2. Éditorialisation
• « l’ensemble des dispositifs qui permettent la
structuration et la circulation du savoir. En ce
sens l’éditorialisation est une production de
visions du monde, ou mieux, un acte de
production du réel.* » Marcello Vitali-Rosati.
• http://blog.sens-
public.org/marcellovitalirosati/quest-ce-que-
leditorialisation/
• * Et de fabrique de l’opinion
2
3. <Incise>
• A propos « d’acte de production du réel »,
d’éditorialisation et de redocumentarisation, si vous
avez 5 minutes, allez lire l’histoire d’Adam Boyd dans le
billet : « La réalité alternative existe. J’y ai pénétré ».
• L’histoire d’un type qui modifie une page Wikipédia
pour entrer en zone VIP dans un concert.
• Mais pas uniquement.
• http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2017/03
/realite-alternative-existe.html
3
</Incise>
4. Argument / ÉDITORIAL
• Un algorithme est un éditorialiste comme les autres (1) (2)
• L’éditorialisation (algorithmique) est un méta-
déterminisme technique, modelé par des régimes de
vérité propres à chaque plateforme, à chaque écosystème
connecté.
• Faute de s’être interrogé à temps sur l’éditorialisation
algorithmique on écope aujourd’hui le tonneau des
Danaïdes des Fake News et autres « faits alternatifs ». Et
faute de l’interroger « correctement » on continuera
d’écoper pendant longtemps.
4
(1) donc chaque fois que je parlerai « d’éditorialisation » je désignerai en fait « l’éditorialisation algorithmique »
(2) http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2016/11/un-algorithme-est-un-editorialiste-comme-les-autres.html
8. 8
Editorialisation savante ? Sachante ? A la volée ?
Éditorialisation ou recommandation ?
Éditorialisation est une forme (et une force) de recommandation. Éditorialiser c’est recommander
22. 22
http://algotransparency.org/index.html
Constat (très rapide)
Pour tous les candidats, cette vidéo (« INCROYABLE ASSELINEAU Dévoile l’arnaque macron »)
est toujours présente dans le trio de tête des suggestions, et avec un ratio toujours très élevé.
Pourtant elle n’est pas (et de loin) la + « vue », la + « likée », la + longue, la + polémique
POURQUOI ?
Alors …
Et combien de temps le restera-t-elle ?
Et laquelle la remplacera ? Et pourquoi ? #AdLibitum
26. C’était en travaillant sur la sérendipité*.
Qui est à l’éditorialisation ce que
l’anti-matière est à la matière.
La sérendipité est 1 anti-éditorialisation
26
* Sérendipité : désigne le fait de trouver avec habilité quelque chose que l’on ne cherchait pas.
Ou de trouver autre chose que ce que l’on cherchait initialement
27. Intervention dans un colloque en 2003.
« Chercher faux et trouver juste ». https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000689
• « Quand nous consultons une page de résultat de Google (…) nous ne disposons pas
simplement du résultat d'un croisement combinatoire binaire entre des pages répondant à
la requête et d'autres n'y répondant pas ou moins (MATCHING). Nous disposons d'une vue
sur le monde (WATCHING) dont la neutralité est clairement absente. (…) l'affichage lisible
d'une liste de résultats est le résultat de l'itération de principes (…) implicites, (…) invisibles,
et surtout dynamiques (…) » O. Ertzscheid et G. Gallezot.
• Plus loin dans notre présentation orale nous avions souligné le fait que les moteurs de
recherche (le « feeling lucky » de Google en particulier) était un moyen d’instrumentaliser
la sérendipité pour imposer à l’utilisateur les résultats voulus par le moteur et sa régie
publicitaire.
• 1 an avant l’invention de Facebook. 8 ans avant qu’Eli Pariser ne parle de la
« Filter Bubble ».
• Moralité 1 : nous étions des visionnaires incompris ;-)
• Mais je ne vous raconte pas ça pour ça.
