1. C’est mon métier ...
28 • vegetable.fr • no
302 / juillet-août 2013
Grande distribution : regard d’expert
Ber trand
Guély
partage ici son
expérience des
hommes et du
terrain et surtout
s’efforcera
d’apporter des
propositions
réalistes pour
que la situation
puisse s’améliorer
concrètement au
quotidien.
A
lors je t'explique :
le sourceur décide
des grandes orien -
tations « approvi-
sionnement » du
dossier (origines,
variétés, liste des
fournisseurs référencés), lache -
teur national choisit celui des four-
nisseurs référencés avec qui il va
faire la campagne et l'approvision-
neur régional commande au quo -
tidien les volumes nécessaires à sa
plateforme et aux magasins. Sur le
papier, c'est plein de bon sens et
véritablement bien pensé.
Dans la vraie vie, les acheteurs et les
approvisionneurs vont tout mettre
en œuvre pour contourner le sys -
tème et prouver que les choix du
sourceur ne sont pas les meilleurs.
Partant du principe qu'on peut obte-
nir n'importe quel prix sur de petites
quantités et en jouant sur la qualité, il
sera alors facile de brandir le fameux
« j’achète moins cher tout seul ! ». Sur-
tout que viennent se greffer là-dessus
une kyrielle d'avides de pouvoir… Les
chefs produits qui, sauf s'ils sont vrai-
ment responsables d'un compte d'ex-
ploitation, ne sont en général chefs
de pas grand chose... Les « category
managers » qui, en France, n’ont pas
encore le pouvoir de leurs confrères
anglais, ce qui est regrettable tant le
modèle est vertueux… Les contrô -
leurs qualité, craints voir détestés
par tous les interlocuteurs de la filière
tant leur pouvoir au quotidien est
grand (« refusé ! »), ils ont un grand
pouvoir régional… Les directeurs de
plateformes : ils ont du mal à accep -
ter que la fonction achat échappe à
leur périmètre d'attributions et sont
d'autant plus prompts à l'oublier que
la plateforme est grosse ou sudiste,
c'est-à-dire proche des grands bassins
de production… Enfin, les directeurs
magasins. Les produits frais étant la
voie royale pour évoluer en GD, beau-
coup sont passés par le rayon f&l et
manient le « de mon temps » avec
facilité... Ce sont ceux qui expliquent
que leurs clients veulent la Golden
verte et la banane de Guadeloupe...
Les échappées du local !
Pourtant,plus que ces petites luttes de
pouvoir finalement assez classiques
au sein d’une entreprise, il existe une
tendance qui gangrène la quasi tota-
lité des services achats : la marche
forcée qu'on leurs impose vers les
produits régionaux et locaux. Préci -
sons d'emblée que la volonté d'in-
clure dans la gamme un maximum
de produits du coin est parfaitement
légitime et ce pour les raisons évi -
dentes qu'on connait déjà : meil-
leur bilan carbone a priori, circuit
court ménageant mieux la fraîcheur
d'un produit frais, possibilité d'ajus-
ter finement les commandes du
magasin à la demande client (proxi -
mité = dépannage) et surtout, atti -
rance pleine de bon sens des clients
pour un produit cultivé près de chez
lui et garantissant du travail aux agri-
culteurs de la région. Il n'en demeure
pas moins que, comme souvent
dans l'univers de la GD, la mise en
musique d'une bonne idée de base se
fait de la façon la plus inconfortable.
Pourquoi ?Face à la difficulté d'ache-
ter localement (production éparpil -
lée, quantités réduites, manque de
régularité des livraisons, logistique
approximative, multiplicité et « rus-
ticité » des interlocuteurs) et au
retard pris par certaines enseignes
sur le concept, les directions ont ten-
dance à tolérer l'open-bar et à intro -
niser n'importe quel collaborateur
comme « mini-acheteur régional »
qui se fera un plaisir d'abuser de son
nouveau pouvoir pour af ficher un
maximum de photos de producteurs
à l'entrée du magasin, quitte à ce que
ceci s'accompagne d'une indulgence
C’est moi
qui décide
28 • vegetable.fr • no
302 / juillet-août 2013
Centralisation ou régionalisation des
achats : comment faire pour s'y retrouver
quand on est fournisseur ? Bertrand Guély
La négociation est avant tout
une question de personne,
il faut cultiver un réseau avec
plusieurs entrées.
Retrouvez
Bertrand Guély
et son regard
d'expert sur :
www.vegetable.fr
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2. ...
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302/juillet-août 2013 • vegetable.fr • 29no
302/juillet-août 2013 • vegetable.fr • 29
Achats centralisés/régionaux
Fleurs et plantes
Le mois
prochain
généralisée : réutilisation des colis
bois théoriquement à usage unique,
absence de normalisation, livraison
en camions bâches, horaires de livrai-
son à la carte quitte à ce que le brave
petit producteur pose les palettes
avec les BL (bons de livraison) des-
sus... après le départ des contrôleurs
qualité! Du coup, l'acheteur national
devient acheteur « hors-local » ou
import et, connaissant la complexité
infini de son métier (cf. articles précé-
dents), ronge son frein en se deman-
dant comment on peut le désavouer
à ce point en considérant que n'im-
porte qui peut faire son métier du
jour au lendemain. H eureusement,
quelques enseignes ont implanté de
meilleurs schémas organisationnels,
avec des correspondants régionaux
qui sourcent mais n'ont pas le pou-
voir de référencer à tour de bras sans
que le dossier complet ait été valide
par les instances nationales (achat et
qualité). Même si le lobbying peut
être fort et qu'on lui met un peu de
force la tête dans le local, ce système
a au moins le mérite de laisser l'ache-
teur maître de son métier.
