Translating machines are the stakes of the next ten years. Either the machines will become 90% trustable, or we will have to get rid of them. Eithertyranslators will become good at bridging the remaining 10% of we will have to get rid of either the translation g machines or the translators. The need for translation will increase satanically over the next ten years.
2. Introduction
Depuis quelques annees les logiciels de traduction automatique ont
fait des progres spectaculaires a la faveur de la constitution sur Internet
d’immenses corpus de textes traduits par des traducteurs humains, tels
que la base de donnees de l’Union europeenne ou de l’Office europeen
des brevets, et de l’emergence informatique de la technologie des
reseaux neuronaux ou reseaux de neurones artificiels, une des branches
de l’intelligence artificielle.
Cet ouvrage, intitule Traduction automatique et usages sociaux des
langues. Quelles conséquences pour la diversité linguistique ?, recueille
les communications presentees lors du colloque du meme nom,
organise par l’Observatoire europeen du plurilinguisme (OEP) et l ’
Universite de Paris (Seminaire ≪ Politiques linguistiques en Europe ≫),
le 25 novembre 2020. Le colloque devait se derouler en presentiel a l’
Universite de Paris mais, a cause des normes sanitaires de confinement,
s’est deroule finalement en visioconference.
L’objet de ce colloque n’etait pas prioritairement d’examiner les
progres techniques realises ni meme de comparer l’efficacite respective
des systemes aujourd ’ hui presents sur le marche, mais il etait
evidemment necessaire d ’ evoquer le contexte technique pour bien
comprendre les nombreuses implications economiques, sociales,
culturelles et politiques. Tous les usages et les pratiques
professionnelles faisant appel a la traduction de maniere reguliere ou
occasionnelle sont aujourd’hui concernes. Mais, au-dela du recours a la
traduction, sont aussi concernes les emplois des langues dans la
communication ordinaire ou la Traduction Automatique peut permettre
3. l’intercomprehension entre locuteurs qui n’ont pas de langue commune
pour communiquer entre eux.
Il nous est donc apparu important de faire le point sur les progres
et les limites de la traduction automatique, mais surtout de susciter des
reflexions sur ses effets multiples. Il est, en particulier, crucial de
problematiser les utilisations de la Traduction Automatique par rapport
aux apprentissages des langues en vue des emplois effectifs de celles-
ci.
Le developpement de la traduction automatique concerne donc les
particuliers, les entreprises et administrations, les professionnels de la
traduction, les enseignants et les etudiants, les chercheurs, les medias,
et un long etcetera.
Selon le rapport que l’on entretient avec les langues, l’usage que l’
on peut faire de la Traduction Automatique est tres variable, et ses
consequences sur la connaissance et l’emploi des langues peuvent s’
averer tres differentes. L ’ activite principale d ’ un traducteur
professionnel, par exemple, peut finir par consister essentiellement a
verifier et a ameliorer la traduction obtenue par la Traduction
Automatique, plutot que de traduire a proprement parler. Dans ce cas,
c’est alors vers une redefinition de ce metier que l’on s’orienterait a la
fois en termes de productivite, mais aussi de methodes ou meme de
competences a acquerir et a mettre en oeuvre, avec les consequences
que l’on doit imaginer sur la formation des traducteurs et des interpretes.
Cependant, la traduction automatique est susceptible d’engendrer
de nouvelles inegalites entre les langues (ou de les reproduire) dans la
mesure ou sont et seront concernees en premier lieu les langues pour
4. lesquelles on dispose deja de bases de donnees importantes,
necessaires au traitement automatique, tandis que pour d’autres, pour
diverses raisons, cela sera plus difficile a realiser.
On peut se demander egalement quelles consequences la
Traduction Automatique pourrait avoir sur le desir d’apprendre des
langues, sur les modalites d ’ acquisition de celles-ci, sur les
competences en langues a developper en comprehension et en
production ecrite et orale, et sur les competences deja acquises.
L’objet de ce colloque, comme cela a ete souligne dans l’appel a
communications, etait donc de ≪ caracteriser les multiples aspects des
emplois sociaux croissants de la Traduction Automatique, d’en mesurer
les enjeux pour les locuteurs, les institutions, les entreprises, en
particulier en tant qu’elle pourrait favoriser ou non certaines formes de
plurilinguisme individuel ou de multilinguisme societal.