27
28. Intervention dans un colloque en 2003.
« Chercher faux et trouver juste ».
https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000689
• Moralité 2 : Matching => Watching : Tout dispositif technique
informationnel reposant sur des logiques calculatoires* ne peut pas ne
pas éditorialiser. Un algorithme est nécessairement un Mr Jourdain de
l’éditorialisation.
• Ecole de Palo Alto nous avait appris que « on ne peut pas ne pas
communiquer » (P. Watzlawick), le grand enseignement du web des
plateformes sociales c’est qu’un algorithme ne peut pas ne pas
éditorialiser.
• « Edito Algo Sum » : Je suis un algorithme donc j’éditorialise, je produis
du réel (pas du « vrai », juste du réel)
28
15 ans plus tard : Intervention séminaire 2017.
« Juste chercher, et trouver faux »
(« on veut juste chercher mais on trouve plein de fake news »)
* Bachimont expliquait qu’il fallait « donner un statut documentaire au calculable »
29. Si un algorithme ne peut pas ne pas éditorialiser.
Alors une plateforme ne peut pas ne pas le savoir ou le nier.
• Pourtant pendant très longtemps les plateformes ont nié
tout cela. Soit :
– en rejetant la faute sur les utilisateurs (Google Bombing*)
– en s’abritant derrière le calcul et la statistique (cf « Google
cache des juifs »**)
– en se réfugiant derrière le statut d’hébergeur
– les 3 à la fois
• Jusqu’à …
– la lettre de M. Zuckerberg du 16 février 2017, « Building a
global community » qui marque une rupture assez claire***.
29*** la lettre de M. Zuckerberg : https://www.facebook.com/notes/mark-zuckerberg/building-global-community/10154544292806634
et l’analyse que j’en ai proposé : http://affordance.typepad.com//mon_weblog/2017/03/lettre-zuckerberg.html
* http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2010/09/de-qui-trou-du-cul-est-il-le-nom-.html
** http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2012/06/google-cache-des-juifs.html
30. • Reconnaît les effets « Filter Bubble » et le phénomène des Fake News :
– « Les médias sociaux sont des médias de formes courtes où les messages qui résonnent sont amplifiés à de
nombreuses reprises. Cela récompense la simplicité et décourage la nuance. Dans le meilleur des cas cela
rend plus visibles certains messages et expose les gens à des idées différentes. Dans le pire des cas cela sur-
simplifie des sujets importants et nous pousse à des points de vue extrêmes. » Il admet aussi « les effets très
puissants qui lient sensationnalisme et polarisation de l'opinion et conduisent à une perte de
compréhension globale d'un phénomène. »
• Il a une réflexion « éditoriale » :
– « Nous avons fait des progrès dans notre manière de lutter contre les hoax comme nous l'avions fait contre
le Spam, mais nous devons en faire davantage. Nous avançons avec précaution car il n'y a pas de ligne de
démarcation nette entre les hoax, la satire et l'opinion. »
• Il revendique une éditorialisation explicite :
– « Notre approche va désormais moins se focaliser sur la suppression de la désinformation, et davantage sur
la mise en avant d'informations et de points de vue complémentaires, incluant le travail des fact-checkers
sur l'exactitude ("accuracy") d'une information. »
30
31. « Facebook is not just technology or media,
but a community of people »
• Triangulation : communauté – média – technologie
• Quelle part et quelle responsabilité « éditoriale » pour chacun de ces 3 sommets ?
• Questions d’éditorialisation se sont déplacées.
– Médias « traditionnels » : c’est la rédaction (le rédac’chef) qui éditorialise.
– Médias numériques (web 1.0) : c’est le réseau (rhizome) en tant qu’architecture (décentralisée) de
liens qui vaut pour éditorialisation, qui produit des visions du monde et construit du réel, le réel du
réseau.
