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Trombinoscope "Chercheurs d’humanité"
Chercheurs de sens
(art, religion, philosophie, spiritualité)
12 bis - Jean Sulivan
Étienne Godinot
avec la collaboration de Joseph Thomas
03.03.2023
Jean Sulivan
Joseph Lemarchand (1913-1980), écrivain français. Son père,
agriculteur métayer à Montauban-de-Bretagne, meurt au front en
1916. Joseph sera durablement affecté par son absence est se dira
« fils de tué ». Grand séminaire de Rennes. Lecteur assidu de Kierke-
gaard, de Nietzsche et des mystiques. Durant quelques mois, ouvrier
chez Renault. Ordonné prêtre en 1938, professeur de français en
classes préparatoires à Rennes, stages en usine à Paris, aumônier
de mouvements d’action catholique, d’étudiants. Fonde en 1945 un
centre de conférences, ‘Renaissance spirituelle’. Crée en 1947 le
ciné-club d'art et d'essai ‘La Chambre Noire’, en 1950 le mensuel
Dialogues-Ouest.
Très marqué en 1964 par un voyage en Inde et son lien avec
Henri le Saux, et par sa rencontre avec Maurice Zundel, petit homme
frêle, vif et libre.
Chroniqueur dans des revues catholiques, alterne marches en
montagne, voyages (Grèce, Inde, Afrique, villes états-uniennes) et
écrits, entretient une correspondance avec ceux qu’il appelle « mes
lecteurs, ma paroisse ».
Photo du haut : la rivière Garun à Montauban-de-Bretagne, gros bourg entre Rennes et St
Brieuc
Un christianisme d’intériorité
Tourmenté par le désir d’écrire, s’en ouvre à Paul Claudel dont la
réponse lui est déterminante : « Bâtissez des contes tirés de la vie
quotidienne, chargé de sens, animés d’une intention, une espèce de
"Journal de Dieu", le Dieu caché incognito dans tout destin. »
Le cardinal Rocques*, son archevêque de Rennes, le détache en
quelque sorte pour l’écriture, pressentant que le ministère de ce prêtre doit
d’exercer de cette façon pour donner toute sa fécondité.
Directeur, de 1970 à 1980, de la collection ‘Voies ouvertes’ chez
Gallimard avec le propos de « faire éclater les cadres » et d’offrir un lieu
de spiritualité ouverte, au-delà des options et des confessions. En 1978,
lance chez Desclée de Brouwer la collection ‘Connivence’.
Subit plusieurs accidents qui auraient pu être mortels. Ces situa-
tions-limites le rendent différent, sensible à la vanité de tout.
Auteur d’une trentaine de livres sous le nom d’écrivain Jean Sulivan.
Ce pseudonyme est emprunté au titre de la comédie Sullivan’s Travels de
l’États-unien Preston Sturgess (1941).
* Clément Rocques,1880-1964. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, soustrait les
séminaristes au ‘Service du travail obligatoire’ et assure la protection de Juifs et de Résistants.
Une contestation joyeuse,
née d’une expérience vitale
« Je suis né à 45 ans » dira-t-il plus tard, quand il refuse « le
monde de la puérilité et de la convention ». Cesse très tôt de confesser, de
célébrer, prie en méditant sur la vie. Plaide pour un christianisme d’inté-
riorité et dit parler « pour les petits chrétiens d’incertitude ». L’amour
impossible pour une jeune italienne hante plusieurs de ses livres. Meurt en
1980 des suites d’un accident de la circulation.
Sa parole a animé bien d’autres paroles d’écrivains, il est largement
cité, il a diffusé un esprit évangélique au ras de l'existence. Il se veut petit
prophète et occupe une belle place aux côtés de Maurice Zundel ou de
Marcel Légaut.
Sa conviction est qu’il n’est d’issue et de salut que dans l’humani-
sation de l’humain, dans l’attention à plus pauvre que soi.
Sa critique de l’institution ecclésiastique et du dogmatisme n’est
que la partie visible d’une contestation joyeuse, née d’une expérience
vitale.
Images :
- Sous la direction d’Yvon Tranvouez, différentes approches (historiques, théologiques, littéraires,
cinématographiques) en donnant la parole à ceux qui l'ont connu hier ou qui le découvrent
aujourd'hui
- Présentation de Jean Sulivan et de son œuvre par Claude Lebrun, son ami professeur de lettres
dans un lycée de Rennes
Son oeuvre
Le voyage intérieur (1958) est une quête initiatique sur les traces de Nietzsche
et de Rilke. La figure d’un prêtre évangélique, Jean Lorre, se détache conte les vices
de l’Église institutionnelle.
Dans Provocation ou la faiblesse de Dieu (1959), exprime son exaspération
face aux pesanteurs d’un système ecclésial dont l’image est contre-productive.
Le plus petit abîme (1965) est un hommage à Henri le Saux, moine bénédictin
en Inde, pont vivant entre le christianisme et l’hindouisme.
Devance tout adieu (1966) décrit l’atmosphère familiale chez le jeune
Lemarchand et réalise un portrait attachant de sa mère.
Mais il y a la mer (1964) décrit le cheminement d’un cardinal qui quitte les
honneurs et les rites pour prendre en prison la place d’un prisonnier d’opinion et lui
permettre de s’évader.
Car je t’aime, ô éternité (1966) présente la figure de Jérôme Strozzi (en réalité
Auguste Rosi), prêtre qui a consacré plus de 20 années de sa vie aux prostituées et
aux personnes déshéritées de Paris, notamment de Pigalle.
L’Obsession de Delphes (1967) est écrit à la suite d’un séjour à Delphes ou il a
été invité par un ami archéologue. Il y montre l’opposition entre l’esprit grec aimant la
démonstration et l’esprit sémite qui parle en images et en émotions.
D’amour et de mort à Mogador (1970) est la suite d’un voyage au Maroc pour
se guérir d’une blessure.
Son oeuvre
Joie errante (1974) est la suite d’un voyage dans des villes états-uniennes.
Les mots à la gorge (1969), Miroir brisé (1969. Une femme récupère un clochard
au milieu des détritus) et Petite littérature individuelle (1971) reprennent des
observations et réflexions recueillies précédemment.
Je veux battre le tambour (1975) est une suite de récits ruisselants de vie qui
trouvent leur unité dans l’amour joyeux ou blessé, mystique ou charnel.
Matinales (1976) et La traversée des illusions (1977) livrent le cœur de sa
pensée. La prétendue déchristianisation n'est que la fin d'une illusion... Fin de la foi
schizophrénique de proclamation et de domination nourrie d'idéalisme et de
culpabilité. Retour à la singularité contre la collectivisation et la quantification de
l'esprit. À chaque homme d'habiter son corps en traçant son chemin unique sur la voie
commune : le seul moyen pour lui d'accéder à une fraternité réelle par-delà les
fraternités déclarées et abstraites.
Quelque temps de la vie de Jude et Cie (1979), œuvre
chaleureuse et incarnée, indique l’amorce d’une nouvelle évolution.
L’exode (1980) est le fruit de la déception de devoir redire
ce qui n’a pas été entendu et constitue en quelque sorte son
testament.
Son influence
Sulivan a été un compagnon de route pour des publics très
variés : croyants (prêtres, religieux et religieuses, militants), hommes
des science agnostiques, hommes d’affaires et cadres ne trouvant plus
leur raison de vivre dans la religion du consumérisme et la fuite en avant
du "progrès", femmes vivant à vide. Ils ont subi une sorte de conversion
et acquis un nouveau regard
Images : Trois livres sur Sulivan
- Henri Guillemin (1903-1992), critique littéraire, historien, conférencier, polémiste, homme de
radio et de télévision.
