Présentation de la soutenance de thèse : "Le cadre privatif"
1. Le cadre privatif : des données
aux contextes
Approche interdimensionnelle des
médiations de la vie privée
Julien PIERRE
Soutenance de thèse
19 avril 2013
Université de Grenoble-Alpes, GRESEC
GRESEC
2. Présentation
Construction de l'objet de recherche
Construction du terrain
Résultats intermédiaires
Des médiations de la vie privée au cadre
privatif
Contraintes, apports et perspectives
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 2
4. Choix du sujet
Discours médiatiques, 2008
→Dispositifs identitaires (DI)
• EDVIGE versus Facebook
• RSN : réseaux socionumériques
→Entre peurs et promesses
Expérience auprès d’apprentis 18-25 ans
(formateur en BTS)
→Figure du sujet contemporain, sous pressions
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 4
5. Objet de recherche
Les médiations de la vie privée
→Identifier syndrome transcontextuel des
dispositifs identitaires
→Vers la notion de cadre privatif
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 5
6. Posture
Comment se situer
→en tant que chercheur
→par rapport aux tensions entre dispositifs et
identités
→pour éclairer les processus informationnels et
communicationnels de la vie privée ?
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 6
7. Une approche requise par l'objet
Un objet interdimensionnel :
→Dimensions économique, anthropologique et
sociopolitique
→Analyse des médiations techniques, des
interactions sociales et des configurations
d'acteurs
Approche par immersion et multi-située
→Franchir le cadre privatif des apprentis par
proximité/réflexivité (Andrieu)
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9. 3 dimensions
3 hypothèses
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ÉconomiqueÉconomique
l'identitél'identité
comme industriecomme industrie
ÉconomiqueÉconomique
l'identitél'identité
comme industriecomme industrie
AnthropologieAnthropologie
l'identitél'identité
comme projetcomme projet
AnthropologieAnthropologie
l'identitél'identité
comme projetcomme projet
SociopolitiqueSociopolitique
l'identitél'identité
comme rapport de placecomme rapport de place
SociopolitiqueSociopolitique
l'identitél'identité
comme rapport de placecomme rapport de place
10. Corpus
Facebook : 78 tables, 100aines
champs (jusqu’en
septembre 2012)
Profils multi-situés : 5 groupes classes, 72
apprentis, 10 profils suivis en entretiens
individuels, pendant 18 mois (durée BTS)
Traces de navigation : 365 cookies
Réponses à une enquête : 111 questions,
570 répondants, 392 exploitables
(printemps 2011)
Flux : +100 alertes & sites web
Données économiques : +400 entreprises
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 10
11. approche interdimensionnelle dimensions
analyses corpus économie anthropologie sociopolitique
médiations
techniques
documentation
technique Facebook
X X X
interface des RSN X X X
logs et cookies X X X
interactions
microsociales des
apprentis
exposés des
apprentis
X X X
recueil de verbatim X X X
entretiens X X X
statuts capturés X X X
sondage en ligne X X X
configurations
d'acteurs socio-
économiques
données financières
des entreprises
X
monitoring mots-
clés
X X
corpus juridique X X X
discours d’escorte X X X
13. #1, L’identité comme industrie
Décrypter le cadre de fonctionnement des
dispositifs identitaires
→Analyser la privatisation du « cadre de
l’institution nominale »
→Ouvrir la boîte noire
→Analyser les stratégies des firmes : économie
politique de la communication
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 13
14. #1, L’identité comme industrie
Résultats
→Au niveau industriel : commercialisation des
biens d’expérience (Bouquillion)
→Au niveau anthropologique : accès aux
prescriptions ordinaires (Stenger & Coutant)
mais dépossession de soi
Dimension économique → effets
anthropologiques & sociopolitiques
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 14
15. #2, L’identité comme projet
Observer le cadre d’usage des DI
→« L’injonction à être soi dans un monde de
normes »
→Analyser les pratiques de médiatisation de Soi
(de Goffman à boyd)
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 15
16. #2, L’identité comme projet
Résultats
→Emprise des DI sur les registres d’action
communicationnelle
→Satisfaire les attentes au niveau des processus
d’identification et de socialisation
Dimension anthropologique → effets
sociopolitiques et économiques
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 16
17. #3, L'identité comme rapport de
place
Analyser le cadre de la publicisation de Soi
→Discerner l’évolution des frontières entre vie
privée/vie publique (théories de l’espace
public)
→Entre individuation, intersubjectivation,
industrialisation et institutionnalisation
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 17
18. #3, L'identité comme rapport de
place
Résultats
→Régulation par le marché, la technique ou la
loi (Rallet & Rochelandet) : transparence et
confiance
→Détournement des DI : tactiques logicielles ou
langagières
Dimensions sociopolitiques → effets
économiques et anthropologiques
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19. DES MÉDIATIONS DE LA VIE
PRIVÉE AU CADRE PRIVATIF
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 19
20. Le cadre privatif
Ensemble de
→contraintes situées dans le cadre de
fonctionnement des DI
→tactiques situées dans le cadre d’usage
→Liées à des questions d’identité : qui parle ? qui
écoute ? qui fait la médiation ?
