5. Né en 1909 à Dublin et décédé en 1992 à
Madrid, le peintre Francis Bacon est considéré
comme l’un des artistes majeurs du XXe siècle.
Si ses premières œuvres lui assurent une
certaine renommée, c’est véritablement après
l’exposition organisée en 1971 au Grand Palais
qu’il obtient une reconnaissance mondiale. Une
date qui marque aussi un tournant dans sa
peinture et dans sa réflexion artistique,
marquée notamment par la mort de son
compagnon, George Dyer.
Sa vie tourmentée alimente sa peinture, mais
Francis Bacon va aussi chercher l’inspiration
dans les arts, auprès de peintres comme Goya
ou Picasso ou des réalisateurs, comme Buñuel
ou Eisenstein. Mais c’est la littérature qui
stimule le plus l’artiste, sans pour autant qu’il
n’ait jamais envie de simplement « mettre en
images » ses lectures.
6. 0 Dans ses entretiens avec
Michel Archimbaud, il
s’exprime ainsi sur le sujet :
« La peinture n’a rien à voir
avec l’illustration, c’est en
quelque sorte tout le
contraire, un peu comme la
décoration est aussi tout le
contraire de la peinture. »
Ce sont ces liens forts mais
plus discrets entre les deux
passions de Bacon que le
Centre Pompidou tente
d’explorer à travers son
exposition.
7. FRANCIS BACON, UN ARTISTE TOURMENTÉ
En 1926, alors âgé de 17 ans, son père le chasse du foyer familial suite à la découverte de
son homosexualité. Pour rappel, il fallu attendre 1967 pour que l’homosexualité soit
dépénalisée en Angleterre. En 1934 (25 ans) a lieu sa première exposition personnelle.
Mais blessé par les critiques, il détruit ses propres œuvres. 7 ans plus tard, il se porte
volontaire dans la défense civile mais son asthme l’empêche d’aller plus loin. Cette liste
non-exhaustive d’aléas ont forgé la personnalité à part et torturée de cette artiste
phénoménal.
Refusant les conventions, il fait parti de ces artistes sulfureux qui s’enorgueillisse de
n’avoir eu aucun maître, ni d’école véritable.
Le suicide de son compagnon et modèle George Dyer, en 1971, est un bouleversement
pour lui. Le lendemain, Francis Bacon entrait dans l’histoire comme étant le seul peintre
avec Picasso à avoir une rétrospective consacrée à son art au Grand Palais. Cette mort
prématurée a obscurci les vingt dernières années de l’artiste, alors au faîte de sa gloire.
Trois triptyques sont d’ailleurs consacrés à l’homme avec qui il entretint une relation
orageuse pendant sept ans, où ils ne se quittèrent pas. Époustouflant, la tourmente de
Francis Bacon s’y révèle et sa culpabilité avec. Celle là même qui se retrouve dans Les
Euménides qui le poursuivent, reprenant encore une fois l’image de la tragédie grecque.
10. 0 Les œuvres réunies par le Centre Pompidou
ont toutes été créées dans les 20 dernières
années de la vie de Bacon. Elles sont disposées
dans six salles, elles-mêmes organisées autour
d’un livre qui prend ainsi l’aspect d’un totem
quasi mystique.
0
Parmi la bibliothèque riche de plus de 1 000
titres de Francis Bacon, six ont été sélectionnés
pour donner vie à l’exposition : L’Orestie
d’Eschyle, Humain, Trop humain de Nietzsche,
Poèmes de T. S. Eliot, L’Âge d’homme de Leiris,
L’Expérience intérieure de Bataille et Au cœur
des ténèbres de Conrad.
0
Bacon poursuit son ambition initiale de
« peindre une œuvre immaculée », mais il faut
remarquer l’influence littéraire, notamment le
goût pour la tragédie grecque, avec la
représentation du mythe de Prométhée et
l’apparition des Euménides, déesses des
remords chantées par Eschyle. Et il n’est pas
difficile, en contemplant les peintures
violentes de Bacon, parfois à la limite de
l’abstraction, faites de corps martyrisés
entourés de souillure, de mesurer l’impact sur
l’artiste du voyage « au cœur des ténèbres »
décrit par Conrad…
11. Bacon en toutes
lettres
Ces auteurs, qui ont tous inspiré à
Bacon des œuvres et des motifs,
partagent un univers poétique,
forment comme une famille spirituelle
dans laquelle s’est reconnu le peintre.