- Bernard Feillet (1932-2019), prêtre de 1969 à 1978 à la chapelle Saint-Bernard, au pied de
l'horloge de la gare Montparnasse, à Paris, un lieu à part, une église pas comme les autres qui
a, pendant des années, attiré une population d'hommes et de femmes désireux d'entendre une
parole différente. Éditeur, chroniqueur, écrivain, conférencier. A aussi interviewé Marcel Légaut.
- Jean Lavoué (né en 1955), travailleur social, écrivain et éditeur français. Chemine avec des
petits groupes rassemblant des chercheurs de sens désireux de s’alléger des formes de la
religion transmise dans le cadre d’interprétations étroites.
Sommaire
La structuration de ce diaporama reprend la table des matières du livre
de Joseph Thomas Prier 15 jours avec Jean Sulivan (Nouvelle Cité, 2012).
Prier, être précaire
Se défaire, s’alléger
Traverser les illusions
Comme une marche
Se désarmer, être pauvre
Expérimenter, être libre
Rencontrer le Dieu de toute pauvreté
Être soi
Prier la mort, prier la joie
Prier pour naître
Dans la trace et les blessures
Comme on respire
Être vrai
Dans l’Esprit
Rire
Joseph Thomas, né en 1951, est philosophe de formation. Après
un temps d’enseignement, il s’est investi de diverses manières dans le
dialogue de la culture et de la foi, en particulier à travers un lieu, ‘La
maison de Nicodème’, en Bretagne, qui propose des évènements à la
fois culturels et spirituels.
Il est aussi l’auteur de Incognito - Dieu dans les plis du monde
(Golias, 2014)
1 - Prier, être précaire
Sulivan s’enchante de l’étymologie du mot prière, en latin
precare qui a donné précarité. Sa prière est une disposition intérieure, elle
n’a ni formule, ni rituel. Se coltiner avec le réel est l’unique lieu de prière.
« Prier, c’est avouer. Quoi ? Que l’on a faim. (…) Prier, c’est entrer
chaque jour dans la vérité de la mort. »
« Et pourquoi la prière ne serait-elle pas secrète comme un amour
de chambre ? Est-ce qu’un danseur de corde pense au fil qui le porte ? »
« Je vous jure, il est possible de vivre avec tout ce qui passe,
change, meurt, à condition de ne pas trop vouloir, c’est-à-dire dans le
consentement à passer. »
« Dieu est faible dans le monde, voilà le scandale qu’ils n’acceptent
pas. Incapables d’être les témoins de la justice et de la tendresse (…), ils
utilisent tous leurs talents de metteurs en scène, de bricoleurs pour fabri-
quer des triomphes de pacotille. »
2 - Se défaire, s’alléger
La prière pour Sulivan est moins un recueillement qu’un allègement.
Quitter les conditionnements, les habitudes, les manières, les démons-
trations intellectuelles, les catéchismes questions-réponses.
« Derrière l'égoïsme forcené, l'accaparement et l'accumulation des
biens, il y a toujours la peur de la mort. C'est elle qui jette en avant les
bêtes de proie. »
« La foi est légèreté. On aurait envie de dire humour. (…) N’alour-
dissez pas Dieu ! »
« Il y a plus de vérité dans la folie qui soulève la jeunesse que dans
la triste sagesse des sages. Dieu est le Dieu de la vie. »
« Quand quitterez-vous vos semelles de plomb ? »
« Sois léger, car si tu n’apprends pas à danser ici, les anges ne
sauront que faire de toi. »
« Supposons que les Églises, au lieu de tant s’occuper d’elles
mêmes et d’aménagements de surface selon les saisons politiques,
viennent à la seule chose dont elles se sont peu occupées : apprendre à
leurs membres comment se situer par rapport aux biens de la terre. »
3 - Traverser les illusions
Sulivan prône une autre manière intrépide et risquée de
regarder la vie, l’argent, la renommée et la mort. Il suggère l’insolence vis-
à-vis des conformismes et de toutes les puissances, pour faire reculer la
peur.
« Un jour, la vérité délicate et intime, l’appel qui monte du cœur de la
vie et qui est grâce, s’est mue en idéologie, système et obligation. Ce qui
était libération est devenu un nouvel esclavage ressenti comme tel. »
« La prétendue déchristianisation n'est que la fin d'une illusion... Fin
de la foi schizophrénique de proclamation et de domination nourrie d'idéa-
lisme et de culpabilité... Retour à la singularité contre la collectivisation et
la quantification de l'esprit. À chaque homme d'habiter son corps en
traçant son chemin unique sur la voie commune : le seul moyen pour lui
d'accéder à une fraternité réelle par-delà les fraternités déclarées et
abstraites. Par le singulier concret à l'universel. »
« Ils ont l’air de tout, sauf ressuscités. Je ne veux pas qu’ils fassent
passer pour la foi leur piètre idéologie de pacotille. »
« Les honneurs, la vénération, ça empâte, ça ankylose, ça vous
détruit aussi surement que le cancer. »
« Avec quel zèle il s’était prêté au sacrifice. Ça lui avait donné cet
air malade de vieux poisson qui s’écaille. »
4 - Comme une marche
Sulivan sait par sagesse paysanne que la marche est une sorte de
prière naturelle du corps envers le mystère qui nous tient, qu’elle est un
état d’esprit, la source et le fruit d’une sagesse féconde.
« Une vocation, on se la donne chaque matin. »
« Marchez parmi les arbres, mettez-les en marche, voyez-les tantôt
pointés, redresse-toi bonhomme, tantôt en dômes tutélaires, sois humble
avec tout ce qui vit. »
« Se libérer de ses respects d’enfants afin de suivre son chemin. »
« Malheur à qui s’arrête, il devient végétal, un arbre florissant
enlisé, plein de sagesse. La marche est l’image de la condition humaine. »
« Trop de gens s’occupent du sens. Mettez-vous en marche. Vous
êtes le sens et le chemin. »
« Souriez à ce qui naît. Bondissez sur l’instant. Le bonheur n’est
pas dans le bonheur. Il est dans l’incessante marche. Allons, sortez, vivez
tant que vous êtes vivants, faites quelque chose, un coup de folie, ou
mieux, qui sait, si vous venez de dîner, faites tranquillement la vaisselle. »
Citant Eugène Guillevic : « Il y aura toujours
À ne pas s’arrêter »
5 - Se désarmer, être pauvre
La pauvreté, bien sûr, n’est pas la misère qui ronge et détruit. Le
pauvre, quel que soit son niveau de richesse matérielle, est celui qui ne peut
que dépendre d’autrui. Sulivan est un pauvre qui quémande et espère une
auberge ouverte en temps d’incertitude.
« N’être sûr de rien, ne pas avoir, consentir à dépendre, ne pas trop
vouloir… Tout chemin peut contribuer à la révélation du manque, de l’âme,
de l’esprit de pauvreté. »
« L’Église… Et pourtant si, j’aimerais qu’elle puisse devenir une
demeure de pauvres. »
« Si le christianisme a un sens, il est dans la faiblesse, dans les
gestes et l’expérience de la vie, non dans un mode d’idées éternelles. Si
bien qu’il m’arrive maintenant de me considérer comme un disciple hors
frontières. »
« En avant, clochard de la culture et de la foi ! »
« La pauvreté est une splendeur venue du dedans. »
« Qu’elle est belle, la pauvreté. Si cela que l’on nomme Dieu est, il
fait sa demeure dedans. »
« Quelqu’un qui me dit sa petite vérité ma rapproche plus du Christ
que les malabars et les techniciens du salut. »
6 - Expérimenter, être libre
Sulivan n’a rien contre L’imitation de Jésus-Christ (de Thomas a
Kempis), mais son effort à lui est de nous conduire à ce qui vient tout
seul, mystérieusement, au creux même des vies, dans le jeu des
décisions personnelles.
