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GF3 - Renouer le dialogue avec les territoires périurbains - B.Marzloff
1. CapCom / Bruno Marzloff / Montpellier / 121214
Le mur des infrastructures et l'invention du quotidien
Il y deux périurbains, l'homme et le territoire. Tout les deux sont l'expression d'une
extension de l'urbain partout, dans le quotidien et dans la géographie.
L'homme veut mettre la ville à la campagne. Avec ses désirs, surgissent des
contradictions. En cela, il n'est que le cristallisateur d'un mode de vie désormais
généralisé et l'aboutissement de soixante ans de "consommation urbaine", de
prévalence de la voiture et d'intensification des mobilités. Nous atteignons le point de
rupture.
Le territoire périurbain pour sa part révèle un brouillage des frontières, de toutes les
frontières, administratives, géographiques et sociologiques qui fondaient jusqu'ici la
lecture du territoire. On appelle cela "métropolisation" mais on pourrait aussi bien
parler avec François Ascher de "métapoles". Il a beau être "péri", c'est le règne de
l'urbain, au moment où la ville pénètre les moindres recoins de nos vies. Si on voit
très bien ce qui marche mal dans ce phénomène – et d'abord l'écartèlement entre ce
nouvel habitat et le travail –, on a du mal de discerner comment résoudre la crise des
mobilités et des urbanités que provoque cette évolution.
Selon la manière dont on le regarde, le périurbain est un péril ou une chance.
Un péril parce qu'on atteint les limites de l'exercice – ni l'homme, ni le territoire ne
sont élastiques. La mobilité physique ne peut plus être la variable d'ajustement. On a
trop tiré sur la corde. Les séquelles de ces écartèlements sont aujourd'hui trop fortes
pour qu'on ne réagisse pas. Il est urgent d'explorer d'autres voies qui ne se résolvent
pas dans la création de nouvelles infrastructures dont nous n'avons de toute façon ni
les moyens, ni le temps. Ces solutions se profilent dans un autre regard sur l'urbain :
faut-il réagréger et rehausser le bâti urbain comme on nous y invite au risque de la
ville haute et compacte qui est justement ce que le périurbain fuit ou ne peut-on pas
plutôt densifier l'urbanité ? C'est-à-dire acter ce qui s'est produit et reconstruire
autour.
Pour ce faire et soulager dans le même temps la mobilité subie, c'est en amont qu'il
faut agir; sur la demande, et non plus sur l'offre; sur la capacité déjà à l'œuvre de ce
que Michel de Certau appelait "l'invention du quotidien", ce gisement incroyable de
ressources dont les gens font preuve. Ce qui signifie de convoquer les services et
leurs corrolaires, les données, le numérique urbain et leur cortège de créativité.
1. le périurbain est un métropolitain
Plutôt que de se concentrer sur le seul périurbain, sans signification lorsqu'il est
écarté de son contexte, parlons de la métropolisation. C'est-à-dire, selon Yves
Chalas "ce qui rend ce territoire co-extensif de la ville". Le périurbain est en quelque
sorte l'extension de l'urbain partout. Dans ce puzzle complexe et brouillé, on ne
distingue plus très bien ce qui relève de la ville, de la banlieue, de la suburbia, du
rurbain et même du rural dont une partie n'échappe plus à cette attraction, puisque la
ville et l'exigence de la ville la traversent. Mais si la dilution des frontières ne retire
2. rien des problèmes – au contraire –, elle va nous donner une piste. Plutôt que
déplacer les périurbains chaque jour à la ville reprenons le vieux slogan d'Alphonse
Allais de "mettre la ville à la campagne". C'est la piste sur laquelle je concluerai. Mais
avant quelques éléments d'analyse.
2. le périurbain est un travailleur mobile
Le choc du périurbain, c'est donc celui de citadins qui veulent les bénéfices de la ville
à la campagne. Cette confusion des genres – que personne n'a jamais songé à
démentir – produit une infinité de géographies confuses et dispersées dans le temps
et dans l'espace d'une part, des géographies différentes pour tous puisque chaque
résident y imprime sa propre aire de vie – diluée, détachée des ancrages qui
façonnaient la ville d'hier. Thierry Paquot, lors du colloque IDF du week-end dernier,
parlait même "d'une géographie hors-sol". Hors sol, car la définition même du
périurbain trouve sa source dans la délocalisation, et d'abord celle du travail : "sont
dites périurbaines les communes dont au moins 40% de la population résidente
ayant un emploi travaillent en dehors de leur commune d'habitation".
