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Back to the future
- 1. GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert
par Bertrand GUÉLY
©FFANG-DREAMSTIME.COM
26 • vegetable.fr • no
337 / octobre 2016
On lance
des desserts lactés
ou des boissons
préparés “comme
autrefois”,
mais on a du mal
à faire pareil
pour des produits
bruts 1re
gamme,
pourquoi ?”
Les raisons de ce retour aux sources
sont multiples
1 Une réaction à un excès de segmenta-
tion ou plus exactement à une segmentation
vide de sens : si Madame Michu se réveille en
hurlant parce qu’elle n’est plus convaincue que
le filet de pommes de terre Gratins Vapeur Ris-
solées est le bon achat pour samedi soir et
qu’elle se demande si elle n’aurait pas mieux
fait de choisir le Spécial Raclette, quand elle
achète quelques pommes de chaque espèce car
elle ne sait plus laquelle est préconisée pour sa
tatin, quand elle hésite devant une botte de poi-
reaux ébarbage intégral, partiel ou nature...
C’est peut-être que nos marketeux ont été trop
loin. Nous avons déjà évoqué par ailleurs les
demi-succès des segmentations par l’usage de
la prune, des aulx/oignons/échalotes et de
l’obstination stérile à considérer le seul goût
comme clé d’entrée.
2 Une réglementation et un affichage en
relation qui ennuie tout le monde mais ne ren-
seigne personne. À force d’imposer des éti-
quettes/balisages savants longueur Guerre et
paix, le client sourcilleux peut s’inquiéter de la
liste des produits utilisés (euh... oui, l’acide
ascorbique, c’est du jus de citron en fait et la
cire végétale est comestible sans danger) et
sacrifier de fait aux mythes alimentaires.
3 Une référence au local, certes, mais pas
toujours. Au-delà des quelques chantres du « je
mange ce qu’on produit près de chez moi », les
clients restent majoritairement ouverts et il
suffit de jeter un œil sur les dernières recettes
du rayon Jus pour s’en rendre compte. À ma
connaissance, il n’y a pas beaucoup de litchi ou
de papaye en France métropolitaine...
4 Un positionnement prix élevé assumé et
manifestement parfaitement légitime. Quand
vous achetez un lot de 2 yoghourts à 1,50 r,
vous avez un peu tendance à lécher le couvercle
et à mâcher lentement les 3 mirabelles qu’il y a
dans chaque pot mais, qu’importe, c’est telle-
ment bon et bien vendu. C’est vrai aussi pour
les jus/smoothies (au litrage inédit d’ailleurs
parce que psychologiquement trop chers au
litre), les tartares hachés façon Boucher...
5 Une approche jusqu’au-boutiste, soit alica-
ment soit gourmande. Je me suis déjà élevé
contre ces produits tellement allégés en tout
qu’il n’ont plus aucun et ici les offres sont assu-
mées soit comme anti-oxydant « mieux que le
Goji, tu finis centenaire satisfait ou rem-
boursé » soit comme un goût retrouvé
L’UNIVERS DES PRODUITS FRAIS
TRADITIONNELS DANS SON ENSEMBLE
ESTTOUCHÉ PAR LA MODE
DU « C’ÉTAIT MIEUXAVANT »
MAISÀ DES NIVEAUX DIFFÉRENTS.
SI ELLE EST FLAGRANTE SUR LES
PRODUITSTRANSFORMÉS, ELLE PEINE
À S’IMPOSER EN F&L OU, PLUTÔT,
ELLE PREND DES FORMES DIFFÉRENTES.
Back to the future
- 2. ©FFANG-DREAMSTIME.COM
QUAND VOUS VOYEZ CE NOUVEAU LOGO,
VOUS AVEZ ENTRE LES MAINS UN EMBALLAGE
EN CARTON ONDULÉ CERTIFIÉ, DE GRANDE QUALITÉ.
VOUS POUVEZ AVOIR TOUTE CONFIANCE.
COMME AVANT
Action/réaction
Il n’y a pas assez de choix et l’étal n’est plus vendeur en fin de
journée dans les hypermarchés ? Tu seras grand et frais, mon
fils ! Il n’y a jamais personne pour renseigner et on ne sait pas
d’où viennent les produits ? Tiens, salut Michel, Augustin n’est
pas là ? Allez, on se voit chez Charles et Alice ! On chlordécone
avec les pesticides depuis trop longtemps et les pov’petits
producteurs ne touchent pas de quoi vivre ? Ah pas de ça chez
nous ma petite dame Michu, ici on est tous innocents... même
les 2 vaches ! On ne nous dit rien sur les origines des produits ?
Yogourts à la vanille Bourbon de Madagascar de l’océan Indien
du troisième champ à gauche après l’épave du vieux galion
espagnol ! On peut lire dans le positionnement de tous les
produits types « comme avant » une réaction et un discours
vis-à-vis des principaux motifs de mécontentement, fondés ou
non d’ailleurs, des clients actuels pour les produits classiques.
en bref
Réinventer le passé en mode gagnant
NOUVEAU !
www.vegetable.fr/
blogs/guely
Retrouvez l’humeur
de Bertrand Guely
sur son végéblog :
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Le mois prochain :
Les poissons-pilotes
de la filière
« le même fromage blanc faisselle à la crème
que chez ma grand-mère ».
