Anthropologie du Soi Calculé. Dans quel monde voulons-nous être connectés ?
1. ANTHROPOLOGIE DU SOI
CALCULÉ. DANS QUEL
MONDE VOULONS-NOUS
ÊTRE CONNECTÉS ? (IOT,
CAPTEURS, CONNECTED
EVERYTHING)
Laurence Allard, Maître de conférences,
IRCAV Paris 3/Lille 3, sociologue de l’innovation
2. Quantifield Self/ Soi Quantifié
Une innovation naît toujours deux fois!
Lancé en 2007 par deux éditeurs du magazine
Wired Gary Wolf et Kevin Kelly, Quantified Self :
mouvement d’usagers de devices connectés,
d’applications mobiles etc.
En 2011, lancement du QSParis, chapitre français
du mouvement « s’auto-mesurant » à 300 membres.
Quantified Self/Soi Quantifié ou Auto-mesure
=capture, analyse et partage des données
(E.Gadennne)
3. Soi Quantifié côté applis
Il existe actuellement environ
100 000 applications santé
disponibles dans le monde dont
environ 800 en français
(www.vidal.fr, mai 2013)
1 Français sur 2 (49 %) surfe sur le
web santé, avec un ordinateur, une
tablette ou un smartphone.
Parmi ces utilisateurs, 22 % utilisent
un smartphone et/ou 13 % se servent
d'une tablette (« A la recherche du
ePatient » , avril 2013 (Patients &
Web, LauMa communication, TNS
Sofres et Doctissimo).
Il y aurait environ 7 millions de
"mobinautes santé" en France.
Principaux utilisateurs souvent les
professionnels de santé!
Développée en collaboration avec
le Comité Français de Lutte contre
l'HyperTension Artérielle (CFLHTA),
utile en cas « d’effet blouse
blanche »
4. QS aux USA / « Tracking for health », 01/2013, Pew Internet
69% des adultes suivent un indicateur de santé pour
eux-mêmes ou pour autrui.
21% le font par l’intermédiaire d’une technologie que
cela soit des applications mobiles ou des terminaux
périphériques.
Pratiques de partage concernent 34% des « trackers »
avec 52% qui les adressent à un professionnel de la
santé et 22% à un conjoint ou un partenaire.
Self-tracking technologique plus susceptible d’être
répandu chez les plus âgées que les adultes les plus
jeunes.
5. Avant le QS, santé et mobile en Afrique
Nutritional Surveillance Malawi
(Unicef/Rapid SMS, 2009) :
http://www.rapidsms.org/case-
studies/malawi-nutritional-surviellence/
Utilisation d’un code pour envoyer
rapports par SMS (9100 enfants suivis
sur 12 mois par GMS)
Masiluleke en Afrique du Sud (depuis 2007)
service d’éducation et une hotline par SMS
sur le SIDA (+kit test+reminder)
300 millions de messages de prévention
« Please Call Me » (sans frais) envoyés .
Et 300% d’augmentation des appels avec
de 1000 à 3000-4000 par jour avec
lancement de ce service.
6. La vie en mode «quantified self» (Erwan Cario, 9 janvier 2013)
J’ai 2 bras, 2 jambes, 1 tête, 10 doigts et autant d’orteils. Je pèse 84,2 kilos (+1,4% par rapport au mois
précédent) et mesure 1,87 m (+ 0% par rapport à l’année précédente). IMC de 24, tout va bien. J’ai 10 à l’œil
droit et 8,5 au gauche. J’ai un QI de 153 (ceci est une fiction) et je suis en train d’écrire un article d’environ 2
300 signes (espaces compris). J’ai dormi la nuit dernière 6 heures et 11 minutes, ce qui est très insuffisant (77%
de mes besoins) mais mon réveil a été optimisé à 92% grâce à la détection des différentes phases de sommeil
(4 cycles complets). Et la bonne qualité de l’air à 550 ppm a dû aider. J’ai ensuite bu 285 millilitres de café, soit
228 milligrammes de caféine (soit 57% de la dose quotidienne maximale conseillée). Mon brossage de dents n’a
duré que 1 minute et 17 secondes, ce qui va encore me valoir une réprimande numérique. Pour l’instant, j’en suis à
1 340 kilocalories ingurgitées, ce qui semble être dans les clous nutritionnels.
