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Série ‘Vers une politique de sécurité et de paix au XXIème siècle’
1 – Sous-série ‘Les armes nucléaires’
Diaporama n° 10
10 – Quel "consensus national"
sur la dissuasion nucléaire française ?
avec, en toile de fond,
le revirement de François Mitterrand et d’une partie de la gauche
sur la dissuasion nucléaire de la France
Étienne Godinot * 19.12.2023
Abolir l’arme nucléaire : un ensemble de 10 diaporamas
1 - Les sept vices de la dissuasion nucléaire
2 - Pour un désarmement nucléaire de la France dans le cadre du TIAN
3 - Figures de la résistance à l’arme nucléaire - 1869-1925
4 - Figures de la résistance à l’arme nucléaire - de 1926 à 1945
5 - Figures de la résistance à l’arme nucléaire - depuis 1946
6 - Quelques personnalités qui ont remis ou remettent en cause la dissuasion
nucléaire ou se posent des questions à son sujet
7 - La position de l’Église catholique et des Églises chrétiennes sur l’arme nucléaire
8 - Les combats non-violents pour le désarmement nucléaire en France.
9 - Le site CEA-DAM de Valduc
10 - Quel "consensus national" ? Le revirement de François Mitterrand et de la
gauche au sujet de la dissuasion nucléaire
Images à gauche : Angie Zelter, Paul Stehlin, Beatrice Fihn, Paul Quilès
Rappel : ce diaporama fait partie de la sous-série
1 - ‘Abolir l’arme nucléaire’ qui fait elle-même partie
de la série ‘Vers une politique de sécurité et de
paix au XXIème siècle’ sur irnc.org
Quel "consensus national" ?
Le revirement de François Mitterrand et de la gauche
au sujet de l’arme nucléaire
Sources :
- Yannick Pincé, François Mitterrand et la fabrique du "consensus"
nucléaire français, Institut François Mitterrand ;*
- Jean-Marie Muller, Libérer la France des armes nucléaires,
Chronique sociale, 2014 ;**
- Internet, notamment Wikipédia.
* Yannick Pincé, docteur en histoire contemporaine, nucléaire et politique,
professeur agrégé d'histoire en Classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), est
l’auteur d’une thèse sur La construction politique du consensus nucléaire français,
publiée par ‘l’Institut d’Études de Stratégie et de Défense’ (IESD)
* Jean-Marie Muller (1939-2021), écrivain et militant, est l’initiateur du Mouve-
ment pour une Alternative Non-violente en 1974
Années 1960 :
l’opposition de Mitterrand à l’arme nucléaire
Dans les années 1960, François Mitterrand n’a pas encore tranché
sur la doctrine stratégique, car il évoque encore à cette époque l’idée d’une
force de frappe « à la disposition de l’Europe naissante », posture cohérente
avec sa critique de l’arme atomique gaullienne qui, selon lui, met en péril la
construction européenne et les alliances.
L’auteur du livre Le coup d’État permanent met-il sur le même plan la
dénonciation du pouvoir personnel du président de la Vème République et
celle de l’arme nucléaire ? Le débat sur la loi de programme militaire de 1964
peut le laisser croire : il affirme que l’opposition s’accorde « pour penser que
la sécurité de la France n’est pas fondée sur le prestige d’un homme
providentiel et sur la capacité de destruction de sa bombe magique. »
Il critique le caractère anticonstitutionnel du décret du 14 janvier 1964
qui confère au président de la République, par son article 5, le droit exclusif
d’engager la force de dissuasion.
Images
- F. Mitterrand s’exprimant à l’Assemblée nationale contre la Loi de programmation militaire de 1964
- L’essai Le coup d’Etat permanent (1964). Parlant de Charles de Gaulle, Mitterrand écrit :
« Faut-il affermir l’indépendance nationale ? Il exalte le nationalisme. Faut-il utiliser l’énergie
atomique ? Il invente la force de frappe. »
Février 1963 : Claude Bourdet
En février 1963, pour se démarquer du ‘Mouvement de la paix’ alors
trop lié au ‘Parti communiste français’, le journaliste et Compagnon de la
Libération Claude Bourdet lance, avec le soutien du Parti Socialiste Unifié
(PSU) dont il est un des fondateurs et des dirigeants, le ‘Mouvement contre
l’armement atomique’ (MCAA). Le biologiste Jean Rostand en est le président
d’honneur *.
Le MCAA devient en 1968 ‘Mouvement pour le Désarmement, la Paix
et la Liberté’ (MDPL,1968-1996).
« Développer les idées d’abandon et d’interdiction des armes
atomiques, bactériologiques et chimiques dans tous les pays , à commencer
par la France , participer au plaidoyer pour le désarmement et le règlement
pacifique des conflits, agir pour l’éducation à la paix, à la citoyenneté, le
développement solidaire, les échanges interculturels , la défense des
libertés. » (MDPL)
* Théodore Monod, Laurent Schwartz, René Dumont, Vladimir Jankélévitch, Daniel Mayer,
Georges Montaron, Claude Roy, Bernard Boudouresques, le dominicain Charles Avril, les pasteurs
Henri Roser et Georges Casalis en sont adhérents.
Photos : Claude Bourdet (1909-1996) et Jean Rostand (1894-1977)
Mai 1963 : Jules Moch
Jules Moch (1893-1985), Résistant, ministre socialiste des
Travaux publics et des transports sous la IVème République, écrit La
Folie des hommes (au sujet de la bombe atomique, préface d’Albert
Einstein, 1955), En retard d'une paix (1958), Non à la force de frappe
(1963).
En mai 1963, il crée avec 60 personnalités la ‘Ligue nationale
contre la force de frappe’, car il estime la force de frappe française
ruineuse, inefficace et dangereuse.
" Attaquer ? Trente têtes thermonucléaires suffisent pour anéantir la France. Si
nous nous en prenions à une puissance atomique de plus vaste superficie,
nous serions annihilés avant de la mettre hors de combat.
" Riposter ? Si nous étions attaqués, le délai entre la détection des
engins ennemis et leur explosion, de l'ordre de deux à cinq
minutes, interdirait tout envol de nos bombardiers et toute riposte
efficace.
" Menacer ? La menace de représailles par notre force de frappe
ne pouvant être mise à exécution, ne constituerait pas une arme
diplomatique : autant agiter un sabre de bois. »
Octobre 1964 : Gaston Defferre
Le 11 octobre 1964, Gaston Defferre (1910-1986), candidat
potentiel de la gauche pour les élections présidentielles de décembre 1965,
fait un discours sur la dissuasion nucléaire lors d’un meeting à Clermont-
Ferrand.
La force de frappe, dit-il, « détourne l’intérêt, l’énergie, les ressources
des Français vers le mirage d’une fausse grandeur. Elle arrête la construc-
tion européenne. Elle pèse sur notre développement, elle va bloquer notre
avenir. »
La politique de la force de frappe, qui est également un choix
contraire à la morale, « forme un tout, et ce tout est un rêve, sinon un
cauchemar, un cauchemar utopique ».
L’objectif des socialistes, déclare-t-il solennellement, « est l’arrêt pur
et simple du gaspillage ruineux et absurde, en hommes et en ressources,
qui s’appelle pompeusement la force de frappe. »
Faisant remarquer que rien n’est fait en France pour assurer une
protection antinucléaire des populations civiles, il affirme : « Il est criminel
d’exposer une nation à la destruction totale pour satisfaire le goût du
prestige et de la fausse grandeur ».
Il conclut alors : « Nous arrêterons ce processus de décadence ».
1965 : l’opposition ferme
de F. Mitterrand à l’arme nucléaire
Parmi les « Vingt-huit propositions de la campagne présiden-
tielle » de 1965 de F. Mitterrand figurent « un plan pour la non-
dissémination des armes nucléaires », « la signature du pacte de
Moscou sur l’arrêt des expériences nucléaires » et « la reconversion
catégorique de la force de frappe française. »
Le 22 novembre 1965, pendant la campagne présidentielle
contre le général de Gaulle, Mitterrand, déclare à la télévision : « Je
crois qu’une défense acharnée de la paix, en particulier en luttant
contre la dissémination de l’arme nucléaire et donc contre la force de
frappe, je crois que ce sont des finalités de gauche.
Le 2 décembre 1965, il déclare : « Ou bien la France lancera le
monde dans la course à l’armement atomique dont on sait bien qu’il
menace l’humanité.(…)
L’un des premiers actes de ma présidence sera de déposer à
l’ONU un plan de non-dissémination des armes nucléaires et d’arrêt
des essais nucléaires qui polluent l’atmosphère et qui atteignent la
santé des populations ».
F. Mitterrand en 1967 et en 1969
Mitterrand affirme pendant la campagne des élections législa-
tives de mars 1967 : « On ne protège pas la paix, mais on l’expose au
pire danger lorsqu’on fabrique des bombes atomiques et qu’on engage
ainsi les autres à faire comme nous, c’est-à-dire de se lancer dans la
course au bout de laquelle le monde périra. »
En 1969, alors qu’il est encore officiellement un adversaire résolu
de l’arme nucléaire, François Mitterrand, évoquant le choix du général
de Gaulle en faveur de la dissuasion n’hésite pas à affirmer que celui-ci
est "en retard d’une stratégie et d’une morale".
Il poursuit : « La sécurité sur le thème "À chacun sa bombe
atomique" annonce la guerre certaine et la mort pour tous, le vainqueur
étant celui qui meurt un quart d’heure après l’autre. »
Images :
- Affiche appelant à voter pour les candidats gaullistes aux élections législatives de 1967
- F. Mitterrand en meeting de la ‘Convention des Institutions Républicaines’ en 1969
F. Mitterrand acquis très tôt
à la dissuasion nucléaire ?
Un faisceau d’éléments appuie l’idée que François Mitterrand,
officiellement converti à l’arme nucléaire en 1969, l’était avant le
congrès d’Épinay en 1971 et même bien auparavant.
Selon Pierre Joxe, son entourage a également contribué très tôt à
cette évolution puisque son frère cadet, le général Jacques Mitterrand,
est commandant adjoint des Forces Aériennes Stratégiques (FAS) de
1965 à 1967, puis commandant de 1970 à 1972.
Louis Mermaz s’appuie quant à lui sur une discussion avec Mitter-
rand en 1959 pour confirmer le caractère ancien* de sa conviction nuclé-
aire. Celle-ci s’affirme dès sa participation aux Comités de défense en
tant que ministre de l’Intérieur de Pierre Mendès France puis Garde des
sceaux de Guy Mollet, ce que ne manque pas de lui rappeler Michel
Debré quand, en tant que ministre de la Défense, il critique le ‘Program-
me commun de la gauche’ en 1973.
* Yannick Pensé avance même que Mitterrand pense à une bombe atomique française
dès 1954, et que pour se placer en leader de la gauche, il doit rejeter la Vème République et la
bombe dans les années 1960 : il réfléchit, il hésite. 1969 n’est que l’année où il fait connaître
publiquement ses hésitations à ce propos.
Images :
- F. Mitterrand (1916-1996) et Pierre Mendès-France (1907-1982). C'est le gouvernement de
Pierre Mendès-France qui se prononce en faveur du développement d'un programme nucléaire
militaire français après le rejet de la Communauté Européenne de Défense (CED) par l'Assem-
blée nationale française le 30 août 1954.
- Le général Jacques Mitterrand (1918-2009)
1969 : les hésitations de Mitterrand
quant à la force de frappe
Au fil des années, les deux premières lois de programmes
militaires étant achevées, les Mirage IV opérationnels, la première
patrouille du sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) Le
Redoutable programmée et la perspective de mise en service des
missiles tactiques Pluton ainsi que des silos du Plateau d’Albion,
l’armement nucléaire français devient un fait incontournable.