« La vie d’un homme se décide très tôt avec quelques non. »
« Le monde des croyants est rempli de vieux enfants attardés.(…)
La foi, c’est la vie joyeuse, éternelle, commencée, expérimentée en
quelque manière, pas une idée. »
« De même que l’intention évidente de Jésus, révélée par les
textes, fut de ramener chaque homme en son centre, il me semble que la
première mission du christianisme est d’arracher les hommes domptés
de ce temps, marchandises de marché, engagés politiquement ou non,
en leur proposant un espace spirituel. Le reste est insignifiant. »
« L’Évangile, livre-parole, plonge dans l’Ouvert de l’instant. Il est
le livre insurgé. Le lire, c’est naître ailleurs. »
« La triste humanité que cela ferait si les enfants se laissaient
mettre sur des rails. »
7- Rencontrer le Dieu de toute pauvreté
Sulivan ressent la nécessité vitale d’en finir avec le discours
commun sur l’impassibilité divine.
« La grandeur unique du christianisme est d’avoir proposé un
dieu pauvre. »
« Ce fut le temps du sommeil théologique sous le règne des
professeurs, manipulateurs et censeurs … Seuls le saints et les
mystiques, c’est-à-dire tous les "pauvres" qui furent étrangers à l’énorme
carapace, percèrent vers un monde de liberté et d’amour. Il faudra bien
que le christianisme redevienne ce qu’il est, s’il veut être universel. »
« Je ne sais pas ce qu’est Dieu. Mais je sais ce qu’il n’est pas : il
n’est pas ce qui contraint. Dieu n’en met pas plein la vue. »
« Ô Dieu, tu es le Pauvre, tu supportes avec nous, tu nous
laisses en proie au mal, afin que de nos libertés puisse jaillir l’amour qui
est le seul miracle. Dieu jamais plus présent que lorsqu’il "se retire". »
« Tout s’était passé au concile de Chalcédoine quand on avait
choisi d’exprimer Dieu dans la catégorie de l’Être. C’était le concevoir
comme plénitude. Il justifiait une Église de puissance. »
« Les images de Dieu, il faut les effacer sans cesse pour le voir
dans la pauvreté des hommes. »
8 - Être soi
C’est en chemin que se façonne la personne. La rébellion de Sulivan a
pour finalité « que chacun puisse devenir un ami pour lui-même. » La
singularité seule permet la rencontre réelle.
« L’amitié, le salut d’un homme qui s’avance; il n’attend rien, rien à
vendre, rien à donner, rien à recevoir, ni supérieur, ni inférieur ; il s’avance, il
lève les bras, son visage s’ouvre, son regard entre dans votre regard, salut !
Quelle splendeur ! Il ne nous veut ni bien ni mal, il existe. »
« Il y avait les pieux, pieusards, yeux baissés, faux modestes, pleins
de colère rentrée, d’amertume sous l’onction, chattemittes*. »
« Ne désirez pas faire changer d'idées, ni convertir, quiconque. Soyez
ce que vous êtes, et l'autre, peut-être, sera conduit à devenir ce qu'il est. »
« On ne transmet que ce dont on est habité. »
« On ne peut être fidèle à Dieu que si l’on l’est à sa propre parole
intérieure. »
« Trouver son bonheur dans son propre fond, à travers toutes les
circonstances, voilà la réussite, l’accord avec cela que les uns appellent
Dieu, d’autres l’énergie spirituelle. Dans cette attitude s’enracine la prière. »
* Chattemitte : Hypocrite qui affecte, pour tromper, un air doux, humble et flatteur.
Photo du haut : Chico Whitaker, un des organisateurs du Forum social
mondial de Porto Alegre
Être soi
« Un homme, c’est une forge, il faut que tout devienne feu,
chaleur et lumière, sinon tu t’engorges, tu t’empâtes. »
« On croit avec sa vie, ses gestes, son regard, sa manière
d’aimer, pas seulement avec des idées. »
« Le péché, sais-tu ce que c’est ? C’est de ne pas brûler ce
que tu reçois, c’est mettre de côté, dans les artères, les veines, la
caboche, c’est comme ça qu’on se prive de voyance et que le monde
a si froid. »
« Je vais te dire ce que ta femme, tes enfants attendent de toi
: que tu existes ! »
« On est jamais relié aux autres que par ce qu’il y a de plus
riche en soi, on aime pour s’élargir, accueillir la vie. »
« Nous sommes descendus sous la terre, nous cognons
contre les parois, nous émergeons dans une lumière noire en
cherchant les traces du Fils de l’homme à ras du sol. »
Être soi
« Plutôt que d’inciter les croyants à se forcer, il serait
meilleur de les conduire à suspendre leur jugement sur tel
ou tel point qui fait obstacle. Ce serait honnête et généreux.
Car cette attitude ne bloque pas la foi qui continue à
s’alimenter au noyau central. »
« Exi !, sors !, ne cessait pourtant de dire la vie, ne
te crispe ni sur l’amour, ni sur l’art, ni sur la mort, ni sur la
religion, va jusqu’au bout de toi-même. Fais confiance à tes
rêves. »
« Une chance que les fils, les filles se rebellent
contre les bonnes familles corsetées dans des fidélités
mortes. La triste humanité que cela ferait si les enfants se
laissaient mettre sur les rails… »
« Quand un homme s’élance, ne dites point : C’est
un imprudent, un orgueilleux. Dites : Peut-être ne pouvait-il
pas faire autrement ? Peut-être ne savait-il point enfouir le
talent reçu ? »
9 - Prier la mort, prier la joie
La mort est la réalité qui décape les apparences et place tout
dans une lumière plus vive. Elle inscrit dans nos vies la fragilité.
Recevoir le présent comme l’intensité de l’instant donné. ll n’y a ni vide,
ni éternité, mais la présence durable de l’instant ouvert. Il s’agit
d’attention. La joie chez Sulivan est âpre, cachée, mystérieuse, mais
aussi vibrante, forte, c’est l’alléluia qui vrombit dans la forge.
« Sentez vous la mort battre sous vos côtes, le temps qui défit
pour refaire, l’alléluia torrentiel de ce qui va et vient, les visages, les
regards qui dérivent, le monde, donné, repris à chaque seconde ? »
« Le meilleur moment pour prier ? L’heure de la mort. »
« Ne craignez pas pour ceux que vous laissez ; votre mort en
les blessant va les mettre au monde. »
Après la mort de son amie Marie-Céline Laurent : « Je prends
la Cantate 51 de Jean-Sébastien, je la mets sur le hi-fi, attends le
second mouvement, quand la voix s’élève comme un oiseau fulgurant
par-dessus la douleur et la joie, et tu n’as plus à t’inquiéter, à faire mine
d’avoir de la fumée dans les yeux et de tousser pour cacher les
larmes. »
10 - Prier pour naître
Sulivan est habité par l’appel à un renouveau structurel, mais
avant tout à une renaissance intime. Il ne s’est pas longtemps laissé
formater par les habillages sociaux. La vie conduit de naissance en
naissance. La prière est une respiration pour une inspiration. Ne pas
dissocier la prière et la vie, se prendre soi-même en flagrant délit de
prière. Reconnaître la valeur des traditions et des rites, mais plus
encore se donner la liberté d’inventer.
« J’ai commencé ma vie par être vieux, dans la croyance acquise
que Dieu avait béatifié pour toujours le noir, la peine et la mort. Autour
de 40 ans, je suis né à la lumière, à la jeunesse de l’Écriture (…),
Tombouctou, 52 jours de chameau. Plus tard au bord du fleuve Kavery
dans le sud des Indes. Je marche vers la naissance. »
« On ne voit pas la lumière, mais les visages qu’elle éclaire. »
« Le christianisme, en Occident comme partout, ne s’épanouira
qua dans un homme libéré. »
« La faute capitale des Églises : s’être servi sans pudeur de la
douleur, du mal et de la culpabilité pour avoir prise. »
« Si je suis si proche de l’éveil, qu’attendez-vous pour me
réveiller ? »
11 - Dans la trace et les blessures
Sulivan est atteint des meurtrissures dont on ne guérit jamais tout à
fait. Il connaît le mensonge du trop lisse, des situations enviées, des
familles sans accroc, des vertus aux plis impeccables, il sait la vérité des
plaies et des bosses. Il parle des échancrures, des failles et des blessures
qui empêchent la vie de se clore sur elle-même et laissent filtrer une lumière
qui vient d’ailleurs, qui vient mettre du jeu dans le chaos des vies. La vie
personnelle a besoin d’entailles : la sève est à ce prix.