3. le périurbain est une génération spontanée
Cette récente définition est la preuve qu'on a enregistré un phénomène plutôt qu'on
l'a voulu. En France, la métropolisation, opérée au fil des décennies de manière
désinvolte, était déterminée par un désordre de facteurs : la massification de la
voiture, la biactivité des ménages, l'attractivité économique du foncier, l'extension
des zones d'emplois, l'attrait de la nature, etc. Bref, autant de raisons qui avaient
chacune leur bonnes raisons, mais qui n'ont jamais été considérées ensemble dans
leurs conséquences.
L'exacerbation de la métropolisation conjuguée à de multiples défis nous met
aujourd'hui au pied du mur. Un phénomène qui n'est pas propre à la France, mais
sur lequel notre pays a été peu conséquent. Généreuse avec ses espaces, dotée
d'une densité démographique favorable, d'un réseau routier exceptionnel, et somme
toute riche, la France a joué les cigales pendant des décennies.
4. le périrbain est un paradoxe
Certains ont vu très tôt la dérive de l'étalement urbain, mais le territoire de bitume et
de béton a continué de produire ses séquelles. Elles sont sociales d'abord, et elles
affectent à ce titre les statuts de leurs habitants – plus consommateurs que citoyens.
Ces conséquences retentissent ensuite dans les gouvernances et la gestion des
villes dortoir et des villes travail. Le tiraillement entre les unes et les autres devenant
chaque jour plus manifeste.
Pour autant, tout n'est pas mauvais dans la métropolisation. La ressource de
logements s'est largement construite sur ce territoire et l'habitat y est plutôt bien
vécu. Une enquête logement Insee 2009 soutient que 80% des Français voudraient
habiter dans un pavillon. In fine, il s'agit moins un rejet de cette localisation que de
blocages et d'obstacles que soulève la métropole, une hypertophie urbaine
monolithique.
5. la métropole est un fait unique et irradiant
3. Car une fois dans la métropole, on a que le choix d'accepter son irradiation. La
métropole est un fait unique. On devient dépendant du centre, et plus on s'en éloigne
plus les difficultés s'exaspèrent. On voit la métropole comme une ville gigantesque
dont le moteur central mange et nourrit en même temps ses périphéries. Cette
dépendance définit un ogre générateur de désenchantements. Un divorce se réalise
qu'on mesure entre autres dans l'exaspération du travailleur périphérique tributaire
d'un travail loin de sa base. Dans ce silage, deux grandes catégories d'enjeux
surgissent. Je laisse de côté la réduction des terres agricoles, l'épuisement des
ressources naturelles, la prédation d'un écosystème ou encore le désordre de
constructions débridées, culpabilisant encore un peu plus ces populations, pourtant
déjà peu avantagées.
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Je propose de me concentrer sur ce statut du voyageur du quotidien, donc un
"travailleur commuter", pour tenter de comprendre l'extension inflationniste de son
aire de vie et ce que cela implique.
6. L'hypertrophie urbaine et l'impossible étirement du travail
Restons un moment sur la fuite en avant des mobilités motorisées. Celle-ci ne posait
pas de problème tant que nous étions en mesure de subvenir à des infrastructures
qui absorbaient une croissance inflationniste des flux (des distances qui croissent
plus vite que la démographie) et tant que ces distances restaient supportables en
temps, en fatigue et en budget pour les ménages travailleurs. Mais aujourd'hui, tous
les voyants se mettent au rouge.
"40% des établissements sont touchés d'une manière ou d'une autre par les
problèmes de logement de leurs salariés (difficultés de recrutement,
problèmes pour accompagner la mobilité interne, etc.).
27% des établissements estiment que certains de leurs salariés habitent trop
loin de leur lieu de travail et pour choisir la localisation de leur établissement,
48% des dirigeants tiennent compte du temps de transport des salariés pour
aller de leur domicile à leur travail."