François Mitterrand le reconnaît après l’élection de Georges
Pompidou, qui constitue une leçon politique pour une gauche très
divisée et qui paye sa sidération face aux événements de mai 1968
en n’accédant pas au second tour de l’élection présidentielle de
1969 :
« J’ai dit pendant ma campagne présidentielle de 1965 que
j’interdirai la force de frappe. Je ne pourrai plus le dire demain. La
politique du général de Gaulle a été approuvée par les Français qui
l’ont réélu, avant d’élire le successeur de sa lignée. Bientôt, notre
armement atomique sera une réalité irréversible. On ne le noiera
pas comme des petits chiens. (…) Les moyens qui nous restent de
faire entendre raison s’amenuisent. »
Images :
- Bombardier stratégique Mirage IV de Dassault, entré en service en 1964 ; sous-marin
nucléaire lanceur d’engins Le Redoutable ; missiles du plateau d’Albion ; missiles tactiques
Pluton.
1971 : Le PCF hostile
à la force de frappe nucléaire
De son côté, le Parti communiste français (PCF) s’était, lui aussi,
toujours déclaré hostile à la force nucléaire française.
Ainsi, dans son programme Changer de cap publié le 9 octobre
1971, il dénonce « la participation de la France à l’équilibre de la
terreur » comme « des plus dangereuses ». Il est affirmé que « la
renonciation de la France à la stratégie nucléaire dans le cadre d’une
action résolue en faveur du désarmement nucléaire à l’échelle
mondiale est un impératif de défense nationale authentique ».
En conséquence de quoi, « un gouvernement démocratique
renoncera à la force de frappe nucléaire et aux armements atomiques
tactiques » et « arrêtera immédiatement la fabrication et les essais,
puis réalisera une série de mesures pour aboutir, dans le plus bref
délais possible, à la suppression ou à la reconversion à des fins
pacifiques des matériels, des usines et des bases militaires nuclé-
aires. »
Mars 1972 : le congrès du PS à Suresnes
Hubert Védrine estime que la « conversion intellectuelle à la
dissuasion » de Mitterrand est déjà faite au moment du Congrès
d’Épinay*, en juin 1971.
Pourtant, au congrès du PS à Suresnes les 11 et 12 mars 1972, il
est affirmé dans le programme de gouvernement du PS : « L’argument
selon lequel la force nucléaire permet à la France de faire triompher son
point de vie dans les grandes affaires mondiales manque de sérieux et
a été sans cesse démenti depuis dix ans. Le Parti socialiste se refuse à
prendre acte du "fait nucléaire". Dès son accession au pouvoir, le
gouvernement de gauche devra prendre la décision d’interrompre la
construction de la force de frappe. »
* Le congrès d'Épinay, officiellement ‘Congrès d'unification des socialistes’, 58e congrès
ordinaire du Parti socialiste, a lieu du 11 au 13 juin 1971 au gymnase Léo-Lagrange à Épinay-
sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Il permet à François Mitterrand, nouvel adhérent du Parti
socialiste dirigé depuis 1969 par Alain Savary, d'en devenir Premier secrétaire et d'en prendre le
contrôle, sur une ligne d'union de la gauche, apparaissant dès lors comme son candidat naturel
à la prochaine élection présidentielle.
Juin 1972 :
le Programme commun de la gauche
Après le congrès d’Épinay juin 1971, les années 1970 sont marquées
par le ralliement progressif à la bombe de la quasi-totalité des forces
politiques qui s’y étaient opposées.
La première étape est la conclusion de l’union de la gauche dont le
"Programme commun", adopté en juin 1972, prévoit « renonciation à la
force de frappe nucléaire stratégique sous quelque forme que ce soit ; arrêt
immédiat de la fabrication de la force de frappe française; arrêt immédiat
des expériences nucléaires et adhésion aux traités d’interdiction des
explosions nucléaires et de non-dissémination des armements nuclé-
aires », mais comporte implicitement une acceptation des armes tactiques
et la non destruction des stocks existants.
François Mitterrand, Charles Hernu, Jean-Pierre Chevènement et la
commission de la défense du PS dont fait également partie Robert
Pontillon préparent une conversion à la dissuasion nucléaire du parti. Ils
agissent par le biais de réunions régulières, de journées d’études et
d’interventions fréquentes dans la presse. Charles Hernu, attaché à la
construction d’un consensus sur les questions de défense, propose que le
PS défende une indépendance nationale basée sur la dissuasion nucléaire
avec fidélité aux alliances.
Photo : Charles Hernu (1923-1990)
Juin-juillet 1973 : le soutien de F. Mitterrand
au "Bataillon de la paix"
En juin 1973, Jean-Marie Muller, le général Jacques de
Bollardière, Jean Toulat, Brice Lalonde et Gilbert Nicolas s’apprêtent à
partir en Polynésie pour s’opposer, sur le voilier Fri de Greenpeace, aux
essais nucléaires français dans l’océan Pacifique.
Le 8 juin 1973, Jean-Marie Muller passe la soirée avec François
Mitterrand, Guy Riobé, l’évêque d’Orléans, et quelques amis dont Jean-
François Six et Charles Hernu. François Mitterrand ayant été informé du
projet d’action, une grande part de la conversation porte sur la dissua-
sion nucléaire et les raisons de s’y opposer, et le dirigeant socialiste juge
l’action parfaitement justifiée.
Le 25 juillet, Mitterrand rend visite au général Jacques de Bollar-
dière hospitalisé au Val-de-Grâce où il a été hospitalisé à la demande du
gouvernement dès son retour de Polynésie. Le lendemain, il explique
publiquement le sens de ce « geste de sympathie » : « Sur le plan
politique, le Parti socialiste a toujours estimé les expériences nucléaires
inutiles et dangereuses. La signification de mon geste doit être comprise
par tous. »
1974 : la Commission de la Défense du PS
Mais les dispositions du ‘Programme commun de la
gauche’ vont être progressivement remises en question.
En octobre 1974, la Commission de la Défense du Parti
Socialiste adopte à l’unanimité un rapport sur les missions et
l’organisation des forces armées dans lequel la force nucléaire
stratégique se trouve intégrée dans le dispositif militaire proposé.
La dérive est amorcée.
Elle ne s’arrêtera plus.
Images :
- Journal du PS, L’Unité. Titre de l’interview de Charles Hernu : « La dissuasion
nucléaire, c’est notre espace de liberté, notre espace d’indépendance »
- Affiche diffusée alors par le ‘Mouvement pour une Alternative Non-violente’ : « Est-on
encore socialiste quand on accepte l’arme nucléaire ? »
Mai 1977 : le ralliement du PCF
Pour les deux principaux partis de la gauche française, la
possibilité de gouverner en gagnant les élections législatives de mars
1978 accélère les échéances.
Le 11 mai 1977, le Bureau politique du Parti communiste
français (PCF) impose au Comité central, sans discussion interne, le
ralliement à la dissuasion nucléaire
C’est Jean Kanapa, proche conseiller du Secrétaire général Georges
Marchais, partisan d’un aggiornamento du parti qui est à la manœuvre. Il s’agit
de manifester une certaine indépendance vis-à-vis de Moscou dans le contexte
de l’eurocommunisme, après l’expulsion en 1974 de Soljenitsyne, auteur de
L’Archipel du goulag en 1973.
Le PCF entend aussi, en cas d’accession au pouvoir, se faire accepter des
cadres de l’armée par crainte d’un « syndrome chilien ». Il s’agit surtout de se
poser en parti politique responsable ne pouvant plus nier la réalité de la force
nucléaire française constituée de bombardiers, sous-marins et missiles sol-sol.
Celle-ci a été édifiée par les ouvriers des arsenaux et usines d’armements dont
beaucoup sont communistes et syndiqués à la CGT. Ils risquent de subir des
restructurations en cas d’abandon du nucléaire militaire.
Images
- Georges Marchais (1920-1997), Secrétaire général du PCF de 1972 à 1994
- Jean Kanapa (1921-1978), responsable de la cellule de politique étrangère du PCF
Janvier 1978 : le ralliement du PS
à la dissuasion nucléaire
La rupture de l’union de la gauche à l’automne 1977 est suivie du
ralliement des socialistes lors de la Convention nationale des 7 et 8 janvier
1978 dans un texte très subtil, voté par la grande majorité des adhérents,
faisant curieusement le lien entre la défense populaire mise en avant par
Jean Jaurès dans son essai L’Armée Nouvelle et une dissuasion nucléaire
exercée par un seul décideur…
F. Mitterrand déclare lors de cette Convention : « Nous ne détruirons
pas l’arme atomique et, la maintenant en état, nous opérerons sur elle les
modifications techniques que nécessiteraient l’avance ou les progrès de la
technologie dans l’intervalle. »
Le document accepté est aussi un plaidoyer pour le désarmement
nucléaire mondial pour lequel un gouvernement de gauche s’engage à
prendre des initiatives, mais, est-il écrit, « en attendant que soient connues
les positions des autres puissances, cet armement sera maintenu en état ».
Images :
- L’essai de 600 pages de Jean Jaurès L’armée nouvelle, paru en 1911, se réfère à l’histoire, analyse
les enseignements donnés dans les écoles de guerre, étudie l’organisation militaire de différents
pays (Suisse, Russie ou Allemagne), convoque les grands penseurs stratégiques comme Clause-
witz, incarne et favorise l’investissement des débats militaires par des civils, s’intéresse au lien entre
l’armée et la société, souhaite remodeler la défense nationale en créant des milices sur le modèle
suisse.
- Charles Hernu et Jean-Pierre Chevènement, partisans du ralliement à la dissuasion nucléaire lors
de la Convention nationale de janvier 1878
La campagne et les élections
présidentielles de 1981
Lors de la campagne pour l’élection présidentielle de mai 1981, F.
Mitterrand peut affirmer sans que personne ne s’en étonne : « La stratégie
de dissuasion nucléaire nationale est la seule qui puisse être de nature à
éloigner les dangers de conflit. Il convient de poursuivre la modernisation
de nos forces nucléaires et tactiques. »
Cette fois, Mitterrand ne veut plus être « en retard d’une stratégie et
d’une morale » sur la politique du général de Gaulle…
« En réalité, écrit Jean-Marie Muller, ce qui a justifié aux yeux des
dirigeants de gauche leur ralliement à l’arme nucléaire, ce ne sont point
les exigence de la défense de la France, mais les contraintes de la
conquête du pouvoir d’État. Tant qu’ils étaient dans l’opposition, ils
résistaient à l’État et contestaient la bombe, son attribut majeur. Dès lors
qu’ils ont pu pouvoir nourrir l’ambition de devenir des hommes d’État, (…)
l’acceptation de l’arme nucléaire était devenue pour eux le passage obligé
pour conquérir l’État.
Car la raison décisive qui justifie le bombe, c’est la raison d’État.
Mais en démocratie, les exigence de la simple raison doivent prévaloir
contre les prétentions de la raison d’État. »
- Affiche de la campagne présidentielle de F. Mitterrand en 1981
- À l'occasion de son investiture en tant que président de la République, François Mitterrand
se rend au Panthéon et rend hommage Jean Jaurès, Victor Schoelcher et Jean Moulin.
Après l’élection de Mitterrand :
1981,1982,1985
Après son élection, le 11 juin 1981, Mitterrand visite le
poste de commandement (PC) de Taverny, près de Paris, et fait
procéder sans préavis à une mise en alerte des forces.
En juillet 1982, il se déplace à la base de l’île Longue, près
de Brest, pour visiter la base opérationnelle des sous-marins
nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et le sous-marin Le
Terrible. Il ordonne que trois sous-marins soient désormais à la
mer en permanence.