Le cadre privatif permet de définir et
circonscrire le « syndrome transcontextuel »
des dispositifs identitaires
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 20
21. Les déclinaisons du cadre privatif
#1, (dimension économique)
le modèle du salon
→Espace de médiation des expériences
affectives = indicateurs marchands + publicité
ciblée
→Cadre privatif = réduire cette double intrusion
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 21
22. Les déclinaisons du cadre privatif
#2, (dimension anthropologique)
l’assistance mutuelle
→De la surveillance à la bienveillance
→Apprentissage collaboratif des normes sociales
→Cadre privatif = sélection des amis
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 22
23. Les déclinaisons du cadre privatif
#3, (dimension socio-politique)
l’espace anecdotique
→Formation des opinions : les prémisses de
l’espace public
→Cadre privatif : expérimentation en privé d’une
posture à tenir en public
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 23
24. #1, modèle du salon#1, modèle du salon
#3, espace anecdotique#3, espace anecdotique #2, assistance mutuelle#2, assistance mutuelle
cadre privatifcadre privatifcadre privatifcadre privatif
24
25. #1, modèle du salon#1, modèle du salon
#3, espace anecdotique#3, espace anecdotique #2, assistance mutuelle#2, assistance mutuelle
cadre privatifcadre privatifcadre privatifcadre privatif
Données personnellesDonnées personnelles
Prescriptions ordinairesPrescriptions ordinaires
Contenus anecdotiquesContenus anecdotiques
syndromesyndrome
transcontextueltranscontextuel
dans les dispositifs identitaires
25
27. Dépasser les contraintes
Enquêter sur des objets mouvants
Enrichir le dispositif de recherche
→Démarche empirique : données à approfondir
→Nouveaux indicateurs à intégrer et croiser
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 27
28. Apports
Inscription des médiations de la vie privée
→Dans les SIC
→Dans une "épistémologie à moyenne portée"
(Miège)
Ensemble de modèles heuristiques
→Modèle du salon
→Espace anecdotique
→Cadre privatif
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29. Prolongements
Recherche appliquée
→Ingénierie du cadre privatif dans l’habitèle
(Boullier)
Recherche fondamentale
→L’espace anecdotique sous l’emprise
médiatique
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 29
30. Perspectives
Champs de recherche
→Économie politique critique de la
communication
→Communication affective
Objets
→Communication médiatisée par ordinateur,
nouveaux médias et réseaux socionumériques
Exemple
→L'engagement dans l'action
19/04/2013 Julien PIERRE : Le cadre privatif 30
Merci M. le Président, Mme et MM. les membres du jury ainsi que toutes les personnes présentes aujourd’hui pour assister à cette soutenance. Ma thèse s’intitule « Le cadre privatif… ».
