris 1999, p. 162. 33 Le mot cosplay est né de la contraction de l’anglais costume et playing (ou player). Le principe consiste à jouer le rôle d’un personnage, notamment de mangas, à l’aide de déguisement et maquillage. 32 42
  • 43. se promener en héros animés et à s’exposer aux flashes crépitants des appareils photos. Ainsi, le Comiket constitue le lieu de pèlerinage des otaku, leur « Q.G. » pour reprendre l’expression de certains analystes. Il existe toutefois en France un événement fort semblable : la Japan Expo. Le rapprochement entre ces deux festivals sera l’objet de notre second chapitre. 43
  • 44. PARTIE II : L’OTAKISME EN FRANCE je passe mon tps devant le pc / je suis fille unique / j'ai tjr été entourée de gdes personnes, ss autres enfants, dc peu de contacts vers l'extérieur / on me donnait tt qd j'étais petite dc égoïste aujourd'hui / maintenant, je suis sauvage, associable, agoraphobe, et toute la panoplie de la super no life otaku / je voudrais m'améliorer 34 1- LA VAGUE ASIATIQUE Depuis quelques années, la culture japonaise s’est mise à déferler en vagues sur l’Occident. En France, ce sont d’abord les animations qui conquièrent toute une génération d’enfants. Quelques années plus tard, les consoles de jeux envahissent le marché ludique. Et aujourd’hui, les mangas permettent aux maisons d’éditions françaises de tenir bon sur le marché du livre. Plus récemment encore, cette vague asiatique, surtout japonaise, nous livre de nouvelles recettes. De nombreux jeunes Français se mettent alors à pratiquer des activités cosplay, non seulement occasionnellement mais parfois même dans leur vie quotidienne. Et si certains préfèrent s’entraîner à longueur de journées à des MGames (jeux musicaux), d’autres choisissent encore de se rendre aux événements du J-Rock (rock japonais) pour voir les stars japonaises faire leurs premiers pas en France. 34 Entretien avec « Mitsubachi » via MSN Messenger. 44
  • 45. Au sein de cette communauté de passionnés pour la japanimation, nombreux sont ceux qui se prétendent otaku. Comment interpréter cette revendication ? Faut-il y voir un simple engouement pour la culture japonaise ou, au-delà des propos, le signe d’un mal-être profond ? Parmi ces jeunes, le plus souvent passionnés de jeux vidéos, ne trouve-t-on pas des joueurs compulsifs qui, à l’instar des otaku japonais, se réfugient dans leur bulle virtuelle ? Récemment, en consultant des forums de discussions « réservés aux otaku », nous avons remarqué qu’un événement national imminent occupait tous les esprits. Les otaku français ne semblaient plus vivre que pour une chose : la Japan Expo, le plus grand festival européen des loisirs asiatiques. 1.1. Le festival Japan Expo C’est au Parc des expositions de Paris-Nord-Villepinte que se tient durant trois jours la septième édition de la Japan Expo. S’étendant sur 47.000 mètres carrés, ce festival du divertissement asiatique qui comptait 2.400 personnes en 1999, devrait en rassembler plus de 55.000 cette année.35 Et si un journal comme Le Monde semble encore s’étonner de l’ampleur de cet événement, pour bon nombre de fans, ce succès est depuis longtemps une 35 Entretien avec Pierre-Yves Devroute. 45
  • 46. évidence. Sur un forum de discussion Internet consacré à la Japan Expo, on peut lire ce commentaire laissé par un internaute : « Un peu d'humour venant du monde [le journal] du 6 juin "Japan Expo, qui ouvre à Paris le vendredi 7 juillet, attend 60 000 visiteurs. La culture populaire nipponne suscite un engouement croissant, surtout chez les jeunes. Pour les spécialistes, le phénomène n'est pas passager". Ils sont mignons avec leur phénomène passager, ça fait 10 ans que je l'entends, il était grand temps qu'ils se rendent compte que c'est loin de l'être.... »36 En vouant un véritable culte au manga et à l’anime, en débattant de pratiques telles que le scantrading ou le fansubbing à la lisière de la légalité ou en accueillant les fanzines, ces bandes dessinées réalisées par des amateurs, le festival Japan Expo représente aux yeux des fans, un Eldorado de trois jours. Trois jours durant lesquels ils pourront s’affronter entre experts de Mario Kart Twin, se procurer « Weather Report », le dernier single de Hitomitoi, célèbre chanteuse de J-Pop (pop japonaise) ou tout simplement se pavaner en tenue cosplay. 1.1.1. L’art du cosplay Les défilés cosplay constituent l’une des principales attractions du festival. Le principe consiste à reproduire et à porter un Commentaire laissé par « Gexian » sur un forum d’Animeland.com intitulé « Japan Expo ». 36 46
  • 47. costume, le plus souvent fait à la main, issu d’une œuvre de fiction (manga, série ou film d’animation). Apparu en France au sein des salons à tendance japanime, le cosplay est souvent inspiré des mangas ou dessins animés japonais, mais depuis peu, s’ouvre également aux bandes dessinées françaises et étrangères ainsi qu’aux jeux vidéo. Depuis 2003, TV Aichi, grande chaîne japonaise, organise le World Cosplay Summit, la plus grande compétition internationale de cosplay. Pour la première fois, l’étape française du concours se déroule à la Japan Expo où deux cosplayers seront sélectionnés pour participer à la finale au Japon, à Nagoya. Le thème est libre à condition de rester dans la tradition du cosplay, c’est-à-dire de réaliser son propre costume inspiré d’un personnage tiré d’une œuvre précise. Le règlement spécifie toutefois : « le crossplay (inversion des sexes) et les costumes "humanisés" sont autorisés, tous comme les robots et les mascottes. Par contre, évitez les cosplay aux costumes banals sans aucune réalisation technique, les customisations à outrance de costumes obscurs et les costumes originaux, vous pourriez être éconduits pour l'inscription aux concours car le nombre de places est très limité. » 37 En effet, la capacité maximale autorisée est de 80 places pour les participations en individuels et un maximum de 40 groupes est 37 Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, Evénement Cosplay, p. 19. (v. site web de la Cosplay Factory : http://www.cosplayfactory.org) 47