Il dirige plusieurs exercices depuis le PC Jupiter de
l’Élysée et se fait même filmer devant le système permettant de
donner l’ordre d’engagement.
En mai 1985, il se rend à l’Ile Longue à l’occasion du
lancement du sous-marin nucléaire lanceur d’engins L’Inflexible.
Images :
- Juillet 1982 : F. Mitterrand visite le sous-marin nucléaire lanceurs d’engins (SNLE)
Le Terrible
- Mai 1985 : visite de F. Mitterrand à l’Ile Longue, lancement du sous-marin
“L’Inflexible”
Janvier 1983 :
F. Mitterrand au Bundestag
‘La crise des euromissiles’ est une période de relations Est-Ouest tendues et de
débats au sein des membres européens de l'OTAN. Elle naît des premiers déploiements de
missiles soviétiques SS-20 en 1977, auxquels font face en 1983 les missiles étatsuniens
Pershing II, et elle s'achève avec la signature par les États-Unis et l'URSS en déc. 1987 du
‘Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire’ (FNI).
Au début des années 1980, les mouvements dits "pacifistes", de gauche et gau-
chistes se mobilisent contre le projet étatsunien, avec le slogan : « Plutôt rouges que
morts ! » Les jeunes Allemands sont les plus nombreux à manifester contre le parapluie
étatsunien et pour le désarmement.
François Mitterrand déclare au cours d'un dîner officiel à Bruxelles le 13 octobre
1983 : « Moi aussi je suis contre les euromissiles. Seulement, je constate des choses
simples : le pacifisme est à l'ouest et les euromissiles sont à l'est. Et je pense qu'il s'agit là
d'un rapport inégal ». Son intervention est un soutien inespéré à l’OTAN.
En réalité, n’en déplaise à F. Mitterrand, ce sont les mouvements non-violents de
l’Est (Solidarnosc en Pologne, ‘Charte 77’ en Tchécoslovaquie, Neues Forum en Allemagne
de l’Est), soutenus par les militants non-violents de l’Ouest, qui renverseront les régimes
communistes totalitaires et le mur de Berlin en 1989, et non les missiles de l’Ouest…
Images :
- F. Mitterrand à Bruxelles le 13 octobre 1983
- Le secrétaire du Parti communiste Mikhaïl Gorbatchev et le président étatsunien Ronald Reagan signent le FNI le 8
décembre 1987 à la Maison-Blanche.
Juillet 1985 :
sabotage du Rainbow Warrior
par les services secrets français
Le 10 juillet 1985, une explosion fait couler le Rainbow Warrior 1
("Guerrier Arc-en-ciel"), bateau de l’organisation écologiste ‘Greenpeace’,
amarré à Auckland en Nouvelle-Zélande, pour l’empêcher de protester contre
les essais nucléaires souterrains français dans le lagon de Moruroa. Fernan-
do Pereira, photographe de ‘Greenpeace’, est tué.
Cet homicide involontaire résulte d’un attentat commis par les services
secrets français (DGSE). Selon le témoignage de Pierre Lacoste, patron de la
DGSE, l’ordre de sabotage, initié par le ministre de la Défense Charles
Hernu, a été donné avec l'autorisation explicite du président Mitterrand.
Charles Hernu démissionne. La France versera - toujours avec nos
impôts, comme pour l’arme nucléaire… -, 7 millions de dollars de dommages-
intérêts à la Nouvelle-Zélande et 8,16 millions de dollars d’indemnités à
‘Greenpeace’ ...
Paul Quilès, qui succède à Charles Hernu au poste de ministre de la Défense,
se rend vite compte de l’imposture de la dissuasion nucléaire française et deviendra plus
tard président de l’association ‘Initiatives pour le Désarmement Nucléaire’ (IDN)
Photos :
- Le Rainbow Warrior 1 coulé dans le port d’Auckland
- Les faux époux Turenge de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure)
- La victime, Fernando Pereira (1950-1985), Néerlandais d’origine portugaise
1992 : la France rejoint le TNP
Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) a
été ouvert à la signature le 1er juillet 1968. Il est entré en vigueur
le 5 mars 1970.
La France annonce son adhésion au TNP dans le cadre du
‘Plan global de maîtrise des armements et de désarmement’
présenté par François Mitterrand devant les Nations Unies le 3
juin 1991. Elle rejoint le Traité le 2 août 1992, 22 ans après son
entrée en vigueur…
Entre-temps, le 6 avril 1992, F. Mitterrand décide de
suspendre pour un an les essais nucléaires français en Polynésie.
Le TNP introduit de manière discriminatoire un déséquilibre
dans les rapports entre les États. Il exige que les États non-
nucléaires renoncent à acquérir l’arme nucléaire, alors même que
les États nucléaires (États-Unis, Russie, Royaume Uni, France,
Chine)* n’ont pas renoncé à les posséder.
* 4 autres États détenteurs d’armes nucléaires ne sont pas signataires du TNP :
Inde, Pakistan, Corée du Nord, Israël.
5 autres États n’ont pas développé des armes atomiques, mais hébergent dans le
cadre de l’OTAN des armes nucléaires états-uniennes : Allemagne, Belgique, Italie,
Pays-Bas, Turquie.
F. Mitterrand en mai 1994
Le 5 mai 1994, à l’occasion d’une conférence à l’Elysée
en présence des responsables militaires, François Mitterrand
exprime sa conception de la stratégie française.
« La stratégie de la France n’est ni offensive, ni défensive, elle
est de dissuasion, ce qui veut dire, en termes encore plus simples,
qu’elle a pour but essentiel d’empêcher le déclenchement de la guerre.
(…)
Les conditions dans lesquelles pourrait se dérouler la
nécessité pour la France de répondre à une agression ou à une
menace d’agression peuvent ne laisser que quelques minutes. C’est
pourquoi, par principe, le chef de l’Etat peut décider et peut décider
seul. (…)
Cette indispensable autonomie de décision du chef de l’Etat
exclut que cette décision soit remise à des instances internationales et
même à une Alliance et même aux plus fidèles, aux plus proches, aux
plus forts de nos alliés. C’est pourquoi il a été naguère décidé de
retirer la France du commandement intégré de l’Alliance atlantique, de
l’OTAN, et c’est pourquoi je maintiens fermement cette décision. (…)
F. Mitterrand en mai 1994
(Au sujet des missiles Hadès :) J’ai décidé la cessation de
leur fabrication estimant que cette arme ne correspondait plus à la
nécessité d’aujourd’hui en raison de sa portée limitée. (…) Elles
pouvaient dépasser le sol allemand et atteindre au-delà des forces de
l’Ouest, quelques-uns des pays satellites. »
J’ai cru également nécessaire de m’opposer à ce que l’on a
appelé "l’Initiative de Défense Stratégique" ».
Images :
- Base mobile de lancement de missiles tactiques Hadès
- Essai sur La France face à l’Initiative de Défense Stratégique (IDS) de Ronald Reagan et
logo de l’IDS. L’IDS, dite aussi "guerre des étoiles" dans les médias, était un projet de défense
anti-missile destiné à la protection des États-Unis contre une frappe nucléaire stratégique par
des missiles balistiques intercontinentaux et des missiles balistiques lancés par des sous-
marins. En 1984, la Strategic Defense Initiative Organization (SDIO) fut créée pour superviser
le programme. Trois ans plus tard, la Société américaine de physique conclut que le dévelop-
pement d'un bouclier antimissile global était extrêmement ambitieux, n’était pas réalisable
avec la technologie de l’époque et qu'environ 10 années de recherches seraient nécessaires
simplement pour déterminer sa faisabilité.
La position de Michel Rocard
L'ancien Premier ministre Michel Rocard, dans un texte publié le
14 octobre 2009 par Le Monde et cosigné par un autre ancien Premier
ministre, Alain Juppé, par l'ancien ministre de la Défense socialiste Alain
Richard, et par le général Bernard Norlain, avait émis le souhait de voir
le monde - y compris la France - renoncer aux armes nucléaires.
Dans ses Mémoires publiés en 2019 sous le titre Si ça vous
amuse, Michel Rocard, qui ne manque pas de rappeler que son père
Yves Rocard fut l'un des pères de la bombe atomique française, persiste
et signe : « Redisons-le : les armes nucléaires ne sont un moyen de
défense contre aucune menace prévisible. Ce qui n'empêche pas les
cinq États les détenant de se préparer à les conserver pour une période
indéfinie, soit en l'absence même du moindre danger susceptible de leur
fournir ne serait-ce qu'un semblant de justification. Il est inacceptable
que, pour une période infinie, l'avenir de l'humanité reste tributaire à
chaque instant, d'une défaillance technique ou d'une erreur humaine, à
la seule fin de satisfaire la vanité ou l'amour-propre de quelques grandes
nations. »
François Hollande
L’adhésion d’un Président de la République de gauche
à la dissuasion nucléaire se poursuit avec François Hollande,
candidat du Parti socialiste élu Président en mai 2012.
Le mois suivant son élection, François Hollande affiche ses
convictions en embarquant dans le sous-marin lanceur d’engins Le
Terrible.
À deux jours du second tour de l’élection présidentielle de
2017, où s’affrontent Emmanuel Macron et Marine le Pen, François
Hollande déclare à Argenton-sur-Creuse : « Nous sommes membre
permanent du Conseil de sécurité, nous avons l'arme nucléaire, je
vous le rappelle, comme force de dissuasion. Est-ce qu'elle peut
être mise entre n'importe quelles mains ? Non ! Donc, il faut y
réfléchir et se poser gravement la question. »
Si François Hollande soutenait le Traité sur l’Interdiction des
armes nucléaires (TIAN), il ferait en sorte que l’arme nucléaire ne
soit pas entre les mains de Marine Le Pen, de Donald Trump, de
Kim Jong-un ou de Vladimir Poutine…
Images :
- En juin 2012, François Hollande dans le sous-marin lanceur d’engins Le Terrible.
Manuel Valls
Le 23 octobre 2014, lors de l’inauguration du site CEA-DAM ‘Laser
Mégajoule’ au Barp, entre Bordeaux et Bayonne, Manuel Valls, Premier ministre
socialiste, annonce fièrement que la France « fait la course en tête pour les
technologies de dissuasion », alors que la doctrine officielle rejette l'idée que la
France participe à la course aux armements et que ces simulations d’essais
nucléaires sont contraires à l’esprit, sinon à la lettre, de l’article 6* du Traité de
Non-Prolifération nucléaire (TNP).
Ce qui est grave, dans les sites CEA du Barp (Gironde) ou de Valduc (Côte
d’Or), ce n’est pas seulement la gaspillage de l’argent public, c’est surtout la
perversion de la science à des fins de destruction.
* « Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des
négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements
nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un
traité de désarmement général et complet sous un contrôle international
strict et efficace. »
Images :
- CEA-CESTA Laser MégaJoule (LMJ), site du Barp, en vue de la validation des simu-
lations numériques des essais nucléaires
- En bas : Manuel Valls lors de l’inauguration du Laser Mégajoule
La dissuasion nucléaire, marqueur de la France ?
Bruno Tertrais, Directeur adjoint de la Fondation pour la
Recherche Stratégique et chantre de la dissuasion nucléaire française,
écrit* : « De fait, la possession d'une force de dissuasion contribue au
rayonnement de la politique étrangère du pays : elle conforte l'image
d'une puissance, et donc d'une diplomatie indépendante. (…) Il n'en
reste pas moins que la dissuasion nucléaire est centrale dans l'identité
politique moderne de la France. »
Un homme politique** a même pu dire que la bombe atomique
était une caractéristique de la France au même titre que ses fromages.