J’ai organisé ma présentation en cinq points : Construction de l’objet de recherche Puis construction du terrain Viendront ensuite les résultats intermédiaires À partir de l’analyse des médiations de la vie privée, j’insisterai sur le concept de cadre privatif Enfin, je conclurais en présentant les contraintes, les apports et les perspectives de ma recherche
A l’automne 2008, avant de commencer ma thèse, j’ai été frappé par les discours médiatiques, qui opposaient alors le fichier de police EDVIGE et le réseau socionumérique Facebook. Ces discours balançaient entre la peur d’un nouveau big brother, économique ou politique, et la promesse d’un monde plus ouvert et connecté, pour reprendre la devise de Facebook. C’est cette opposition qui a motivé en premier lieu mon sujet de recherche. Dans le même temps, j’étais formateur auprès de jeunes apprentis en BTS, âgés de 18 à 25 ans. Comme tous mes collègues, je les voyais plongés dans Facebook pendant mes cours et dans le même temps se plaindre d’une surveillance permanente. C’est ce qu’on appelle le paradoxe de la vie privée, et c’était là aussi une opportunité pour mon sujet. J’ai en effet construit cette population comme une figure du sujet contemporain : d’un côté ils étaient en train de se construire, de devenir des adultes et des professionnels, et de l’autre ils étaient soumis à une somme de pressions considérables : de la part de leur famille, leurs amis, leur entreprise, et finalement de nombre de pressions sociales. J’ai retrouvé la trace de cette double contrainte dans les rapports que nous avions tous les jours, mais également dans ce qu’ils racontaient de leur quotidien via les TIC, les technologies de l’information et de la communication.
C’est ainsi que j’ai construit mon objet de recherche, portant sur les médiations de la vie privée. Avant d’en arriver au concept de cadre privatif, auquel il est intrinsèquement lié, il s’agissait d’identifier le syndrome transcontextuel. J’emprunte cette expression d’abord à Gregory Bateson : tout énoncé sortant de son contexte donne lieu à une mésinterprétation ou un mésusage, quand il se trouve exploité dans un autre contexte. Susan Leigh Star et ses différents compagnons de recherche se sont attelés à faire ressortir un tel syndrome dans les architectures informationnelles. Pour ma part, je me suis attaché à l’étude du syndrome transcontextuel des dispositifs identitaires, et j’ai cherché à savoir comment fonctionne, et comment les usagers préviennent le transfert des données personnelles d’un contexte à un autre, et les possibilités de mésinterprétation ou mésusage de leurs actions, qu’elles se déroulent en ligne ou non
Dès lors se pose la question de savoir comment, en tant que chercheur, se situer par rapport aux tensions entre dispositif et identités afin d’éclairer les processus informationnels et communicationnels de la vie privée ? Quels sont ces tensions : dans quels cadres sont développés ces dispositifs identitaires ? que font les acteurs de ces dispositifs avec nos identités ? Comment les usagers – internautes, consommateurs, citoyens, sujets – font avec les dispositifs identitaires ? Comment embrasser l’ensemble des processus, des contextes, des enjeux, bref des médiations de la vie privée ?
Ainsi, c’est parce que mon objet de recherche est à la croisée de multiples dimensions : économique, anthropologique et sociopolitique, qu’il me faut adopter et construire une approche interdimensionnelle. Pour cela, j’ai mené dans chacune des dimensions une analyse des médiations techniques, des interactions sociales et des configurations d’acteurs. Cette approche interdimensionnelle est une approche par immersion et une approche multi-située : elle tient aussi au fait que la vie privée des apprentis (la construction de leur identité et leur rapport au social) se déroule au sein du centre de formation, dans la classe, en entreprise, dans plusieurs sites web ou appareils. Et j’ai eu accès à chacun de ces sites de production identitaire et sociale : c’est grâce à la proximité que j’avais avec mes étudiants, parce que nous étions dans une relation de confiance, parce qu’ils m’avaient fait rentrer dans leur cadre privatif, que j’ai pu obtenir les résultats que je vais vous présenter aujourd’hui.
