1. C’est mon métier ...
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297 / février 201330 • vegetable.fr • no
297 / février 2013
Distribution regard d’expert
S
i le degré de centra -
lisation des achats
varie en fonction des
enseignes, la ten -
dance n’en reste pas
moins à la massi -
fication et à la pro-
fessionnalisation de l ’acte d’achat.
On peut d ’ailleurs s’interroger sur
le bien-fondé de cette organisation
dans un secteur où une espèce don -
née peut évoluer du pléthorique à
la pénurie (par exemple, l ’acheteur
ananas qui passe un appel d ’offres
pour plusieurs centaines de palettes
à Pâques n’aura pas forcément un
prix plus bas). Ce sont donc les ache-
teurs, quelquefois en binôme avec
les rares managers de catégorie
ayant un vrai pouvoir décisionnel,
qui vont semble-t-il décider de beau-
coup de choses : choix des origines,
variétés, calibres, catégories, condi -
tionnements et, surtout, du fournis-
seur et du prix qu’ils lui accorderont.
S’il est habituel qu’une personne qui
concentre a priori autant de pou-
voirs suscite des réactions, il est par
contre typique de notre secteur qu’ils
soient pour la plupart peu appréciés
par les fournisseurs qui les décrivent
comme souvent injoignables,
incultes, indécis, résistants au chan-
gement, ou corrompus... Il m’a donc
semblé important de démystif ier
d’emblée cette fonction ingrate car
le métier d’acheteur est, croyez-moi,
tout sauf une sinécure. Pourquoi ?
Caractéristiques fortes
de la négociation en FL
Si l’achat est par nature anxiogène, il
l’est tout particulièrement en FL. À la
différence du vendeur qui connait son
seuil de vente à perte, l’acheteur de FL
ne sait jamais vraiment s’il a « bien »
acheté. Les quelques indicateurs dont
il dispose (cours des MIN, cotations
fournisseurs, PVC concurrents) ne
reflètent pas la situation réelle du
marché et la mesure de la perfor -
mance à l’achat, vieux rêve de tous les
Directeurs d’Achats souhaitant pou -
voir vraiment évaluer leurs acheteurs,
a fait long feu, même en instillant
dans les indicateurs des notions plus
larges que le seul prix (marge sur
vente, taux de service, quote-part de
l’espèce dans le CA du rayon...).
Même avec les outils de communica-
tion modernes, la négociation reste
et restera toujours en partie orale et
quotidienne. Les systèmes d’enchères
électroniques inversées, aussi perfec-
tionnés soient-ils, ne sauraient reflé-
ter toute la complexité du marché.
Et donc, même si certains éléments
peuvent être cadrés de façon antici -
pée pour toute une campagne, on se
parle quand même tous les jours.
La négociation se fait toujours en
gardant un œil sur la montre. Sou -
venez-vous de vos vacances dans le
grand Sud Marocain et la négocia -
tion du tapis souvenir sur le bord de
la route. Tout le monde est déjà assis
dans le bus, le moteur et la clima -
tisation tournent. Les mamies sont
Pas si facilele métier d’acheteur !
Méconnu, le métier d’acheteur
Grande Distribution est parfois
baigné d’un halo de non
respectabilité. Pourtant, il officie
pour un rayon sur lequel tout le
monde, et surtout ceux qui n’y
connaissent rien, a un avis. Il
passe donc beaucoup de temps à
se justifier en interne et fait son
possible pour concilier au mieux
les intérêts des deux parties.
Être un chef
primeur.
Bertrand
Guély
partage ici son
expérience des
hommes et du
terrain et surtout
s’efforcera
d’apporter des
propositions
réalistes pour
que la situation
puisse s’améliorer
concrètement au
quotidien.
Le mois
prochain
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Si vous n’arrivez pas d’emblée à aimer les acheteurs,
respectez-les au moins comme on se doit de respecter
un bon client. Soyez apporteur de solutions complètes plutôt
que vendeur du seul produit. Certains vendeurs de tomate
cerise vendent non pas parce qu’ils sont les moins chers
mais simplement parce qu’ils ont des barquettes qui tiennent
fermées en rayon et des Gencods contrôlés au départ (présence,
lisibilité, conformité). Certains vendeurs de fraises espagnoles
en caissette consommateur passent simplement car ils
ne conditionnent pas sur des palettes perdues fragiles et fixent
un complexe qui tient sur du bois. Soyez fiable : l’acheteur
cherche d’abord à ne pas être pris en défaut au quotidien
pour des non-livraisons, des retards ou des refus qualité.
Soyez présent sans harcèlement stérile. Interdisez-vous le
« je voudrais faire un peu le point » et appelez pour des motifs
précis et pouvant faire gagner de l’argent.
Comment rentrer en centrale˜?
Être fiable auprès de l’acheteur
Bertrand Guély
pressées de rentrer à l’hôtel, et vous
foudroient du regard, le chauf feur
donne rageusement de petits coups
d’accélérateur et vous presse de faire
vite ! Eh bien, c ’est le quotidien de
l’acheteur qui doit attendre les com-
mandes de ses plateformes, respec-
ter les deadlines départ camion et les
amplitudes réception/agréage... tout
en payant le juste prix ! A joutons à
cela que l’acheteur a réellement la
confirmation de la qualité à récep-
tion. Pas étonnant que son premier
geste du matin, après le tour d’entre-
pôt et la consultation du chiffre de la
veille, soit d’éditer les non livrés, les
retards et les refus qualité...