Ainsi, une arme de destruction massive qui est le reniement de toutes
les valeurs d’une civilisation humaine est considérée comme marqueur
d’un pays ou d’une culture au même titre qu’une baguette de pain et une
bouteille de vin en France, une pizza en Italie ou une chopine de bière
en Bavière. Cela en dit long sur le fourvoiement des esprits. Bernanos et
Camus doivent se retourner dans leur tombe…
* Sur le site de ‘Vie publique’, le 27 juillet 2022. L’honneur de la France serait au contraire
de renoncer aux armes de destruction massive qui menacent l’humanité, détournent des
ressources au détriment de la lutte contre la misère et de prendre la tête d’un mouvement
mondial pour le désarmement nucléaire.
** Dont je ne retrouve sur Internet ni le nom, ni la déclaration…Je suis demandeur de toute
information à ce sujet.
Un débat refusé
Le débat sur l’arme et la dissuasion nucléaires est totalement
étouffé en France.
La séance parlementaire du 23 mai 2018 est révélatrice : une
sénatrice, Hélène Conway-Mouret, propose un débat national sur la
question : « Il nous paraît opportun d’organiser un débat au niveau
national sur cette question, afin d’informer et de sensibiliser nos concitoyens. Il
ne s’agirait en aucun lieu d’un sondage ni même d’un référendum. Ce serait une
occasion pour les Français d’être correctement informés et de s’approprier le thème
du nucléaire militaire au travers d’un débat porté, par exemple, par les parlemen-
taires. »
Réponse du rapporteur, Christian Cambon, Président de la commis-
sion des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat : « Un an après la
campagne pour l’élection présidentielle, au cours de laquelle ce sujet a été abordé,
j’ai le sentiment que le débat a été tranché. Il ne me paraît pas judicieux de
le relancer, au risque de mettre ainsi à nouveau en lumière toutes les oppositions
sur le sujet et de donner la parole à tous ceux qui souhaitent se manifester contre le
nucléaire d’une manière générale. »
Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État : « Même avis : le
Gouvernement demande le retrait de cet amendement. »
Photos : Hélène Conway-Mouret, Christian Cambon, Geneviève Darrieussecq
"Consensus national"
ou congélation du débat ?
« Le "consensus" , écrit Yannick Pincé*, est en réalité un présupposé
de fidélité de la population française à l’héritage gaullien en termes de
politique étrangère et de défense, auquel se seraient ensuite ralliées les
oppositions de gauche et du centre.
Or, c’est oublier bien vite que les orientations du Général furent
critiquées dans les années 1960 et que tant le programme nucléaire civil que
le programme militaire furent l’objet de contestations dans les années 1970.
Enfin, il convient de poser une question majeure : approuver la
détention de l’arme nucléaire par la France, est-ce valider le concept de
dissuasion qui repose jusqu’aux années 1990 sur la menace de frappes
stratégiques contre des objectifs démographiques en cas d’agression des
"intérêts vitaux", ce qui conduirait à des représailles dévastatrices ? Plusieurs
sondages des années 1980 montrent que les Français distinguent les deux.
De ce point de vue, l’installation de la notion de "consensus" est une
construction qui est en réalité la congélation du débat stratégique : les forces
politiques ne s’affrontent plus sur la question du nucléaire militaire.** »
* Photo ci-contre. Article Quel « consensus » nucléaire français ? le 20.10.2022 sur le site de la
Fondation Jean Jaurès
** dans un courriel du 15.12.2023, Yannick Pensé précise : « Selon moi, on ne sait s’il y a
"consensus" car le débat est interrompu depuis 1988. En fait, les sondages (quand il y en a) donnent des
résultats très contradictoires en fonction du commanditaire et de la formulation de la question. »
Repenser les choix nucléaires
À en croire la parole officielle, les experts et la presse, les armes
nucléaires prolifèrent dans le monde et cet état de fait serait immuable. Ainsi,
la politique française ne fait pas débat. Elle repose sur trois postulats : effica-
cité de la dissuasion nucléaire, absence de risque grâce à un contrôle adé-
quat, responsabilité morale et politique du chef de l'État, seul habilité à
déclencher le feu nucléaire.
À partir d’archives françaises, britanniques et états-uniennes, d’entre-
tiens dans de nombreux pays et d’une enquête inédite sur l’opinion europé-
enne, le chercheur et enseignant Benoit Pelopidas réévalue ces postulats
dans son ouvrage Repenser les choix nucléaires (2022).
Requalifiant la prolifération comme une partie du problème, il carto-
graphie les vulnérabilités, expose les limites du savoir existant, propose des
outils pour ne pas céder à la confiance excessive dans les discours d’auto-
rité, élucide les paris qui sous-tendent les différentes politiques possibles et
documente le rôle qu’a joué la chance dans l’évitement d’explosions nuclé-
aires non désirées.
Image : Benoît Pelopidas, né en 1981, universitaire français. Fondateur en 2017 du ‘Program-
me d'étude des savoirs nucléaires’, Nuclear Knowledges, au ‘Centre des relations internationales’
(CERI) de Sciences Po, maître de conférences en relations internationales à l’université de Bristol
(SPAIS) et chercheur affilié au Center for International Security and Cooperation (CISAC) de
l'université Stanford (Californie).
Repenser les choix nucléaires :
le "consensus" étudié à la loupe
Parce qu’en démocratie, il est crucial que les choix nucléaires s’appuient sur
la discussion publique d’alternatives cohérentes, cet ouvrage donne au citoyen, à
l’élu, au militaire et à l’enseignant les moyens de se forger un avis sur un sujet aussi
essentiel que réputé intouchable.
La distance que garde B. Pelopidas aussi bien vis-à-vis des partisans que des
adversaires de l’arme nucléaire lui permet de réévaluer des affirmations prises pour
acquises, telles que le "consensus" sur la politique de dissuasion nucléaire. Il montre,
sondages à l’appui, que ce consensus n’existe qu’au sein des partis politiques et
comment est construite l’illusion du consensus, qu’il n’y a pas de consensus en
France ou au Royaume-Uni sur les politiques nucléaires militaires. Cela reste vrai
même si l’on entend par consensus une adhésion passive à des choix gouvernemen-
taux que l’on ne partage pas.
Le fait que les experts aient jusqu’à présent répété cette illusion comme vraie
illustre la nécessité de la recherche indépendante, et comment elle peut être mise au
service du choix démocratique.
Image du haut : Trois ouvrages publiées dans le cadre du programme Nuclear Kowledge du Ceri-
Sciences Po, le premier programme de recherche indépendant sur les questions nucléaires et transparent sur ses
sources de financement.
Remettre en question la "techno-théocratie"
L’auteur indique que sur les 180 États ayant renoncé à l’arme
nucléaire, 140 d’entre eux environ n’ont jamais tenté de l’acquérir ou ne
s’y sont jamais intéressés, preuve qu’il n’y a pas de "désir nucléaire"
spontané*. Il définit le concept de "la chance" comme ce qui échappe au
contrôle et montre comment l’expertise officielle nie le rôle de la chance
au prix d’une série d’erreurs et sans se rendre capable de l’évaluer
Il pose la question « Voulons-nous être une communauté politique
qui ne se sent pas capable de garantir sa sécurité autrement qu’en
menaçant, en préparant et en acceptant d’être responsable de la mort de
civils en masse ? ».
En définitive, le choix fondamental est le suivant : préserver le
statut sacré des armes nucléaires ou leur redonner le statut de moyens,
au service de politiques clairement définies. B. Pelopidas appelle en fait à
restaurer un espace de choix et de responsabilité politiques.
Dans sa recension du livre de B. Pelopidas dans la Revue Défense Nationale (été 2022),
le général Bernard Norlain relève le fait que tous les conflits importants depuis la fin de la guerre
froide ont été lancés par des États nucléaires contre des États non-nucléaires. En réalité, au lieu
de garantir la paix, la détention de l’arme nucléaire semble être plutôt un permis d’agresser… Le
général plaide pour une « désacralisation » des systèmes d’armes nucléaires et pour ne plus faire
de notre doctrine une « techno-théocratie » de la dissuasion nucléaire.
Images : - L’Empire au miroir, autre ouvrage de B. Pelopidas et autres sur les stratégies de
puissance aux États-Unis et en Russie
- Logo de la Revue Défense Nationale
Quel "consensus"
sur la dissuasion nucléaire ?
Un consensus politique ?
- 2 Premiers ministres (Michel Rocard et Alain Juppé) ont demandé la
participation de la France aux dynamiques de désarmement nucléaire ;
- 3 ministres de la Défense (Paul Quilès, Alain Richard et Hervé Morin)
également (photos ci-contre);
- 69 parlementaires (33 du Sénat, 22 de l’Assemblée nationale, 12 du
Parlement européen et 2 de l’Assemblée de la Polynésie française) ont
demandé* que la France soit observatrice à la 2ème réunion des États-
parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) à New-York
du 27 nov. au 1er déc. 2023.
* Tribune « L’embourbement diplomatique de la France doit cesser » co-signée par 69
parlementaires et portée par Jean-Paul Lecoq (député), Guy Benarroche et Guillaume Gontard
(sénateurs), et Mounir Satouri (eurodéputé).
Quel "consensus"
sur la dissuasion nucléaire ?
Un consensus populaire ?
- Selon un sondage d’opinion IFOP du 4 juillet
2018 commandé par La Croix et le ‘Mouvement de la
Paix’, 67 % des Français souhaitaient que la France
s’engage dans l’adhésion au Traité sur l’interdiction
des armes nucléaires (TIAN).
- 78 villes* et 4 collectivités territoriales** demandent que la France
adhère au TIAN, et ce n’est qu’un début…
- 22 organisations françaises*** et britanniques ont demandé que la
France et la Grande-Bretagne soit observatrices à la 2ème réunion des États-
parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) à New-York du
27 nov. au 1er déc. 2023.
* dont Paris, Lyon, Bordeaux, Montpellier, Besançon, Saint Étienne, Vénissieux, Tours,
Villeurbanne, Vandoeuvre-lès-Nancy, La Courneuve, Lannion, Cordes-sur-Ciel, Nogent-sur-Marne,
Bègles, Ivry-sur-Seine, Villejuif, Gennevillliers, Colombes, Malakoff, Bagneux, Fontenay sous Bois,
Saint-Herblain, etc., la 78ème commune étant Dampierre (Doubs).
** Département de Seine-Saint-Denis, Assemblée de la Polynésie Française, Métropole du
Grand Lyon, Région Bourgogne-Franche-Comté.
*** ICAN-France, Pax Christi-France, Commission Justice et Paix, Mouvement pour une
Alternative Non-violente, Mouvement International de la Réconciliation (MIR-IFOR), Collectif
Bourgogne-Franche-Comté pour l’abolition des armes nucléaires, Communauté Mission de France ,
Abolition des Armes Nucléaires-Maison de Vigilance, Communauté de l’Arche - Non-violence et
spiritualité , Amis de la Terre-France, Mouvement de la Paix.
La nécessité et l’urgence
d’un débat démocratique
Le soi-disant "consensus national" sur la dissuasion nucléaire
n’existe pas, mais François Mitterrand* et quelques-uns de ses proches
ont bien contribué à créer ce mythe…
Une consultation de la société civile du type convention citoyenne,
incluant dans un premier temps une émission télévisée (avec Jean-Marie
Collin, Directeur d’ICAN-France, le général Bernard Norlain, le diplomate
Marc Finaud, etc.) permettaient de remettre enfin les finalités et les
moyens de la défense de la France et de l’Europe** dans le champ du
débat démocratique.