Ainsi, trois dimensions fondamentales ont été traversées, et pour chacune d’entre elles j’ai formulé les hypothèses suivantes : Dans la dimension économique, l’identité serait située au cœur d’une filière industrielle, en cours de structuration Dans la dimension anthropologique, l’identité serait l’objet d’une projection, à la fois trace et condition des expériences avec les autres Dans la dimension sociopolitique, l’identité permettrait de construire un rapport de place préalable à l’engagement dans l’espace public L’idée était non seulement de traverser ces dimensions, mais de regarder également comment ce qui se passait dans une dimension pouvait avoir des effets dans les autres.
J’ai donc colligé plusieurs corpus, à partir de la base de données de facebook, à partir des profils de mes apprentis : des profils situés en ligne et hors ligne, à partir d’entretiens autour de leurs productions éditoriales, des traces navigations, des réponses à une enquête en ligne, de la veille sur des flux RSS d’entreprises ou de spécialistes, et d’autres sources que j’ai croisées.
On retrouve ces différents éléments dans le tableau suivant : les analyses, les corpus, les dimensions. Par exemple, afin de comprendre comment les médiations techniques agissaient conjointement dans plusieurs dimensions, j’ai procédé à une analyse de contenus sur la documentation technique de Facebook pour voir comment on filtrait les destinataires d’un message, autrement dit comment – dans la dimension anthropologique - on définissait sa liste d’amis et comment – dans la dimension économique – cette liste d’amis avait une valeur ajoutée. Autre exemple dans ce tableau, au niveau des interactions sociales, j’ai demandé à mes apprentis de faire des exposés sur Facebook, le téléphone mobile ou la surveillance. En procédant à une analyse de ces discours, j’ai vu quelles étaient leurs représentations mentales dans la dimension économique, ou sociopolitique. A chaque fois, j’ai cherché à repérer les indicateurs dominants dans au moins une dimension (ce sont les croix noires) comme les données financières par exemple. Les croix grises, quant à elles, montrent que ces indicateurs venaient confirmer des résultats obtenus par d’autres méthodes.
Je vais donc maintenant présenter ces premiers résultats
Pour la première hypothèse, concernant une industrie centrée sur l’identité, je me suis concentré sur le cadre de fonctionnement des dispositifs identitaires. En refaisant le parcours socio-historique de ces dispositifs, j’ai montré comment les réseaux socionumériques incarnaient l’avatar contemporain de ce que j’appelle le cadre de l’institution nominale, c-à-d le pouvoir de donner un nom à une entité, une personne. Mais j’ai montré également que l’Etat déléguait la conception et l’opérationnalisation de ce pouvoir à des acteurs économiques privés. Après cela, je suis rentré dans la machine informatique des dispositifs identitaires : j’ai regardé comment fonctionnaient les bases de données, comment les données personnelles étaient structurées par des langages formels (XML, SQL, RDF, HTML). J’ai vue ainsi dans quelle mesure les choix de représentation d’une réalité sociale, un choix opéré par les concepteurs, conditionnait – chez les usagers - leurs possibilités d’intervention sur cette réalité : quel récit de soi peut-on construire dans de tels dispositifs ? Ensuite, j’ai comparé cette architecture informationnelle aux discours et aux stratégies des firmes : j’ai principalement porté mon attention sur Google et sur le groupe WPP, mais j’ai également abordé d’autres régies publicitaires comme Publicis, ou d’autres réseaux comme Facebook, ainsi que l’ensemble de leurs partenaires ou prestataires. Ainsi, dans la continuité des travaux en économie politique de la communication, je me suis attaché à éclairer les effets sociosymboliques des dispositifs identitaires.
En termes d’enjeux, en effet, cette étude a fait ressortir - au niveau industriel comment le traitement des données personnelles contribuait à la commercialisation des biens culturels. Et au niveau anthropologique, comment les usagers échangeaient les prescriptions ordinaires (conseiller à un ami tel ou tel œuvre ou comportement), prescriptions que vont récupérer les industries culturelles. Cette exploitation montre d’ailleurs comment un individu peut se retrouver dépossédé de ce qui fait son identité, par le transfert des données personnelles. Ainsi, l’approche interdimensionnelle permet de voir comment un traitement industriel peut avoir des effets anthropologiques et sociopolitiques, (en termes de régulation par exemple).