« Quand la vie vous brise, ce n’est plus le dieu que l’on s’est donné
que l’on invoque, ni Yahvé des armées, mais le Dieu pauvre, le Fils de
l’Homme qui crie au secours du plus profond de nous. Il avait fallu toute
cette vie de ferveur empruntée, de fidélité parfaitement fausse, de chutes en
blessures, oublier ce que l’on croyait savoir… pour commencer à prier d’un
cœur plus vrai, la même prière mais autrement. »
« Vous étiez allègre dans vos jours, d’un plaisir, d’un espoir à l’autre.
Tout s’est effondré. Vous essayez de faire mine dans l’intervalle. Le sol se
dérobe. Or dans cette dépression, le sentiment s’impose à vous que vous
êtes dans la vérité des choses, seul et mortel.
« Dieu ne m’intéresse que dans ses traces, sa présence et son
étrangeté. »
12 - Comme on respire
Sulivan est un sourcier par les larmes. Son œuvre évoque
à maintes reprises la coïncidence des larmes et de la joie. Il a lu
Emmanuel Mounier et entendu les mots de Maurice Zundel, des mots
acérés comme des flèches qui vous traversent et vos réjouissent. Pour
lui, évangéliser n’est pas transmettre une doctrine, c’est dénouer les liens,
aider à respirer.
« La seule littérature qui nous concerne est celle qui aide à
respirer plus large des hommes vivants, celle qui chante le Magnificat sur
les ruines. »
« Je vous invite à retrouver sous les mos chlorés, nécrosés, votre
propre souffle. Une seule pensée à l’état naissant qui perce assez
profond, suffit à mettre en marche, en joie. »
« Un jour je me suis aperçu que les questions éternelles se
jouaient au niveau de la terre, dans l’expérience humaine, dans la chair et
le souffle. Pour moi, tout a changé. Dostoïewski, Tolstoï ont saisi l’éternité
dans les gestes humains. »
« Je voudrais ne rien savoir de l’Évangile et le trouver par hasard
dans la boîte d’un bouquiniste. Alors peut-être !… »
13 - Être vrai
La pire aliénation pour Sulivan est la totale adéquation du sujet avec
la structure qui l’a façonné. Il garde le souvenir cuisant d’une mise au pas
dans le séminaire de Châteaugiron où il a été dompté, nivelé, et n’a de cesse
de trouver l’aisance d’une vie joyeuse, folâtre et intuitive. Heureux celui qui
va plus vrai sur le chemin de la perte des certitudes au nom de la vérité d’une
expérience, même et surtout de sa propre faiblesse.
« Je me méfie des certitudes absolues, on n'y trouve souvent que
l'attachement à soi-même. »
« La vérité morte est pire que l’erreur. Car on peut réagir contre
l’erreur. (…) Vous n’avez le droit de parler que de la graine de vérité que
vous laissez germer en vous ».
« Il faut franchir le monde des convictions, des certitudes, des
consolations de la religion même, pour se trouver face à face avec la
pauvreté divine. »
« Quand ceux de votre chair n’ont plus rien à vous dire, quand rien
ne vous dit plus rien, ne vous effrayez pas, croyants de toutes races, agnos-
tiques, athées : une autre parole cherche passage. »
13 - Être vrai
« Chaque fois qu’un homme, une femme, dans le mariage, au
dehors, se prennent comme objet, quand le lien de l’amitié n’est plus
premier, mais le lien du désir, de l’argent, de l’habitude, de la facilité, il
y a prostitution. Le mariage sans l’ascèse n’est qu’une forme
confortable de la prostitution approuvée, bénie par la société. (…) Si
le plaisir ne conduit pas à la même chose que l’ascèse, il n’est que
dégradation d’énergie, chute.»
« La prostituée est plus vraie, par la connaissance qu’elle
peut prendre de son abjection, plus capable d’humilité. Tandis que la
prostitution des grands n’en finit plus de prétendre, de proclamer, de
mobiliser à son profit la justice, la charité, toute la morale, l’amour de
Dieu même. »
« Certes la morale de convention est nécessaire pour la
coexistence, comme l’hypocrisie facilite les rapports extérieurs, mais
elle ne concerne pas les consciences vivantes. »
« Nous avions préféré le mensonge ou la tristesse des
rapports factices de la morale inhumaine des sociétés, à l’art difficile,
inspiré, subtil, souverain, des vraies relations humaines souples
comme la vie. »
14 - Dans l’Esprit
Dieu n’a pas d’autres mains que nos mains. Ruah (le souffle) pour Sulivan est
traduit par l’absence-présence de celui qui ne cesse d’échapper à nos prises, de
nous inciter à nous lever en liberté créatrice.
« Seule la création est le signe de la vie. »
« Je ne sais pas ce qu’est Dieu. Mais je sais ce qu’il n’est pas : il n’est pas ce
qui contraint. (…) S’il existe, il n’est pas le Tout-Puissant, mais le Tout-Possible. C’est
à l’homme d’entrer dans l’impossible pour révéler son existence. »
« Le choix d’un morceau de pain pour signifier Dieu est un trait de génie. »
« Savez vous qu’il y a des gens qui ne croient pas en Dieu et qui l’aiment ! »
« Dieu, condamné à ne pas intervenir sous peine de faire de nous des
immatures. »
« Une pensée libre, l’ironie, un rire qui déconstruirait à mesure (…) Dans
cette direction, il y aurait un avenir pour la théologie. »
« Ce ne sont pas des idées qui l’entrainent au départ (l’écrivain), mais le
souffle, la ruah. »
« Dieu plus musique que concept. »
Dans l’Esprit
« Vous les montrez du doigt, ceux qui s’avancent sous les
balles, les calomnies, ceux qui trébuchent, ceux qui tombent.
Ils sont couverts de poussière et de boue, c’est qu’ils ont marché
sur des voies non tracées.
Ils sont blessés, déchirés, c’est qu’ils sont entrés dans la jungle.
Scribes, grands Maîtres, vous n’avez foulé que des routes
nationales, foulées de tout le monde, sur lesquelles se dessèche et
meurt le grain du semeur.
Vous garderez la vie, vous vieillirez paisibles et honorés.
Vous les aurez les applaudissements, les fauteuils, les médailles
que le monde réserve à ceux qui le servent.
Mais le Père, de la plus haute colline, descendra vers les enfants
perdus. »
« Que la religion pût rendre l’homme inhumain, voilà quel
était, me semble-t-il, le grand soupçon du monde moderne, déclaré
ou le plus souvent inexprimé, latent. (…) L’insurrection de la
conscience humaine contre cette religion du dehors est un signe de
santé. Les croyants ne peuvent que s’en réjouir. »
15 - Rire
Sulivan interpelle fraternellement, cherche à inoculer la seule tonalité de
la joie qui convient au mystère de Dieu. « La petite joie increvable » est le
socle et le secret intime des « petits chrétiens d’incertitude ». Elle couve
sous la cendre le plus souvent.