Les communications programmees au colloque ont ete classees en
trois groupes, qui correspondent, d ’ ailleurs, aux trois parties de l ’
ouvrage :
1) Les communications concernant les aspects theoriques de la
traduction automatique
2) Les communications concernant les applications didactiques de
la Traduction Automatique
3) Les communications concernant les repercussions de la
traduction automatique sur la diversite linguistique et le plurilinguisme
5. La premiere partie de l’ouvrage, qui porte sur la theorie de la
traduction automatique, souligne surtout les limites de la TA, en depit
des prodigieux progres que nous devons a la technologie neuronale.
Jean-Louis Vaxelaire pointe les ecarts de traduction, selon le
couple de langues choisi (anglais-francais, francais-turc ou francais-
luxembourgeois, a titre d’exemple) et selon la diffusion des langues ou
leurs caracteristiques intrinseques.
Aurelien Talbot inscrit la TA dans le processus de recreation que
suit le traducteur via la ≪ deverbalisation ≫, et voit dans la TA plus un
partenaire du professionnel qu’une alternative au professionnel. Il met
en lumiere les zones sensibles de la TA que sont le contexte et le genre
du texte.
Quant à Jacques Coulardeau, il identifie tout au long de la chaine
de la traduction, du concepteur de logiciel de TA, a l’utilisateur final en
passant par l ’ entreprise chargee du developpement et de la
commercialisation, les differents points de biais semantique et place
ces biais sous l’oeil de la responsabilite civile. Les risques ne cesseront
de croitre dans le contexte de la mondialisation avec le developpement
des usages qui sont deja omnipresents dans les modes d’emploi de
tous les produits que nous utilisons.
La seconde partie de l’ouvrage traite de la traduction automatique
dans l’enseignement et la formation.
Maria Zimina et Christopher Gledhill analysent au plan
pedagogique, technologique, linguistique et de la gestion de projet des
6. cours de niveau Master intitules ≪ Outils de traduction de site ≫ et ≪
Traduction de site web vers l’anglais ≫ assures en co-enseignement.
Janina Di Pierro Cardenas et Renata De Rugeriis Juarez posent
la question de l’utilisation de la TA dans l’enseignement-apprentissage
des langues etrangeres. A la lumiere des developpements actuels, il est
peu vraisemblable que les modes d ’ apprentissage ne soient pas
impactes et que la maniere d ’ enseigner ne soit pas influencee,
conduisant a une redefinition du role de l’enseignant.
Elena Kokanova, Aleksandra Epimakhova, Maxim Berendyaev,
Nikolay Kulikov, Maria Evgrafova et Natalya Pak font apparaitre la
tension existant entre une societe russe ou les outils de TA sont de plus
en plus presents, notamment chez les jeunes lyceens ou etudiants et l’
enseignement ou les outils de TA n’ont pas encore fait leur entree. Les
auteurs developpent l’impact de la traduction neuronale (TAN) sur le
metier de traducteurs et par voie de consequence sur la formation des
traducteurs a tous les niveaux de cette formation.
Eric Nave, sur la base d’entretiens avec des etudiants et des
enseignants de FLE en Arabie Saoudite, vient completer opportunement
les articles precedents, en cherchant a apprehender la perception qu’
ont les etudiants et les enseignants de l’introduction de la TA dans les
formations et sur les implications que peuvent avoir les avancees en TA
sur l’apprentissage d’une langue etrangere.
La troisieme partie de l’ouvrage est consacree a la relation entre
TA et la diversite linguistique.
7. Avec Nicolas Bacaer, nous entrons tres vite dans le vif du sujet.
Son article pourrait s’intituler ≪ les tribulations d’un chercheur en
sciences dures francophone et qui entend le rester avec la TA ≫. Il nous
fait la demonstration irrefutable qu’il est possible de lire en francais des
milliers d’articles initialement rediges en anglais, qu’il est possible de
traduire soi-meme des articles en anglais vers le francais mais surtout,
que publier en francais et traduire, en meme temps ou plus tard, en une
ou plusieurs langues, dont l’anglais, est un tres bon moyen de conserver
le francais comme langue scientifique et d’assurer la diffusion de ses
propres productions scientifiques.
Christian Tremblay se penche sur l’utilisation de la TA dans les
institutions europeennes. On ne sera pas surpris de constater que les
institutions europeennes font preuve dans ce domaine d’une prudence
suspecte. Toutefois, la presidence allemande en cette fin d’annee 2020
s’est montree audacieuse en introduisant la TA sur son site pour les
traductions vers 22 langues europeennes, hors l’allemand, le francais et
l’anglais. C’est a une evaluation de cette experience prometteuse que s’
exerce Christian Tremblay, non sans evoquer quelques pistes de
recherche pour ameliorer le controle de la qualite de la traduction.