Après avoir analysé le cadre de fonctionnement, je me suis donc orienté vers le cadre d’usage, et je me suis focalisé sur sa dimension anthropologique Tout d’abord, j’ai resitué les pratiques contemporaines dans la continuité d’abord d’une tendance sociale : celle de l’autonomisation du sujet, ensuite d’un paradoxe : celui d’être soi - dans une monde de normes. Ce que vivaient en fait les apprentis au quotidien. Ensuite, j’ai analysé les pratiques de médiatisation de soi, dans la continuité des études sur la communication médiatisée par ordinateur, un domaine qui va de la microsociologie de Goffman aux travaux de danah boyd (soit dit en passant, une anthropologue américaine qui estime que les majuscules sont des formes de pouvoir qu’elle refuse : il ne s’agit donc pas d’une faute de frappe mais du respect d’un choix politique).
Bref, il ressort de cette étude à quel point les dispositifs imprègnent les pratiques sociales, notamment au niveau des registres d’action communicationnelle : il faut gérer ses amis, gérer sa réputation, tenir compte d’indicateurs quantitatifs, suivre une politesse héritée du cadre de référence des développeurs, pour la plupart des informaticiens et responsables marketing nord-américains. Mais ces innovations sociotechniques doivent également répondre aux attentes sociales, en termes de support au projet identitaire et aux interactions du quotidien. J’ai montré ainsi comment les interactions médiatisées s’inséraient dans un marché et dans le rapport de forces entre les acteurs sociaux
La dernière hypothèse revient sur la construction d’un rapport de place, entre vie privée et vie publique. Là aussi, les frontières entre les deux sphères ont évolué dans le temps, et le régime de la publicité est l’objet de mutations récentes, notamment en raison de l’ancrage des TIC. J’ai donc retracé, dans le cadre des théories de l’espace public, le procès socio-historique mettant en tension l’individuation (l’être soi), l’intersubjectivation (être - avec l’aide des autres), l’industrialisation (devenir - à travers les logiques de rationalisation, sous l’emprise des paradigmes technique et marchand) et l’institutionnalisation (être – dans un rapport avec une autorité publique).
Les enjeux révèlent donc les formes que peut prendre la régulation de ces tensions : par le marché seul, par l’innovation technique, par la Loi. Se pose alors la question de savoir quel est le cadre qui construit les dispositifs identitaires, et quel rapport de place ces dispositifs accordent au sujet au sein du corps social. Il s’agit ici d’interroger le rapport de confiance entre le sujet et les dispositifs : en effet, les tendances à la surveillance, à la transparence, à l’exploitation de ce qui fait la singularité de chacun se construisent dans les choix techniques, économiques, juridiques et politique. Ils engagent la responsabilité des entreprises, des innovateurs, mais également de l’Etat. Sans délaisser ces potentialités de régulation, mes travaux ont montré également comment une certaine catégorie d’usagers préservaient leur vie privée, en manipulant les réglages de confidentialité des logiciels, mais surtout en utilisant des tactiques langagières basées sur l’implicite, l’allusion : des éléments de langage que seuls les amis proches peuvent comprendre au sein d’une audience non identifiées. C’est ce que j’appelle le cadre privatif. Encore une fois, j’insiste sur le fait que les processus se déroulant dans la dimension sociopolitique ont des effets dans les dimensions économiques et anthropologiques.
Il est temps maintenant d’en venir à l’interdimensionnalité du cadre privatif
Je définis ainsi ce concept à la fois comme l’ensemble des contraintes situées dans le cadre de fonctionnement des dispositifs identitaires, donc côté concepteur Et comme l’ensemble des tactiques situées dans le cadre d’usage, donc du côté des sujets. Ces contraintes et ces tactiques - assurant les médiations de la vie privée - sont liées à des questions d’identité : qui parle ? Qui écoute ? Qui opère la médiation ? Et surtout qui agit caché ? Ainsi, en repérant de tels participants, le cadre privatif permet de définir et de circonscrire le syndrome transcontextuel des dispositifs identitaires.