« Chanter l’alléluia de la vie et rire de soi, rire de soi : voilà de quoi
s’occuper. »
« Il y a plus de spiritualité dans le rire que dans la prétention d’appa-
rences, même religieuses. »
« Se dire du fond de l’âme rien de m’appartient, je suis l’autre de
tous les autres, fragile comme les éphémères de l’été, mortel. Et dans cette
pauvreté intime de créature précaire, expérimenter la confiance, une
sérénité, une joie secrète, exister avec Dieu qui nous crée. Alors vous n’êtes
pas étranger à la voie d’intériorité. »
« Cette joie est près de vous, et en vous. Il n’y a personne de si
non préparé, de si pauvre en jugement et de si éloigné qu’il ne puisse trouver
cette joie en lui, à l’instant même. »
■

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  • 1. Trombinoscope "Chercheurs d’humanité" Chercheurs de sens (art, religion, philosophie, spiritualité) 12 bis - Jean Sulivan Étienne Godinot avec la collaboration de Joseph Thomas 03.03.2023
  • 2. Jean Sulivan Joseph Lemarchand (1913-1980), écrivain français. Son père, agriculteur métayer à Montauban-de-Bretagne, meurt au front en 1916. Joseph sera durablement affecté par son absence est se dira « fils de tué ». Grand séminaire de Rennes. Lecteur assidu de Kierke- gaard, de Nietzsche et des mystiques. Durant quelques mois, ouvrier chez Renault. Ordonné prêtre en 1938, professeur de français en classes préparatoires à Rennes, stages en usine à Paris, aumônier de mouvements d’action catholique, d’étudiants. Fonde en 1945 un centre de conférences, ‘Renaissance spirituelle’. Crée en 1947 le ciné-club d'art et d'essai ‘La Chambre Noire’, en 1950 le mensuel Dialogues-Ouest. Très marqué en 1964 par un voyage en Inde et son lien avec Henri le Saux, et par sa rencontre avec Maurice Zundel, petit homme frêle, vif et libre. Chroniqueur dans des revues catholiques, alterne marches en montagne, voyages (Grèce, Inde, Afrique, villes états-uniennes) et écrits, entretient une correspondance avec ceux qu’il appelle « mes lecteurs, ma paroisse ». Photo du haut : la rivière Garun à Montauban-de-Bretagne, gros bourg entre Rennes et St Brieuc
  • 3. Un christianisme d’intériorité Tourmenté par le désir d’écrire, s’en ouvre à Paul Claudel dont la réponse lui est déterminante : « Bâtissez des contes tirés de la vie quotidienne, chargé de sens, animés d’une intention, une espèce de "Journal de Dieu", le Dieu caché incognito dans tout destin. » Le cardinal Rocques*, son archevêque de Rennes, le détache en quelque sorte pour l’écriture, pressentant que le ministère de ce prêtre doit d’exercer de cette façon pour donner toute sa fécondité. Directeur, de 1970 à 1980, de la collection ‘Voies ouvertes’ chez Gallimard avec le propos de « faire éclater les cadres » et d’offrir un lieu de spiritualité ouverte, au-delà des options et des confessions. En 1978, lance chez Desclée de Brouwer la collection ‘Connivence’. Subit plusieurs accidents qui auraient pu être mortels. Ces situa- tions-limites le rendent différent, sensible à la vanité de tout. Auteur d’une trentaine de livres sous le nom d’écrivain Jean Sulivan. Ce pseudonyme est emprunté au titre de la comédie Sullivan’s Travels de l’États-unien Preston Sturgess (1941). * Clément Rocques,1880-1964. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, soustrait les séminaristes au ‘Service du travail obligatoire’ et assure la protection de Juifs et de Résistants.
  • 4. Une contestation joyeuse, née d’une expérience vitale « Je suis né à 45 ans » dira-t-il plus tard, quand il refuse « le monde de la puérilité et de la convention ». Cesse très tôt de confesser, de célébrer, prie en méditant sur la vie. Plaide pour un christianisme d’inté- riorité et dit parler « pour les petits chrétiens d’incertitude ». L’amour impossible pour une jeune italienne hante plusieurs de ses livres. Meurt en 1980 des suites d’un accident de la circulation. Sa parole a animé bien d’autres paroles d’écrivains, il est largement cité, il a diffusé un esprit évangélique au ras de l'existence. Il se veut petit prophète et occupe une belle place aux côtés de Maurice Zundel ou de Marcel Légaut. Sa conviction est qu’il n’est d’issue et de salut que dans l’humani- sation de l’humain, dans l’attention à plus pauvre que soi. Sa critique de l’institution ecclésiastique et du dogmatisme n’est que la partie visible d’une contestation joyeuse, née d’une expérience vitale. Images : - Sous la direction d’Yvon Tranvouez, différentes approches (historiques, théologiques, littéraires, cinématographiques) en donnant la parole à ceux qui l'ont connu hier ou qui le découvrent aujourd'hui - Présentation de Jean Sulivan et de son œuvre par Claude Lebrun, son ami professeur de lettres dans un lycée de Rennes
  • 5. Son oeuvre Le voyage intérieur (1958) est une quête initiatique sur les traces de Nietzsche et de Rilke. La figure d’un prêtre évangélique, Jean Lorre, se détache conte les vices de l’Église institutionnelle. Dans Provocation ou la faiblesse de Dieu (1959), exprime son exaspération face aux pesanteurs d’un système ecclésial dont l’image est contre-productive. Le plus petit abîme (1965) est un hommage à Henri le Saux, moine bénédictin en Inde, pont vivant entre le christianisme et l’hindouisme. Devance tout adieu (1966) décrit l’atmosphère familiale chez le jeune Lemarchand et réalise un portrait attachant de sa mère. Mais il y a la mer (1964) décrit le cheminement d’un cardinal qui quitte les honneurs et les rites pour prendre en prison la place d’un prisonnier d’opinion et lui permettre de s’évader. Car je t’aime, ô éternité (1966) présente la figure de Jérôme Strozzi (en réalité Auguste Rosi), prêtre qui a consacré plus de 20 années de sa vie aux prostituées et aux personnes déshéritées de Paris, notamment de Pigalle. L’Obsession de Delphes (1967) est écrit à la suite d’un séjour à Delphes ou il a été invité par un ami archéologue. Il y montre l’opposition entre l’esprit grec aimant la démonstration et l’esprit sémite qui parle en images et en émotions. D’amour et de mort à Mogador (1970) est la suite d’un voyage au Maroc pour se guérir d’une blessure.
  • 6. Son oeuvre Joie errante (1974) est la suite d’un voyage dans des villes états-uniennes. Les mots à la gorge (1969), Miroir brisé (1969. Une femme récupère un clochard au milieu des détritus) et Petite littérature individuelle (1971) reprennent des observations et réflexions recueillies précédemment. Je veux battre le tambour (1975) est une suite de récits ruisselants de vie qui trouvent leur unité dans l’amour joyeux ou blessé, mystique ou charnel. Matinales (1976) et La traversée des illusions (1977) livrent le cœur de sa pensée. La prétendue déchristianisation n'est que la fin d'une illusion... Fin de la foi schizophrénique de proclamation et de domination nourrie d'idéalisme et de culpabilité. Retour à la singularité contre la collectivisation et la quantification de l'esprit. À chaque homme d'habiter son corps en traçant son chemin unique sur la voie commune : le seul moyen pour lui d'accéder à une fraternité réelle par-delà les fraternités déclarées et abstraites. Quelque temps de la vie de Jude et Cie (1979), œuvre chaleureuse et incarnée, indique l’amorce d’une nouvelle évolution. L’exode (1980) est le fruit de la déception de devoir redire ce qui n’a pas été entendu et constitue en quelque sorte son testament.
