L'expression du but : fiche et exercices niveau C1 FLE
Mémoire et reconnaissance de crimes du passé. — 04. La mémoire du génocide des Arméniens
1. Diaporamas ‘De l’offense à la réconciliation’
Série ‘Mémoire et reconnaissance de crimes du passé’
4 - Le génocide des Arméniens
Étienne Godinot 11.05.2023
2. La série de diaporamas
‘De l’offense à la réconciliation’
Sommaire - Rappel
Série 1 : Mémoire et reconnaissance de crimes du passé
1 - Introduction
2 - La mémoire de l’esclavage
3 - La mémoire du colonialisme
4 - La mémoire du génocide des Arméniens
5 - La mémoire de la Shoah
6 - La mémoire des crimes du communisme
7 - La mémoire des crimes commis par les États-Unis
8 - La mémoire des crimes des Khmers rouges au Cambodge
9 - La mémoire du génocide du Rwanda
10 - La mémoire des crimes commis pendant les guerres en ex-Yougoslavie
11 - La mémoire de l’apartheid en Afrique du Sud
12 - La mémoire des crimes commis par les institutions religieuses
Série 2 : Justice, pardon et réconciliation
1 - Justice, pardon et réconciliation : dissiper les malentendus
2 - Pardon et réconciliation entre personnes
3 - Pardon et réconciliation entre groupes humains
4 - La réconciliation franco-allemande
5-1 - L’Algérie et la France : de 1830 à 1962
5-2 - L’Algérie et la France : depuis 1962
6 - Le Japon et les traces de sa période impériale en Asie du Sud-Est
7 - La Chine. Une volonté de revanche ?
8 - Institutions en faveur des droits humains.
9 - Relire et dépasser le passé pour inventer l’avenir
3. La mémoire du génocide
des Arméniens (1915-1916)
Le génocide des Arméniens est perpétré d'avril 1915 à juillet 1916 :
les deux tiers des Arméniens qui vivent alors sur le territoire actuel de la
Turquie périssent du fait de déportations, famines et massacres de
grande ampleur.
Il est planifié et exécuté par le parti au pouvoir à l'époque, le
‘Comité Union et Progrès’ (CUP), plus connu sous le nom de ‘Jeunes-
Turcs’, composé en particulier d’un triumvirat d'officiers qui dirige
l'Empire ottoman alors engagé dans la Première Guerre mondiale aux
côtés de l’Allemagne, de l’Autriche-Hongrie et de l’Italie.
Il coûte la vie à environ 1 300 000 Arméniens d'Anatolie et
d'Arménie occidentale, majoritairement chrétiens.
Les Arméniens appellent ces événements Medz Yeghern (le
grand crime) ou Aghet (la catastrophe).
Images : - Cadavres d'Arméniens en 1915, près d'Angora.
- Ismail Enver, dit Enver Pacha (1881-1922), l'un des chefs de la révolution ‘Jeunes-Turcs’, puis
ministre de la Guerre de l'Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale et l’un des
principaux instigateurs du génocide des Arméniens.
4. Les massacres de Sassoun (1894)
et d’Adana (1909)
À fin du 19ème siècle, les Arméniens de
l'Empire ottoman prennent conscience de l'inégalité de leurs droits face aux
autres citoyens ottomans. À la suite de la non-mise en place des réformes
promises par les traités de San Stefano et de Berlin (1878), des groupes
arméniens, la plupart du temps révolutionnaires, se forment. L'émancipation
voulue par les partis arméniens va être l'un des principaux motifs de l'Empire
pour massacrer les Arméniens.
Le ‘Comité Union et Progrès’ (CUP), composé essentiellement de
nationalistes ou de progressistes turcs, les "Jeunes-Turcs", développe peu à
peu une idéologie nationaliste et violente et impose une assimilation forcée
aux différents peuples qui composent ce qui reste de l'Empire.