* On mesure la puissance de fascination de l’arme nucléaire (raison d’État,
volonté de puissance, « vanité et amour propre de quelques grandes nations »
comme disait Michel Rocard) quand on voit comment François Mitterrand s’est rallié
à la doctrine de la dissuasion après l’avoir critiquée si fort pendant tant d’années.
Au point de donner en 1985 son aval au sabotage du Rainbow Warrior, acte
de terrorisme d’État, 12 ans après avoir encouragé en 1973 les membres du
"Bataillon de la paix" dans leur lutte contre les essais nucléaires dans le Pacifique…
** Voir sur irnc.org les diaporamas « Abolir les armes nucléaires » et notamment « Les 7
vices de la dissuasion nucléaire », « Développer l’Intervention civile de paix », « Préparer une
défense civile non-violente », etc.
■

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Armes nucléaires. — 10. Quel « consensus national » sur la dissuasion nucléaire française ?

  • 1. Série ‘Vers une politique de sécurité et de paix au XXIème siècle’ 1 – Sous-série ‘Les armes nucléaires’ Diaporama n° 10 10 – Quel "consensus national" sur la dissuasion nucléaire française ? avec, en toile de fond, le revirement de François Mitterrand et d’une partie de la gauche sur la dissuasion nucléaire de la France Étienne Godinot * 19.12.2023
  • 2. Abolir l’arme nucléaire : un ensemble de 10 diaporamas 1 - Les sept vices de la dissuasion nucléaire 2 - Pour un désarmement nucléaire de la France dans le cadre du TIAN 3 - Figures de la résistance à l’arme nucléaire - 1869-1925 4 - Figures de la résistance à l’arme nucléaire - de 1926 à 1945 5 - Figures de la résistance à l’arme nucléaire - depuis 1946 6 - Quelques personnalités qui ont remis ou remettent en cause la dissuasion nucléaire ou se posent des questions à son sujet 7 - La position de l’Église catholique et des Églises chrétiennes sur l’arme nucléaire 8 - Les combats non-violents pour le désarmement nucléaire en France. 9 - Le site CEA-DAM de Valduc 10 - Quel "consensus national" ? Le revirement de François Mitterrand et de la gauche au sujet de la dissuasion nucléaire Images à gauche : Angie Zelter, Paul Stehlin, Beatrice Fihn, Paul Quilès Rappel : ce diaporama fait partie de la sous-série 1 - ‘Abolir l’arme nucléaire’ qui fait elle-même partie de la série ‘Vers une politique de sécurité et de paix au XXIème siècle’ sur irnc.org
  • 3. Quel "consensus national" ? Le revirement de François Mitterrand et de la gauche au sujet de l’arme nucléaire Sources : - Yannick Pincé, François Mitterrand et la fabrique du "consensus" nucléaire français, Institut François Mitterrand ;* - Jean-Marie Muller, Libérer la France des armes nucléaires, Chronique sociale, 2014 ;** - Internet, notamment Wikipédia. * Yannick Pincé, docteur en histoire contemporaine, nucléaire et politique, professeur agrégé d'histoire en Classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), est l’auteur d’une thèse sur La construction politique du consensus nucléaire français, publiée par ‘l’Institut d’Études de Stratégie et de Défense’ (IESD) * Jean-Marie Muller (1939-2021), écrivain et militant, est l’initiateur du Mouve- ment pour une Alternative Non-violente en 1974
  • 4. Années 1960 : l’opposition de Mitterrand à l’arme nucléaire Dans les années 1960, François Mitterrand n’a pas encore tranché sur la doctrine stratégique, car il évoque encore à cette époque l’idée d’une force de frappe « à la disposition de l’Europe naissante », posture cohérente avec sa critique de l’arme atomique gaullienne qui, selon lui, met en péril la construction européenne et les alliances. L’auteur du livre Le coup d’État permanent met-il sur le même plan la dénonciation du pouvoir personnel du président de la Vème République et celle de l’arme nucléaire ? Le débat sur la loi de programme militaire de 1964 peut le laisser croire : il affirme que l’opposition s’accorde « pour penser que la sécurité de la France n’est pas fondée sur le prestige d’un homme providentiel et sur la capacité de destruction de sa bombe magique. » Il critique le caractère anticonstitutionnel du décret du 14 janvier 1964 qui confère au président de la République, par son article 5, le droit exclusif d’engager la force de dissuasion. Images - F. Mitterrand s’exprimant à l’Assemblée nationale contre la Loi de programmation militaire de 1964 - L’essai Le coup d’Etat permanent (1964). Parlant de Charles de Gaulle, Mitterrand écrit : « Faut-il affermir l’indépendance nationale ? Il exalte le nationalisme. Faut-il utiliser l’énergie atomique ? Il invente la force de frappe. »
  • 5. Février 1963 : Claude Bourdet En février 1963, pour se démarquer du ‘Mouvement de la paix’ alors trop lié au ‘Parti communiste français’, le journaliste et Compagnon de la Libération Claude Bourdet lance, avec le soutien du Parti Socialiste Unifié (PSU) dont il est un des fondateurs et des dirigeants, le ‘Mouvement contre l’armement atomique’ (MCAA). Le biologiste Jean Rostand en est le président d’honneur *. Le MCAA devient en 1968 ‘Mouvement pour le Désarmement, la Paix et la Liberté’ (MDPL,1968-1996). « Développer les idées d’abandon et d’interdiction des armes atomiques, bactériologiques et chimiques dans tous les pays , à commencer par la France , participer au plaidoyer pour le désarmement et le règlement pacifique des conflits, agir pour l’éducation à la paix, à la citoyenneté, le développement solidaire, les échanges interculturels , la défense des libertés. » (MDPL) * Théodore Monod, Laurent Schwartz, René Dumont, Vladimir Jankélévitch, Daniel Mayer, Georges Montaron, Claude Roy, Bernard Boudouresques, le dominicain Charles Avril, les pasteurs Henri Roser et Georges Casalis en sont adhérents. Photos : Claude Bourdet (1909-1996) et Jean Rostand (1894-1977)
  • 6. Mai 1963 : Jules Moch Jules Moch (1893-1985), Résistant, ministre socialiste des Travaux publics et des transports sous la IVème République, écrit La Folie des hommes (au sujet de la bombe atomique, préface d’Albert Einstein, 1955), En retard d'une paix (1958), Non à la force de frappe (1963). En mai 1963, il crée avec 60 personnalités la ‘Ligue nationale contre la force de frappe’, car il estime la force de frappe française ruineuse, inefficace et dangereuse. " Attaquer ? Trente têtes thermonucléaires suffisent pour anéantir la France. Si nous nous en prenions à une puissance atomique de plus vaste superficie, nous serions annihilés avant de la mettre hors de combat. " Riposter ? Si nous étions attaqués, le délai entre la détection des engins ennemis et leur explosion, de l'ordre de deux à cinq minutes, interdirait tout envol de nos bombardiers et toute riposte efficace. " Menacer ? La menace de représailles par notre force de frappe ne pouvant être mise à exécution, ne constituerait pas une arme diplomatique : autant agiter un sabre de bois. »
  • 7. Octobre 1964 : Gaston Defferre Le 11 octobre 1964, Gaston Defferre (1910-1986), candidat potentiel de la gauche pour les élections présidentielles de décembre 1965, fait un discours sur la dissuasion nucléaire lors d’un meeting à Clermont- Ferrand. La force de frappe, dit-il, « détourne l’intérêt, l’énergie, les ressources des Français vers le mirage d’une fausse grandeur. Elle arrête la construc- tion européenne. Elle pèse sur notre développement, elle va bloquer notre avenir. » La politique de la force de frappe, qui est également un choix contraire à la morale, « forme un tout, et ce tout est un rêve, sinon un cauchemar, un cauchemar utopique ». L’objectif des socialistes, déclare-t-il solennellement, « est l’arrêt pur et simple du gaspillage ruineux et absurde, en hommes et en ressources, qui s’appelle pompeusement la force de frappe. » Faisant remarquer que rien n’est fait en France pour assurer une protection antinucléaire des populations civiles, il affirme : « Il est criminel d’exposer une nation à la destruction totale pour satisfaire le goût du prestige et de la fausse grandeur ». Il conclut alors : « Nous arrêterons ce processus de décadence ».
  • 8. 1965 : l’opposition ferme de F. Mitterrand à l’arme nucléaire Parmi les « Vingt-huit propositions de la campagne présiden- tielle » de 1965 de F. Mitterrand figurent « un plan pour la non- dissémination des armes nucléaires », « la signature du pacte de Moscou sur l’arrêt des expériences nucléaires » et « la reconversion catégorique de la force de frappe française. » Le 22 novembre 1965, pendant la campagne présidentielle contre le général de Gaulle, Mitterrand, déclare à la télévision : « Je crois qu’une défense acharnée de la paix, en particulier en luttant contre la dissémination de l’arme nucléaire et donc contre la force de frappe, je crois que ce sont des finalités de gauche. Le 2 décembre 1965, il déclare : « Ou bien la France lancera le monde dans la course à l’armement atomique dont on sait bien qu’il menace l’humanité.(…) L’un des premiers actes de ma présidence sera de déposer à l’ONU un plan de non-dissémination des armes nucléaires et d’arrêt des essais nucléaires qui polluent l’atmosphère et qui atteignent la santé des populations ».
  • 9. F. Mitterrand en 1967 et en 1969 Mitterrand affirme pendant la campagne des élections législa- tives de mars 1967 : « On ne protège pas la paix, mais on l’expose au pire danger lorsqu’on fabrique des bombes atomiques et qu’on engage ainsi les autres à faire comme nous, c’est-à-dire de se lancer dans la course au bout de laquelle le monde périra. » En 1969, alors qu’il est encore officiellement un adversaire résolu de l’arme nucléaire, François Mitterrand, évoquant le choix du général de Gaulle en faveur de la dissuasion n’hésite pas à affirmer que celui-ci est "en retard d’une stratégie et d’une morale". Il poursuit : « La sécurité sur le thème "À chacun sa bombe atomique" annonce la guerre certaine et la mort pour tous, le vainqueur étant celui qui meurt un quart d’heure après l’autre. » Images : - Affiche appelant à voter pour les candidats gaullistes aux élections législatives de 1967 - F. Mitterrand en meeting de la ‘Convention des Institutions Républicaines’ en 1969
  • 10. F. Mitterrand acquis très tôt à la dissuasion nucléaire ? Un faisceau d’éléments appuie l’idée que François Mitterrand, officiellement converti à l’arme nucléaire en 1969, l’était avant le congrès d’Épinay en 1971 et même bien auparavant. Selon Pierre Joxe, son entourage a également contribué très tôt à cette évolution puisque son frère cadet, le général Jacques Mitterrand, est commandant adjoint des Forces Aériennes Stratégiques (FAS) de 1965 à 1967, puis commandant de 1970 à 1972. Louis Mermaz s’appuie quant à lui sur une discussion avec Mitter- rand en 1959 pour confirmer le caractère ancien* de sa conviction nuclé- aire. Celle-ci s’affirme dès sa participation aux Comités de défense en tant que ministre de l’Intérieur de Pierre Mendès France puis Garde des sceaux de Guy Mollet, ce que ne manque pas de lui rappeler Michel Debré quand, en tant que ministre de la Défense, il critique le ‘Program- me commun de la gauche’ en 1973. * Yannick Pensé avance même que Mitterrand pense à une bombe atomique française dès 1954, et que pour se placer en leader de la gauche, il doit rejeter la Vème République et la bombe dans les années 1960 : il réfléchit, il hésite. 1969 n’est que l’année où il fait connaître publiquement ses hésitations à ce propos. Images : - F. Mitterrand (1916-1996) et Pierre Mendès-France (1907-1982). C'est le gouvernement de Pierre Mendès-France qui se prononce en faveur du développement d'un programme nucléaire militaire français après le rejet de la Communauté Européenne de Défense (CED) par l'Assem- blée nationale française le 30 août 1954. - Le général Jacques Mitterrand (1918-2009)
  • 11. 1969 : les hésitations de Mitterrand quant à la force de frappe Au fil des années, les deux premières lois de programmes militaires étant achevées, les Mirage IV opérationnels, la première patrouille du sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) Le Redoutable programmée et la perspective de mise en service des missiles tactiques Pluton ainsi que des silos du Plateau d’Albion, l’armement nucléaire français devient un fait incontournable. François Mitterrand le reconnaît après l’élection de Georges Pompidou, qui constitue une leçon politique pour une gauche très divisée et qui paye sa sidération face aux événements de mai 1968 en n’accédant pas au second tour de l’élection présidentielle de 1969 : « J’ai dit pendant ma campagne présidentielle de 1965 que j’interdirai la force de frappe. Je ne pourrai plus le dire demain. La politique du général de Gaulle a été approuvée par les Français qui l’ont réélu, avant d’élire le successeur de sa lignée. Bientôt, notre armement atomique sera une réalité irréversible. On ne le noiera pas comme des petits chiens. (…) Les moyens qui nous restent de faire entendre raison s’amenuisent. » Images : - Bombardier stratégique Mirage IV de Dassault, entré en service en 1964 ; sous-marin nucléaire lanceur d’engins Le Redoutable ; missiles du plateau d’Albion ; missiles tactiques Pluton.