  • 7. Son influence Sulivan a été un compagnon de route pour des publics très variés : croyants (prêtres, religieux et religieuses, militants), hommes des science agnostiques, hommes d’affaires et cadres ne trouvant plus leur raison de vivre dans la religion du consumérisme et la fuite en avant du "progrès", femmes vivant à vide. Ils ont subi une sorte de conversion et acquis un nouveau regard Images : Trois livres sur Sulivan - Henri Guillemin (1903-1992), critique littéraire, historien, conférencier, polémiste, homme de radio et de télévision. - Bernard Feillet (1932-2019), prêtre de 1969 à 1978 à la chapelle Saint-Bernard, au pied de l'horloge de la gare Montparnasse, à Paris, un lieu à part, une église pas comme les autres qui a, pendant des années, attiré une population d'hommes et de femmes désireux d'entendre une parole différente. Éditeur, chroniqueur, écrivain, conférencier. A aussi interviewé Marcel Légaut. - Jean Lavoué (né en 1955), travailleur social, écrivain et éditeur français. Chemine avec des petits groupes rassemblant des chercheurs de sens désireux de s’alléger des formes de la religion transmise dans le cadre d’interprétations étroites.
  • 8. Sommaire La structuration de ce diaporama reprend la table des matières du livre de Joseph Thomas Prier 15 jours avec Jean Sulivan (Nouvelle Cité, 2012). Prier, être précaire Se défaire, s’alléger Traverser les illusions Comme une marche Se désarmer, être pauvre Expérimenter, être libre Rencontrer le Dieu de toute pauvreté Être soi Prier la mort, prier la joie Prier pour naître Dans la trace et les blessures Comme on respire Être vrai Dans l’Esprit Rire Joseph Thomas, né en 1951, est philosophe de formation. Après un temps d’enseignement, il s’est investi de diverses manières dans le dialogue de la culture et de la foi, en particulier à travers un lieu, ‘La maison de Nicodème’, en Bretagne, qui propose des évènements à la fois culturels et spirituels. Il est aussi l’auteur de Incognito - Dieu dans les plis du monde (Golias, 2014)
  • 9. 1 - Prier, être précaire Sulivan s’enchante de l’étymologie du mot prière, en latin precare qui a donné précarité. Sa prière est une disposition intérieure, elle n’a ni formule, ni rituel. Se coltiner avec le réel est l’unique lieu de prière. « Prier, c’est avouer. Quoi ? Que l’on a faim. (…) Prier, c’est entrer chaque jour dans la vérité de la mort. » « Et pourquoi la prière ne serait-elle pas secrète comme un amour de chambre ? Est-ce qu’un danseur de corde pense au fil qui le porte ? » « Je vous jure, il est possible de vivre avec tout ce qui passe, change, meurt, à condition de ne pas trop vouloir, c’est-à-dire dans le consentement à passer. » « Dieu est faible dans le monde, voilà le scandale qu’ils n’acceptent pas. Incapables d’être les témoins de la justice et de la tendresse (…), ils utilisent tous leurs talents de metteurs en scène, de bricoleurs pour fabri- quer des triomphes de pacotille. »
  • 10. 2 - Se défaire, s’alléger La prière pour Sulivan est moins un recueillement qu’un allègement. Quitter les conditionnements, les habitudes, les manières, les démons- trations intellectuelles, les catéchismes questions-réponses. « Derrière l'égoïsme forcené, l'accaparement et l'accumulation des biens, il y a toujours la peur de la mort. C'est elle qui jette en avant les bêtes de proie. » « La foi est légèreté. On aurait envie de dire humour. (…) N’alour- dissez pas Dieu ! » « Il y a plus de vérité dans la folie qui soulève la jeunesse que dans la triste sagesse des sages. Dieu est le Dieu de la vie. » « Quand quitterez-vous vos semelles de plomb ? » « Sois léger, car si tu n’apprends pas à danser ici, les anges ne sauront que faire de toi. » « Supposons que les Églises, au lieu de tant s’occuper d’elles mêmes et d’aménagements de surface selon les saisons politiques, viennent à la seule chose dont elles se sont peu occupées : apprendre à leurs membres comment se situer par rapport aux biens de la terre. »
  • 11. 3 - Traverser les illusions Sulivan prône une autre manière intrépide et risquée de regarder la vie, l’argent, la renommée et la mort. Il suggère l’insolence vis- à-vis des conformismes et de toutes les puissances, pour faire reculer la peur. « Un jour, la vérité délicate et intime, l’appel qui monte du cœur de la vie et qui est grâce, s’est mue en idéologie, système et obligation. Ce qui était libération est devenu un nouvel esclavage ressenti comme tel. » « La prétendue déchristianisation n'est que la fin d'une illusion... Fin de la foi schizophrénique de proclamation et de domination nourrie d'idéa- lisme et de culpabilité... Retour à la singularité contre la collectivisation et la quantification de l'esprit. À chaque homme d'habiter son corps en traçant son chemin unique sur la voie commune : le seul moyen pour lui d'accéder à une fraternité réelle par-delà les fraternités déclarées et abstraites. Par le singulier concret à l'universel. » « Ils ont l’air de tout, sauf ressuscités. Je ne veux pas qu’ils fassent passer pour la foi leur piètre idéologie de pacotille. » « Les honneurs, la vénération, ça empâte, ça ankylose, ça vous détruit aussi surement que le cancer. » « Avec quel zèle il s’était prêté au sacrifice. Ça lui avait donné cet air malade de vieux poisson qui s’écaille. »
  • 12. 4 - Comme une marche Sulivan sait par sagesse paysanne que la marche est une sorte de prière naturelle du corps envers le mystère qui nous tient, qu’elle est un état d’esprit, la source et le fruit d’une sagesse féconde. « Une vocation, on se la donne chaque matin. » « Marchez parmi les arbres, mettez-les en marche, voyez-les tantôt pointés, redresse-toi bonhomme, tantôt en dômes tutélaires, sois humble avec tout ce qui vit. » « Se libérer de ses respects d’enfants afin de suivre son chemin. » « Malheur à qui s’arrête, il devient végétal, un arbre florissant enlisé, plein de sagesse. La marche est l’image de la condition humaine. » « Trop de gens s’occupent du sens. Mettez-vous en marche. Vous êtes le sens et le chemin. » « Souriez à ce qui naît. Bondissez sur l’instant. Le bonheur n’est pas dans le bonheur. Il est dans l’incessante marche. Allons, sortez, vivez tant que vous êtes vivants, faites quelque chose, un coup de folie, ou mieux, qui sait, si vous venez de dîner, faites tranquillement la vaisselle. » Citant Eugène Guillevic : « Il y aura toujours À ne pas s’arrêter »
  • 13. 5 - Se désarmer, être pauvre La pauvreté, bien sûr, n’est pas la misère qui ronge et détruit. Le pauvre, quel que soit son niveau de richesse matérielle, est celui qui ne peut que dépendre d’autrui. Sulivan est un pauvre qui quémande et espère une auberge ouverte en temps d’incertitude. « N’être sûr de rien, ne pas avoir, consentir à dépendre, ne pas trop vouloir… Tout chemin peut contribuer à la révélation du manque, de l’âme, de l’esprit de pauvreté. » « L’Église… Et pourtant si, j’aimerais qu’elle puisse devenir une demeure de pauvres. » « Si le christianisme a un sens, il est dans la faiblesse, dans les gestes et l’expérience de la vie, non dans un mode d’idées éternelles. Si bien qu’il m’arrive maintenant de me considérer comme un disciple hors frontières. » « En avant, clochard de la culture et de la foi ! » « La pauvreté est une splendeur venue du dedans. » « Qu’elle est belle, la pauvreté. Si cela que l’on nomme Dieu est, il fait sa demeure dedans. » « Quelqu’un qui me dit sa petite vérité ma rapproche plus du Christ que les malabars et les techniciens du salut. »