Ils ont en commun la même vision
réaliste, amoraliste du monde, une
conception de l’art et de ses formes
libérée des a priori de l’idéalisme.
À la suite des monographies consacrées à Marcel
Duchamp, René Magritte, André Derain ou encore
Henri Matisse, le Centre Pompidou poursuit la
relecture des œuvres majeures du 20ème siècle et
consacre une vaste exposition à Francis Bacon.
Les six salles de « Bacon en toutes lettres » placent la
littérature en leur cœur. De grandes voix lisent en
français et en anglais des textes d’Eschyle, Nietzsche,
Bataille, Leiris, Conrad et Eliot.
En mémoire de George Dyer est
l'un des trois triptyques que
Bacon peint en mémoire de son
compagnon qui s'est donné la
mort en 1971.
13. Œdipe et le Sphinx d'après Ingres
Autre variation sur un tableau connu, avec des indices limpides pour identifier la scène.
C'est d'ailleurs intéressant de voir la passation thématique ; j'avais visité une exposition
à Arles, également passionnante, qui approfondissait l'intérêt d'Ingres pour l'Antiquité et
prouvait que l'art antique (peinture des vases hellénistiques entre autres) avait nourri sa
peinture.
14. Francis Bacon, Peinture, seconde version, 1971
Bacon a commencé à peindre tardivement ; c'était d'abord un décorateur d'intérieur à Paris,
reconnu comme un designer de talent de retour à Londres. Il n'a jamais fait partie d'un groupe
ni ne s'est réellement reconnu dans aucun courant. Si le surréalisme affleure dans certaines
peintures, c'est parce qu'il a côtoyé des artistes qui s'y étaient identifiés, pendant et après la
grande exposition londonienne de 1936. De son côté, il partageait avec eux plusieurs
interrogations artistiques.
15. Personnage assis,
1974
Ici, malgré les dénégations de
l'artiste, les solutions explorées
me semblent bien proches du
surréalisme ; et on pense
notamment à Magritte avec ses
recherches sur la peinture mise
en abyme.
16. Etude pour Autoportrait, 1976
0 Très concerné par le
problème de l'espace,
thématique centrale
depuis les débuts de la
peinture (taille, ombre,
perspective), Bacon a
proposé de manière
récurrente ce cadre
intérieur, qu'on lit
facilement comme un
espace tridimensionnel
inclus dans la
représentation.
17. Paysage, 1978
0 Ici apparaissent les petites
flèches rouges. On verra
aussi des lettres, que Bacon
transférait à partir de
décalcomanies d'alphabet.
Le texte ou le pictogramme
s'insinue dans la peinture et
en change la dimension.
0 Il ne s'agit pas ici de
peinture de flèche comme
on pouvait avoir celle d'un
livre ou de l'inscription sur
un temple, mais bien d'un
élément extérieur au sujet
et pourtant présent sur le
support.
18. Le thème du corps humain est, je le
répète, récurrent dans l'œuvre, et
les titres méritent une attention
particulière ; si le mot d'étude est à
prendre au sens fort, comme objet
de recherche, il faut veiller aux
prépositions. On trouvera étude
d'après, étude pour, étude de, et
chacune de ces nuances me semble
signifiante quant au travail mené.
Trivialité, certes, mais humour!
20. Etude pour Les Euménides, 1982
C'est Eschyle qui écrivit Les Euménides, une des pièces de l'Orestie dont le volume était
présenté auparavant. On voit ici les fameuses lettres transférées. Un autre sens du titre de
l'expo, Bacon en toutes lettres ?
21. Scène de rue avec une voiture au loin, 1984
Une oeuvre passionnante. On pourrait dire qu'hormis le fond uniforme, tout est réaliste ici. Mais
le sujet est proprement mis à distance, et la notion de "scène" fait question. Le trottoir,
clairement identifié, devient le sujet apparent, mais son traitement l'interroge immédiatement.
Qu'est-ce que représenter ?
Hormis ces problématiques, quelle virtuosité dans la peinture !