Depuis ce matin, j’ai effectué 3 951 pas (pour un trajet, avec les transports, de 8,222 km) et j’ai monté
l’équivalent de 4 étages, ce qui correspond grosso modo à 40% du total quotidien préconisé par l’Organisation
mondiale de la santé (OMS). Dans le même temps, j’ai reçu une exposition solaire correspondant à 7% du total à
ne pas dépasser pour une journée. Temps pourri à 100%. Bon, tout n’est pas rose… J’ai par exemple échangé
seulement 458 mots avec 8 interlocuteurs différents alors que mon appli de bien-être social m’indique que je
devrais en être au minimum à 630 pour me sentir en phase avec le monde. Rien à dire par contre sur les
4 minutes et 27 secondes de rires, largement au-dessus (+52%) de la moyenne à ce moment-là de la journée
pour les 12 derniers mois.
J’ai déjà passé 6 heures et 23 minutes à regarder un écran, ce qui ne manquera pas de déclencher, comme tous
les jours, une alerte en soirée. Alerte qui clignotera sur mon écran, bien entendu. Je me demande quand même
comment on faisait, avant l’invention du concept de quantified self, quand notre vie n’était qu’analogique. On m’a
bien expliqué qu’on ne change que ce qu’on peut mesurer. Il faut donc tout mesurer pour tout changer. D’ailleurs,
il faut que je vérifie. Ouf, ma montre m’indique que mon indice de bonheur est de 7,8.
Tout roule.
8. Objets connectés (santé, maison)
Valeur du marché des objets
connectés pour la santé et la
maison augmentera de 50%
par an entre 2013 et 2016.
150 millions euros en 2013
500 millions euros en 2016
soit 3% des dépenses high-
tech des Français (vs 1% en
2013)
(sources Xerfi, mars 2014)
9. Soi Quantifié, Objets connectés : 11% / 25% ?
Enquête menée par l’Atelier BNP
Paribas et l’Ifop (déc.2013)
auprès de plus de 1000
personnes.
11 % des Français possèdent à
l’heure actuelle au moins un objet
connecté.
La moitié de ces 11% les utilisent
pour surveiller ou améliorer leur
santé.
Seuls 13% déclarent les relever
quotidiennement.
Selon le dernier baromètre réalisé
par le Syntec Numérique, près de
25% des Français seraient déjà
connectés à un objet (février 2014)
Projet Iwatch ,
Apple : mesure en
continu de
variables de santé
10. IOT, Capteurs, Puces : le tout connecté
En 2013, dans le monde : 12 milliards de
machines et d’objets communicants/6
milliards d’êtres humains connectés aux
réseaux mobiles/2 milliards à Internet
(ITU).
En 2013, M2M en France : 6 millions de
cartes SIM/75,6 millions (Arcep).
A horizon 2026, marché civil capteurs
estimé à 180 milliards d'euros dans le
monde (Intechno Consulting).
A l'horizon 2020-2022, nombre d'objets
connectés (capteurs, smartphones,
ordinateurs…) : 80 millards de devices et
capteurs (IDATE) générant 8,9 milliers de
milliards de dollars (IDC).
11. Humains et non-humains connectés
Extension de la connectivité à toutes les
entités : le Connected Everything ou le
tout connecté.
Des machines au vivant : les arbres de
la ville de Paris, intégrant une puces RFID
servant de carte d’identité, les chiens et
chats «pucés» , des plantes et des
bactéries connectées=tous connectés.
Le tout connecté et les immenses masses
de données qui peuvent en être captées
et valorisées.
Si les objets, les tuyaux, les arbres et
les chats se mettent à «parler » et donc
à générer des flux de données, on peut
comprendre pourquoi s’ouvre l’ère des
Big Data.
-Parler mais pas communiquer : data
qui doivent être interprétées par des
programmes et des humains.
12. IOT, Connected Everything et Big Data
IOT et big et Big Data : deux marchés
connectés.
Marché du Big Data : valorisation des Big Data
constitue un levier de croissance qui pourrait
être équivalent à 8% du PIB en 2020 (Etude du
Boston Consulting Group réalisée avec
3 000 personnes en Allemagne, aux Pays-Bas
et en Pologne).
Marchés dérivés du Big Data
(collecte/traitement) :
- Marché du consentement (recevoir pour
donner ses données)
- Marché de la sécurité des données (NAS)
14. Calculer ou être calculé : le nouveau
dilemme du consommateur capté
Entre profiling trop explicite et
personnalisation qui rend service :
tension entre l’intérêt à voir son
activité traitée, historicisée et calculée
pour donner lieu à des
recommandations et le sentiment d’un
traitement fait à son insu, de se savoir
calculé par une machine.
Ou bien pratiquer dans le soupçon
avec Facebook comme face sombre et
familière de la computarization des
individus et de leurs activités en ligne.
Ou bien suspension de la suspicion
comme « un calcul de soi » consenti du
bout du clavier.