Dans un autre domaine qui interesse une part importante de la
population mondiale, celui des jeux video, Maria Isabel Rivas-Ginel fait
ressortir a la fois l’importance de la localisation qui par necessite doit
faire appel a la TA, mais aussi inversement le poids des contraintes
techniques et le faible motivation des fabricants dans cette direction.
Claire Larsonneur s ’ attache a la question des ≪ agents
conversationnels ≫, c’est-a-dire de ces programmes qui gerent les
8. interactions entre l’utilisateur et les plateformes auxquelles on accede
sur smartphone, tablette ou ordinateur. Portes par des entreprises telles
qu ’ Apple ou Amazon, ces agents conversationnels montrent une
ouverture multilingue dictee par leur diffusion internationale. Mais il s’
agit d ’ un multilinguisme restreint, contraint par le contexte
nordamericain et a ne pas confondre avec une reelle diversite
linguistique.
Il n’est pas inutile que la problematique de la TA soit evoquee dans
un cadre tres eloigne des contextes traites jusqu’a present, celui des
politiques linguistiques africaines et de la coexistence de langues
nationales avec les langues europeennes devenues africaines, ici le
francais en Republique centrafricaine. C’est a cette incursion que nous
invite Seraphin Personne Feykere.
Enfin, pour terminer, nous avions fait appel a Jean-Gabriel
Ganascia, expert internationalement reconnu en intelligence artificielle,
a la fois pour introduire la problematique de notre colloque et pour
observer son deroulement.
Nous le laissons dans les conclusions de cet ouvrage prendre tout
le recul historique, scientifique et philosophique necessaire et retracer
les atouts, les limites et les grands enjeux societaux de la traduction
automatique.
Jose Carlos Herreras et Christian Tremblay
9. Sommaire
Introduction .............................................................. 11
Théorie de la TA........................................................17
Jean-Louis Vaxelaire – Les progrès de la traduction automatique
par le prisme du turc et du luxembourgeois ...............19
Aurélien Talbot – La « pensée-interprète », les appareils et la
diversité linguistique ...................................................31
Jacques Coulardeau – Humaniser la machine à traduire ?
...................................................................................45
TA, enseignement et formation...............................61
Maria Zimina, Christopher Gledhill – L’impact de la traduction
automatique sur les pratiques langagières et professionnelles des
apprentis-traducteurs : entre apports en efficacité et menaces
pour la diversité des discours.....................................63
Janina Di Pierro Cárdenas, Renata De Rugeriis Juárez –
Inteligencia artificial y SoftPower de la traducción asistida y
automática: perspectivas en el proceso de enseñanza-
aprendizaje de idiomas 83
Elena Kokanova, Aleksandra Epimakhova, Maxim Berendyaev,
Nikolay Kulikov, Maria Evgrafova, Nata- lya Pak – Traduction
automatique, un nouveau défi pour la formation des traducteurs :
le cas de l’Université fédérale Arctique (Russie) ......101
10. Eric Navé – Qu’en pensent-ils ? Réflexion sur les représentations
d’apprenants et d’enseignants d’Arabie saoudite vis-à-vis du
recours aux outils de traduction automatique en contexte FLE
débutant ...................................................................115
TA et pratique de la diversité linguistique............131
Nicolas Bacaër – Traduire automatiquement des articles dans les
sciences dites dures.................................................133
Christian Tremblay – La traduction automatique dans le contexte
des institutions européennes - Essai de traduction automatique
comparée .................................................................143
María Isabel Rivas-Ginel – La traducción automática en la
localización de videojuegos......................................167
Claire Larsonneur – Alexa, Siri : la diversité linguistique au prisme
des agents conversationnels....................................179
Séraphin Personne Feykéré – Dynamique du sängo : Fonction,
procédures et méthodologie relatives à l’emploi étendu
(production automatique et lecture automatique des textes écrits)
.................................................................................199
Conclusions : Jean-Gabriel Ganascia..................211
Documents..............................................................225
Jean-Gabriel Ganascia – Les langues comme composants des
processus de créativité.............................................227
11. Jacques Coulardeau – Humaniser
la machine à traduire?
Humaniser la machine à traduire ?
Ce travail est fondé sur une recherche longue résumée dans un livre récemment publié.