– Médias numériques (web 2.0) : ce sont les communautés qui commencent à faire le travail
d’éditorialisation (les fameux « commentaires », le web « participatif », « conversationnel »)
– Plateformes socio-techniques : les 3 à la fois : la communauté éditorialise, le « média » a une ligne
éditoriale (nonobstant les dénégations de son fondateur) puisqu’il est un média, et bien sûr
l’algorithme (techno) éditorialise par le déterminisme qu’il produit et les choix au cœur du code.
• Moralité :
– déplacement du centre de gravité de l’éditorialisation
– conflits éditoriaux permaments entre les 3 « attracteurs éditoriaux » que sont la communauté, le
média et la technique algorithmique (modérateurs humains + algorithme Edgerank + IA
d’apprentissage et de nettoyage)
31
technologie
33. « Facebook is not just technology or
media, but a community of people »
• Ces conflits éditoriaux ne sont rien d’autre que les
guerres d’édition sur Wikipédia. Ils produisent donc
des « fake news ».
• Une guerre d’édition sur Wikipédia c’est une fake
news que l’on combat. Mais elle n’est pas
problématique et ne dure jamais longtemps.
• Car la différence (fondamentale) vient du régime de
vérité propre à la plateforme.
33
34. Régimes de vérité
• Foucault : « Chaque société a son régime de vérité, sa politique générale de la vérité: c’est-à-dire les
types de discours qu’elle accueille et fait fonctionner comme vrais ; les mécanismes et les instances
qui permettent de distinguer les énoncés vrais ou faux, la manière dont on sanctionne les uns et les
autres ; les techniques et les procédures qui sont valorisées pour l’obtention de la vérité ; le statut
de ceux qui ont la charge de dire ce qui fonctionne comme vrai. » (cf polémique autour du Décodex)
• Google, Facebook, Twitter, Wikipédia … Autant de plateformes, autant de régimes de vérité
différents. Qui sont aussi des régimes de visibilité. Et donc autant de logiques ou de mécaniques
éditoriales.
34
35. Impossible de parler d’éditorialisation si on ne comprend pas la
particularisme de chaque régime de vérité pour chaque
plateforme.
• Google. Popularité. Est « vrai » ce qui est populaire (et la manière dont on
pose la question compte beaucoup : cf « l’holocauste a-t-il vraiment existé »* )
• Wikipédia. Vérifiabilité. Est « vrai » dans l'écosystème Wikipédia ce qui est
vérifiable (et est vérifiable ce qui est « documentable »)
• Facebook. (taux d’)Engagement. Est "vrai" dans l'écosystème Facebook ce qui
permet de produire de l'engagement.
• Facebook ne veut pas "afficher des informations qui correspondent à vos centres
d'intérêts établis en fonction de vos interactions dans ou en dehors de sa plateforme"
(ça c'est son algorithme qui s'en charge), Facebook veut "constituer une audience
segmentable à volonté au service d'intérêts d'annonceurs". Et il a pour cela besoin de
contenus suscitant de "l'engagement". La "valeur" transmise et appliquée par
l'algorithme de Facebook est donc celle de l'engagement. Facebook est une machine à
produire de l'engagement. Peu importe que cela soit "vérifiable", peu importe que cela
soit "populaire" (effet de l'illusion de la majorité), il faut que ce soit « engageant »
35
* http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2016/12/algorithmes-tondus-liberation.html et la suite
http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2016/12/google-google-pourquoi-mas-tu-abandonne.html
36. Mais revenons aux conflits entre ces trois
attracteurs éditoriaux
36
technologie
ligne de front éditoriale
Fil Twt
Mur Fb
SERP Goog
Déterminisme technique
Ça ne vous rappelle rien ?
38. Œil de la providence
Franc-maçonnerie
Illuminati
Théories du complot
Fake News
#COMBO
#CQFD
Voilà ce qu’il se produit quand 3 lignes de front éditoriales se confrontent
(dans une architecture de panoptique)
De la même manière que l’architecture sociale panoptique de Facebook (friending)
produit de la sur- et de la sous-veillance, son architecture « éditoriale » alliée à son
régime de vérité ne peut que produire du Fake (ou pour être plus précis, elle ne peut pas
ne pas produire du Fake)
Plus sérieusement (ou moins métaphoriquement)
39. Et pour Google ?
Plutôt effet tunnel que triangulation (Un média, une technologie et pas – vraiment – de communauté.)