  • 48. autorisé à défiler. Ils sont toutefois des centaines à avoir revêtu la tenue d’un héros animé, souvent sans l’intention de concourir. C’est le cas de nombreux exposants ou de créateurs de fanzines, ces derniers portant parfois la même tenue que le héros qu’ils ont accouché sur papier. Cécile Pera, grande adepte de cosplay et de jeux musicaux, ne tient pas à participer au concours de cosplay. Elle a juste voulu se déguiser en Iroha, l’héroïne du jeu Beatmania IDDX, un M-Game populaire. Nous lui demandons des détails sur la fabrication de son costume pour pouvoir en estimer le prix. « Les petits signes sur les manches, je les ai brodés à la main, …euh… pour les écouteurs, j’ai utilisé des boules de polystyrène, le vinyle je l’ai trouvé en brocante. Le plus pénible, c’était sans doute la perruque parce qu’on ne la trouve pas en France et que je ne pouvais pas la faire moimême. Donc j’ai du la faire importer de Chine. Elle m’a coûté …euh… j’ai payé 14 euros, donc 18 avec les frais de port. Au final, ça revient pas si cher. Bon, c’est vrai que ça m’a pris du temps pour le faire [le costume], bien plus que pour un Japonais expérimenté. » - Parce que tu as mis combien de temps ? « Non, je suis désolée, je ne peux pas le dire, c’est la honte …mais c’est aussi mon premier costume. » - Un Japonais expérimenté, il met environ combien de temps ? « A peu près 10 heures … … Moi j’ai mis …euh…entre 300 et 400 heures. »38 Autre différence avec le cas japonais, Cécile Pera conservera son costume une fois le festival terminé. Au Japon, faute de place, 38 Entretien avec Cécile Pera. 48
  • 49. les cosplayeurs sont souvent forcés de se défaire de leurs créations parfois pour une bouchée de pain. Difficile cependant d’évaluer le coût d’un costume, le caractère unique de chacun d’eux ainsi que les matériaux spécifiques utilisés pour les constituer risquant de rendre toute estimation erronée. En revanche, il semble que le temps nécessaire à leur fabrication est considérable, disproportionné même au regard du temps d’emploi. La confirmation de cette idée nous vient d’un cosplayer adulte qui, au beau milieu d’une foule de jeunes, s’en distingue complètement : habillé de façon tout à fait ordinaire, il porte au sommet du crâne une sorte de visière avec trois lentilles vertes en guise d’yeux. Nous le questionnons au sujet de cet objet interpellant. « Ça ? (C’est) le casque de Splinter Cell. » - Pourquoi ne portez-vous pas toute la tenue ? « Je l’ai déjà portée les deux jours. En général, une tenue, on ne la porte qu’une fois. » - Cela revient cher pour toute la combinaison ? « Ça coûte rien, c’est fait maison. C’est juste que ça m’a pris 400 heures pour faire tout le déguisement. Mais, bon …si vous tenez vraiment à le voir, allez sur le Net ... j’ai été pris au moins 200 fois en photo depuis que je suis ici. »39 Ces centaines de photos d’un seul et même cosplayer constituent sans doute pour lui la compensation des centaines d’heures de 39 Interview de Thierry Poncelet. 49
  • 50. travail investies dans la confection de son costume. Il lui est en effet presque impossible de marcher dans une allée sans se faire interpeller par des fans qui, parce qu’ils viennent de reconnaître en lui le héros d’une série qu’ils affectionnent, souhaitent conserver un souvenir de son passage-éclair. L’on voit ainsi fréquemment des groupes de six ou sept cosplayeurs marcher côte à côte et prendre la pose lorsque se présente devant eux une armada de photographes amateurs. Il est plus rare qu’un cosplayer circule seul. Les solitaires le sont généralement par nécessité, lorsqu’ils sont en quête de bandes dessinées mangas ou autres objets de la japanimation. C’est le cas de ce jeune garçon aux yeux et cheveux bleus clairs dont l’anneau à la lèvre inférieure est relié au piercing de son oreille par une chaînette argentée. Ses vêtements lacérés donnent l’impression qu’il sort à l’instant d’un violent affrontement. Même plongé dans les bacs de mangas du stand Kurokawa à la recherche d’un épisode de Full Metal Alchemist, le combattant charismatique n’a pas échappé à la gent féminine. En l’espace de deux minutes, pas moins de trois jeunes filles ont demandé à le prendre en photo. Au cours de la conversation que nous tenons avec lui, nous discutons des critères permettant de déterminer la valeur d’un costume : « Pour moi, ce qui fait la valeur d’un costume, c’est pas son prix mais l’originalité. Il faut que ça soit quelque chose de personnel. Ça doit pas nécessairement coûter cher. Regarde les filles là-bas (il montre un 50