J’en arrive donc là au cœur de ma thèse, et à l’articulation entre les dimensions. Dans l’hypothèse industrielle, j’ai procédé à une socio-économie des données personnelles à travers ce que j’appelle le modèle du salon. Dans celui-ci, les industriels ont accès à un espace de médiation des expériences affectives, à partir duquel ils tirent des indicateurs marchands (tant de personnes de personnes ont cliqué sur le bouton J’aime) et dans lequel ils placent des publicités ciblées (nous savons que vous avez cliqué sur le bouton J’aime). Le cadre privatif permet aux usagers de se prémunir de cette double intrusion.
Dans la dimension anthropologique, ce qui relevait de la surveillance devient une forme d’assistance entre pairs : les amis choisis, intégrés au cadre privatif, valident les expériences affectives que le sujet leur donne à surveiller : est-ce que tu aimes la même chose que moi ? Est-ce que tu crois que je peux le dire aux autres ? Il y a ainsi un apprentissage collaboratif du vivre ensemble et des normes sociales, une élaboration collective du sens commun.
Enfin, les expériences affectives, ainsi médiatisées, font l’objet d’une prise de distance, une réflexivité qui permet au sujet d’argumenter sur ses choix, de former un discours sur ses opinions et donc de construire une posture, posture qu’il tiendra non plus auprès de ses pairs, mais lors des situations d’engagement dans l’espace public et dans les différentes sphères où il ne maitrisera pas le cadre privatif (comme en entreprise par exemple). J’ai ainsi appelé espace anecdotique cette expérimentation en privé d’une posture à tenir en public. Ce qui m’amène à considérer l’espace anecdotique comme les prémisses de l’espace public.
Prenons un exemple pour illustrer les relations entre ces concepts : Imaginons un apprenti qui clique sur le bouton J’aime d’une marque quelconque, mettons une célèbre pate à tartiner CLIC CLIC CLIC. Ce bouton est un micro dispositif propre au modèle du salon. En voyant ça, ses amis vont réagir à cette mention, et lui disent : « Il ne faut pas en manger, c’est gras c’est sucré, c’est fait avec de l’huile de palme. CLIC CLIC CLIC L’assistance mutuelle indique une forme de convention sociale sur ce type de consommation alimentaire : notre apprenti peut décider de la suivre, de rompre le lien d’amitié avec la marque, de chercher un autre produit, etc. Mais maintenant, les amis qui ont réagi sont identifiés, par leur interaction avec notre apprenti, et parce qu’ils ont commenté son rapport au Nutella. Avec le modèle du salon, il est possible de placer dorénavant des publicités ciblées auprès des amis. Si ces publicités font référence à des produits aussi gras et sucré, il y aura mésinterprétation, et donc syndrome transcontextuel :CLIC CLIC CLIC cela relève du spam. Imaginons maintenant le cheminement inverse : des amis aiment le Nutella, l’apprenti adopte une posture critique, CLIC CLIC CLIC, typique de l’espace anecdotique, ça reste entre amis, et leur signale que c’est gras sucré, etc. Le modèle du salon fonctionne toujours, ainsi que syndrome. Mais si jamais un ami fait une capture écran de cet échange, ou en parle autour de lui pour se moquer de ceux qui mangent du Nutella, ou qui se prennent pour des écolos, on a là encore un syndrome transcontextuel. J’ai pris ici un exemple anecdotique, mais il fonctionne aussi avec des objets plus sérieux ; de même j’ai cantonné mon schéma à Facebook, mais cela marche aussi avec d’autres dispositifs identitaires, du réseau social d’entreprise à la vidéosurveillance. En conclusion de cette partie, le cadre privatif, aménagé par le sujet, négocié avec les proches, appareillé dans les dispositifs ou institué socialement, détermine ce que j’appelle les conditions de félicité de la subjectivité, c’est-à-dire le bonheur ou la satisfaction d’être soi parmi les siens.