«J'ai acheté 3 Pancol sur Amazon et là ils
reviennent systématiquement quand je me
connecte sur mon compte. C’est assommant. Je
suis assez grande pour savoir ce que je dois
acheter.» (C., 57 ans, mère de famille, Paris)
« Je vois une promo intéressant. Je copie colle
le nom de l'hôtel et je vais sur trip Advisor et
là je vois que l'hôtel ne vaut pas tripette car il
y a trop d'avis négatifs sur un grand nombre.
Là c'est ma façon d'acheter des voyages. Une
des forces d'internet, c’est la comparaison
immédiate par une multitude donc une semi
réalité qui se déclare, le nombre permet de
diluer le mensonge. Pour le Club Med, quand
j'ai 90% de satisfaits, c'est une certitude» (G.,
retraité, 62 ans, Paris).
15. Calculer ou être calculé : le nouveau
dilemme du consommateur capté
Promesse du calcul consenti : transforme
r la foule en certitude et de se concevoi
r entre internautes, comme une force.
On accepte d’autant plus « d’être calcul
é », de voir son activité en ligne traitée
par des algorithmes que l’on peut parti
-ciper aussi au calcul général.
Base de pratiques pour « l’économie
de l’intention »
«Je ne cherche pas à rester anonyme sur internet.
Cela ne me dérange qu'on sache qui je suis a
partir de mes activités. Sur Amazon, j’ai fais une
commande de livres et de jouets pour ma petite
fille. Et là je suis admiratif quand je vois ma
page personnalisé Amazon avec tout ce que j'ai
acheté. C’est « chez G.» Ça m'épate.ça ne me
dérange pas d'abord on ne pas pu pas lutter j'ai
un passif cela fait des années que j'achète sur
internet j'ai l'impression de subir un système,
inconsciemment je suis piègé mais c'est
volontaire.» (G., 62 ans, retraité, Paris).
« Quand je dois faire un resto avec des amis, je
recherche "brunch" dans l’appli « La Fourchette »
et je choisis en fonction des notes. Car moi je
donne toujours des notes aux restaurants sur cette
appli. Comme je les lis beaucoup il faut aussi que
je participe. Je me dis que si tout le monde ne le
faisait pas je ne pourrais pas choisir donc je veux
contribuer. Je ne ne fais pas souvent de
commentaires mais avec la fourchette ça va
vite. » (R., 32 ans, écrivain, Paris).
17. Big « Mother » : un Big Data bienveillant ?
« Les données sont à vous. Ensuite,
comme quand on installe n'importe
quelle application, on accepte ou
pas de transmettre des
informations. Je pourrais utiliser
l'application que propose la société
"Duchmoll" , moyennant quoi je
serai d'accord pour qu'elle reçoive
les données capturées par ma pelle
à tarte, mon chapeau ou mon sac
d'oignons... Mais elle ne recevra
que les données du sac d'oignons
qui si elle est dans les oignons.
L'entreprise devra être
transparente et dire pourquoi elle
a besoin de ces données. » Rafi
Haladjian, La Tribune, déc.2013)
18. LE MARCHE DU CONSENTEMENT : VRM ET
TRADING DE DONNEES PERSONNELLES
19. Credo du VRM (gestion de la relation vendeur) : “un monde de
données personnelles partagées du consommateur au vendeur »
Explosion de la qualité et la
quantité de données
personnelles créant
gigantesques opportunités de
développement de valeur.
«Economie de l’intention »,
Doc Searls in The Intention
Economy: When Customers
Take Charge, 2012 :
“Project VRM : making the
customer a fully empowered
actor in the marketplace”.
21. Le prix à payer pour la privacy
« L'an dernier, j'ai passé plus de 2200 $ et
d'innombrables heures à essayer de
protéger ma vie privée.
un service à 230 dollars qui a crypté mes
données dans le cloud ;
un filtre pour 35 $ de confidentialité pour
protéger l'écran de mon ordinateur
portable des voyeurs dans les cafés ;
un abonnement à 420 $ à un service
Internet portable de contourner les
connexions non fiables et me protéger de
criminels et des pirates :
un service à 5 $ par mois qui me donne des
adresses et des numéros jetables de
téléphone et me protége contre
l'exploitation et la vente de mes données
personnelles. »
Julia Angwin, auteur de “Has Privacy Become
a Luxury Good?”, New York Times, 3 mars
2014
23. Enjeux anthropologiques du Soi Quantifié :
le transhumanisme n’est pas un humanisme
Selon certains, l’extension de la connexion
des réseaux de communication informatisés
à des non-humains est la preuve d’une
mutation de l’humain.