  • 51. groupe de sept filles Japonaises, toutes affublées de la même tenue de collégienne). Un ensemble comme ça, t’achètes ça tout fait. Et c’est pas donné, ça va facilement chercher dans les 200 euros. Mon déguisement, c’est quoi … des vêtements que j’ai découpé moi-même, une double coloration et des lentilles bleues, rien d’autre. Mais c’est de moi. » - Donc, tu estimes qu’il ne devrait y avoir que des costumes originaux … « Non, non, pas du tout …euh… tout le monde n’a pas la patience ni l’envie de créer son propre costume. Je dis juste que …euh… que l’originalité, c’est un bon critère pour juger un costume. Maintenant, libre à lui celui qui l’achète tout fait. De toute façon l’objectif n’est pas là. L’objectif du déguisement c’est de pouvoir s’exprimer à sa façon. C’est l’occasion pour des filles qui … qui ne sont pas spécialement jolies de se mettre en valeur sans avoir peur d’être jugées sur leur physique. C’est ça, le but. La Japan Expo, ça sert de défouloir. »40 La discussion semble déboucher sur quelque chose de très significatif : la nécessité pour des jeunes de se travestir en personnages fictifs afin d’échapper à ce qu’ils sont au quotidien. C’est déjà ce qu’Etienne Barral pointait du doigt en se rendant au Comiket : « Ce désir de changer de peau est une constante dans la galaxie otaku. Comme si en se déguisant en personnages de dessins animés les jeunes parvenaient en fait à retrouver leur vraie personnalité. Comme si leur morne habit de tous les jours était en fait le vrai déguisement, celui qui les représente sous un jour qui ne leur correspond pas. »41 40 Entretien avec « Bluestone ». BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », J’ai lu, Paris 1999, p. 161. 41 51
  • 52. 1.1.2. Les jeux musicaux Parmi les nombreux stands, celui des M-Games (jeux musicaux) est de loin l’un des plus populaires. Bien que les MGames se déclinent sous de multiples formes, le principe reste le même pour tous : suivre un rythme ou une mélodie en utilisant un accessoire particulier (tapis de danse, micro, castagnettes). Le player aura donc pour mission de reproduire un enchaînement de riffs à la batterie ou à la guitare, de répéter des rythmes aux tambours ou encore de réaliser une succession de scratches aux platines. L’une des innovations de cette année tient en la présence de bornes d’arcade sur le stand de jeux musicaux. Les visiteurs peuvent désormais s’essayer aux bornes traditionnelles (Singstar, Donkey Konga) mais également aux dernières importations japonaises pas encore disponibles en France (Beatmania IIDX 11, Taiko No Tatsujin, Pop'n Music 12, Guitar Freaks V) 42. Pour les débutants, des séances d’initiation aux jeux musicaux sont possibles. Les plus expérimentés peuvent quant à eux participer à de mini-tournois avec lots à la clé. De toutes les déclinaisons MGames, l’attraction sans conteste la plus populaire est le tapis de danse. Il en existe de tous types : cela va du simple tapis mou à 20 euros au tapis de luxe à 300 euros (comme le EDG de cobalt Flax) en passant par le tapis métallique à 150 euros (tels les TX1000 et 42 Guide du visiteur de Japan Expo 7 ème impact, Pop Culture : M-Games et le Bemani, p. 30. 52
  • 53. TX2000), le plus célèbre étant le Dance Dance Revolution (DDR) dont la nouvelle borne DDR Supernova est très attendue par la communauté des joueurs français. Cécile Pera s’est découverte une passion pour les jeux musicaux lors de la Japan Expo de 2003. Après avoir assisté à des démonstrations de danse avec son compagnon, tous deux se sont procurés un tapis afin de s’exercer à domicile. A force d’entraînements journaliers (3 à 4 heures par jour), ils ont aujourd’hui atteint un niveau plus que respectable dans la communauté des joueurs. Lorsque nous lui demandons le genre de performance qu’elle est capable de réaliser, Cécile Pera nous donne deux références Internet où l’on peut visionner en ligne des démos de danse.43 Sur l’une des vidéos, on peut voir un jeune garçon dansant, dans un état quasi-épileptique, sur deux bornes de jeu à la fois, bondissant instantanément de l’une à l’autre. A un niveau plus modéré, on trouve au festival de nombreux visiteurs venus expérimenter les bornes de jeux par simple curiosité. Cela peut expliquer l’attroupement autour du Dancing Stage Supernova, une borne de jeu au concept plutôt aguicheur. Le principe constitue à reproduire au mieux la chorégraphie virtuelle d’une danseuse japonaise en tenue moulante qui se remue au son 43 Les adresses des deux sites web : http://www.youtube.com/watch?v=TChVcm8fLcc&search=iidx%20LISU http://www.youtube.com/watch?v=E-TFd3eN70o&search=DDR%20yasu 53 et
  • 54. d’une musique J-Pop (pop japonaise). Autour de l’apprentidanseur, cinq capteurs en forme de fleur rose posés au sol évaluent ses mouvements de danse. La chorégraphie terminée, le joueur voit apparaître son score à l’écran. Nous interrogeons un danseur qui vient d’enchaîner coup sur coup deux chorégraphies. - Après ça, tu penses t’être amélioré en danse ? « (Essoufflé) En fait, ça t’apprend pas vraiment à danser … c’est plus un sport. Et puis, ça t’initie aux chansons japonaises. »44 Cette dernière phrase nous semble tout particulièrement porteuse de sens. Nous constatons en effet qu’à travers les multiples activités que propose le festival, nombreuses sont celles qui permettent aux néophytes français de se familiariser avec la culture japonaise. Cécile Pera, l’adepte des M-Games, reconnaîtra que depuis qu’elle s’est mise à pratiquer les jeux musicaux, elle écoute bien plus d’Eurobeat (musique dance japonaise). De nombreux karaokés permettent aux fans de chanter les génériques de leurs séries préférées en VF mais aussi en VO. Des associations (comme GKJdR) proposent au visiteur d’incarner le héros manga ou d’animation de son choix à travers des jeux de rôles. Et toutes sortes de quiz sont là pour inciter les badauds à réviser leurs connaissances en matière de jeux vidéo japonais ou de japanimation. 44 Interview de Julie Fraiquin. 54