Le concept central de cette discussion de l’Intelligence Artificielle appliquée à la traduction
automatique est que cette technique ne peut pas actuellement, et probablement pour
longtemps encore, saisir le contexte extérieur au texte et le cotexte intérieur au texte, seuls
garants d’une approche juste du sens originel, sans présumer des connections
paradigmatiques et syntagmatiques, nécessairement pour la plupart absentes du texte,
propres à l’auteur. La traduction automatique porte alors en elle un potentiel d’erreurs qui
deviennent la source d’une responsabilité civile voire plus dans le cas d’une interprétation
erronée au niveau de la traduction ou au niveau de la lecture de cette traduction. Dans le
cadre industriel et commercial la question fondamentale est celle de qui (pluriel) portent
cette responsabilité civile, voire plus en case de mort d’hommes. Dans le champ culturel, la
traduction automatique peut déformer, voire trahir, le sens originel et donc la culture portée
par le texte originel. Déformer/trahir une culture peut être extrêmement dommageable pour
de nombreuses personnes. D’où neuf recommandations en conclusion.
Make Friends With AI Translators?
This work is based on extensive research summarized in a recently published book.
The central concept of this discussion of Artificial Intelligence applied to machine
translation is that this technique cannot currently, and probably for a long time to come,
grasp the context outside the text and the cotext inside the text, the only guarantees of a
correct approach of the original meaning, without presuming any paradigmatic and
syntagmatic connections, for most of them necessarily absent from the text, specific to the
author. Machine translation then carries with it a potential for errors that become the source
of civil, or more, liability/accountability in the event of an incorrect interpretation in the
translation or the reading of this translation. In the industrial and commercial context, the
fundamental question is that of whom (plural) bear this civil liability/accountability, or even
more in case of human casualty. In the cultural field, automatic translation can distort, even
betray, the original meaning, and therefore the culture carried by the original text.
Distorting/betraying a culture can be extremely damaging for many people. Hence nine
recommendations in conclusion.
Die Übersetzungsmaschine humanisieren?
Diese Arbeit basiert auf umfangreichen Forschungsarbeiten, die in einem kürzlich
veröffentlichten Buch zusammengefasst sind. Das zentrale Konzept dieser Diskussion über
künstliche Intelligenz bei der maschinellen Übersetzung ist, dass diese Technik derzeit und
wahrscheinlich noch lange nicht den Kontext außerhalb des Textes und den Kotext
innerhalb des Textes erfassen kann, die einzigen Garantien für einen korrekten Ansatz von
der ursprünglichen Bedeutung, ohne paradigmatische und syntagmatische Zusammenhänge
12. anzunehmen, für die meisten von ihnen notwendigerweise nicht im textspezifischen Text
enthalten sind. Die maschinelle Übersetzung birgt dann die Möglichkeit von Fehlern, die
bei einer fehlerhaften Auslegung in der Übersetzung oder beim Lesen dieser Übersetzung
zur Quelle der zivilrechtlichen Haftung oder noch mehr werden. Im industriellen und
kommerziellen Kontext ist die grundlegende Frage, von wem (Plural) diese zivilrechtliche
Verantwortung getragen wird, oder noch mehr im Falle eines menschlichen Unfalls. Im
kulturellen Bereich kann die automatische Übersetzung die ursprüngliche Bedeutung und
damit die vom Originaltext getragene Kultur verzerren oder sogar verraten. Das Verzerren
/ Verraten einer Kultur kann für viele Menschen äußerst schädlich sein. Daher neun
Empfehlungen zum Abschluss.
Ce travail est entièrement fondé sur mon livre, AI, Unavoidable &
Unforgivable Tool, aka Make Friends With AI Translators, publié en ebook Kindle
et disponible dans toutes les boutiques Kindle de tous les sites Amazon, référence
ASIN : B08MV77QX6. Le livre est en anglais avec en langues subalternes de
traduction d’exemples le français et l’allemand. J’inclus ici quelques schémas de
ce livre dans leur langue et présentation d’origine.
Dans notre monde en voie de globalisation, toute la conception de tous les
produits ou activités doit être pensée de façon inclusive. À tous les niveaux de la
communauté humaine, de la science et de la technologie humaines, nous devons
toujours prendre en considération une multiplicité de langues, de cultures, de genres
(plusieurs sens), d’affiliations ethniques, de religions, d’affiliation nationales, de
sexe et d’âge. Nous devons prendre le terme culture au sens le plus large qui inclut
en particulier les arts, la philosophie et tout le champ de l’idéologique, y compris
donc la religion et le droit constitutionnel des lois organiques et fondamentales,
avec ou sans les appareils idéologiques d’état de Louis Althusser (Article
originalement publié dans la revue La Pensée, no 151, juin 1970, repris dans
l’ouvrage de Louis Althusser, Positions (1964-1975), pp. 67-125, Paris, Les
Éditions sociales, 1976, et ces appareils idéologiques d’état comprenaient tout le
système éducatif, toutes les religions et leurs « églises », tous les syndicats, tous le
services sociaux et tout l’appareil culturel privé ou public, outre bien sûr les partis
politiques. Ceci est le postulat premier d’une société et d’une économie de la
connaissance.