  • 12. 1971 : Le PCF hostile à la force de frappe nucléaire De son côté, le Parti communiste français (PCF) s’était, lui aussi, toujours déclaré hostile à la force nucléaire française. Ainsi, dans son programme Changer de cap publié le 9 octobre 1971, il dénonce « la participation de la France à l’équilibre de la terreur » comme « des plus dangereuses ». Il est affirmé que « la renonciation de la France à la stratégie nucléaire dans le cadre d’une action résolue en faveur du désarmement nucléaire à l’échelle mondiale est un impératif de défense nationale authentique ». En conséquence de quoi, « un gouvernement démocratique renoncera à la force de frappe nucléaire et aux armements atomiques tactiques » et « arrêtera immédiatement la fabrication et les essais, puis réalisera une série de mesures pour aboutir, dans le plus bref délais possible, à la suppression ou à la reconversion à des fins pacifiques des matériels, des usines et des bases militaires nuclé- aires. »
  • 13. Mars 1972 : le congrès du PS à Suresnes Hubert Védrine estime que la « conversion intellectuelle à la dissuasion » de Mitterrand est déjà faite au moment du Congrès d’Épinay*, en juin 1971. Pourtant, au congrès du PS à Suresnes les 11 et 12 mars 1972, il est affirmé dans le programme de gouvernement du PS : « L’argument selon lequel la force nucléaire permet à la France de faire triompher son point de vie dans les grandes affaires mondiales manque de sérieux et a été sans cesse démenti depuis dix ans. Le Parti socialiste se refuse à prendre acte du "fait nucléaire". Dès son accession au pouvoir, le gouvernement de gauche devra prendre la décision d’interrompre la construction de la force de frappe. » * Le congrès d'Épinay, officiellement ‘Congrès d'unification des socialistes’, 58e congrès ordinaire du Parti socialiste, a lieu du 11 au 13 juin 1971 au gymnase Léo-Lagrange à Épinay- sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Il permet à François Mitterrand, nouvel adhérent du Parti socialiste dirigé depuis 1969 par Alain Savary, d'en devenir Premier secrétaire et d'en prendre le contrôle, sur une ligne d'union de la gauche, apparaissant dès lors comme son candidat naturel à la prochaine élection présidentielle.
  • 14. Juin 1972 : le Programme commun de la gauche Après le congrès d’Épinay juin 1971, les années 1970 sont marquées par le ralliement progressif à la bombe de la quasi-totalité des forces politiques qui s’y étaient opposées. La première étape est la conclusion de l’union de la gauche dont le "Programme commun", adopté en juin 1972, prévoit « renonciation à la force de frappe nucléaire stratégique sous quelque forme que ce soit ; arrêt immédiat de la fabrication de la force de frappe française; arrêt immédiat des expériences nucléaires et adhésion aux traités d’interdiction des explosions nucléaires et de non-dissémination des armements nuclé- aires », mais comporte implicitement une acceptation des armes tactiques et la non destruction des stocks existants. François Mitterrand, Charles Hernu, Jean-Pierre Chevènement et la commission de la défense du PS dont fait également partie Robert Pontillon préparent une conversion à la dissuasion nucléaire du parti. Ils agissent par le biais de réunions régulières, de journées d’études et d’interventions fréquentes dans la presse. Charles Hernu, attaché à la construction d’un consensus sur les questions de défense, propose que le PS défende une indépendance nationale basée sur la dissuasion nucléaire avec fidélité aux alliances. Photo : Charles Hernu (1923-1990)
  • 15. Juin-juillet 1973 : le soutien de F. Mitterrand au "Bataillon de la paix" En juin 1973, Jean-Marie Muller, le général Jacques de Bollardière, Jean Toulat, Brice Lalonde et Gilbert Nicolas s’apprêtent à partir en Polynésie pour s’opposer, sur le voilier Fri de Greenpeace, aux essais nucléaires français dans l’océan Pacifique. Le 8 juin 1973, Jean-Marie Muller passe la soirée avec François Mitterrand, Guy Riobé, l’évêque d’Orléans, et quelques amis dont Jean- François Six et Charles Hernu. François Mitterrand ayant été informé du projet d’action, une grande part de la conversation porte sur la dissua- sion nucléaire et les raisons de s’y opposer, et le dirigeant socialiste juge l’action parfaitement justifiée. Le 25 juillet, Mitterrand rend visite au général Jacques de Bollar- dière hospitalisé au Val-de-Grâce où il a été hospitalisé à la demande du gouvernement dès son retour de Polynésie. Le lendemain, il explique publiquement le sens de ce « geste de sympathie » : « Sur le plan politique, le Parti socialiste a toujours estimé les expériences nucléaires inutiles et dangereuses. La signification de mon geste doit être comprise par tous. »
  • 16. 1974 : la Commission de la Défense du PS Mais les dispositions du ‘Programme commun de la gauche’ vont être progressivement remises en question. En octobre 1974, la Commission de la Défense du Parti Socialiste adopte à l’unanimité un rapport sur les missions et l’organisation des forces armées dans lequel la force nucléaire stratégique se trouve intégrée dans le dispositif militaire proposé. La dérive est amorcée. Elle ne s’arrêtera plus. Images : - Journal du PS, L’Unité. Titre de l’interview de Charles Hernu : « La dissuasion nucléaire, c’est notre espace de liberté, notre espace d’indépendance » - Affiche diffusée alors par le ‘Mouvement pour une Alternative Non-violente’ : « Est-on encore socialiste quand on accepte l’arme nucléaire ? »
  • 17. Mai 1977 : le ralliement du PCF Pour les deux principaux partis de la gauche française, la possibilité de gouverner en gagnant les élections législatives de mars 1978 accélère les échéances. Le 11 mai 1977, le Bureau politique du Parti communiste français (PCF) impose au Comité central, sans discussion interne, le ralliement à la dissuasion nucléaire C’est Jean Kanapa, proche conseiller du Secrétaire général Georges Marchais, partisan d’un aggiornamento du parti qui est à la manœuvre. Il s’agit de manifester une certaine indépendance vis-à-vis de Moscou dans le contexte de l’eurocommunisme, après l’expulsion en 1974 de Soljenitsyne, auteur de L’Archipel du goulag en 1973. Le PCF entend aussi, en cas d’accession au pouvoir, se faire accepter des cadres de l’armée par crainte d’un « syndrome chilien ». Il s’agit surtout de se poser en parti politique responsable ne pouvant plus nier la réalité de la force nucléaire française constituée de bombardiers, sous-marins et missiles sol-sol. Celle-ci a été édifiée par les ouvriers des arsenaux et usines d’armements dont beaucoup sont communistes et syndiqués à la CGT. Ils risquent de subir des restructurations en cas d’abandon du nucléaire militaire. Images - Georges Marchais (1920-1997), Secrétaire général du PCF de 1972 à 1994 - Jean Kanapa (1921-1978), responsable de la cellule de politique étrangère du PCF
  • 18. Janvier 1978 : le ralliement du PS à la dissuasion nucléaire La rupture de l’union de la gauche à l’automne 1977 est suivie du ralliement des socialistes lors de la Convention nationale des 7 et 8 janvier 1978 dans un texte très subtil, voté par la grande majorité des adhérents, faisant curieusement le lien entre la défense populaire mise en avant par Jean Jaurès dans son essai L’Armée Nouvelle et une dissuasion nucléaire exercée par un seul décideur… F. Mitterrand déclare lors de cette Convention : « Nous ne détruirons pas l’arme atomique et, la maintenant en état, nous opérerons sur elle les modifications techniques que nécessiteraient l’avance ou les progrès de la technologie dans l’intervalle. » Le document accepté est aussi un plaidoyer pour le désarmement nucléaire mondial pour lequel un gouvernement de gauche s’engage à prendre des initiatives, mais, est-il écrit, « en attendant que soient connues les positions des autres puissances, cet armement sera maintenu en état ». Images : - L’essai de 600 pages de Jean Jaurès L’armée nouvelle, paru en 1911, se réfère à l’histoire, analyse les enseignements donnés dans les écoles de guerre, étudie l’organisation militaire de différents pays (Suisse, Russie ou Allemagne), convoque les grands penseurs stratégiques comme Clause- witz, incarne et favorise l’investissement des débats militaires par des civils, s’intéresse au lien entre l’armée et la société, souhaite remodeler la défense nationale en créant des milices sur le modèle suisse. - Charles Hernu et Jean-Pierre Chevènement, partisans du ralliement à la dissuasion nucléaire lors de la Convention nationale de janvier 1878
  • 19. La campagne et les élections présidentielles de 1981 Lors de la campagne pour l’élection présidentielle de mai 1981, F. Mitterrand peut affirmer sans que personne ne s’en étonne : « La stratégie de dissuasion nucléaire nationale est la seule qui puisse être de nature à éloigner les dangers de conflit. Il convient de poursuivre la modernisation de nos forces nucléaires et tactiques. » Cette fois, Mitterrand ne veut plus être « en retard d’une stratégie et d’une morale » sur la politique du général de Gaulle… « En réalité, écrit Jean-Marie Muller, ce qui a justifié aux yeux des dirigeants de gauche leur ralliement à l’arme nucléaire, ce ne sont point les exigence de la défense de la France, mais les contraintes de la conquête du pouvoir d’État. Tant qu’ils étaient dans l’opposition, ils résistaient à l’État et contestaient la bombe, son attribut majeur. Dès lors qu’ils ont pu pouvoir nourrir l’ambition de devenir des hommes d’État, (…) l’acceptation de l’arme nucléaire était devenue pour eux le passage obligé pour conquérir l’État. Car la raison décisive qui justifie le bombe, c’est la raison d’État. Mais en démocratie, les exigence de la simple raison doivent prévaloir contre les prétentions de la raison d’État. » - Affiche de la campagne présidentielle de F. Mitterrand en 1981 - À l'occasion de son investiture en tant que président de la République, François Mitterrand se rend au Panthéon et rend hommage Jean Jaurès, Victor Schoelcher et Jean Moulin.