  • 55. A côté de cela, on remarque que la plupart des stands proposent des séances d’initiation aux spécificités nippones : initiation à la calligraphie, à l’origami (art du pliage de papier), au OGestu Ryu (forme de danse de combat) ou même au puroresu (catch japonais). Les stands de modélisme, en plus d’offrir des stages d’initiation, vous propose de réaliser vos propres maquettes de papier à domicile en téléchargeant des modèles pliables. L’on pourra ainsi voir à côté d’un gigantesque vaisseau spatial en papier un petit écriteau précisant que « le fichier du Gun Dam Hazel est disponible sur www.tamasoft.co.jp/pepakura_en ». Certains concours offrent de redessiner les héros manga façon estampes (comme le concours Okami-Capcom) ou de recréer un manga à partir de la première et dernière case d’une planche tirée d’un manga existant. Des associations proposent même aux intéressés des stages payants pour expérimenter l’activité de mangaka (dessinateur de manga) à travers l’apprentissage du trait, l’écriture de scénario, la création de d’infographie. story-board ou tout simplement le travail 45 Si, a priori, les activités du festival semblent exclusivement résulter de l’importation pure et simple de différents pans de la culture nippone, en y regardant plus près, on remarque des affinités entre culture française et japonaise, lesquelles donnent 45 Une association comme Yutaka propose ainsi 70 heures de cours (24 heures de cours de japonais et 46 heures de cours de manga) pour la somme de 476 euros. 55
  • 56. quelquefois lieu à un vrai métissage culturel. Ainsi, le jeu du Suchi Quiz reprend le principe de l’ancienne émission télévisée d’Alain Chabat, le Burger Quiz. Un autre divertissement intitulé « Qui veut devenir un champion de Tsubasa ? » n’est autre que la version anime de « Qui veut gagner des millions ? ». Autrement plus significatif, le large emplacement consacré à Espace Japon, un espace culturel franco-japonais (et dont l’établissement prestigieux est situé à environ trois cent mètres de la tour Eiffel). A ce stand, on trouve un étalage réservé au journal OVNI, un bimensuel franco-japonais parisien distribué gratuitement en France et au Japon. 46 Il peut sembler surprenant de constater comment les langues française et japonaise, pourtant si différentes l’une de l’autre, parviennent non seulement à cohabiter au sein d’un journal mais, mieux encore, à se compléter. L’on voit ainsi apparaître dans des articles rédigés en langue japonaise des mots français intraduisibles en japonais (comme « pruneau », « crème anglaise », « eau de vie », ou « contrat première embauche »). A chaque parution, la section « dico » permet aux lecteurs japonais l’apprentissage d’un mot français. Le nom des rubriques (actualités, annonces, cinéma) est par contre toujours écrit en français. Il est à noter qu’Etienne Barral, l’auteur de « Otaku : les enfants du virtuel » est membre de la rédaction de ce journal. 46 56
  • 57. Autre signe de ces affinités franco-japonaises, la collaboration de Japan Expo et de la NHK, première chaîne de télévision nippone, pour l’enregistrement d’une émission spéciale de 90 minutes. Intitulé Cool Japan, ce talk-show japonais connaît déjà un franc succès en son pays. « Le concept de l'émission Cool Japan est plutôt simple : réunir sur un plateau huit personnes nonjaponaises mais vivant au Japon afin de leur demander ce qu'elles y trouvent de « cool ». (…) La NHK a décidé de reprendre le même concept, mais au lieu de demander aux visiteurs ce qu'ils pensent du Japon, les présentateurs de cette célèbre émission leur demanderont ce qui est « cool » à Japan Expo. ( …) La présence de la première chaîne japonaise sur notre événement est pour nous [les organisateurs] une preuve que celui-ci est désormais connu et reconnu bien au-delà de nos frontières. »47 1.1.3. Mangas, animes et jeux d’arcade A côté des deux attractions populaires que sont le cosplay et les M-Games, d’autres encore ont une propension à rassembler les foules. Les secteurs du manga, de l’anime et du jeu d’arcade, qui feront chacun l’objet d’un chapitre particulier, remportent comme à leur habitude un franc succès. 47 Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, Evenement Cool Japan, p. 17. 57
  • 58. L’on trouve ainsi un espace du nom de Arcaland regroupant plusieurs salles d’arcades, lesquelles mettent à la disposition des fans une série de bornes de jeux vidéo en freeplay (gratuitement), toutes sous l’hégire des plus célèbres noms d’éditeurs arcade (tel que Sega, Konami, Namco ou encore Nintendo). Certaines salles proposent les dernières nouveautés en avant-première, comme le stand Nintendo avec sa nouvelle version de Zelda et de Final Fantasy 3 sur Nintendo DS. En matière d’animes, on trouve également de quoi ravir tous les fans de japanimation. Sur toute la durée du festival, une trentaine de dessins animés japonais doivent être projetés « en avantpremière mondiale ».48 Dans le même registre, on trouve un écran géant qui diffuse en boucle le générique des plus célèbres dessins animés japonais. Une scène entière est carrément consacrée à un jeu de connaissance des génériques au cours duquel quatre équipes s’affrontent sur des karaokés piégés. Alors que les membres d’une équipe sont occupés à chanter en chœur un générique d’anime en suivant les paroles sur un écran, surgissent soudainement des paroles inexactes. Instantanément, les membres de l’équipe doivent faire appel à leur mémoire pour ne pas se laisser entraîner dans l’erreur. L’équipe gagnante est celle qui sera restée la plus fidèle au générique original. 49 48 Ibid, p. 36. Le succès de l’anime en France a notamment donné naissance à de nouvelles professions comme celui d’importateur de celluloïds (cell) et qui consiste à 49 58