Et derrière ces constats issus du monde du travail, les obstacles s'accumulent :
- Congestions récurrentes et croissantes: 5,6 milliards d'euros le coûts annuels
des congestion en France et ce n'est pas seulement une question
d'automobile et de système routier.
- Les injonctions environnementales se font pressantes et les objectifs de
réduction carbone sont désormais écrites dans des objectifs à 2020.
- Les impacts sociaux (stress, perte de temps, santé…) sont tels que l'Orstiff en
IDF parle de "pathologie des déplacements".
- Impacts économiques (externalités négatives, productivité des entreprises…).
7. le mur des infrastructures
La politique de l'offre est prise en défaut. Plus on répond par l'infrastructure, plus on
nourrit le moteur de l'inflation, plus on accélère le cercle pervers. Mais à un moment
on bute sur ce que j'ai envie d'appeler "le mur des infrastructures". C'est le même
mécanisme que la dette et sa fameuse "falaise" infranchissable. Qu'il s'agisse du
Lyon-Turin, de ND des Landes ou du Grand Paris, nous sommes devant trois
4. monstres infrastructurels qui, soit dérapent dans leur budget – JP Huchon vient
d'annoncer une dérive de 10 Mds€ –, soit se heurtent à l'hostilité des populations,
soit conjuguent les deux.
Il existe déjà des substituts à la construction des infrastructures, ce sont les
politiques d'optimisation
- Optimisation par la demande, régulation par l'autorité (les péages, etc.)
- Optimisation par l'autorégulation. Les usagers activent des applications multiples.
La récente application de Google Maps sur iPhone vient de faire l'objet de 10 millions
de chargements le temps d'un week-end.
- Optimisation par la consolidation du marché des mobilités
- Optimisation par les partages. 2,5 millions d'abonnés à BlaBlaCar, une applications
de covoiturage qui promet 500.000 voyages le temps des fêtes de fin d'année.
Mais dans tous les cas, on reste sur une logique de l'offre. Dans tous les cas, on ne
répond pas à cette demande latente de réduire les mobilités subies. Et il reste que
les populations les plus concernées par ces dérives sont biens les périurbains. Alors
que fait-on ? Comment peut-on s'extraire de ce divorce ?
8. Pour une politique volontariste : Réinventer un autre quotidien
A ces constats plutôt malheureux, on ne peut qu'opposer une politique volontariste.
Je souscris à l'idée de Martin Vanier selon lequel il faut tirer parti de ces
contradictions au lieu de se lamenter sur une situation qu'on a laissé filer. Il provoque
délibérément : "Comment élever au rang de projet la forme d’occupation du territoire
qui est considéré à la fois comme la moins viable au plan de l’environnement et la
plus ségrégative au plan social ?" Si on veut comme le propose l'intitulé de cette
table ronde " Renouer le dialogue avec les périurbains, si on veut résoudre ce
divorce dont plusieurs analystes – Le Bras et Jacques Lévy entre autres – ont
souligné les dérives électorales, il faut penser usages et usager.
Il est urgent d'explorer d'autres voies qui ne se résolvent pas dans des
infrastructures dont nous n'aurons de toutes façons ni les moyens, ni le temps. Ces
solutions existent et elles sont nécessaires. Elles se profilent dans un autre regard
sur l'urbain : faut-il réagréger et rehausser le bâti urbain comme on nous y invite ou
ne peut-on pas densifier l'urbanité ? Ce qui n'a rien à voir. Ce qui est matériellement
plus facile. Pour ce faire et soulager dans le même temps la mobilité subie, c'est en
amont qu'il faut agir; sur la demande, et non plus sur l'offre; sur la capacité déjà à
l'œuvre de ce que Michel de Certau appelait "l'invention du quotidien", ce gisement
incroyable de ressources dont les gens font preuve. Ce qui signifie de convoquer les
services et leurs corrolaires, les données, le numérique urbain et leur cortège de
créativité.
Une étudiante naïve s'interrogeait sur l'absence d'anticipation des autorités sur ces
sujets brûlants. Parce que nous ne savons répondre que l'épée dans le dos, lui ai-je
répondu. N'attendons pas qu'elle soit trop fortement enfoncée.