Prenons un exemple pour illustrer les relations entre ces concepts : Imaginons un apprenti qui clique sur le bouton J’aime d’une marque quelconque, mettons une célèbre pate à tartiner CLIC CLIC CLIC. Ce bouton est un micro dispositif propre au modèle du salon. En voyant ça, ses amis vont réagir à cette mention, et lui disent : « Il ne faut pas en manger, c’est gras c’est sucré, c’est fait avec de l’huile de palme. CLIC CLIC CLIC L’assistance mutuelle indique une forme de convention sociale sur ce type de consommation alimentaire : notre apprenti peut décider de la suivre, de rompre le lien d’amitié avec la marque, de chercher un autre produit, etc. Mais maintenant, les amis qui ont réagi sont identifiés, par leur interaction avec notre apprenti, et parce qu’ils ont commenté son rapport au Nutella. Avec le modèle du salon, il est possible de placer dorénavant des publicités ciblées auprès des amis. Si ces publicités font référence à des produits aussi gras et sucré, il y aura mésinterprétation, et donc syndrome transcontextuel :CLIC CLIC CLIC cela relève du spam. Imaginons maintenant le cheminement inverse : des amis aiment le Nutella, l’apprenti adopte une posture critique, CLIC CLIC CLIC, typique de l’espace anecdotique, ça reste entre amis, et leur signale que c’est gras sucré, etc. Le modèle du salon fonctionne toujours, ainsi que syndrome. Mais si jamais un ami fait une capture écran de cet échange, ou en parle autour de lui pour se moquer de ceux qui mangent du Nutella, ou qui se prennent pour des écolos, on a là encore un syndrome transcontextuel. J’ai pris ici un exemple anecdotique, mais il fonctionne aussi avec des objets plus sérieux ; de même j’ai cantonné mon schéma à Facebook, mais cela marche aussi avec d’autres dispositifs identitaires, du réseau social d’entreprise à la vidéosurveillance. En conclusion de cette partie, le cadre privatif, aménagé par le sujet, négocié avec les proches, appareillé dans les dispositifs ou institué socialement, détermine ce que j’appelle les conditions de félicité de la subjectivité, c’est-à-dire le bonheur ou la satisfaction d’être soi parmi les siens.
Pour terminer, ce travail de recherche sur le cadre privatif met en avant les difficultés que j’ai régulièrement rencontrés. Mais également nombre d’apports et de perspectives
Tout d’abord, les objets sur lesquels j’ai travaillé étaient en reconfiguration permanente : pratiques informationnelles, nouveaux designs, réforme des textes de lois, jurisprudence, discours en continu. Ensuite, le dispositif que j’ai mis en place peut être enrichi : les données sont à approfondir, les traitements peuvent être complétés, et d’autres indicateurs (linguistique ou économique par exemple) peuvent venir éclairer les processus informationnels et communicationnels de la vie privée.
Nonobstant, mon travail délivre enfin des apports à plusieurs niveaux : Dans un premier temps, j’ai contribué à inscrire les médiations de la vie privée dans les sciences de l’information et de la communication, et dans une épistémologie à moyenne portée pour reprendre l’expression de Bernard Miège, situé entre théorie généralisante et analyse sectorielle. J’ai ensuite construit un ensemble de modèles heuristiques transposables sur d’autres dispositifs identitaires ou dans d’autres domaines d’activité : modèle du salon, espace anecdotique, cadre privatif. Ces modèles pourront bien entendu être enrichi.
En ce qui me concerne, j’entrevois deux possibilités de prolongements : travailler dans l’ingénierie du cadre privatif de l’habitèle (pour reprendre le concept de Dominique Boullier) ; analyser l’espace anecdotique au prisme des stratégies médiatiques.
Pour conclure, en termes de perspectives de recherche, mon travail s’inscrit dans la communication affective, dans ces relations avec l’économie politique critique de la communication ou avec l’espace public. Les objets sur lesquels je souhaite poursuivre mon travail relève de la communication médiatisée par ordinateur, des nouveaux médias et des réseaux socionumériques Le sujet des médiations de la vie privée reste toujours central, et peut être étudié dans le cadre de l’engagement dans l’action sociale, politique, culturelle, affective, etc. Je vous remercie pour votre attention