Une mutation de l’humanité vers la
transhumanité, c'est-à-dire une humanité
imbriquée à la technologie, avec des cyborgs
mi-humains/mi-machines.
Cf Ray Kurzweil dans sa théorie de la
singularité (“The Singularity is Near” publié en
2005) qui désigne le moment où les
ordinateurs deviendront plus intelligents que les
humains, ce qui devrait arriver selon lui vers
2045.
Ray Kurzweil est aussi depuis 2013 le “Director
of engineering” de Google et il promet un
“ordinateur du futur qui aura la taille d’une
cellule” et des “humains fusionnant avec les
machines”.
Google qui a racheté sociétés biotech (Calico,
23andme…) et investit dans les NBIC :
convergence de quatre vagues
(nanotechnologies, bio-ingénierie, informatique
et cognitique) pour réaliser le posthumain et
son cerveau de synthèse.
24. Homme augmenté ou humanité diminuée ?
Homme augmenté au futur : espèce
améliorée par les puces, les capteurs et
les implants connectés.
Quels sont les humain(e)s qui
expérimentent déjà au quotidien les
prothèses artificielles, d’implants ou de
puces ?
C’est l’humanité la plus fragile et parfois
l’humanité diminuée, en sommeil etc.
Technologies que l’on nous présente
comme celles d’une démultiplication des
capacités de l’Homme, servent avant tout
à pallier le manque effectif d’un organe,
d’une faculté... Cf Google Glass.
Imaginaire de la prothèse et autres
béquilles de l’humanité diminuée recodée
en instruments de puissance pour
l’humanité dans sa rivalité – perdue
d’avance selon Kurzweil – avec les
machines.
25. Sous les objets connectés, un imaginaire hygiéniste
du QS pour une humanité en sommeil ?
Alain Damasio, janvier 2014
26. Une anthropologie compétitive
Idéologie transhumaniste est une
idéologie de puissance qui fait jouer
à la technologie un mauvais rôle :
celui de pouvoir réaliser la
domination de l’homme par la
machine, d’être l’agent de la
mutation de l’espèce humaine.
Dans la vie de tous les jours, nos faits
et gestes les plus quotidiens sont
instrumentés par des objets
techniques.
Est ainsi alimentée une peur de la
technologie, ce qui est déjà une
certaine façon d’être dominée par
les machines.
Anthropologie compagnonnage entre
entités vs cyborgisation généralisée.
28. Stop the cyborg!
Pas déterminisme technologique, ni de fatalité aux
usages possibles des données et du tout connecté.
Encourager les appropriations d’intérêt général, au
service de l’intelligence collective, des capteurs, des
données, du calcul et de la connexion étendue.
Données et les objets connectés fort utiles pour
consommer mieux ou pour mieux connaître notre monde
incertain.
Nouveaux usages de la connexion généralisée, des
capteurs et des calculs qui peuvent faire émerger une
figure de Big Data utile aux citoyens.
Utilisation de capteurs communicants pour la prévention
des éruptions volcaniques ou la mesure de la pollution
ou l’usage du Big Data après des catastrophes
humanitaires ou naturelles.
Ex : animateurs et bénévoles du réseau Digital
Humanitarian Network /Nations Unies : après typhon
Yolanda aux Philippines, ont trié tous les tweets et
photos en provenance des villes et villages sinistrés pour
évaluer leur pertinence et véracité et les tagger en
fonction du niveau de gravité des dommages pour
permettre de donner aux humanitaires des indications
sur les lieux prioritaires où porter leur efforts.
Il reste à imaginer des usages orientés vers le bien-
vivre communicationnel et le bien-commun.
29. Usages citoyens de l’IOT pour guérir des pathologies sociales du Soi Quantifié
1-Panique métrique : ne pas
abandonner usagers à leurs données
(« méduse », « hérisson.. »)
Culture publique de la mesure
(dataculture) : accompagner la
compréhension des mesures et calculer
avec eux des solutions.
2-Paranotisme : réification des
algorithmes en dispositifs, outils de
surveillance qui amène à pratiquer dans
le soupçon.
Culture publique de la sécurité
informatique :privacy by design en
embarquant le calcul dans un dispositif
local non intrusif pour des usages
proactifs de sécurité des
communications.
30. Du Soi Quantifié au Nous Quantifiant
Soi Quantifié : objets connectés
parfois perçus comme
«mouchards» à données
personnelles des
consommateurs venant nourrir
le marché du Big Data.
Nous Quantifiant : mesurer la
consommation d’énergie, taux
d’exposition à pollution, perte
des abeilles par les citoyens
capteurs pour eux-mêmes et, à
travers mise en commun
volontaire des mesures, au
service de l’intérêt général,
pour une intelligence collective.