  • 59. Les mangas ne sont pas en reste. Pour l’occasion, la Japan Expo a invité des mangakas (dessinateurs de mangas) de renommée internationale. Leur plus fervents admirateurs, venus expressément au festival pour leur rendre hommage, n’auront souvent pas l’occasion de voir autre chose qu’une longue file d’attente de fans attendant d’obtenir non pas un autographe mais un dessin de leur mangaka favori. Certains arrivés tôt le matin feront parfois la queue jusqu’à l’heure de fermeture des portes sans même avoir fait un pas dans le festival. 1.2. Japan Expo : un refuge pour otaku ? De par son concept et le succès qu’il rencontre, le festival Japan Expo n’est pas sans rappeler le Comiket. Tant les fanzines de bandes dessinées que les défilés cosplay autorisent à croire que le festival tire directement ses idées du Comic Market japonais. Il y a toutefois une différence de taille entre les deux événements qu’on ne pourrait négliger : la dimension commerciale de la Japan Expo. 1.2.1. Dimension commerciale La description du festival Japan Expo nous vient du journal Le Monde lequel décrit l’événement comme un « hybride de festival racheter des planches originales de dessins animés japonais pour les revendre soit par Internet, soit à l’occasion d’événements exceptionnels comme lors de festivals. 59
  • 60. culturel et de Salon commercial. »50 Les sponsors figurant sur la couverture du guide du festival en sont peut-être la meilleure illustration : Glénat, Delcourt ou Soleil Manga ; tous les plus grands du marché de la bande dessinée. A l’intérieur du festival, on remarque une large place laissée à des animes populaires comme Naruto ou Full Metal Alchemist, désormais distribués dans les hypermarchés après avoir conquis les grandes surfaces culturelles. Conséquence de cette expansion du marché manga, un élargissement de l’audience qui fait que « depuis 2004, le public de la Japan Expo n’est plus seulement constitué de fans mais aussi de familles. »51 A côté de cela, des voyages d’un mois au Japon sont organisés en collaboration avec Japan Airlines (JAL), la plus grande compagnie aérienne nippone, et qui se présente comme le « transporteur officiel de Japan Expo 2006 »52 Un peu partout à travers le festival, on trouve des distributeurs Capsule Station Gashapon proposant des figurines de personnages mangas de cinq centimètres à un euro la pièce. A bien des égards, la Japan Expo prend la forme d’un hypermarché de produits japanisés. A l’achat de plusieurs articles (animes, mangas ou autres), le client reçoit un énorme sac en carton à l’effigie des plus célèbres héros mangas. De fait, ce sont des Sotinel T.,Wecker N., , Mangas : « Goldorak », vers l’âge adulte, in Le Monde, jeudi 6 juillet 2006, p. 19 51 Idem. 52 Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, p. 35. 50 60
  • 61. milliers de sacs que l’on voit tenus à bout de bras. Plusieurs fans déplorent pourtant ce développement vers le marchandising : « C'est de plus en plus une boite a fric / moins d'exclusivite / (tout ce qu'il y a tu peux le trouver dans les boutiques specialise a Paris) / (et moins cher sur internet) / et de plus en plus en monde / disparition des stands plus classiques / disparition des plus petit stands / et de plus en plus de gros stands commerciaux : tonkam, pika, declic image... » 53 « Personnellement, je dois dire que je suis un peu déçu. Quand on voit comment c’était avant [le festival] … franchement, c’était nettement moins commercial. Euh… je me souviens qu’avant, dans l’ancienne salle, t’avais un amphithéâtre avec des gradins d’où tu pouvais voir les spectacles de danse et tout ça … Maintenant, avec tout ce nouveau monde, la salle où ils organisaient ça était devenue trop petite. Donc pour pouvoir accueillir tous les fans, …ben ils ont décidé de faire ça au Parc des expositions qui est une grande surface plane. Maintenant tu vois plus rien des spectacles et t’as plus aucun point de repères quand tu es dans la salle. »54 Il n’empêche, certains préceptes de la Japan Expo laissent encore planer un certain esprit de Comiket. Ainsi, par exemple, si les quarante premières pages du guide du visiteur sont consacrées aux activités du festival, les cent autres ne sont que des extraits de mangas (Kamunagara, Geobreeders, Tokyo Underground).55 Lorsque nous demandons à Pierre-Yves Devroute, porte-parole de Japan Expo, si le concept est bien inspiré du Comiket, sa réponse est catégorique : 53 Entretien avec Cécile Pera via MSN Messenger. Entretien avec Philippe Deguel. 55 Il est à noter que les sept extraits de mangas figurant dans le guide du visiteur comportent tous d’importantes scènes de violence. 54 61
  • 62. « L'idée initiale est bien sur inspirée du Comicket, mais sur la forme, les deux festivals n'ont rien à voir. »56 1.2.2. Et les otaku ? Si la différence entre les deux festivals tient en la dimension non-commerciale de l’un et l’aspect exclusivement commercial de l’autre, peut-on dès lors envisager que des otaku songent même se rendre à la Japan Expo ? La réponse des commerçants varie du tout au tout : « Des otaku ? Il n’y a que ça ici ! »57 « Si tu cherches des otaku, c’est pas ici que tu vas les trouver … les vrais otaku, ils sont chez eux, pas ici. Japan Expo, c’est trop commercial … »58 Aussi, à la question « comment décrivez-vous le véritable otaku », les réponses varient : « Le vrai otaku, c’est celui qui reste chez lui, qui télécharge comme un porc, qui a raté ses études, qui regarde des animes à longueur de journées, qui ne parle et ne vit que pour ça. »59 « Le vrai otaku, c’est celui qui est capable de te faire un « perfect » au DDR [Dance Dance Revolution]. »60 56 Entretien avec Pierre-Yves Devroute. Interview de Mathieu Warzée. 58 Interview de Marie Evrard. 59 Entretien avec Cécile Pera. 60 Interview d’un jeune journaliste couvrant le festival Japan Expo. 57 62