La négociation est tout de même
foncièrement déséquilibrée : le ven-
deur est condamné à être bon, alors
que l’acheteur peut tout simplement
dire non, sans véritable approche
rationnelle et sans avoir à se justi-
fier. Même si tout bon acheteur sait
qu’il doit être prêt à renvoyer l’ascen-
seur. Le fournisseur doit être un allié
pour se battre contre le vrai ennemi,
le concurrent.
Souvent, le producteur se plaint du
faible niveau de connaissance produit
de son interlocuteur. Mais comment
un acheteur multi-produits pourrait-
il être au même niveau d ’expertise
qu’un spécialiste d’une seule espèce ?
D’autant que derrière chaque espèce
se cachent des combinaisons infinies.
Il existe 5 espèces de viande... mais il
existe des centaines d’espèces de FL
qui se succèdent ou se télescopent au
fil de plusieurs saisons, des centaines
de variétés et des dizaines d’origines
pour une seule variété (un acheteur
abricot est toujours content de sortir
de la première partie de campagne
précoce et de voir arriver les premiers
Bergerons...). Cela donne un tableau
multi-entrées où seul un vrai profes-
sionnel est à peu près capable de se
retrouver.
Les grossistes qui dépannent les
magasins en direct, tels des prê-
cheurs bâtissant leur fond de com-
merce sur l ’obscurantisme et la
jalousie ont eux parfaitement com-
pris tout l ’avantage qu’ils pou-
vaient tirer de cette complexité de
l’achat pour appâter les magasins :
« j’ai déjà de l ’abricot » (et tant pis
si ses précoces espagnols vert fluo
dégoûtent le client pour toute la
campagne). Si la Centrale est tenue
d’assurer une permanence de
gamme, un contrôle qualité, la tra-
çabilité, un prix sans marge autre
que les frais de fonctionnement
et... appartient au même groupe, la
tentation de faire de fausses écono-
mies est parfois plus forte pour le
chef de rayon.
Le positionnement de l’acheteur
et ses contraintes
Le rayon FL, objet de toutes les
attentions, est le rayon sur lequel
tout le monde a un avis. P as une
fois je n’ai vu l’acheteur boucherie se
faire reprocher que la bavette était
tranchée trop épaisse. P ar contre,
l’acheteur FL doit sans arrêt se jus-
tifier aux yeux de tous sur la colo-
ration des bananes, le manque de
goût des tomates de serre (elles sont
meilleures dans le jardin de mes
parents !) ou la maturité aléatoire des
melons. Et quand, las de trouver sur
son bureau tous les lundi matin en
saison la barquette de fraises achetée
samedi soir à 20h48 par la femme
du directeur avec quelques fraises
tachées, il tente de monter en grade
qualité en payant un peu plus cher, il
se fait crucifier en public parce qu’il
est un peu plus cher qu ’une supé-
rette de 399 m 2
que le chargé de
relevé de prix aura sournoisement
dénichée à 40 km du magasin ! Il
n’est donc pas si simple de conjuguer
qualité et prix ou plutôt il faut être
un excellent acheteur pour trouver
tous les jours les meilleurs produits
du marché au prix le plus bas de
toute la concurrence.
Pour motif de l’indépendance déci-
sionnelle nécessaire à l’impartialité
d’un jugement, la majeure partie
des enseignes ont fait des sévices...
pardon des services d’agréage qua-
lité des États dans l ’État. Excellente
formule qui ne remet bien sûr pas
en cause le nécessaire respect de
la législation mais qui permet par
contre d’accepter que les ananas
soient un peu moins colorés quand
l’éthrel est lessivé par les pluies.
Après le petit colis de bananes ou les
palettes de 1,20 m, les palettes inter-
médiaires sur les agrumes espa-
gnols, il faudra bientôt travailler sur
des colis qui sautent tout seul sur
le rayon. Mon propos n’est pas de
commenter les caprices de la C ram
mais de vous faire deviner a qui on
demande des colis moins lourds ou
des palettes moins hautes...et bien
sûr sans surcoût.. ?
Les grands groupes de distribution
sont souvent le résultat de rachats,
fusions ou rapprochements et l ’ac-
cès à des statistiques f iables est un
véritable chemin de croix. Voila pour-
quoi les acheteurs ont autant de mal
à donner des programmes de com-
mande aux fournisseurs qui veulent
légitimement pouvoir organiser leurs
équipes en conséquence.
Bergerons...). Cela donne un tableau
multi-entrées où seul un vrai profes-
sionnel est à peu près capable de se
retrouver.
relevé de prix aura sournoisement
dénichée à 40 km du magasin ! Il
n’est donc pas si simple de conjuguer
qualité et prix ou plutôt il faut être
à donner des programmes de com-
mande aux fournisseurs qui veulent
légitimement pouvoir organiser leurs
équipes en conséquence.
La négociation restera
toujours en partie orale
et quotidienne.
PRÉSENTÉ PAR
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