Contenu connexe
Similaire à Le moins cher à tout prix - Avril 2017
Similaire à Le moins cher à tout prix - Avril 2017 (20)
Plus de Bertrand Guély (13)
Le moins cher à tout prix - Avril 2017
- 1. GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert
par Bertrand GUÉLY
©FFANG-DREAMSTIME.COM
26 • vegetable.fr • no
343 / avril 2017
Où pense-t-on
aller si on met
autant dans la
lumière le moins
cher ? Si les
consommateurs
nous disent, à
raison, que les
f & l sont chers,
ne vaut-il pas
mieux décortiquer
les éléments
constitutifs de cette
cherté et tenter
d'agir dessus ligne
à ligne ?”
E
xaminons d’abord les éléments qui
sont venus dévoyer le positionnement
originel parfaitement légitime d’une
gamme courte de premiers prix en
fruits et légumes :
• Une guerre des prix d’une violence sans pré-
cédent et pour laquelle les premiers prix, à la
manière des régiments coloniaux en 14-18,
sont sacrifiés en première ligne, quitte à pré-
cipiter une perte de valeur généralisée et la
décrue des PVC au-delà du seuil de rentabilité,
à la fois pour le chef de rayon et pour le four-
nisseur, victime collatérale toute désignée.
• L’absence de référents transverses reconnus
d’une enseigne à l’autre et permettant de
se faire une guerre totale mais à périmètre
limité. Quand les boulangers se battent sur
le prix de la baguette et les poissonniers sur
le pavé de saumon mais gagnent dignement
leur vie sur le reste des pains et des poissons,
le primeur tombe invariablement sous le coup
d’un diktat directionnel et doit être le moins
cher tout le temps sur toutes les espèces sai-
sonnières majeures, voire sur les origines !
Comme disait un de mes patrons, c’est facile
de faire du chiffre en donnant tout...
• La légende urbaine qui voudrait que les distri-
buteurs se gavent sur le dos du Pov’ Petit Pro-
ducteur. À force d’être brocardés et mis en exa-
men pour avoir donné la mort sans l’intention
de la donner, les premiers prix sont devenus
aussi des premiers alibis pour l’image... Quitte
à pressuriser encore davantage à l’achat !
• La fausse réponse apportée à un vrai pro-
blème de cherté – perçue et réelle – des f l.
À la façon d’un éleveur de bovins qui en
sacrifie quelques uns malades en leur tran-
chant la gorge en amont du fleuve pour faire
échapper le gros du troupeau aux piranhas,
les distributeurs ont décidé que les 20/80 du
rayon seraient des premiers prix. Ce qui pose
des problèmes à tout le monde. Comment
fait le producteur d’une espèce qui a eu le
malheur d’être « PP-listée » pour gagner sa
vie ? Comment fait le chef de rayon qui doit
vendre ses 10 produits phares à la planche,
en les regroupant même au sein d’un îlot
dédié en entrée de rayon, pour sortir malgré
tout sa marge rayon ? Il augmente de façon
déraisonnable tout le reste de la gamme et,
de fait, rend encore plus chers des produits
qui deviennent invendables et qu’il va casser !
• L’absence, pour certaines espèces, de réel
différentiel qualité entre le désigné premier
prix et la référence plus classique. Assez sou-
vent, au-delà de quelques défauts d’aspect, de
IL ME SEMBLEAUJOURD’HUI QUE CETTE FAMEUSE RÉFÉRENCE PREMIER PRIX
DE LA GAMMEAAUJOURD’HUITOUTES LES PEINES DU MONDEÀASSUMER
UNE COHÉRENCE,VOIRE ESTAPPELÉEÀ DISPARAÎTRETANT LES FAÇONS
DETRAITER LE SUJET SONT HÉTÉROCLITES.
Le moins cher...
à tout prix !
- 2. ©FFANG-DREAMSTIME.COM
Naturellement protecteur
Quel est le seul emballage qui promet
hygiène, ventilation, solidité, résistance
à l’humidité et protection tout en un ?
www.cartononduledefrance.org
avec le soutien de Carton Ondulé de France
GARDER DE LA VALEUR
Ne cassons pas nos jouets !
Imaginez un enfant gâté, du style de celui qui torture
Pierre Richard dans Le Jouet, qui, après avoir chipé le fichier
des meilleures ventes/progressions des centrales d’achats,
s’ingénierait à fracasser méthodiquement tout ce qui fonctionne
et crée un peu de valeur. On vend encore beaucoup de pommes,
de bananes et d’oranges ? Donnons, en linéaire, la part belle
aux références premiers prix. Les consommateurs, bombardés à
longueur de gondole par des multi-stimuli sans fondement, font
pourtant confiance au label Agriculture biologique ? Jetons vite
l’opprobre sur le bio qui a l’outrecuidance de venir hors d’Europe
et mettons le doute dans son esprit pour tuer la croissance
à 2 chiffres. Les consommateurs craquent pour les pommes
clubs ? Lançons sans attendre une foultitude de nouveaux clubs
illégitimes et noyons l’offre. Les consommateurs plébiscitent
la face blushée de l’abricot Orangered ou la saveur d’antan
de la tomate cœur de bœuf ? Flouons-le avec une variété
rebaptisée ou des tomates hybrides armées de Tomahawk bien
loin de l’aumônière originelle... Il existe dans notre filière une
propension désespérante à ne pas boiser suffisamment toute
veine prometteuse et à voir à terme s’effondrer tout boyau
creusé vers la lumière.