  • 20. Après l’élection de Mitterrand : 1981,1982,1985 Après son élection, le 11 juin 1981, Mitterrand visite le poste de commandement (PC) de Taverny, près de Paris, et fait procéder sans préavis à une mise en alerte des forces. En juillet 1982, il se déplace à la base de l’île Longue, près de Brest, pour visiter la base opérationnelle des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et le sous-marin Le Terrible. Il ordonne que trois sous-marins soient désormais à la mer en permanence. Il dirige plusieurs exercices depuis le PC Jupiter de l’Élysée et se fait même filmer devant le système permettant de donner l’ordre d’engagement. En mai 1985, il se rend à l’Ile Longue à l’occasion du lancement du sous-marin nucléaire lanceur d’engins L’Inflexible. Images : - Juillet 1982 : F. Mitterrand visite le sous-marin nucléaire lanceurs d’engins (SNLE) Le Terrible - Mai 1985 : visite de F. Mitterrand à l’Ile Longue, lancement du sous-marin “L’Inflexible”
  • 21. Janvier 1983 : F. Mitterrand au Bundestag ‘La crise des euromissiles’ est une période de relations Est-Ouest tendues et de débats au sein des membres européens de l'OTAN. Elle naît des premiers déploiements de missiles soviétiques SS-20 en 1977, auxquels font face en 1983 les missiles étatsuniens Pershing II, et elle s'achève avec la signature par les États-Unis et l'URSS en déc. 1987 du ‘Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire’ (FNI). Au début des années 1980, les mouvements dits "pacifistes", de gauche et gau- chistes se mobilisent contre le projet étatsunien, avec le slogan : « Plutôt rouges que morts ! » Les jeunes Allemands sont les plus nombreux à manifester contre le parapluie étatsunien et pour le désarmement. François Mitterrand déclare au cours d'un dîner officiel à Bruxelles le 13 octobre 1983 : « Moi aussi je suis contre les euromissiles. Seulement, je constate des choses simples : le pacifisme est à l'ouest et les euromissiles sont à l'est. Et je pense qu'il s'agit là d'un rapport inégal ». Son intervention est un soutien inespéré à l’OTAN. En réalité, n’en déplaise à F. Mitterrand, ce sont les mouvements non-violents de l’Est (Solidarnosc en Pologne, ‘Charte 77’ en Tchécoslovaquie, Neues Forum en Allemagne de l’Est), soutenus par les militants non-violents de l’Ouest, qui renverseront les régimes communistes totalitaires et le mur de Berlin en 1989, et non les missiles de l’Ouest… Images : - F. Mitterrand à Bruxelles le 13 octobre 1983 - Le secrétaire du Parti communiste Mikhaïl Gorbatchev et le président étatsunien Ronald Reagan signent le FNI le 8 décembre 1987 à la Maison-Blanche.
  • 22. Juillet 1985 : sabotage du Rainbow Warrior par les services secrets français Le 10 juillet 1985, une explosion fait couler le Rainbow Warrior 1 ("Guerrier Arc-en-ciel"), bateau de l’organisation écologiste ‘Greenpeace’, amarré à Auckland en Nouvelle-Zélande, pour l’empêcher de protester contre les essais nucléaires souterrains français dans le lagon de Moruroa. Fernan- do Pereira, photographe de ‘Greenpeace’, est tué. Cet homicide involontaire résulte d’un attentat commis par les services secrets français (DGSE). Selon le témoignage de Pierre Lacoste, patron de la DGSE, l’ordre de sabotage, initié par le ministre de la Défense Charles Hernu, a été donné avec l'autorisation explicite du président Mitterrand. Charles Hernu démissionne. La France versera - toujours avec nos impôts, comme pour l’arme nucléaire… -, 7 millions de dollars de dommages- intérêts à la Nouvelle-Zélande et 8,16 millions de dollars d’indemnités à ‘Greenpeace’ ... Paul Quilès, qui succède à Charles Hernu au poste de ministre de la Défense, se rend vite compte de l’imposture de la dissuasion nucléaire française et deviendra plus tard président de l’association ‘Initiatives pour le Désarmement Nucléaire’ (IDN) Photos : - Le Rainbow Warrior 1 coulé dans le port d’Auckland - Les faux époux Turenge de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) - La victime, Fernando Pereira (1950-1985), Néerlandais d’origine portugaise
  • 23. 1992 : la France rejoint le TNP Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) a été ouvert à la signature le 1er juillet 1968. Il est entré en vigueur le 5 mars 1970. La France annonce son adhésion au TNP dans le cadre du ‘Plan global de maîtrise des armements et de désarmement’ présenté par François Mitterrand devant les Nations Unies le 3 juin 1991. Elle rejoint le Traité le 2 août 1992, 22 ans après son entrée en vigueur… Entre-temps, le 6 avril 1992, F. Mitterrand décide de suspendre pour un an les essais nucléaires français en Polynésie. Le TNP introduit de manière discriminatoire un déséquilibre dans les rapports entre les États. Il exige que les États non- nucléaires renoncent à acquérir l’arme nucléaire, alors même que les États nucléaires (États-Unis, Russie, Royaume Uni, France, Chine)* n’ont pas renoncé à les posséder. * 4 autres États détenteurs d’armes nucléaires ne sont pas signataires du TNP : Inde, Pakistan, Corée du Nord, Israël. 5 autres États n’ont pas développé des armes atomiques, mais hébergent dans le cadre de l’OTAN des armes nucléaires états-uniennes : Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas, Turquie.
  • 24. F. Mitterrand en mai 1994 Le 5 mai 1994, à l’occasion d’une conférence à l’Elysée en présence des responsables militaires, François Mitterrand exprime sa conception de la stratégie française. « La stratégie de la France n’est ni offensive, ni défensive, elle est de dissuasion, ce qui veut dire, en termes encore plus simples, qu’elle a pour but essentiel d’empêcher le déclenchement de la guerre. (…) Les conditions dans lesquelles pourrait se dérouler la nécessité pour la France de répondre à une agression ou à une menace d’agression peuvent ne laisser que quelques minutes. C’est pourquoi, par principe, le chef de l’Etat peut décider et peut décider seul. (…) Cette indispensable autonomie de décision du chef de l’Etat exclut que cette décision soit remise à des instances internationales et même à une Alliance et même aux plus fidèles, aux plus proches, aux plus forts de nos alliés. C’est pourquoi il a été naguère décidé de retirer la France du commandement intégré de l’Alliance atlantique, de l’OTAN, et c’est pourquoi je maintiens fermement cette décision. (…)
  • 25. F. Mitterrand en mai 1994 (Au sujet des missiles Hadès :) J’ai décidé la cessation de leur fabrication estimant que cette arme ne correspondait plus à la nécessité d’aujourd’hui en raison de sa portée limitée. (…) Elles pouvaient dépasser le sol allemand et atteindre au-delà des forces de l’Ouest, quelques-uns des pays satellites. » J’ai cru également nécessaire de m’opposer à ce que l’on a appelé "l’Initiative de Défense Stratégique" ». Images : - Base mobile de lancement de missiles tactiques Hadès - Essai sur La France face à l’Initiative de Défense Stratégique (IDS) de Ronald Reagan et logo de l’IDS. L’IDS, dite aussi "guerre des étoiles" dans les médias, était un projet de défense anti-missile destiné à la protection des États-Unis contre une frappe nucléaire stratégique par des missiles balistiques intercontinentaux et des missiles balistiques lancés par des sous- marins. En 1984, la Strategic Defense Initiative Organization (SDIO) fut créée pour superviser le programme. Trois ans plus tard, la Société américaine de physique conclut que le dévelop- pement d'un bouclier antimissile global était extrêmement ambitieux, n’était pas réalisable avec la technologie de l’époque et qu'environ 10 années de recherches seraient nécessaires simplement pour déterminer sa faisabilité.
  • 26. La position de Michel Rocard L'ancien Premier ministre Michel Rocard, dans un texte publié le 14 octobre 2009 par Le Monde et cosigné par un autre ancien Premier ministre, Alain Juppé, par l'ancien ministre de la Défense socialiste Alain Richard, et par le général Bernard Norlain, avait émis le souhait de voir le monde - y compris la France - renoncer aux armes nucléaires. Dans ses Mémoires publiés en 2019 sous le titre Si ça vous amuse, Michel Rocard, qui ne manque pas de rappeler que son père Yves Rocard fut l'un des pères de la bombe atomique française, persiste et signe : « Redisons-le : les armes nucléaires ne sont un moyen de défense contre aucune menace prévisible. Ce qui n'empêche pas les cinq États les détenant de se préparer à les conserver pour une période indéfinie, soit en l'absence même du moindre danger susceptible de leur fournir ne serait-ce qu'un semblant de justification. Il est inacceptable que, pour une période infinie, l'avenir de l'humanité reste tributaire à chaque instant, d'une défaillance technique ou d'une erreur humaine, à la seule fin de satisfaire la vanité ou l'amour-propre de quelques grandes nations. »
  • 27. François Hollande L’adhésion d’un Président de la République de gauche à la dissuasion nucléaire se poursuit avec François Hollande, candidat du Parti socialiste élu Président en mai 2012. Le mois suivant son élection, François Hollande affiche ses convictions en embarquant dans le sous-marin lanceur d’engins Le Terrible. À deux jours du second tour de l’élection présidentielle de 2017, où s’affrontent Emmanuel Macron et Marine le Pen, François Hollande déclare à Argenton-sur-Creuse : « Nous sommes membre permanent du Conseil de sécurité, nous avons l'arme nucléaire, je vous le rappelle, comme force de dissuasion. Est-ce qu'elle peut être mise entre n'importe quelles mains ? Non ! Donc, il faut y réfléchir et se poser gravement la question. » Si François Hollande soutenait le Traité sur l’Interdiction des armes nucléaires (TIAN), il ferait en sorte que l’arme nucléaire ne soit pas entre les mains de Marine Le Pen, de Donald Trump, de Kim Jong-un ou de Vladimir Poutine… Images : - En juin 2012, François Hollande dans le sous-marin lanceur d’engins Le Terrible.
  • 28. Manuel Valls Le 23 octobre 2014, lors de l’inauguration du site CEA-DAM ‘Laser Mégajoule’ au Barp, entre Bordeaux et Bayonne, Manuel Valls, Premier ministre socialiste, annonce fièrement que la France « fait la course en tête pour les technologies de dissuasion », alors que la doctrine officielle rejette l'idée que la France participe à la course aux armements et que ces simulations d’essais nucléaires sont contraires à l’esprit, sinon à la lettre, de l’article 6* du Traité de Non-Prolifération nucléaire (TNP). Ce qui est grave, dans les sites CEA du Barp (Gironde) ou de Valduc (Côte d’Or), ce n’est pas seulement la gaspillage de l’argent public, c’est surtout la perversion de la science à des fins de destruction. * « Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace. » Images : - CEA-CESTA Laser MégaJoule (LMJ), site du Barp, en vue de la validation des simu- lations numériques des essais nucléaires - En bas : Manuel Valls lors de l’inauguration du Laser Mégajoule
  • 29. La dissuasion nucléaire, marqueur de la France ? Bruno Tertrais, Directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique et chantre de la dissuasion nucléaire française, écrit* : « De fait, la possession d'une force de dissuasion contribue au rayonnement de la politique étrangère du pays : elle conforte l'image d'une puissance, et donc d'une diplomatie indépendante. (…) Il n'en reste pas moins que la dissuasion nucléaire est centrale dans l'identité politique moderne de la France. » Un homme politique** a même pu dire que la bombe atomique était une caractéristique de la France au même titre que ses fromages. Ainsi, une arme de destruction massive qui est le reniement de toutes les valeurs d’une civilisation humaine est considérée comme marqueur d’un pays ou d’une culture au même titre qu’une baguette de pain et une bouteille de vin en France, une pizza en Italie ou une chopine de bière en Bavière. Cela en dit long sur le fourvoiement des esprits. Bernanos et Camus doivent se retourner dans leur tombe… * Sur le site de ‘Vie publique’, le 27 juillet 2022. L’honneur de la France serait au contraire de renoncer aux armes de destruction massive qui menacent l’humanité, détournent des ressources au détriment de la lutte contre la misère et de prendre la tête d’un mouvement mondial pour le désarmement nucléaire. ** Dont je ne retrouve sur Internet ni le nom, ni la déclaration…Je suis demandeur de toute information à ce sujet.