À la suite du refus des Arméniens de payer une double imposition, les
Kurdes assiègent puis massacrent en août et septembre 1894 la population
arménienne de Sassoun, démarrant à travers tout l'Empire ottoman une vague
de massacres qui dure jusqu'en 1896. Le bilan de ce massacre est estimé à
environ 200 000 morts, 10 000 réfugiés, 50 000 orphelins, 40 000 convertis de
force, 2 500 villages dévastés, 568 églises détruites ou transformées en
mosquées.
Le massacres d’Adana (avril 1909) font près de 30 000 victimes.
Photos : Massacre de Sassoun (1894) et d’Adana (avril 1909)
Exposition de têtes de 8 professeurs arméniens
5. Massacres
pendant la Première Guerre mondiale
Parti unique, contrôlant tous les rouages administratifs et militaires,
le ’Comité Union et Progrès’ (CUP) entre en guerre en novembre 1914 aux
côtés de l’Allemagne avec la claire conscience qu’il se crée ainsi l’opportu-
nité de réaliser son projet de construction d’un État-nation turc, en éradi-
quant tous les groupes susceptibles de l’entraver. Les déportations et
massacres sont préparés et organisés depuis Constantinople, capitale de
l'Empire, et mis en œuvre à l'échelle locale par les autorités des divers
districts et provinces.
En 1914, le ministre de l’Intérieur Talaat Pacha ordonne l’assassinat
des Arméniens d’Istanbul puis des Arméniens de l’armée, avant de s’atta-
quer aux Arméniens des sept provinces orientales. Le télégramme du
ministre à la direction des ‘Jeunes-Turcs’ de la préfecture d’Alep est sans
ambiguité :« Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens
résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que
soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge, ni du sexe.
Les scrupules de conscience n’ont pas leur place ici. »
Une « loi provisoire de déportation » du 27 mai 1915 fixe le cadre
réglementaire de la déportation des survivants et de la spoliation des
victimes.
6. Les "marches de la mort"
Chaque responsable local est chargé de rassembler ses administrés
arméniens, puis les soldats et gendarmes ottomans escortent les convois
jusqu'au désert dans des "marches de la mort" et procèdent eux-mêmes
aux assassinats ou laissent libre cours à la violence de groupes de bandits
armés, majoritairement kurdes. De nombreux criminels, regroupés dans ce
qui sera connu comme l‘ "Organisation spéciale", ont été libérés par les
autorités à cette fin.
Des centaines de milliers d'Arméniens meurent avant d'atteindre les
camps de détention. Beaucoup sont tués ou enlevés, d'autres se suicident
et un grand nombre périt de faim, de soif, de froid ou de maladie. Si
quelques civils tentent d'apporter leur aide aux déportés arméniens, ils sont
bien plus nombreux à les torturer et à les tuer au sein des convois.
Images : Convoi de déportés villageois
Marche de déportés vers Deir ez-Zor dans le désert syrien
7. 25 camps
de concentration
L’ultime étape du processus de destruction a pour cadre les 25 camps de concen-
tration de Syrie et de Haute-Mésopotamie mis en place à partir d’octobre 1915, et qui
accueillent environ 800 000 déportés. D’avril à décembre 1916, quelque 500 000
Arméniens qui y survivent encore sont systématiquement massacrés, en particulier sur
les sites de Ras ul-Ayn et Deir ez-Zor (désert de Syrie).
Environ 1,3 million de morts :
- 120 000 soldats arméniens mobilisés dans la IIIe Armée (couvrant les 6 vilayet orientaux), tués par
petits groupes entre janvier et février 1915, ou versés dans des bataillons de travail.
- 600 notables arméniens arrêtés le 24 avril 1915, à Constantinople comme dans les villes de
province, internés puis assassinés.
- Des dizaines de milliers d’hommes, âgés de 40 à 60 ans, massacrés entre avril et août 1915,
principalement dans les six vilayet arméniens.
