3. ACTE V, Scène 5
Dom Juan, un Spectre, en femme voilée, Sganarelle
Le Spectre
Dom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel ; et s'il ne se repent
ici, sa perte est résolue.
Sganarelle
Entendez-vous, Monsieur ?
Dom Juan
Qui ose tenir ces paroles ? Je crois connaître cette voix.
Sganarelle
Ah ! Monsieur, c'est un spectre : je le reconnais au marcher.
Dom Juan
Spectre, fantôme ; ou diable, je veux voir ce que c'est.
(Le Spectre change de figure et représente le Temps avec sa faux à la main.)
Sganarelle
Ô ciel ! voyez−vous, Monsieur, ce changement de figure ?
Dom Juan
Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si
c'est un corps ou un esprit.
(Le Spectre s'envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper.)
Sganarelle
Ah ! Monsieur, rendez−vous à tant de preuves, et jetez−vous vite dans le repentir.
Dom Juan
Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir. Allons, suis−moi.
4. ACTE V, Scène 6
La Statue, Dom Juan, Sganarelle
La Statue : Arrêtez, Dom Juan : vous m'avez hier donné parole de venir manger avec moi.
Dom Juan : Oui. Où faut-il aller ?
La Statue Donnez-moi la main.
Dom Juan La voilà.
La Statue Dom Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du
Ciel que l'on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre.
Dom Juan Ô Ciel ! que sens-je ? un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon
corps devient un brasier ardent. Ah !
(Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan ; la
terre s'ouvre et l'abîme ; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé.)
Sganarelle
Ah ! mes gages ! mes gages ! Voilà par sa mort un chacun satisfait. Ciel offensé, lois violées,
filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à
bout, tout le monde est content ; il n'y a que moi seul de malheureux, qui, après tant d'années
de service, n'ai point d'autre récompense que de voir à mes yeux l'impiété de mon maître
punie par le plus épouvantable châtiment du monde. Mes gages ! mes gages ! mes gages !
16. A - La mise en scène de Louis Jouvet (1947)
À ce moment, Jouvet est lui-même en débat avec le Ciel
Son dieu, c’est Molière et il voit dans Dom Juan, une
façon d’interroger le ciel ; toute la question érotique est
amoindrie par la question du rapport au Ciel ➙ le
traitement comique est mis au 2nd plan.
Dénouement : montrer un «combat avec la
transcendance», un affrontement avec la mort.
Jouvet interprète lui-même le rôle-titre, raidi dans un
costume de parade noir et blanc.
La scénographie (de Christian Bérad) est constituée de
3 niveaux d’arcades qui s’ouvrent ou se ferment sur un
ciel maritime (Acte II) , une forêt (Acte III) ou une boîte
noire (fin)
23. http://www.youtube.com/watch?v=q_LGO8UHjmc&feature=player_embedded
Témoignage de Michel Piccoli, interprète de Dom
Juan dans l'adaptation de Marcel Bluwal :
"Au moment où Dom Juan serre la main de la
statue, il advient ce qui se passe lorsqu'on est seul
avec ses doutes, ses peurs... L'ami, la femme ou
Dieu que vous avez trahi vient, sous la forme d'une
sorcière, d'un monstre , de n'importe quelle bête
faramineuse, poser la main sur vous. On songe à
tous les personnages imaginaires qui troublent le
sommeil, peuvent perturber la raison jusqu'à le
folie ou la mort. Ces phénomènes sont
représentés par la statue du commandeur. Ce
qu'on a coutume d'appeler le doigt de Dieu. "
32. Le monument funéraire, visible tout au long de l’acte, semble être le témoin des différentes transgressions et engagements de Dom Juan. On note que contrairement à la
commande passée par Molière pour les décors , Daniel Mesguich ne met pas en scène l’intérieur du « temple » : le tombeau garde son secret, que ne pénètrent ni Dom
Juan, ni Sganarelle. Quant aux figures féminines, au nombre de trois comme les Parques (déesses de la Destinée), qui s’animent pour répondre à Dom Juan, elles sont
l’équivalent de la statue du Commandeur chez Molière. Les femmes ont remplacé la figure masculine pour signifier que le châtiment qui sera réservé à Dom Juan sera
d’abord celui d’un Dom Juan séducteur. Cette idée est explicite : d’une part, les trois statues de femmes sont figées dans une mise à mort d’un corps masculin, couché et
dénudé, dans une posture qui évoque le spasme de l’agonie et celui de la jouissance sexuelle ; d’autre part, les membres de pierre dispersés sur le plateau suggèrent le
démembrement d’un corps masculin en même temps que la dispersion légendaire du Dom Juan de Molière en versions mythiques. Enfin, l’animation des statues ajoute du
spectaculaire : il ne s’agit plus d’un signe de tête mais trois femmes de pierre se lèvent pour faire signe à Dom Juan.