  • 63. « Pour moi, le vrai otaku, c’est celui qui aime la culture japonaise. »61 Sans doute sommes-nous ici au cœur de notre problématique. Le terme « otaku » semble revêtir, dans le sens commun, deux significations antinomiques. D’un côté, il définirait le fan de japanimation qui trouve en un événement comme la Japan Expo de quoi alimenter sa passion ; de l’autre, ce terme désignerait plutôt une personne qui a connu des difficultés dans la vie et qui cultive une passion intense pour la fiction animée japonaise sans pour autant recourir aux grands commerces de produits japanisés. Nous pouvons constater au travers des divertissements proposés par le festival que le terme « otaku » est souvent utilisé de façon anodine. L’association Tsubasa par exemple organise un jeu appelé « le Parcours de l’Otaku » où « chaque joueur tire une épreuve (au sort) et doit faire deviner une série (animée) à son équipe. »62 A côté de cela, d’autres activités, moins tape-à-l’œil, parviennent pourtant à rendre compte d’un malaise bien réel. L’exemple le plus significatif se trouve certainement dans le Tanabata (arbre aux souhaits). Ce grand bambou japonais permet aux visiteurs d’accrocher leur vœu le plus cher. A l’aide d’un stylo ou à l’encre de Chine, ils rédigent ce vœu sur un petit papier coloré qu’ils suspendent ensuite à une branche de l’arbre. Ce dernier sera alors entièrement brûlé, la fumée qu’il dégage étant supposée rejoindre 61 62 Interview de Sylvain Delentrée. Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, p. 21. 63
  • 64. deux étoiles incarnant un prince et une princesse du Japon ancestral. Parmi ces vœux, certains sont simplement le fruit d’aspirations adolescentes : « Je souhaite avoir le pouvoir de contrôler par la pensée des objets comme Jean dans Xmen. Hinata. » D’autres, plus significatifs, illustrent la nécessité de combler un besoin sexuel : « Je voudrais plus de Yaoi en France. Audrey. » D’autres encore sont carrément l’expression d’un malaise profond : « Salut, je m’appelle Jean-Baptiste. Je voudrais arrêter de jouer à CounterStrike. » 2- AUX ORIGINES DE LA JAPANIMATION Pour comprendre l’engouement de milliers de jeunes Français pour la japanimation et les dérives que celle-ci a parfois pu entraîner, il nous faut revenir au début des années 80 quand le paysage audiovisuel français connaît de profondes modifications. A cette époque, la chaîne télévisée TF1, qui vient d’être privatisée, cherche un moyen peu onéreux de remplir ses grilles de programmes. La solution vient du Japon : TF1 rachète pour un prix dérisoire une très grande quantité de dessins animés aux 64
  • 65. producteurs japonais et se met à les diffuser dans une émission pour enfants intitulée « Le Club Dorothée ». Tandis que la chaîne s’occupe d’importer massivement des séries japonaises, se produit en France un autre phénomène originaire du même pays : l'arrivée des premières consoles de jeux vidéo japonaises dans les commerces français. Quelques années plus tard, c’est au tour des bandes dessinées manga de faire leur apparition. Autant de facteurs qui vont contribuer à l’immersion nippone de toute une génération de jeunes Français. 2.1. Les animes du Club Dorothée 2.1.1. L’apogée de l’animation (1985-1990) Au milieu des années 80, la chaîne française TF1 doit se rendre à une dure évidence : Récré A2, l’émission pour enfant de la chaîne concurrente Antenne 2, fait la meilleure audience. Pour concurrencer Goldorak qui cartonne sur A2, TF1 décide alors de miser sur l’animation japonaise. Dorothée qui jusque là animait Récré A2, passe donc sur TF1, récemment privatisée, pour présenter une émission destinée aux enfants : le Club Dorothée. Avec l’aide de son équipe exclusivement composée de transfuges d’A2 (Ariane, Patrick et Corbier), l’animatrice Dorothée donne le coup d’envoi en 1987 au début de la rentrée scolaire. La programmation de l’émission est alors essentiellement composée 65
  • 66. de rediffusions. En effet, pour éviter une prise de risque inutile, la première entreprise du Club Dorothée consiste à reprendre à son compte les quelques succès confirmés (tels que Goldorak, Candy ou encore Jayce).63 Mais à la fin des années 80, le Club innove en diffusant de nouvelles séries nippones encore inconnues du grand public (Juliette je t’aime, Le Collège fou fou fou, Lamu) permettant à plusieurs milliers d’enfants d’origine française de se trouver en contact avec la culture japonaise. L’engouement croissant des enfants pour ces dessins animés conforte TF1 dans sa démarche d’importateur de séries nippones, une pratique jusqu’alors unique en son genre. « En ce qui concerne l’animation, il faut savoir que …euh… à l’époque de Dorothée, le Club Dorothée, Dorothée était la seule au monde à aller chercher des dessins animés au Japon – à l’époque, personne n’y allait – et le Japon a fait ce business avec la France, ce qui a transformé la France. Parce que, il faut dire ce qui est, même si le club Dorothée n’était pas tout le temps pertinent au niveau de la sélection des programmes, c’est le Club Dorothée qui a fait de la France le deuxième pays consommateur de mangas au monde pendant très longtemps. » 64 Avec l’énorme succès des Chevaliers du Zodiaque et toute la panoplie de produits dérivés qui en découle (figurines de combattants, déguisements etc.), TF1 prend véritablement conscience du potentiel des séries japonaises. Autre confirmation 63 64 http://www.gametronik.com/site/ClubDo.html Entretien avec Sébastien Moricard. 66