  • 14. 6 - Expérimenter, être libre Sulivan n’a rien contre L’imitation de Jésus-Christ (de Thomas a Kempis), mais son effort à lui est de nous conduire à ce qui vient tout seul, mystérieusement, au creux même des vies, dans le jeu des décisions personnelles. « La vie d’un homme se décide très tôt avec quelques non. » « Le monde des croyants est rempli de vieux enfants attardés.(…) La foi, c’est la vie joyeuse, éternelle, commencée, expérimentée en quelque manière, pas une idée. » « De même que l’intention évidente de Jésus, révélée par les textes, fut de ramener chaque homme en son centre, il me semble que la première mission du christianisme est d’arracher les hommes domptés de ce temps, marchandises de marché, engagés politiquement ou non, en leur proposant un espace spirituel. Le reste est insignifiant. » « L’Évangile, livre-parole, plonge dans l’Ouvert de l’instant. Il est le livre insurgé. Le lire, c’est naître ailleurs. » « La triste humanité que cela ferait si les enfants se laissaient mettre sur des rails. »
  • 15. 7- Rencontrer le Dieu de toute pauvreté Sulivan ressent la nécessité vitale d’en finir avec le discours commun sur l’impassibilité divine. « La grandeur unique du christianisme est d’avoir proposé un dieu pauvre. » « Ce fut le temps du sommeil théologique sous le règne des professeurs, manipulateurs et censeurs … Seuls le saints et les mystiques, c’est-à-dire tous les "pauvres" qui furent étrangers à l’énorme carapace, percèrent vers un monde de liberté et d’amour. Il faudra bien que le christianisme redevienne ce qu’il est, s’il veut être universel. » « Je ne sais pas ce qu’est Dieu. Mais je sais ce qu’il n’est pas : il n’est pas ce qui contraint. Dieu n’en met pas plein la vue. » « Ô Dieu, tu es le Pauvre, tu supportes avec nous, tu nous laisses en proie au mal, afin que de nos libertés puisse jaillir l’amour qui est le seul miracle. Dieu jamais plus présent que lorsqu’il "se retire". » « Tout s’était passé au concile de Chalcédoine quand on avait choisi d’exprimer Dieu dans la catégorie de l’Être. C’était le concevoir comme plénitude. Il justifiait une Église de puissance. » « Les images de Dieu, il faut les effacer sans cesse pour le voir dans la pauvreté des hommes. »
  • 16. 8 - Être soi C’est en chemin que se façonne la personne. La rébellion de Sulivan a pour finalité « que chacun puisse devenir un ami pour lui-même. » La singularité seule permet la rencontre réelle. « L’amitié, le salut d’un homme qui s’avance; il n’attend rien, rien à vendre, rien à donner, rien à recevoir, ni supérieur, ni inférieur ; il s’avance, il lève les bras, son visage s’ouvre, son regard entre dans votre regard, salut ! Quelle splendeur ! Il ne nous veut ni bien ni mal, il existe. » « Il y avait les pieux, pieusards, yeux baissés, faux modestes, pleins de colère rentrée, d’amertume sous l’onction, chattemittes*. » « Ne désirez pas faire changer d'idées, ni convertir, quiconque. Soyez ce que vous êtes, et l'autre, peut-être, sera conduit à devenir ce qu'il est. » « On ne transmet que ce dont on est habité. » « On ne peut être fidèle à Dieu que si l’on l’est à sa propre parole intérieure. » « Trouver son bonheur dans son propre fond, à travers toutes les circonstances, voilà la réussite, l’accord avec cela que les uns appellent Dieu, d’autres l’énergie spirituelle. Dans cette attitude s’enracine la prière. » * Chattemitte : Hypocrite qui affecte, pour tromper, un air doux, humble et flatteur. Photo du haut : Chico Whitaker, un des organisateurs du Forum social mondial de Porto Alegre
  • 17. Être soi « Un homme, c’est une forge, il faut que tout devienne feu, chaleur et lumière, sinon tu t’engorges, tu t’empâtes. » « On croit avec sa vie, ses gestes, son regard, sa manière d’aimer, pas seulement avec des idées. » « Le péché, sais-tu ce que c’est ? C’est de ne pas brûler ce que tu reçois, c’est mettre de côté, dans les artères, les veines, la caboche, c’est comme ça qu’on se prive de voyance et que le monde a si froid. » « Je vais te dire ce que ta femme, tes enfants attendent de toi : que tu existes ! » « On est jamais relié aux autres que par ce qu’il y a de plus riche en soi, on aime pour s’élargir, accueillir la vie. » « Nous sommes descendus sous la terre, nous cognons contre les parois, nous émergeons dans une lumière noire en cherchant les traces du Fils de l’homme à ras du sol. »
  • 18. Être soi « Plutôt que d’inciter les croyants à se forcer, il serait meilleur de les conduire à suspendre leur jugement sur tel ou tel point qui fait obstacle. Ce serait honnête et généreux. Car cette attitude ne bloque pas la foi qui continue à s’alimenter au noyau central. » « Exi !, sors !, ne cessait pourtant de dire la vie, ne te crispe ni sur l’amour, ni sur l’art, ni sur la mort, ni sur la religion, va jusqu’au bout de toi-même. Fais confiance à tes rêves. » « Une chance que les fils, les filles se rebellent contre les bonnes familles corsetées dans des fidélités mortes. La triste humanité que cela ferait si les enfants se laissaient mettre sur les rails… » « Quand un homme s’élance, ne dites point : C’est un imprudent, un orgueilleux. Dites : Peut-être ne pouvait-il pas faire autrement ? Peut-être ne savait-il point enfouir le talent reçu ? »
  • 19. 9 - Prier la mort, prier la joie La mort est la réalité qui décape les apparences et place tout dans une lumière plus vive. Elle inscrit dans nos vies la fragilité. Recevoir le présent comme l’intensité de l’instant donné. ll n’y a ni vide, ni éternité, mais la présence durable de l’instant ouvert. Il s’agit d’attention. La joie chez Sulivan est âpre, cachée, mystérieuse, mais aussi vibrante, forte, c’est l’alléluia qui vrombit dans la forge. « Sentez vous la mort battre sous vos côtes, le temps qui défit pour refaire, l’alléluia torrentiel de ce qui va et vient, les visages, les regards qui dérivent, le monde, donné, repris à chaque seconde ? » « Le meilleur moment pour prier ? L’heure de la mort. » « Ne craignez pas pour ceux que vous laissez ; votre mort en les blessant va les mettre au monde. » Après la mort de son amie Marie-Céline Laurent : « Je prends la Cantate 51 de Jean-Sébastien, je la mets sur le hi-fi, attends le second mouvement, quand la voix s’élève comme un oiseau fulgurant par-dessus la douleur et la joie, et tu n’as plus à t’inquiéter, à faire mine d’avoir de la fumée dans les yeux et de tousser pour cacher les larmes. »
  • 20. 10 - Prier pour naître Sulivan est habité par l’appel à un renouveau structurel, mais avant tout à une renaissance intime. Il ne s’est pas longtemps laissé formater par les habillages sociaux. La vie conduit de naissance en naissance. La prière est une respiration pour une inspiration. Ne pas dissocier la prière et la vie, se prendre soi-même en flagrant délit de prière. Reconnaître la valeur des traditions et des rites, mais plus encore se donner la liberté d’inventer. « J’ai commencé ma vie par être vieux, dans la croyance acquise que Dieu avait béatifié pour toujours le noir, la peine et la mort. Autour de 40 ans, je suis né à la lumière, à la jeunesse de l’Écriture (…), Tombouctou, 52 jours de chameau. Plus tard au bord du fleuve Kavery dans le sud des Indes. Je marche vers la naissance. » « On ne voit pas la lumière, mais les visages qu’elle éclaire. » « Le christianisme, en Occident comme partout, ne s’épanouira qua dans un homme libéré. » « La faute capitale des Églises : s’être servi sans pudeur de la douleur, du mal et de la culpabilité pour avoir prise. » « Si je suis si proche de l’éveil, qu’attendez-vous pour me réveiller ? »