-1 040 782 Arméniens, essentiellement des femmes, des enfants et des vieillards, déportés entre
avril et le début de l’automne 1915 en 306 convois.
- Près de 400 000 morts dans les camps de concentration d’octobre 1915 à juin 1916.
- Près de 300 000 autres internés des camps, massacrés entre juillet et novembre 1916.
Images : - Pendaisons à Constantinople en 1915
- Un charnier de victimes arméniennes du génocide dans le village de Sheyxalan (Turquie), en 1915
8. Une amnistie en 1923
Le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 entre les Alliés et le
nouveau gouvernement de l'empire ottoman prévoit la mise en jugement
des responsables du génocide. Mais le sursaut nationaliste du général
Moustafa Kémal Atatürk (1881-1938), bouscule ces bonnes résolutions.
D'abord favorable à ce que soient punis les responsables de la
défaite et du génocide, Moustafa Kémal se ravise car il a besoin de
ressouder la nation turque face aux Grecs et aux Occidentaux qui
menacent sa souveraineté. Il décrète une amnistie générale le 31 mars
1923.
9. Un génocide non reconnu
par le gouvernement turc
Tandis que la recherche scientifique conduite par historiens et
juristes confirme la réalité d’un génocide, le gouvernement turc actuel maintient une
position ferme de refus de la reconnaissance du génocide et condamne vivement toute
reconnaissance du génocide par des gouvernements ou parlements étrangers.
La Turquie évoque "simplement" une guerre civile en Anatolie, doublée d'une
famine, dans laquelle 300.000 à 500.000 Arméniens et autant de Turcs ont trouvé la mort.
L’obstination à nier cette évidence par les gouvernements turcs successifs est de
plus en plus dénoncée par une société civile turque consciente que le rétablissement de
la vérité historique est un gage de démocratie.
Par ailleurs, reconnaître le génocide arménien implique des enjeux financiers et
territoriaux pour la Turquie. La reconnaissance du génocide ouvrirait la voie à des deman-
des de dommages-intérêts pour les préjudices humain, moral et matériel, comme ce fut le
cas pour l’Allemagne après la Shoah. Le pays pourrait aussi être amené à restituer des
territoires à l’Arménie, ce dont le gouvernement d’Ankara
ne veut bien sûr pas entendre parler…
- Image du bas : Hrant Dink (1954-2007), journaliste turc d'origine arménienne, rédacteur
en chef de la revue arménienne d'Istanbul Agos et principal promoteur de la reconnaissance
du génocide en Turquie, assassiné par un jeune nationaliste turc en janvier 2007.
- Image du haut : Plus de 10.000 personnes à Istanbul rendent hommage à Hrant Dink en
janvier 2012, 5 ans après son assassinat.
10. Reconnaissance de responsabilité : des précédents
En 1970, le chancelier allemand Willy Brandt s'agenouillait devant le mémorial
du ghetto juif de Varsovie pour demander pardon aux Polonais.
En 1988, les États-Unis par la voix de Ronald Reagan présentaient des
excuses et versaient des indemnisations aux 120 000 citoyens états-uniens d'origine
japonaise internés après l'attaque sur Pearl Harbor (1941).
En 1993, par la déclaration de Yohei Kono, le Japon présentait des excuses à
la Corée pour l'usage forcé durant la Seconde Guerre mondiale de plusieurs
centaines de milliers de " femmes de confort ".
En 2010, la Douma russe (Parlement) reconnaissait que les massacres de
Katyn perpétrés contre des milliers d'officiers polonais en 1940 avaient été commis
par le régime stalinien.
En 2010, le Premier ministre britannique, David Cameron, s'excusait en
Irlande parce que lors du Bloody Sunday (1972), les forces de l'ordre britanniques
avaient tiré sur une manifestation pacifique de catholiques.
En 2018, la France par la voix d’Emmanuel Macron reconnaissait la
responsabilité de l’armée française dans l’assassinat de Maurice Audin.