Qui a le chéquier ?
Voici quelques règles pour négocier
plus efficacement et éviter le « euh...
je voudrais parler a la personne qui
s'occupe de l'avocat ! »…
1 • Identifier qui a le chéquier et qui
appuie au quotidien sur le bouton.
2 • Faire le tri entre les faux chefs,
prescripteurs sans réel pouvoir, et les
vrais décideurs. En général, le carac-
tère quotidien et chronophage de
l'achat FL induit un vrai pouvoir au
jour le jour de l'acheteur de base qui,
s'il se fait tirer l'oreille par son Direc-
teur d'Achats, aura beau jeu de dire
que le fournisseur choisi n'a pas de
volumes, n'est pas au prix, a plein de
soucis qualité,... La seule solution est
de bâtir un tableau de propositions
de décisions d'achat, rempli par tous
les acheteurs avec les explications du
choix de sa décision, sur lequel le DA
n'a plus qu'a valider. Bien peu le font...
3 • Une fois votre interlocuteur déci-
sionnaire identifié, adapter votre
discours à sa sphère de responsabi-
lité ou d'intérêt. Inutile d'aller par -
ler RSE à un acheteur de base ou
Fair Trade a un Chef de Rayon. C es
aspects importants et différenciant
du négoce susciteront par contre de
l'intérêt dans le cadre d'un rendez-
vous top to top avec le patron d'en-
seigne qui a en général une autre
hauteur de vue et peut vous imposer
par le haut.
4 • En cas de blocage par la porte,
savoir revenir par la fenêtre. C'est
très connu chez les indépendants
(on travaille avec telle ou telle base)
mais ca fonctionne aussi chez les
intégrés car chaque base peut com-
mander au minimum sur les lignes
imposées par le national et secacher
derrière le sacro-saint dépannage.
Après, il reste toujours le grossiste
a service complet qui a ses entrées :
plutôt italien dans le Sud, antillais
dans l'Est...
5 • N'oubliez jamais que la négocia-
tion est avant tout une question de
personne et que vous pouvez rentrer
ou sortir au national/régional simple-
ment à l'occasion d'un changement
d'interlocuteur. Il vous faut donc
cultiver un réseau qui ne se limite
pas à un seul point d'entrée.
il y en a au moins un dans tous les bureaux d’achats. Ni bon ni mauvais acheteur, il
est par contre fin politicien et a en général réussi à se placer à chaque rapprochement
d'enseignes car il travaillait déjà quand il suffisait d'essorer les fournisseurs à tour
de rôle pour faire illusion et grimper. Il traine généralement derrière lui une batterie
de casseroles berlusconniennes, a un studio tous frais payés a la Jonquera et roule
allemand. Mais, on a jamais rien pu/voulu prouver... Difficile à joindre au téléphone
sauf quand c'est lui qui appelle, n'accordant que peu de rendez-vous physiques, il
s'arrange pour se dissimuler au maximum derrière des systèmes impersonnels de
Tender1
, des mails lapidaires et des appels d’offres bidons puisqu’il sait déjà lequel de
ses fournisseurs amis il veut voir gagner.... Car il a ses fournisseurs attitrés... et ceux
qu'il ne fera jamais travailler. Il a tendance à écarter les gros fournisseurs référents et
leurs marques qualitatives car, moins malléables, ils osent lui tenir tête. Le pouvoir de
ces acheteurs indéboulonables est grand car ils ont en général les dossiers produits à
enjeux volumétriques. Certains Directeurs d'Achats qui veulent acheter la paix sociale
préfèrent d'ailleurs abdiquer devant la grande difficulté à contrôler au jour le jour ces
vieux crocodiles de brousse et préfèrent, sous couvert de délégation, leurs confier les
clés du camion...
1 : Système d'enchères électroniques ou les fournisseurs répondent via internet, sans parler avec l'acheteur.
La machine peut même sélectionner seule le moins cher !
Portrait
Acheteur à vie !
Sourceur
C’est pas
sourcier !
Quand on parle de
sourceur, on fantasme
vite un personnage
a mi-chemin entre
Indiana Jones (jeune)
et le gringo de Jacques
Vabre. La chemise
trempée de sueur, il
taille à grands coups
de machette son
chemin jusqu'a la
plantation de bananes
oubliée des haut
plateaux costariciens
et trace d'une main
virile une croix sur
les plants dont il veut
réserver la production
à son enseigne.
Pourtant, la vérité est
bien moins excitante...
Notre ami est plus
accros des sucrettes
de la machine à café
que des comprimes
anti-pallu et ses plus
farouches ennemis
des acheteurs
régionaux jaloux
ou des contrôleurs
de gestion tatillons
(pardon pour tous ces
pléonasmes) que des
souffleurs de fléchettes
empoisonnées. Par
essence position en
porte-à-faux, il est
souvent le symbole
du non-pouvoir car,
s'il indique la bonne
voie, et a moins
d'affirmer une très
forte personnalité,
il ne pousse
malheureusement
pas le bouton au
quotidien.
no
298/mars 2013 • vegetable.fr • 29
1 • Identifier qui a le chéquier et quiIdentifier qui a le chéquier et quiIdentifier qui a le chéquier
appuie au quotidien sur le bouton.
2 • Faire le tri entre les faux chefs,
prescripteurs sans réel pouvoir, et les
vieux crocodiles de brousse et préfèrent, sous couvert de délégation, leurs confier les
clés du camion...
1 : Système d'enchères électroniques ou les fournisseurs répondent via internet, sans parler avec l'acheteur.
La machine peut même sélectionner seule le moins cher !
no
298/mars 2013 • vegetable.fr • 29
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