  • 67. de ce succès, la série Dragon Ball, puis plus tard Dragon Ball Z, qui fait littéralement exploser l’audience. A côté de cela, la Cinq, concurrente directe de TF1, lance à son tour un programme constitué de dessins animés plutôt destinés aux filles (avec des séries comme Sous le signe des Mousquetaires ou encore Les Quatre filles du Docteur March). Sans trop s’en rendre compte, les chaînes françaises sont en train de sensibiliser toute une génération à la culture et subculture nippone. 2.1.2. Protestations et suppressions (1990-1993) Avec l’explosion des chaînes commerciales s’accompagne la nécessité de remplir les grilles de programmation de la manière la plus rentable possible. La solution-miracle réside dans la production japonaise, excessivement large de choix et relativement bon marché. Seul problème, faute d’acheter massivement, les diffuseurs prêtent une attention très relative aux programmes qu’ils mettent sur les ondes hertziennes. Conséquemment, il arrive que des séries achetées à la hâte se révèlent, à la grande surprise des diffuseurs eux-mêmes, empreintes d’une grande violence. « Le Club Dorothée, il faut savoir, en fait, achetait vraiment ça ...euh... comme des grossistes. C’était au nombre d’épisodes qu’ils achetaient. Ils ne faisaient pas attention à ce qu’ils achetaient. Ils regardaient quelques épisodes, ils prenaient un paquet, ils se mettaient à doubler ça à la va-vite, et puis ils distribuaient. Donc, souvent, la qualité du doublage ou des séries qui étaient distribuées, ben ...euh... c’était pas terrible. » 67
  • 68. - C’est comme ça, par exemple, qu’une série comme Ken Le Survivant s’est retrouvée dans un programme pour enfants ... « En fait, ils ont regardé quelques épisodes et ils se sont dits, oui pourquoi pas, la violence ça marche. Donc, ils ont pris et ...euh... les épisodes après ont franchement ...euh... ont franchement dérapés. T’avais des signes SS dans les séries ... qui ont été censurés ... (…) Donc ...euh... c’est vraiment pour te dire que, quand je dis grossiste, ça l’est jusque là. Le doublage se faisait ...euh... à la va-vite ...euh... c’était au nombre de lignes qu’ils lisaient. Donc ...euh... plus ils en enfilaient ...euh... sur très peu de temps et ...euh... plus ils touchaient. Donc c’était vraiment ...euh... un immense supermarché ...euh... à l’animation. » 65 Si les enfants ne voient rien à redire aux scènes poussées de violence auxquelles ils assistent, les parents, indignés, n’hésitent pas à monter au créneau contre la chaîne responsable de la programmation. C’est ainsi que fin des années 80 se forment des associations de parents d’élèves exigeant la déprogrammation pure et simple de dessins animés jugés trop violents. En tête de liste, Ken Le Survivant dont les scènes de décapitations et autres sévices corporels n’ont pas échappé à la vigilance parentale. L’affaire atterrit au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et conduit à la suppression irrévocable du dessin animé. Quelques temps après, c’est au tour de Dragon Ball Z de provoquer la fureur des parents faute d’une scène d’extrême violence. L’action menée de front par les diverses associations ira jusqu’à conduire TF1 à s’excuser auprès de ses téléspectateurs avant le journal de 20 heures. Ces 65 Entretien avec Claude Mathy. 68
  • 69. actions répétées finissent non seulement par porter un discrédit sur la production japonaise mais également par réduire fortement le nombre de séries diffusées. Par ailleurs, les censures multiples et répétées dans les épisodes nuisent fortement à la cohérence du scénario. Dès 1992, le Club Dorothée cesse la programmation de dessins animés le mercredi après-midi, lesquels se trouvent remplacés par des sitcoms pour adolescents (Hélène et les Garçons, Premiers baisers). Les animations japonaises désertent les grilles de programmes. 2.1.3. Développement d’un marché parallèle (1993-…) La suppression des dessins animés japonais va créer un attrait pour ce qui est désormais devenu une denrée rare. Progressivement, des clubs de fans apparaissent sur Internet, réseau encore peu connu du grand public. Il faut aussi compter qu’à l’époque, il n’existe que très peu de magasins spécialisés dans le domaine d’où la difficulté de se procurer des animes authentiques. Seule alternative pour les fans, s’échanger par la poste les cassettes vidéo sur lesquelles on a enregistré telle ou telle série : « Au moment où je l’ai redécouvert, l’anime ne faisait pas autant vendre, n’était pas aussi commercial que maintenant. Donc on ne trouvait quasiment rien du tout, si ce n’est quelques VHS, donc ...euh... ça a été vraiment très pénible à ce moment-là de redécouvrir une passion et de ne 69