Le concept central dans ce nouveau contrat social mondial est celui de la
responsabilité civile. Nous sommes confrontés à ce que j’appellerai une chaîne de
responsabilité civile en quatre étapes pour les machines à traduire. D’abord les
concepteurs de ladite machine responsables de son programme et de ses logiciels
qui lui permettent de construire et d’enrichir une base de données dans chaque
langue concernée par sa compétence avec une architecture interne dans chacune
d’elles, puis des logiciels d’apprentissage machine et d’apprentissage profond qui
lui permettent d’enrichir les bases de données et de mettre celles-ci en
correspondance entre elles. On voit clairement que d’innombrables éléments à ce
13. niveau peuvent mener à des erreurs et la machine à traduire doit être capable de
corriger ses erreurs, à condition qu’elle puisse les repérer ou qu’un traducteur
professionnel suive son travail pour lui signaler ses erreurs.
L’étape suivante est l’entreprise qui va fabriquer la machine à traduire,
virtuelle ou non, et la mettre sur le marché, virtuel ou non. Cette entreprise garantit
la machine à traduire comme faisant un travail qui peut être accepté en toute
sécurité. Une entreprise va ensuite mettre cette machine à disposition du public,
encore une fois virtuellement ou non, gratuitement ou moyennant paiement. Ce
distributeur ou ce fournisseur d’accès porte une responsabilité civile puisqu’il
garantit la qualité de la traduction que la machine à traduire produit. Et enfin il y a
en bout de ligne l’utilisateur qui a besoin d’un mode d’emploi ou d’un guide
d’utilisation pour bien utiliser la machine et ce mode d’emploi ou guide
d’utilisation doit être dans une langue que l’utilisateur comprenne correctement et
il doit être clair. Cela veut dire que ce guide doit être traduit dans autant de langues
que nécessaires, et on touche ici à la limite de la machine à traduire qui va traduire
le mode d’emploi originel, qu’on dira en anglais par exemple, conçu par le
concepteur et l’entreprise qui a produit la machine à traduire. Ce guide d’utilisation
porte alors une responsabilité civile, pour ceux qui l’ont écrit ou composé, double :
d’une part la clarté des instructions, et d’autre part la correction de toutes les
traductions. Notons l’ironie de la machine à traduire traduisant automatiquement
son propre guide d’utilisation en, disons, une centaine de langues différentes. On
doit imaginer qu’un traducteur professionnel vérifie lesdites traductions. Mais on
n’en a aucune garantie réelle. Rares sont les cas où une traduction est attribuée à
une machine à traduire ET un traducteur humain pour la relecture.
14. Si au niveau de l’utilisateur ou de l’utilisation de ladite machine un accident
intervient causant des dommages ou même des victimes, cette chaîne de
responsabilité civile est remontée en sens inverse de l’utilisateur au concepteur et
des tribunaux devront trancher sur la responsabilité des entreprises et des personnes
dans ces entreprises qui ont produit et distribué cette machine à traduire qui par une
erreur de traduction a causé un accident. Notons que l’utilisateur n’est pas exclu de
cette chaine rétrospective de responsabilité civile.
Le cas le plus important en ce moment est le Boeing 737 MAX qui part des
pilotes des deux avions concernés, de leur formation, en quelle langue, en anglais
ou dans leur langue première, avec un guide d’utilisation en anglais ou dans leur
langue première, avec la langue du logiciel de gestion du poste de pilotage virtuel
utilisé pour la formation du pilote, des pilotes, et encore une fois en anglais ou la
langue première des pilotes, et cela doit inclure la vérification de l’efficacité de la
formation, en anglais ou en langues premières.
Biais Implicites et Responsabilité
Le point essentiel est que les bases de données et les logiciels qui les gèrent et
les exploitent peuvent comporter des éléments ségrégatifs internes, des biais
implicites et dans notre cas ce sont les classifications de sens et de mots en fonction
de leurs fréquences d’emploi, et le fonctionnement en arbres de décision ou
« decision trees ». Chaque étape de ces arbres de dérivations propose deux choix
dans les cas les plus simples, mais parfois plus de deux, classés en termes de
15. fréquence d’emploi et la machine va naturellement aller vers le cas le plus fréquent,
sauf instruction opposée. Mais l’instruction opposée doit venir de la machine qui
doit être capable de déterminer le contexte à partir du cotexte du mot concerné.