Régime de vérité de la popularité produit des stéréotypies.
39http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2010/09/la-reponse-avant-la-question.html
40. Problème du passage à l’échelle
• Face à tous ces problèmes éditoriaux qu’il admet en tant que tels, M. Zuckerberg parle
d’un problème de passage à l’échelle : « Ces erreurs ne venaient presque jamais (sic) de
positions idéologiques que nous aurions pu avoir en conflit avec notre communauté, mais
plutôt d'opérations de passage à l'échelle ("operational scaling issues"). »
• De fait certains régimes de vérité supportent mieux que d’autres
les phénomènes de passage à l’échelle.
• Il y avait bcp plus d’erreurs dans Wikipédia lorsqu’il y avait très peu de consultations, de
contenus et de wikipédiens actifs. Le passage à l’échelle du régime de vérifiabilité s’est
avéré vertueux.
• Il y a toujours eu une prime à la popularité dans l’algo de Google, plus ou moins bien
compensée par l’algorithme. Passage à l’échelle du régime de popularité n’a fait que
perpétuer cet équilibre.
• Il y avait bcp moins de Fake News dans Facebook quand il y avait bcp moins d’utilisateurs
et que chacun d’entre eux n’était ami qu’avec sa famille et ses proches (et le fait qu’il y
en ait quand même était bien moins préoccupant). Passage à l’échelle du régime de
l’engagement est un cercle vicieux.
40
41. Solution algorithmique à
un problème
algorithmique ?
• Zuckerberg Propose de (presque) tout solutionner par l’IA : c’est à dire une techno (IA) sur une autre
techno (Edgerank). De garantir une techno par une autre. A grands coups de « Machine » et de « Deep »
Learning.
• Du discours « technique » au discours « magique »
• « No one really knows how the most advanced algorithms do what they do. That could be a problem. »
https://www.technologyreview.com/s/604087/the-dark-secret-at-the-heart-of-ai/
• Directeur de Google Research Europe (programme Langage naturel et Deep Learning) : “Il y a un
moment magique ou le programme reconnait une image de chat même s’il n’a pas déjà mémorisé cette
image” https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/intelligence-artificielle/qu-est-ce-que-le-deep-
learning-l-explication-du-directeur-de-google-research-europe_112195
• Moralité : Pour ces plateformes, l’éditorialisation est une forme de prestidigitation.
41
47. Il y a donc bien des logiques d’éditorialisations.
A qui les confier ?
• « Un quotidien affectant la gravité confiera la plume de l'éditorialiste à un
politicien chevronné et assagi, tandis que son concurrent aux opinions
mieux tranchées donnera la préférence à un polémiste ou à un
doctrinaire. » COSTON, L'A.B.C. du journalisme, 1952, p. 107.
• Si le « quotidien » est Google, FB ou Twt et “l’éditorialiste” est leur algo de
hiérarchisation / obfuscation alors ...
• + une plateforme d’accès à l’info affecte la gravité (= 1 forme d’objectivité)
plus son algorithmie est celle non pas d’un politicien chevronné mais
d’une régie publicitaire assagie
• + une plateforme fait la part belle à des opinions tranchées (FB, Twt ...) et
plus son algo. jouera le rôle d’un polémiste ou d’un doctrinaire.
47
48. Conclusion contextuelle
• Vous voulez savoir qui sera au second tour
dimanche ?
• Probablement les deux qui :
– éditorialisent le plus.
– produisent le plus « d’engagement »
– jouissent de la plus grande « popularité ».
– Ont le moins besoin de documenter leur propre
vérifiabilité et donc leur propre crédibilité.
48