  • 70. pas avoir le support dans les magasins pour pouvoir l’assouvir. Et alors je dois dire que, vraiment, Internet a amené énormément parce qu’en fait, vu que personne ne vendait ce genre de chose, ou très peu et c’était assez limité, on a commencé, en fait, à créer des forums de discussion et d’échange d’animes. Et donc ...euh... on s’est retrouvé ... on était une bonne centaine à l’époque à avoir à peu près ce même goût-là, de vouloir retrouver les vieilles séries et ...euh... ben il y a toujours quelqu’un qui a une vieille VHS qu’il avait enregistré à l’époque et ...euh... de fil en aiguille comme ça, on arrivait à se recréer des intégrales de très vieilles séries. » 66 Petit à petit, les fans s’organisent et se retrouvent, notamment par le biais des conventions manga. On assiste ainsi au développement d’un véritable marché parallèle regroupant tous les amateurs d’animation. Grâce aux performances grandissantes d’Internet et à sa popularité croissante, les fans peuvent désormais visionner de nouvelles séries via les fansubs, et occasionnellement les télécharger. 67 Cet engouement n’échappe pas aux yeux des commerciaux qui y flairent la bonne affaire. Progressivement, l’on voit apparaître des commerces proposant des bandes dessinées en format de poche, noir et blanc, traduites en français : ce sont les premiers mangas. Petit à petit, le marché de la vidéo s’étend sur le territoire français, permettant aux fans de se procurer des séries intégrales non 66 Entretien avec Claude Mathy. Le terme fansub (contraction de « fan » et du diminutif de « subtitle ») désigne la copie d’une série, d’un film ou d’une émission sous-titré par des fans dans leur langue maternelle. Ainsi, par exemple, un anglophone parlant japonais et qui affectionne une série nippone jamais sortie en Occident créera lui-même les sous-titres afin de permettre à d’autres anglophones de découvrir cette série. 67 70
  • 71. censurées. A côté de cela, on voit apparaître sur les écrans de cinéma des longs métrages d’animation. « La probabilité de voir les grands festivals s'arracher la production des studios d'animation nippons était quasi nulle. Depuis, Le Voyage de Chihiro, d'Hayao Miyazaki, a remporté l'Ours d'or de la Berlinale de 2002, et son Château ambulant a été sélectionné à Venise en 2004. Cannes a invité deux fois Mamoru Oshii : en 2001, Avalon a été présenté hors compétition, et, en 2004, Innocence affrontait Fahrenheit 9/11, de Michael Moore, ou Clean, d'Olivier Assayas. Pourtant, le parfum de mépris qui entoure l'anime ne s'est pas tout à fait dissipé. » 68 Cette industrie florissante constitue pour le fan une véritable opportunité en ce qu’elle lui permet d’effectuer un littéral retour aux sources. En effet, les animations du Club Dorothée étant principalement destinées à des enfants, les doubleurs n’hésitaient pas à édulcorer les œuvres originales. Dans une série comme Juliette je t’aime, il n’était ainsi pas rare de voir les personnages, de jeunes adolescents, tituber après avoir s’être soûlés au jus d’orange. Le cheminement logique devait mener les fans français à se détourner des adaptations françaises pour se mettre en quête des authenticités japonaises. Sotinel T., Le destin de l’anime japonais, in Le Monde, lundi 7 août 2006, p. 16. 68 71
  • 72. Timidement, on voit réapparaître des mangas au Club Dorothée. Mais, mis à part le très populaire Sailormoon, les autres séries nippones ne rencontrent pas un franc succès. De plus, Dragon Ball Z, en dépit de sa forte audience, fait incessamment l’objet de critiques et semble, à bien des égards, nuire à la réputation de la chaîne. La suppression du dessin animé est finalement ordonnée par le CSA. A cela s’ajoute la baisse constante de l’audience et l’image vieillissante de l’émission. Le Club Dorothée prend fin à la fin des vacances scolaires de 1997 après dix années de monopole sur les émissions jeunesse. Pendant un temps, Canal+ reprend le flambeau en diffusant en 1998 une nouveauté à succès, la célébrissime série Evangélion. La chaîne donne également lieu à une émission mensuelle consacrée aux mangas (« manga manga ») ; cela durera un an. Aujourd’hui, les dessins animés nippons ont disparu des ondes hertziennes et sont uniquement disponibles par satellite ou sur les chaînes câblées qui les diffusent en boucle (sur TMC ou ABSat). 69 Ainsi, depuis les débuts en 1978 sur A2 jusqu’à 1998 sur Canal+, les chaînes françaises n’ont cessé, durant vingt années consécutives, de diffuser des dessins animés japonais, presque chaque jour de la semaine. Ce fait n’est pas sans impact sur toute une génération qui, depuis sa plus tendre enfance, a été abreuvée 69 http://membres.lycos.fr/cinemajaponais/DA.jap.80.htm 72
  • 73. de ces animations. Plus que jamais aujourd’hui, bon nombre de ces jeunes fréquentent les magasins de mangas, participent à des conventions mangas ou suivent de près les sorties de longs métrages d’animation. 2.1.4. Hypothèses interprétatives Il peut sembler surprenant de voir comment, en quelques années à peine, la société française est parvenue avec succès à intégrer dans sa propre culture un pan entier de la culture japonaise, celui des animes nippons. Selon nous, ce succès repose avant tout sur le genre même du dessin animé. Depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui encore, ce genre télévisuel est apparu comme un instrument de popularisation incontournable. Ils ont ainsi permis à toute une génération d’occidentaux de découvrir une culture dont ils ne pouvaient que difficilement soupçonner l’existence : « Etant tout petit ...euh... j’ai été ...euh... baby-sitté par le Club Dorothée et ...euh... c’est comme ça, en fait, que je les ai découverts (les animes), mais sans savoir vraiment ...euh... que ça venait du Japon etc. Donc sans savoir ce que c’était vraiment un anime, un manga etc. » 70 Parmi les séries proposées, différents genres apparaissent rétrospectivement : certains dessins animés étaient consacrés aux 70 Entretien avec Claude Mathy. 73