Tous ces États admettent leur responsabilité. Seule la Turquie
présente un siècle après les faits ses condoléances aux petits-enfants des
victimes en omettant de mentionner que l'anéantissement de la population
arménienne a été organisé par le gouvernement jeune-turc.
Images : Wiily Brandt à Varsovie, Yohei Kono, le massacre de Katyn, le discours de David
Cameron à la Chambre des Communes retransmis à Londonderry, Emmanuel Macron rendant
visite à la veuve de Maurice Audin
11. La reconnaissance du génocide dans le monde
En avril 1965, l'Uruguay est le premier pays à reconnaître le génocide arménien.
En avril 1984 , le génocide arménien est reconnu par le ‘Tribunal permanent des
peuples’. En juin 1997 , l'Association internationale des historiens des génocides adopte
à l'unanimité une résolution de reconnaissance du génocide des Arméniens.
La reconnaissance politique du génocide à travers le monde fait encore l'objet de
débats et de controverses. Le génocide est reconnu par les parlements d’une trentaine
de pays et par le Parlement européen (juin 1987), le Conseil de l’Europe (avril 1998), le
Conseil Œcuménique des Églises (avril 2015), etc.
La loi française du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide
arménien de 1915, adoptée par le Sénat en novembre 2000 et par l'Assemblée nationale
en janvier 2001 contient un article unique : « La France reconnaît publiquement le
génocide arménien de 1915. »
En avril 2021, Joe Biden est le premier président étatsunien à reconnaître le
génocide arménien.
Images : Commémoration du génocide arménien le 24 avril 2015 à Paris et à Erevan (Arménie), 100 ans après
les assassinats du 24 avril 1915. À cette occasion, le pape François parle de "premier génocide du XXe siècle".
12. La mémoire du génocide des Arméniens
Le 19 janvier 2007, Hrant Dink, rédacteur en chef de la
revue arménienne d'Istanbul Agos et principal promoteur de la reconnaissance
du génocide en Turquie, est assassiné par un jeune nationaliste. Près de
100 000 manifestants descendent dans les rues d'Istanbul à l'occasion de ses
funérailles, brandissant des pancartes proclamant « Nous sommes tous des
Arméniens ! ».
La journée de commémoration du génocide arménien (24 février) est
fériée en Arménie et dans le Haut-Karabagh. Elle est également l'occasion de
commémorations par la diaspora arménienne à travers le monde
Le processus de mémoire, notamment celui de la diaspora, s'est accom-
pagné de la réalisation de mémoriaux à travers le monde. Ce sont parfois des
sculptures, parfois également des khatchkar (image 2).
Images : - Mémorial du génocide des Arméniens à Erevan, capitale de l’Arménie. La flèche haute de 44
mètres symbolise la renaissance spirituelle, la résilience
et la survie du peuple arménien
- Khatchkar à Ixelles (Belgique)
- Mémorial à Lyon
13. Faire mémoire
Le génocide est également commémoré dans la littérature, la
peinture, le cinéma, la chanson, par des expositions.
Livre de référence organisé chronologiquement, le Mémorial
a pour ambition de refléter la totalité des connaissances actuelles sur
le génocide des Arméniens. Accompagné de photos, de cartes et de
tableaux, il rassemble des centaines de textes de l'époque, officiels
ou privés, accompagnés des commentaires et analyses des auteurs.
- Image du bas : Exposition Arménie 1915 à l’Hôtel de Ville de Paris en avril 2015.
L'exposition, réalisée grâce aux prêts du Musée-Institut du génocide arménien d'Erevan et
de la bibliothèque Nubar, déroule de manière chronologique les différentes phases du
génocide arménien, ainsi rappelées par le dossier de presse: L'élimination des conscrits;
l'élimination des élites; l'élimination des autres hommes adultes; la déportation des femmes
et des enfants entre mai et septembre 1915; l'internement des survivants dans des camps
de concentration du désert syrien, fermés à l'automne 1916.