  • 30. Un débat refusé Le débat sur l’arme et la dissuasion nucléaires est totalement étouffé en France. La séance parlementaire du 23 mai 2018 est révélatrice : une sénatrice, Hélène Conway-Mouret, propose un débat national sur la question : « Il nous paraît opportun d’organiser un débat au niveau national sur cette question, afin d’informer et de sensibiliser nos concitoyens. Il ne s’agirait en aucun lieu d’un sondage ni même d’un référendum. Ce serait une occasion pour les Français d’être correctement informés et de s’approprier le thème du nucléaire militaire au travers d’un débat porté, par exemple, par les parlemen- taires. » Réponse du rapporteur, Christian Cambon, Président de la commis- sion des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat : « Un an après la campagne pour l’élection présidentielle, au cours de laquelle ce sujet a été abordé, j’ai le sentiment que le débat a été tranché. Il ne me paraît pas judicieux de le relancer, au risque de mettre ainsi à nouveau en lumière toutes les oppositions sur le sujet et de donner la parole à tous ceux qui souhaitent se manifester contre le nucléaire d’une manière générale. » Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État : « Même avis : le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. » Photos : Hélène Conway-Mouret, Christian Cambon, Geneviève Darrieussecq
  • 31. "Consensus national" ou congélation du débat ? « Le "consensus" , écrit Yannick Pincé*, est en réalité un présupposé de fidélité de la population française à l’héritage gaullien en termes de politique étrangère et de défense, auquel se seraient ensuite ralliées les oppositions de gauche et du centre. Or, c’est oublier bien vite que les orientations du Général furent critiquées dans les années 1960 et que tant le programme nucléaire civil que le programme militaire furent l’objet de contestations dans les années 1970. Enfin, il convient de poser une question majeure : approuver la détention de l’arme nucléaire par la France, est-ce valider le concept de dissuasion qui repose jusqu’aux années 1990 sur la menace de frappes stratégiques contre des objectifs démographiques en cas d’agression des "intérêts vitaux", ce qui conduirait à des représailles dévastatrices ? Plusieurs sondages des années 1980 montrent que les Français distinguent les deux. De ce point de vue, l’installation de la notion de "consensus" est une construction qui est en réalité la congélation du débat stratégique : les forces politiques ne s’affrontent plus sur la question du nucléaire militaire.** » * Photo ci-contre. Article Quel « consensus » nucléaire français ? le 20.10.2022 sur le site de la Fondation Jean Jaurès ** dans un courriel du 15.12.2023, Yannick Pensé précise : « Selon moi, on ne sait s’il y a "consensus" car le débat est interrompu depuis 1988. En fait, les sondages (quand il y en a) donnent des résultats très contradictoires en fonction du commanditaire et de la formulation de la question. »
  • 32. Repenser les choix nucléaires À en croire la parole officielle, les experts et la presse, les armes nucléaires prolifèrent dans le monde et cet état de fait serait immuable. Ainsi, la politique française ne fait pas débat. Elle repose sur trois postulats : effica- cité de la dissuasion nucléaire, absence de risque grâce à un contrôle adé- quat, responsabilité morale et politique du chef de l'État, seul habilité à déclencher le feu nucléaire. À partir d’archives françaises, britanniques et états-uniennes, d’entre- tiens dans de nombreux pays et d’une enquête inédite sur l’opinion europé- enne, le chercheur et enseignant Benoit Pelopidas réévalue ces postulats dans son ouvrage Repenser les choix nucléaires (2022). Requalifiant la prolifération comme une partie du problème, il carto- graphie les vulnérabilités, expose les limites du savoir existant, propose des outils pour ne pas céder à la confiance excessive dans les discours d’auto- rité, élucide les paris qui sous-tendent les différentes politiques possibles et documente le rôle qu’a joué la chance dans l’évitement d’explosions nuclé- aires non désirées. Image : Benoît Pelopidas, né en 1981, universitaire français. Fondateur en 2017 du ‘Program- me d'étude des savoirs nucléaires’, Nuclear Knowledges, au ‘Centre des relations internationales’ (CERI) de Sciences Po, maître de conférences en relations internationales à l’université de Bristol (SPAIS) et chercheur affilié au Center for International Security and Cooperation (CISAC) de l'université Stanford (Californie).
  • 33. Repenser les choix nucléaires : le "consensus" étudié à la loupe Parce qu’en démocratie, il est crucial que les choix nucléaires s’appuient sur la discussion publique d’alternatives cohérentes, cet ouvrage donne au citoyen, à l’élu, au militaire et à l’enseignant les moyens de se forger un avis sur un sujet aussi essentiel que réputé intouchable. La distance que garde B. Pelopidas aussi bien vis-à-vis des partisans que des adversaires de l’arme nucléaire lui permet de réévaluer des affirmations prises pour acquises, telles que le "consensus" sur la politique de dissuasion nucléaire. Il montre, sondages à l’appui, que ce consensus n’existe qu’au sein des partis politiques et comment est construite l’illusion du consensus, qu’il n’y a pas de consensus en France ou au Royaume-Uni sur les politiques nucléaires militaires. Cela reste vrai même si l’on entend par consensus une adhésion passive à des choix gouvernemen- taux que l’on ne partage pas. Le fait que les experts aient jusqu’à présent répété cette illusion comme vraie illustre la nécessité de la recherche indépendante, et comment elle peut être mise au service du choix démocratique. Image du haut : Trois ouvrages publiées dans le cadre du programme Nuclear Kowledge du Ceri- Sciences Po, le premier programme de recherche indépendant sur les questions nucléaires et transparent sur ses sources de financement.
  • 34. Remettre en question la "techno-théocratie" L’auteur indique que sur les 180 États ayant renoncé à l’arme nucléaire, 140 d’entre eux environ n’ont jamais tenté de l’acquérir ou ne s’y sont jamais intéressés, preuve qu’il n’y a pas de "désir nucléaire" spontané*. Il définit le concept de "la chance" comme ce qui échappe au contrôle et montre comment l’expertise officielle nie le rôle de la chance au prix d’une série d’erreurs et sans se rendre capable de l’évaluer Il pose la question « Voulons-nous être une communauté politique qui ne se sent pas capable de garantir sa sécurité autrement qu’en menaçant, en préparant et en acceptant d’être responsable de la mort de civils en masse ? ». En définitive, le choix fondamental est le suivant : préserver le statut sacré des armes nucléaires ou leur redonner le statut de moyens, au service de politiques clairement définies. B. Pelopidas appelle en fait à restaurer un espace de choix et de responsabilité politiques. Dans sa recension du livre de B. Pelopidas dans la Revue Défense Nationale (été 2022), le général Bernard Norlain relève le fait que tous les conflits importants depuis la fin de la guerre froide ont été lancés par des États nucléaires contre des États non-nucléaires. En réalité, au lieu de garantir la paix, la détention de l’arme nucléaire semble être plutôt un permis d’agresser… Le général plaide pour une « désacralisation » des systèmes d’armes nucléaires et pour ne plus faire de notre doctrine une « techno-théocratie » de la dissuasion nucléaire. Images : - L’Empire au miroir, autre ouvrage de B. Pelopidas et autres sur les stratégies de puissance aux États-Unis et en Russie - Logo de la Revue Défense Nationale
  • 35. Quel "consensus" sur la dissuasion nucléaire ? Un consensus politique ? - 2 Premiers ministres (Michel Rocard et Alain Juppé) ont demandé la participation de la France aux dynamiques de désarmement nucléaire ; - 3 ministres de la Défense (Paul Quilès, Alain Richard et Hervé Morin) également (photos ci-contre); - 69 parlementaires (33 du Sénat, 22 de l’Assemblée nationale, 12 du Parlement européen et 2 de l’Assemblée de la Polynésie française) ont demandé* que la France soit observatrice à la 2ème réunion des États- parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) à New-York du 27 nov. au 1er déc. 2023. * Tribune « L’embourbement diplomatique de la France doit cesser » co-signée par 69 parlementaires et portée par Jean-Paul Lecoq (député), Guy Benarroche et Guillaume Gontard (sénateurs), et Mounir Satouri (eurodéputé).
  • 36. Quel "consensus" sur la dissuasion nucléaire ? Un consensus populaire ? - Selon un sondage d’opinion IFOP du 4 juillet 2018 commandé par La Croix et le ‘Mouvement de la Paix’, 67 % des Français souhaitaient que la France s’engage dans l’adhésion au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). - 78 villes* et 4 collectivités territoriales** demandent que la France adhère au TIAN, et ce n’est qu’un début… - 22 organisations françaises*** et britanniques ont demandé que la France et la Grande-Bretagne soit observatrices à la 2ème réunion des États- parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) à New-York du 27 nov. au 1er déc. 2023. * dont Paris, Lyon, Bordeaux, Montpellier, Besançon, Saint Étienne, Vénissieux, Tours, Villeurbanne, Vandoeuvre-lès-Nancy, La Courneuve, Lannion, Cordes-sur-Ciel, Nogent-sur-Marne, Bègles, Ivry-sur-Seine, Villejuif, Gennevillliers, Colombes, Malakoff, Bagneux, Fontenay sous Bois, Saint-Herblain, etc., la 78ème commune étant Dampierre (Doubs). ** Département de Seine-Saint-Denis, Assemblée de la Polynésie Française, Métropole du Grand Lyon, Région Bourgogne-Franche-Comté. *** ICAN-France, Pax Christi-France, Commission Justice et Paix, Mouvement pour une Alternative Non-violente, Mouvement International de la Réconciliation (MIR-IFOR), Collectif Bourgogne-Franche-Comté pour l’abolition des armes nucléaires, Communauté Mission de France , Abolition des Armes Nucléaires-Maison de Vigilance, Communauté de l’Arche - Non-violence et spiritualité , Amis de la Terre-France, Mouvement de la Paix.
  • 37. La nécessité et l’urgence d’un débat démocratique Le soi-disant "consensus national" sur la dissuasion nucléaire n’existe pas, mais François Mitterrand* et quelques-uns de ses proches ont bien contribué à créer ce mythe… Une consultation de la société civile du type convention citoyenne, incluant dans un premier temps une émission télévisée (avec Jean-Marie Collin, Directeur d’ICAN-France, le général Bernard Norlain, le diplomate Marc Finaud, etc.) permettaient de remettre enfin les finalités et les moyens de la défense de la France et de l’Europe** dans le champ du débat démocratique. * On mesure la puissance de fascination de l’arme nucléaire (raison d’État, volonté de puissance, « vanité et amour propre de quelques grandes nations » comme disait Michel Rocard) quand on voit comment François Mitterrand s’est rallié à la doctrine de la dissuasion après l’avoir critiquée si fort pendant tant d’années. Au point de donner en 1985 son aval au sabotage du Rainbow Warrior, acte de terrorisme d’État, 12 ans après avoir encouragé en 1973 les membres du "Bataillon de la paix" dans leur lutte contre les essais nucléaires dans le Pacifique… ** Voir sur irnc.org les diaporamas « Abolir les armes nucléaires » et notamment « Les 7 vices de la dissuasion nucléaire », « Développer l’Intervention civile de paix », « Préparer une défense civile non-violente », etc. ■