4. Abdellah Taïa (en arabe : عبدالطايع هللا), )né en
1973 à Salé au Maroc, est un écrivain et
cinéaste marocain.
Issu d'une famille modeste, Abdellah
Taïa est l'avant-dernier d'une famille
de neuf enfants1.
Abdellah Taïa étudie la littérature
française à Rabat et à l'université de
Genève. En juillet 1999, il arrive à
Paris pour un doctorat en littérature
française à la Sorbonne.
Il soutient une thèse sur Jean-Honoré
Fragonard et sur le roman libertin du
XVIIIe siècle. Son séjour à Paris est
matériellement difficile, mais
fructueux sur le plan intellectuel ; il
découvre le don de l'écriture, et
découvre la peinture (notamment
Fragonard) et le cinéma.
6. 0 Son premier recueil de nouvelles, Mon
Maroc, paraît en 2001 et recevra le Prix
de Flore.
0 En juin 2007, Abdellah Taïa fait la
couverture du magazine marocain
TelQuel sous le titre : « Homosexuel,
envers et contre tous ». En avril 2009,
il publie dans le même hebdomadaire
une lettre intitulée « L'homosexualité
expliquée à ma mère », où il traite
ouvertement de sa sexualité.
0 En 2009, il dirige l'ouvrage collectif
Lettres à un jeune marocain (éditions
du Seuil) qui se veut une main tendue
vers la jeunesse marocaine
abandonnée de tous : 50 000
exemplaires en sont distribués
gratuitement en août 2009 au Maroc,
en supplément de TelQuel. En
décembre de la même année, 40 000
exemplaires du livre, traduit en arabe,
sont également distribués
gratuitement avec Nichane, la version
arabophone de l'hebdomadaire.
7. Il est l'auteur de plusieurs romans dont
Le Jour du roi qui obtient le 4 novembre
2010 le prix de Flore.
Depuis le début du Printemps arabe, il
publie plusieurs tribunes dans des
journaux français et marocains.
En 2012, il réalise son premier film,
L'Armée du salut, adaptation de son
troisième roman qu'il présente à la Mostra
de Venise 2013, au Festival international
du film de Toronto 2013 et qui reçoit le
Grand Prix du Jury au Festival Premiers
Plans d’Angers en 2014.
En mai 2019, son livre La Vie lente, sortie
le 7 mars 2019, est selectionné par le jury
du prix Renaudot 20197.
Ses livres sont traduits dans plusieurs
langues.
10. La vie lente
Le livre commence comme un
monologue, une confession, d'un
homme à un inspecteur de police
(Vous comprenez, monsieur
l'inspecteur). La scène principale
se déroule à Paris, 107 rue de
Turenne, en 2017 et 2018. Les
cimetières ce n'est pas ce qui
manque à Paris, madame Marty.
Madame Simone Marty, plus de 80 ans, sa
voisine du dessus, depuis près de cinquante ans
dans un studio de 14 m2, jusque-là presque
respectueuse du locataire du dessous, dans la
fragilité absolue (p. 25), commence à se
plaindre, et à appeler la police
Le narrateur, Mounir Rochdi, 40 ans,
d'origine marocaine en situation régulière,
avec un visa de dix ans, titulaire d'un
doctorat en littérature française du
XVIIIe siècle à la Sorbonne (p. 19), occupe
depuis trois ans un appartement, bien
installé, presque vide, de 45 m2 au 4e
étage.
11. 0 Il a eu un bref amour à Rabat,
Samir, et un amour plus durable à
Paris, Antoine (policier), pendant
trois mois. Il a fui le Maroc, et craint
de devoir fuir cet appartement et
Paris...
0 Et pourtant, il y a eu cette
gentillesse parfois, Oumayma, la
patronne, noire, de la boulangerie-
pâtisserie La Clé du paradis, cité
Pablo-Picasso, à Nanterre-
Préfecture, et surtout Simone, avec
laquelle malgré tout les discussions
ont eu lieu.
0 Simone aussi est une survivante...
vieille, pauvre, seule, abandonnée
dans un 14 mètres carrés qui
sentait le vieux, avec des toilettes
sur le palier (p. 152). Et la cousine
Madjouline, 19 ans, à Bruxelles,
qu'on menace de mariage arrangé.
12. Critiques
0 Il est une voix qui compte et le
confirme avec un récit fou, éperdu
de liberté, d’amours impossibles et
de désespoirs sublimés.
0 “Les cimetières, ce n’est pas ce qui
manque à Paris, Madame Marty !”
crie le héros de La Vie lente à sa
voisine de 80 ans. Mounir devient
fou, paranoïaque, il ne dort plus.
Moins parce qu’il entend tout ce qui
se passe dans l’appartement de
cette vieille femme, qu’en raison
des regards hostiles et insinuations
racistes des habitants de
l’immeuble à son égard. (Comment !
Un Arabe rue de Turenne ?) Surtout
depuis les attentats.
0 Les Inrockuptibles
13. 0 Dans ce nouveau roman, A.Taïa approfondit la
difficulté d’être soi, reconnu et accepté dans
sa différence quand les être humains restent
prisonniers des schémas sociaux.
0 Mais il élargit sa thématique en donnant la
parole aux laissés pour compte de la
République, pauvres , condamnés à l’exclusion
et à l’isolement. Grâce à sa sensibilité
humaniste le romancier atteint une
dimension de poignante tragédie.
0 Il convoque une fois encore la politique :
bornant son récit entre 2013 et 2018, il
dénonce le racisme, le rejet d’autrui ravivés
après les attentas de 2015. Son écriture,
toujours explosive et critique, prend ici des
tonalités émouvantes et fait écho à celle
d’Émile Louis. Voici la « vie lente,
interminable et qui ne signifie plus rien » des
exclus pour qui « tout est destin, tout est
mektoub » : no future.
0 La violence les habite, les ruptures les brisent
et le mal être ne se dissipera que dans la mort
car « mourir c’est enfin vivre » comme
s’écriait déjà un personnage d’ « Un pays pour
mourir ».
0 W O D K A
14. 0 La Vie lente est fidèle aux autres livres de l’auteur.
Abdellah Taïa a trouvé sa voie qui est celle du
politique. Mounir, Madame Marty, Baba Sinan,
Manon, Majdouline ont en commun de subir la
domination des plus puissants, de tenter d’être,
d’aller au bout de ce qu’ils sont, même s’ils sont
toujours entravés, empêchés. Leur voix est muette,
les autres sont sourds quand ils crient leur
désespoir, leur humiliation. Ils n’ont pour réponse
que le mépris ; la folie et l’hystérie sont leur
refuge.
0 Abdellah Taïa nous offre ici un texte envoûtant,
totalement habité. Il raconte les déchirements et
les retrouvailles, la peur de l’Autre et la folie où
elle nous entraîne, la perte des repères et la
volonté de se raccrocher à ce qui reste, à ceux qui
encore, une dernière fois, tendent la main.
0 La Vie lente se lit comme on écoute un chant
lancinant, avec ses envolées, ses changements de
rythme, ses changements de voix.
0 L’auteur signe ici un de ses plus beaux romans, au
plus près de ce qu’il est, à fleur de peau, fort et
fragile, plein d’ombre et de lumière. Un roman de
la France d’aujourd’hui et de ceux qu’elle pousse à
la marge, dans « La vie lente. Interminable. Qui ne
signifie plus rien ».
0 Arnaud Genon