en bref
Grandeur et misère du premier prix
NOUVEAU !
www.vegetable.fr/
blogs/guely
Retrouvez l’humeur
de Bertrand Guely
sur son végéblog :
annonce_blog_colonne.indd 1 27/04/15 15:33
Le mois prochain :
La fin programmée
des saisonnalités
calibres a priori moins nobles ou de condi-
tionnement minimaliste, les produits sont les
mêmes. De plus, n’en déplaise aux bobos, une
bonne vieille Camarossa coupée à l’avance en
morceaux avec un peu de sucre gagne sou-
vent la bataille des arômes face aux princesses
des garrigues, jolies mais fadasses...
• La corrélation quasi-systématique entre premier
prix et produit d’importation. En plus d’illustrer
de façon tristement flagrante l’incapacité de
notre production nationale, écrasée de charges
et ensuquée dans d’innombrables contraintes
législatives, à être compétitive, elle réserve de
fait une bonne part des volumes et des mètres
linéaires auxdits produits d’importation.
En raison de tous ces éléments perturbants,
on déroule de plus en plus le tapis de caisse
rouge aux premiers prix : préemballé coûteux
anti-D.I. (à part dans les enseignes spécialisées,
les caissières ne différencient toujours pas plu-
sieurs vrac), balisage voyant, intégration à la
gamme permanente MDD, regroupement en
univers tous produits délimités (le magasin
premiers prix à l’intérieur même), gondoles ou
en îlots, tracts spécifiques... Mais où pense-t-on
aller si on met autant dans la lumière le moins
cher ? Si les consommateurs nous disent, à rai-
son, que les f l sont chers, ne vaut-il pas mieux
décortiquer les éléments constitutifs de cette
cherté et tenter d’agir dessus ligne à ligne ?
Détruire moins de valeur
1 Ne jamais oublier la nécessité de démocra-
tisation des f l en facilitant l’accès à cette caté-
gorie à des budgets qui s’en passent aujourd’hui
et dépensent ailleurs. Le sujet n’est pas de
savoir s’il faut des premiers prix mais de viser
le dosage efficace. Le curare peut soigner à
petite dose mais tue à dosage inconsidéré.
2 Agir sur les paramètres qui gravitent
autour de la qualité produit intrinsèque sans
condamner les acheteurs de premiers prix à
consommer du gustativement déceptif. Un pro-
duit vrac, dépouillé de ses attributs packaging et
un peu moins beau, oui, moins bon, non.
3 Peut-être, même si cela va faire crier cer-
tains « à l’hérétique », spécialiser davantage
certaines structures de production dans les pre-
miers prix. Il s’agirait ici de simplifier et d’opti-
miser l’outil de production sur une gamme
courte à conditionner, avec moins de stock
d’emballage, de lignes multipackaging... La
piste des conditionnements premiers prix
spécifiques à la source fait également sens
pour les produits d’importation car le coût de la
main d’œuvre n’est pas le même et la qualité
préservée quand le produit n’est pas retravaillé.
4 Payer le premier prix mieux que la trans-
formation, sous peine de voir le producteur
vendre en direct et en local un produit pour
lequel il n’a presque rien d’autre à faire que de
le sortir de la terre.
5 Surfer sur une tendance très encourageante
insufflée par les leaders de la distribution spé-
cialisée de f l et les enseignes généralistes
modifiant leur positionnement stratégique. Les
anciens discounteurs voire hard discounteurs,
qui ont compris que leur format Supermarché
était tendance et que la croissance passait
aujourd’hui par les Produits Frais Traditionnels,
ne laisse plus aujourd’hui entendre que l’en-
semble de leur gamme serait en fait des pre-
miers prix et concourent maintenant pour le
titre de référent f l de qualité. Malheur à celui
qui laisserait passer l’évolution : ils seraient mal,
patron, très mal...
« Euh... on fait
un premier prix
pour chaque
couleur de
pomme, chef ? »
Prenons l’espèce
la plus vendue
du rayon f l
– la pomme – et
réfléchissons un
instant à la notion
appliquée. Soit
on fait une seule
référence et on
prive de premier prix
les consommateurs
qui n’aiment pas la
Golden, soit on fait
une référence par
type de pomme et
on ampute la famille
d’une bonne partie
de la valeur. J’ai
même vu certains
tordus vouloir
présenter côte à
côte la Pink Lady et
sa fausse jumelle
cachée Cripps...
Dans les deux cas,
on dépositionne
encore un peu
plus les pommes
clubs et on se
retrouve avec une
stratification tarifaire
lâche qui rebute les
consommateurs...