On voit que les possibilités qu’ont les fournis-
seurs de surfer sur les produits d’avant sont
nombreuses et on peut s’étonner que l’univers
des f & l 1re
gamme en tire aussi peu partie.
Il semblerait même qu’une partie des tenta-
tives se soit soldée par un échec car 3 erreurs
majeures ont été commises :
1 Plutôt que de répondre à des attentes
simples (une tomate de pleine terre qui a du
goût, une pomme pour les tartes, une poire
cueillie à maturité pour le dessert...), on a pré-
féré réanimer des nanars patentés : n’en
déplaise aux bobos et aux femmes de médecin,
les légumes anciens n’intéressent sur la durée
que les restaurateurs, les carottes violettes ne
branchent que les daltoniens et la Vitelotte ne
fait pas de meilleures chips !
2 Ce retour aux sources a été à tort souvent
réduit à une communication sur les terroirs. Or,
si la notion de terroirs fait évidemment sens, il
ne faut cependant pas oublier que la culture
consommateurs sur notre filière est faible et
que le pourcentage de gens susceptibles d’avoir
des repères suit la même courbe que celle des
sympathisants de Hollande depuis le début de
son quinquennat. De plus, là aussi on a abusé
en mélangeant à de vraies promesses (fraise du
Périgord, Golden du Limousin, champignon de
Paris...) à d’autres bien plus creuses (Royal Gala
du Val de Loire, navet d’Alsace...).
3 Comme d’habitude sur notre filière des
f & l en France, on se hâte de copier (mal d’ail-
leurs) ce qui fonctionne. La cœur de bœuf tire
son épingle du jeu ? On vient semer le trouble
avec d’autres variétés qui lui ressemblent mais
n’ont en rien sa texture et sa gustativité. Les
pêches de vigne et les variétés plates arrivent à
convaincre les déçus de Cailloux de France
dont ils ne veulent plus ? Vite, on en fait un
club marketé ou on les emballe en barquette
flowpackée parce qu’on ne sait pas les vendre
autrement sans démarque inconnue...
Mais au fait, une fois ces constats posés,
qu’y avait-il de mieux avant en f & l qu’on pour-
rait réinventer en mode gagnant ? C’est simple,
allons faire un tour au marché d’Aix-en-Provence
et observons ce que les marchands vantent... et
vendent : Mesclum fait maison, courgettes nou-
velles de notre jardin, légumes de chez nous,
pommes de terre Mona Lisa de notre production,
carottes extra tendres, raisin muscat non traité...
Inutile de prendre un crédit sur 15 ans pour se
payer une étude pavé du Boston Bullshitting
Group, pour comprendre. En clair, ils pro-
posent les fruits et légumes de saison, bons et
sains. Et tant pis si un simple coup d’œil aux
piles de cagettes vides renseigne sur la vraie
origine des produits « locaux », c’est le ressenti
qui compte et on sait la bienveillance Gilbert-
montagnesque des contrôleurs des fraudes
pour ces marchés...
À quelques mètres de là, une triste supérette de
proxy, agonise. Le gérant, qui a déjà fait mani-
festement 35 heures en une journée, peine à
se déplacer avec ses fers au pied. Il encaisse
un improbable client tout en remplissant la
panière de baguettes industrielles mais n’a pas
eu le temps de voir que les 3 pommes de terre
qui se cachent au fond de sa caisse plastique
terreuse sont germées. En fond de rayon on
trouve aussi de la tomate grappe espagnole
(comprenez de la tomate ronde cueillie avec la
raffle) à 2,90 e, des avocats du Pérou à 1,80 e
la pièce tellement petits que même 2 crevettes
n’arriveraient à s’y glisser… On est bien loin des
framboises délicates, des myrtilles sauvages
et de la pointe de citronnelle des nouveaux
yoghourts. Tant que les magasins de proximité
continueront à être des machines à marge
sans âme, non performants pour les f & l, les
primeurs et marchés de plein vent auront beau
jeu pour capter de plus en plus de clients qui
veulent juste des produits... comme avant.
Mon
précccccccieux !
Chaque client a
sa madeleine de
Proust et je serais
très étonné que
vous n’ayez jamais
entendu dans votre
entourage le couplet
sur les petites
fraises des bois de
la mamie, sur les
reines de reinettes
toutes déformées
mais tellement
bonnes que le
papi tendait en
souriant au gamin
sur la pointe de
son opinel, sur les
poires qu’il n’était
pas nécessaire
d’attaquer à la
scie sauteuse pour
pouvoir les manger
et dont le jus coulait
jusqu’aux coudes,
sur les salades qu’on
pouvait essorer sans
avoir la moitié des
feuilles collées sur
les chaussures...
La liste est longue
de ces produits
qui ne demandent
qu’à être Michelet-
Augustinisés!