Cela donne le cercle de traduction ou « Translation Circle ». Descendant : base de
données originelle – mot – les sens de ce mot – choix du sens en fonction du –
contexte déterminé à partir du cotexte. À chaque niveau des biais implicites – ou
explicites – privilégient un sens sur un autre, un mot sur un autre principalement à
partir de fréquence d’emploi. Ascendant : à partir du résultat de la phase
descendante, ce résultat est confronté à la base de données cible – architecturée en
fonction du contexte déterminé précédemment pour la langue originelle – puis du
sens déterminé aussi précédemment dans la langue originelle – et cela donne un
mot qui est la traduction du mot originel.
Tout cela tient sur la capacité de la machine à traduire de déterminer le
contexte et donc le sens. J’ai proposé à GoogleTranslate de traduire : « It was a case
of the pen versus the tank » dont le sens dans le contexte plus vaste aussi inclus
dans la demande de traduction était clair, et sa traduction en dépit de jeux sur
l’article fut « le stylo contre le réservoir ». Après un rapide examen des
dictionnaires anglais et français, le sens de “tank = container” est dominant et le
mot français correspondant est « réservoir » (« the gas tank of a car »).
Ainsi en partant d’avant quand seulement la traduction humaine existait, on
passe à la situation du traducteur humain “remplacé” par la machine à traduire.
Dans une première phase les machines à traduire proposent des solutions qui ne
demandent aucune explication. Notons que l’utilisateur moyen considère que la
solution proposée est nécessairement la bonne. En fonction de la qualité de la
traduction on voit cette dimension d’interprétabilité incontestable ou incontestée
diminuer avec des éléments comme des problèmes mineurs d’accord ou de choix
d’un terme. Mais on arrive à un seuil ou cette interprétabilité cède la place à
l’explicabilité nécessaire pour justifier, choisir ou modifier la solution proposée par
la machine et on arrive alors à l’issue du traducteur humain utilisant la machine à
traduire comme un choix de propositions qu’il ou elle examine et modifie en
fonction du contexte et de l’objectif du texte concerné.
16. Le nœud gordien de ces machines est justement leur fondement probabiliste
issu de l’application de la loi de Bayes ou analyse bayésienne. Ces calculs sont
imparables, mais une bonne base de données doit s’enrichir de cas nouveaux de
façon constante et au niveau du Big Data ou données massives. Cela ne change pas
le principe qui est inadapté à la traduction dès que l’on prend en compte un contexte
plus ou moins créatif ou personnel.
Cela m’amène à suggérer que l’on travaille dans une perspective de traduction
ouverte. Cela implique que la machine doit toujours prendre en compte une analyse
de contextes multiples (plusieurs contextes concernés), une analyse des sens des
mots multiples, la proposition de traductions multiples selon les divers contextes et
selon les divers sens possibles des mots dans chacun de ces contextes. Cela
implique que le traducteur humain doit toujours être celui qui choisit la traduction
qui convient et si aucune ne convient pour quelque raison que ce soit, c’est lui ou
elle qui produit la traduction qu’il ou elle croit être la bonne. Ceci implique donc
que l’intelligence humaine va intervenir à tous les niveaux de l’intelligence
artificielle, soit comme concepteur, soit comme programmeur, soit comme acteur
de l’énoncé premier et comme sélecteur et acteur de l’énoncé second traduit. Soit
dit en passant ce devrait être la procédure normale de traduction avec la traduction
du traducteur machine-humain soumise à agrément du “client” commandant ladite
traduction ou un représentant de ce commanditaire capable de juger. Un roman d’un
auteur américain traduit en français est soumis à l’éditeur français qui va faire lire
ladite traduction par un lecteur-éditeur professionnel qui va demander
éventuellement des modifications pour coller avec le sens de l’œuvre originelle tel
qu’il le comprend.
Le vrai problème est que la traduction prend à rebrousse poil une norme de
sécurité logicielle mise en place pour éviter le piratage, ce que l’on appelle les
17. “backdoors” ou « portes dérobées » qui permettent justement ce piratage. Dès que
le texte est un peu créatif ou personnel, l’auteur peut utiliser d’innombrables portes
dérobées dans les mots, les phrases ou les contextes pour produire du sous-entendu,
de l’ironie, du sarcasme, de l’humour, et bien d’autres effets. On peut lire une même
phrase sur divers tons et en changer le sens en en changeant l’intention avec
l’intonation. La musique de la phrase est aussi signifiante que les mots eux-mêmes.
Et cela la machine à traduire ne me semble pas capable de le faire si elle n’a pas
d’instructions claires. Peut-elle élaborer elle-même les instructions ?