  • 21. 11 - Dans la trace et les blessures Sulivan est atteint des meurtrissures dont on ne guérit jamais tout à fait. Il connaît le mensonge du trop lisse, des situations enviées, des familles sans accroc, des vertus aux plis impeccables, il sait la vérité des plaies et des bosses. Il parle des échancrures, des failles et des blessures qui empêchent la vie de se clore sur elle-même et laissent filtrer une lumière qui vient d’ailleurs, qui vient mettre du jeu dans le chaos des vies. La vie personnelle a besoin d’entailles : la sève est à ce prix. « Quand la vie vous brise, ce n’est plus le dieu que l’on s’est donné que l’on invoque, ni Yahvé des armées, mais le Dieu pauvre, le Fils de l’Homme qui crie au secours du plus profond de nous. Il avait fallu toute cette vie de ferveur empruntée, de fidélité parfaitement fausse, de chutes en blessures, oublier ce que l’on croyait savoir… pour commencer à prier d’un cœur plus vrai, la même prière mais autrement. » « Vous étiez allègre dans vos jours, d’un plaisir, d’un espoir à l’autre. Tout s’est effondré. Vous essayez de faire mine dans l’intervalle. Le sol se dérobe. Or dans cette dépression, le sentiment s’impose à vous que vous êtes dans la vérité des choses, seul et mortel. « Dieu ne m’intéresse que dans ses traces, sa présence et son étrangeté. »
  • 22. 12 - Comme on respire Sulivan est un sourcier par les larmes. Son œuvre évoque à maintes reprises la coïncidence des larmes et de la joie. Il a lu Emmanuel Mounier et entendu les mots de Maurice Zundel, des mots acérés comme des flèches qui vous traversent et vos réjouissent. Pour lui, évangéliser n’est pas transmettre une doctrine, c’est dénouer les liens, aider à respirer. « La seule littérature qui nous concerne est celle qui aide à respirer plus large des hommes vivants, celle qui chante le Magnificat sur les ruines. » « Je vous invite à retrouver sous les mos chlorés, nécrosés, votre propre souffle. Une seule pensée à l’état naissant qui perce assez profond, suffit à mettre en marche, en joie. » « Un jour je me suis aperçu que les questions éternelles se jouaient au niveau de la terre, dans l’expérience humaine, dans la chair et le souffle. Pour moi, tout a changé. Dostoïewski, Tolstoï ont saisi l’éternité dans les gestes humains. » « Je voudrais ne rien savoir de l’Évangile et le trouver par hasard dans la boîte d’un bouquiniste. Alors peut-être !… »
  • 23. 13 - Être vrai La pire aliénation pour Sulivan est la totale adéquation du sujet avec la structure qui l’a façonné. Il garde le souvenir cuisant d’une mise au pas dans le séminaire de Châteaugiron où il a été dompté, nivelé, et n’a de cesse de trouver l’aisance d’une vie joyeuse, folâtre et intuitive. Heureux celui qui va plus vrai sur le chemin de la perte des certitudes au nom de la vérité d’une expérience, même et surtout de sa propre faiblesse. « Je me méfie des certitudes absolues, on n'y trouve souvent que l'attachement à soi-même. » « La vérité morte est pire que l’erreur. Car on peut réagir contre l’erreur. (…) Vous n’avez le droit de parler que de la graine de vérité que vous laissez germer en vous ». « Il faut franchir le monde des convictions, des certitudes, des consolations de la religion même, pour se trouver face à face avec la pauvreté divine. » « Quand ceux de votre chair n’ont plus rien à vous dire, quand rien ne vous dit plus rien, ne vous effrayez pas, croyants de toutes races, agnos- tiques, athées : une autre parole cherche passage. »
  • 24. 13 - Être vrai « Chaque fois qu’un homme, une femme, dans le mariage, au dehors, se prennent comme objet, quand le lien de l’amitié n’est plus premier, mais le lien du désir, de l’argent, de l’habitude, de la facilité, il y a prostitution. Le mariage sans l’ascèse n’est qu’une forme confortable de la prostitution approuvée, bénie par la société. (…) Si le plaisir ne conduit pas à la même chose que l’ascèse, il n’est que dégradation d’énergie, chute.» « La prostituée est plus vraie, par la connaissance qu’elle peut prendre de son abjection, plus capable d’humilité. Tandis que la prostitution des grands n’en finit plus de prétendre, de proclamer, de mobiliser à son profit la justice, la charité, toute la morale, l’amour de Dieu même. » « Certes la morale de convention est nécessaire pour la coexistence, comme l’hypocrisie facilite les rapports extérieurs, mais elle ne concerne pas les consciences vivantes. » « Nous avions préféré le mensonge ou la tristesse des rapports factices de la morale inhumaine des sociétés, à l’art difficile, inspiré, subtil, souverain, des vraies relations humaines souples comme la vie. »
  • 25. 14 - Dans l’Esprit Dieu n’a pas d’autres mains que nos mains. Ruah (le souffle) pour Sulivan est traduit par l’absence-présence de celui qui ne cesse d’échapper à nos prises, de nous inciter à nous lever en liberté créatrice. « Seule la création est le signe de la vie. » « Je ne sais pas ce qu’est Dieu. Mais je sais ce qu’il n’est pas : il n’est pas ce qui contraint. (…) S’il existe, il n’est pas le Tout-Puissant, mais le Tout-Possible. C’est à l’homme d’entrer dans l’impossible pour révéler son existence. » « Le choix d’un morceau de pain pour signifier Dieu est un trait de génie. » « Savez vous qu’il y a des gens qui ne croient pas en Dieu et qui l’aiment ! » « Dieu, condamné à ne pas intervenir sous peine de faire de nous des immatures. » « Une pensée libre, l’ironie, un rire qui déconstruirait à mesure (…) Dans cette direction, il y aurait un avenir pour la théologie. » « Ce ne sont pas des idées qui l’entrainent au départ (l’écrivain), mais le souffle, la ruah. » « Dieu plus musique que concept. »
  • 26. Dans l’Esprit « Vous les montrez du doigt, ceux qui s’avancent sous les balles, les calomnies, ceux qui trébuchent, ceux qui tombent. Ils sont couverts de poussière et de boue, c’est qu’ils ont marché sur des voies non tracées. Ils sont blessés, déchirés, c’est qu’ils sont entrés dans la jungle. Scribes, grands Maîtres, vous n’avez foulé que des routes nationales, foulées de tout le monde, sur lesquelles se dessèche et meurt le grain du semeur. Vous garderez la vie, vous vieillirez paisibles et honorés. Vous les aurez les applaudissements, les fauteuils, les médailles que le monde réserve à ceux qui le servent. Mais le Père, de la plus haute colline, descendra vers les enfants perdus. » « Que la religion pût rendre l’homme inhumain, voilà quel était, me semble-t-il, le grand soupçon du monde moderne, déclaré ou le plus souvent inexprimé, latent. (…) L’insurrection de la conscience humaine contre cette religion du dehors est un signe de santé. Les croyants ne peuvent que s’en réjouir. »
  • 27. 15 - Rire Sulivan interpelle fraternellement, cherche à inoculer la seule tonalité de la joie qui convient au mystère de Dieu. « La petite joie increvable » est le socle et le secret intime des « petits chrétiens d’incertitude ». Elle couve sous la cendre le plus souvent. « Chanter l’alléluia de la vie et rire de soi, rire de soi : voilà de quoi s’occuper. » « Il y a plus de spiritualité dans le rire que dans la prétention d’appa- rences, même religieuses. » « Se dire du fond de l’âme rien de m’appartient, je suis l’autre de tous les autres, fragile comme les éphémères de l’été, mortel. Et dans cette pauvreté intime de créature précaire, expérimenter la confiance, une sérénité, une joie secrète, exister avec Dieu qui nous crée. Alors vous n’êtes pas étranger à la voie d’intériorité. » « Cette joie est près de vous, et en vous. Il n’y a personne de si non préparé, de si pauvre en jugement et de si éloigné qu’il ne puisse trouver cette joie en lui, à l’instant même. » ■