Ainsi la machine à traduire et l’intelligence artificielle qu’elle contient, avec
sa capacité à l’apprentissage machine et à l’apprentissage profond, sont des outils
inestimables pour les traducteurs professionnels qu’elles ne remplacent pas mais
qu’elles rendent plus efficaces et plus productifs. Mais le traducteur humain reste
essentiel pour le choix des sens des mots, et donc des mots, le sens du cotexte et le
style, la pertinence du sens du contexte, et surtout les sens impliqués par l’auteur et
portés par le style, impliqués paradigmatiquement tant pour l’auteur que pour le
public, renforcés consciemment ou absolument inconscients.
Shakespeare et traduction
Pour illustrer ce point, dans le livre cité au début, je prends le cas du sonnet
XXI de Shakespeare. Montrer que la machine à traduire fait des erreurs est facile,
mais encore faut-il comparer avec des traductions humaines sans machine et des
traductions humaine avec machine. J’ai étudié les traductions de François-Victor
Hugo (nécessairement sans machine), d’Alina Reyes et de Michel Bernardy
(probablement avec des aides modernes donc même des machines).
18. La comparaison montre clairement que pour les traducteurs humains le sens
du sonnet varie énormément ? Shakespeare a pris le jeune fils (12 ans) d’une famille
noble en apprentissage d’acteur. Il jouera donc ne nombreux rôles féminins (les
femmes étaient interdites sur la scène). Dans le sonnet Shakespeare traite ce jeune
adolescent (concept qui n’existe pas à l’époque) comme sa muse. En anglais
« muse » n’a aucune obligation de genre. Les muses grecques sont des femmes,
19. mais dans l’Angleterre de Shakespeare, et je dirais même dans la poésie anglais
depuis Chaucer, la muse du poète n’a aucune obligation d’être féminine. On a lors
une situation dans laquelle le formateur âgé retrouve dans le jeune adolescent en
apprentissage toute la nostalgie de son propre apprentissage, tout le dévouement
dont il doit faire preuve pour mettre le jeune noble en perspective de jouer les rôles
qu’on va lui demander de jouer, en particulier donc les femmes, y compris la
célèbre Juliette qui devra vivre sur scène l’amour d’un acteur mâle plus âgé
probablement qu’elle, Juliette joué par ce très jeune homme de douze ans. C’est
cette situation que le sonnet met en scène et Shakespeare prend grand soin de garder
l’équilibre entre les éléments masculins et les éléments féminins qu’il rattache à ce
jeune adolescent. L’amour d’un maître pour son jeune apprenti n’est en rien
répréhensible. C’est même le ferment nécessaire pour que l’apprentissage
fonctionne bien. François-Victor Hugo, malgré le féminin de « LA muse » garde
cet équilibre dans sa traduction. Alina Reyes amplifie les éléments féminins dans
sa traduction donnant alors au poète une orientation sexuelle évidente tout en
gardant les métaphores masculines, voire phallique comme les « golden candles
fixed in the heaven’s air » que sont le soleil et la lune (notons que dans les langues
germaniques la lune est masculine et le soleil féminin). Mais Alina Reyes féminise
ces symboles phalliques en « ces bougies d’or fixées dans l’air des cieux ». Et le
sens de la métaphore est alors complètement perverti d’un contexte guerrier des
flambeaux d’une nuit avant la bataille à des bougies dans une chambre intime. Le
jeune adolescent est transformé en objet féminin de l’amour de Shakespeare.
François-Victor Hugo avait bien gardé la métaphore en l’état du poème
original avec « les flambeaux d’or fixés dans le ciel éthéré ». Michel Barnady avait
gardé la métaphore dans le domaine du masculin avec « Des flambeaux qu’on peut
voir au firmament fixés ». GoogleTranslate tombe dans le piège de la féminisation
de ce symbole phallique avec « Comme ces bougies fixées dans l’air du ciel ». Et
notons qu’outre « flambeaux » (qui fait un peu « torche » de champ de bataille ou
de camp militaire) le terme « cierge » aurait pu faire plus religieux, voire rituel. Et
il y a encore d’autres termes qui auraient pu être employés. La féminisation du
sonnet tout comme de cette métaphore est pour moi une dérive de traduction qui
implique une dérive d’interprétation qui dans le contexte moderne devient une vraie
trahison car sous Shakespeare à douze ans on n’est plus un enfant, et il n’y a donc
pas de contact sexuel déplacé entre Shakespeare et ce « jeune homme ». Le concept
de pédophilie n’existe pas et s’il existait il ne concernerait que les enfants, donc en
dessous de 12 ans. Mais il y a aussi trahison du simple moyen pédagogique employé
par Shakespeare pour mettre en confiance, stimuler le courage face au célèbre trac
de tout comédien, raison de plus à douze ans, et en même temps lui donner une
leçon sur comment il doit prendre les « avances amoureuses » d’un autre acteur
dans une scène ou lui, le petit jeune homme de douze ans, joue le rôle de la femme
éprise, courtisée et aimée par l’autre acteur. Le sonnet est un travail pratique pour
le jeune acteur qui a à apprendre comment répondre à ces avances courtisanes pour
20. plaire au public qui attend de lui une féminisation de son jeu et donc une situation
amoureuse vraiment réelle.
Neuf hypothèses de travail
Cela m’amène à poser neuf hypothèses de travail.
1- Les machines ne font qu’imiter les humains mais ne sauraient faire la même
chose : le résultat final peut être semblable mais la démarche est différente : les
machines à traduire sont le canada dry de la traduction humaine.
2- Ces machines à traduire sont-elles l’extension de la capacité langagière de
l’homme comme dirait un macluhanien ? Je ne le pense pas. Elles en sont les
béquilles nécessaires ou la crémaillère du tramway de San Francisco ou du train du
Puy de Dôme.
3- Dans le cadre de la globalisation du monde, nous avons besoin d’une et plus
probablement trois ou quatre langues véhiculaires mondiales. Lesquelles, et quelle
gestion devons-nous mettre en place pour passer de l’une à l’autre de façon
automatique et pertinente ? Raison de plus des langues non-véhiculaires à ces
langues véhiculaires, ou entre elles ?
4- Les bibliothèques aujourd’hui deviennent virtuelles et tous les livres du
monde doivent être accessibles par tous les publics du monde et donc des moyens
de traduction doivent être à disposition. Comment s’assurer que ces traductions sont
correctes ?
5- Dans ces bibliothèques nous devons permettre un accès ouvert à toutes les
œuvres protégées par copyright, et cela ne veut pas dire un accès gratuit, raison de
plus si cet accès est soumis à une traduction nécessaire.
6- Nous devons nous engager vers la mise en place d’une régulation de
copyright unifiée au niveau du monde, probablement sur la base des traités les plus
récents de l’OMPI (WIPO). Cela exige la mise à niveau des lois nationales et en
particulier de la loi américaine qui n’inclut pas les droits moraux dans la protection,
et de la loi française qui donne au droit moral une part spécifique et nettement
séparée des droits patrimoniaux. Notons que de nombreux pays, et j’ai vérifié
l’Allemagne, la Russie et la Chine, ont mis en place ou modifié leurs lois de
protection de la propriété intellectuelle récemment.
21. 7- Le problème de la responsabilité civile du détenteur de la protection de la
propriété intellectuelle concernée ici est un vrai problème. Cela pose dans certains
domaines des limitations à la liberté d’expression publique ou non. Des débats de
fond sont nécessaires sur les préjudices, ou le dommage moral par exemple, causés
par un écrit de quelque sorte que ce soit, y compris graphique, sur des membres du
publics qui seraient caricaturés, voire diffamés par ces dits écrits. Que penser de la
polémique entre la Chine et l’Australie sur une caricature chinoise concernant le
rôle des militaires australiens en Afghanistan ? Comment garantir la libre
circulation des écrits et des discours, et en même temps la protection des
populations qui pourraient se sentir menacées par cette libre circulation ? Les
moteurs de recherche ne sont-ils pas non-objectifs dans les résultats qu’ils donnent
à une requête hiérarchisés selon des critères que nous ne pouvons pas connaître et
dans les traductions qu’ils donnent des réponses dans une autre langue que la langue
par défaut de l’utilisateur ?
8- Le cas de la traduction est en soi un domaine de responsabilité civile car
une traduction erronée, mais donnée comme correcte par le traducteur ou la
machine à traduire, peut être la cause d’un très vaste incident ou accident.
9- La machine à traduire est devenue un moyen de production et le détenteur
de ce moyen de production doit être aussi bénéficiaire de l’utilisation de ce moyen
de production soit directement en le louant à qui veut l’utiliser, soit indirectement
en commercialisant les produits que cette machine à traduire lui permet de produire
avec ou sans l’aide d’autres employés, salariés ou non.
Je vous conseille donc de vous procurer mon livre sur le sujet pour avoir tous
les développements nécessaires pour comprendre l’enjeu monumental de la
22. traduction dans notre monde d’aujourd’hui, surtout quand il sera libéré des tenants
du populisme que certains considèrent comme obscurantiste. Consultez aussi
l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (World Intellectual Property
Organization).
Dr. Jacques COULARDEAU